L’Abîme

La femme de charge parle.

 

Madame Goldstraw s’installa sans bruit dans lachambre qui lui avait été assignée ; elle n’était point femmeà déranger les domestiques, et, sans perdre de temps, elle se fitannoncer chez son nouveau maître pour lui demander sesinstructions. Wilding la reçut dans la salle à manger, comme laveille. Ce fut là qu’après avoir échangé les civilités d’usage, ilss’assirent tous les deux pour tenir conseil sur les affaires de lamaison.

– En ce qui concerne les repas, monsieur, –dit Madame Goldstraw, – aurai-je à m’en occuper pour un grandnombre de personnes ou pour vous seulement ?

– Si je puis mettre à exécution un vieuxprojet que j’ai mûri, – répliqua Wilding, – vous aurez beaucoup demonde à table. Je suis garçon, Madame Goldstraw, et je désire vivreavec toutes les personnes que j’emploie comme si elles étaient dema famille. Jusqu’à ce que ce projet s’accomplisse, vous n’aurez àsonger qu’à moi et à mon nouvel associé ; je ne puis vousrenseigner sur ce point quant à ce qui le concerne ; mais,pour moi, je puis bien me donner à vous comme un homme d’habitudesrégulières et d’un appétit invariable…

– Et les déjeuners ? – interrompit MadameGoldstraw, – y a-t-il quelque chose de particulier, monsieur, pourvos déjeuners ?

Elle s’interrompit elle-même et laissa saphrase inachevée. Ses yeux se détournaient de son maître et sedirigeaient vers la cheminée et vers ce portrait de femme… SiWilding n’eût pas tenu désormais pour certain que Madame Goldstrawétait une personne expérimentée et sérieuse, il eût pu croire queses pensées s’égaraient un peu depuis le commencement de cetentretien.

– Je déjeune à huit heures, – dit-il ; –j’ai une vertu et un vice : jamais je ne me fatigue de lardgrillé et je suis extrêmement difficile quant à la fraîcheur desœufs.

Le regard de Madame Goldstraw se reporta enfinvers lui, mais à défaut de son regard, l’esprit de la femme decharge était encore partagé entre son maître et le portrait…

– Je prends du thé, – continua Wilding, – etpeut-être suis-je un peu nerveux et enclin à l’impatience lorsqueje le prends trop longtemps après qu’il a été fait… Si mon thé…

Ce fut à son tour de s’arrêter tout net et dene point achever sa phrase. S’il n’avait pas été engagé dans ladiscussion d’un sujet aussi intéressant que celui-là, MadameGoldstraw, en vérité, aurait pu croire que ses pensées, à luiaussi, commençaient à s’égarer.

– Si votre thé attend, monsieur…, –reprit-elle, renouant poliment le fil perdu de ce bizarreentretien.

– Si mon thé ?… – répéta machinalementWilding ; il s’éloignait de plus en plus de sondéjeuner ; ses yeux se fixaient avec une curiosité croissantesur le visage de sa femme de charge. – Si mon thé !… Mon Dieu,Madame Goldstraw, quels sont donc ces allures et ce son de voix quej’ai connus et que vous me rappelez ? Ce souvenir me frappeaujourd’hui plus fortement encore que la première fois que je vousai vue. Quel peut-il être ?

– Quel peut-il être ?… – répéta MadameGoldstraw.

Ces derniers mots, elle les avait dits del’air d’une personne qui songeait à tout autre chose. Wilding, quine cessait point de l’examiner, remarqua que ses yeux erraient sanscesse du côté de la cheminée. Il les vit se fixer sur le portraitde sa mère. En même temps les sourcils de Madame Goldstraw secontractèrent légèrement comme si elle faisait à cet instant uneffort de mémoire dont elle avait à peine conscience.

– Feu ma pauvre chère mère, – lui dit-il, –quand elle avait vingt-cinq ans.

Madame Goldstraw le remercia d’un geste, pourla peine qu’il venait de prendre en lui nommant l’original de cettepeinture. Son visage aussitôt se rasséréna. Elle ajouta polimentque ce portrait était celui d’une bien jolie dame.

Wilding ne lui répondit pas. Il était déjàretombé dans cette perplexité qui le tourmentait depuis une heureet dont il ne pouvait plus se défendre. Encore une fois il tenta derassembler sa mémoire. Où donc avait-il vu cet air de figure, oùdonc avait-il entendu ce son de voix que Madame Goldstraw luirappelait si exactement ?

– Pardonnez-moi, – dit-il, – si je vous faisune nouvelle question, qui n’a trait ni à mon déjeuner ni àmoi-même. Puis-je vous demander si vous n’avez jamais occupéd’autre position que celle de femme de charge ?

– Si vraiment, – répliqua-t-elle, – j’aidébuté dans la vie d’une tout autre manière. J’ai été gardienne àl’Hospice des Enfants Trouvés.

– J’y suis ! – s’écria Wilding enrepoussant violemment son fauteuil et en se levant. – Par leciel ! ce sont les façons de ces excellentes femmes que lesvôtres me rappellent si bien !

Madame Goldstraw le regarda d’un air stupéfaitet pâlit. Elle se contint pourtant, baissa les yeux, et se tut.

– Qu’y a-t-il ?… – demanda Wilding. –Quelle est votre pensée ?…

–Monsieur, – balbutia la femme de charge, –dois-je conclure de ce que vous venez de dire, que vous ayez étéaux Enfants Trouvés ?

– Certainement ! – s’écria-t-il. – Je nerougis pas de l’avouer.

– Vous avez été aux Enfants ?… Sous lenom que vous portez aujourd’hui ?

– Sous le nom de Walter Wilding.

– Et la dame ?…

Madame Goldstraw s’arrêta court, regardantencore le portrait. Ce regard exprimait maintenant, à ne point s’yméprendre, un vif sentiment d’alarme.

– Vous voulez parler de ma mère, – ditWilding.

– Votre mère, – répéta-t-elle d’un aircontraint, – votre mère vous a retiré de l’Hospice… Quel âgeaviez-vous alors, monsieur ?

– Onze ans et demi, Madame Goldstraw…Oh ! c’est une aventure romanesque.

Il raconta l’histoire de la dame voilée quilui avait parlé à l’Hospice, pendant le dîner des Enfants, et toutce qui avait suivi cette rencontre. Il fit ce récit de ce toncommunicatif, avec cet air de simplicité qu’il employait en touteschoses.

– Ma pauvre chère mère, – continua-t-il, –n’aurait jamais pu me reconnaître, si elle n’avait su émouvoir parsa douleur une femme de la maison qui eut pitié d’elle. Cette femmelui promit de toucher du doigt le petit Walter Wilding, en faisantsa ronde dans la salle… Ce fut ainsi que je retrouvai ma pauvrechère mère, après avoir été séparé d’elle depuis que j’étais aumonde. Et, je vous l’ai dit, j’avais alors plus de onze ans.

Madame Goldstraw écoutait avec attention. Samain, qu’elle avait posée sur la table, retomba inerte et froidesur ses genoux. Elle regarda fixement son nouveau maître, et sonvisage se couvrit d’une pâleur mortelle.

– Qu’ayez-vous, – s’écria Wilding, – qu’est-ceque cette émotion veut dire ?… De grâce, savez-vous quelqueautre chose du passé ?… Avez-vous été mêlée à quelque autreincident qu’on ne m’a point fait connaître ? Je me souviensque ma mère m’a parlé d’une autre personne de la maison, envers quielle avait contracté une dette éternelle de reconnaissance.Lorsqu’elle s’était séparée de moi à ma naissance, une gardienneavait eu l’humanité de lui apprendre le nom qu’on m’avait donné.Cette gardienne, c’était vous.

– Que Dieu me pardonne ! – répéta MadameGoldstraw, – c’était moi.

– Que Dieu vous pardonne ! – répétaWilding épouvanté. – Et qu’avez-vous donc fait de mal en cetteoccasion ?… Expliquez-vous, Madame Goldstraw.

– Je crois, – dit la femme de charge, – quenous ferions mieux d’en revenir à mes devoirs dans votre maison.Excusez-moi si je vous rappelle au sujet de notre entretien,monsieur. Vous déjeunez donc à huit heures ?… N’avez-vous pasl’habitude de faire un lunch ?…

– Un lunch ! – fit Wilding.

Cette terrible rougeur qui avait si forteffrayé, la veille, Bintrey, l’homme de loi, reparut sur le visagedu jeune négociant. Wilding porta la main à sa tête. Visiblement ilcherchait à remettre un peu d’ordre dans ses pensées avant que dereprendre la parole.

– Vous me cachez quelque chose, – dit-ilbrusquement à Madame Goldstraw.

– Je vous en prie, monsieur, faites-moi lagrâce de me dire si vous prenez un lunch ? – repartit la femmede charge.

– Je ne vous ferai point cette grâce, je nereviendrai pas à notre sujet, Madame Goldstraw, entendez-vous, jen’y reviendrai pas avant que vous m’ayez dit pourquoi vousregrettez si peu d’avoir fait du bien à ma mère en cettecirconstance terrible, – s’écria Wilding hors de lui. – Ma mère m’aparlé de vous avec un sentiment de gratitude inépuisable jusqu’à lafin de sa vie, et sachez bien que c’est me rendre un mauvaisservice que de vous taire et de ne point me répondre. Vousm’agitez, vous m’inquiétez, vous allez être la cause que mesétourdissements vont revenir.

Il porta encore la main à son front et derouge qu’il était son visage devint violet.

– Il est dur pour moi, monsieur, au moment oùj’entre à votre service, il est bien dur de vous dire une chose quipourra me coûter la perte de vos bonnes grâces et de votrebienveillance, – répliqua lentement Madame Goldstraw. – Je vousprie seulement de remarquer, quoi qu’il advienne, que je ne suispas libre de ne pas vous obéir. C’est vous qui me forcez à parlerquand j’aurais été heureuse de me taire, et je ne romps le silenceque parce qu’il vous alarme. Sachez donc que lorsque j’appris à lapauvre dame dont le portrait est là le nom sous lequel son enfantavait été baptisé, je manquai à tous mes devoirs. Mon imprudence aeu des suites fatales. Mais je vous dirai pourtant la vérité.Quelques mois après que j’eus fait connaître à cette dame le nom deson enfant, une autre dame étrangère se présenta dans la maison,désirant d’adopter un de nos petits garçons. Elle en avait apportél’autorisation préalable et régulière ; elle examina un grandnombre d’enfants sans se décider en faveur d’aucun ; puis,ayant vu par hasard un de nos plus jeunes babies… un petit garçonaussi… confié à mes soins… je vous en prie, tâchez de demeurermaître de vous, monsieur… Il n’est pas nécessaire de prendre plusde détours, en vérité. L’enfant que la dame étrangère emmena avecelle était celui de la dame dont voici le portrait.

Wilding se leva en sursaut.

– Impossible !… – s’écria-t-il, – que meracontez-vous là ?… Quelle histoire absurde !… Regardezce portrait… ne vous l’ai-je pas déjà dit ?… C’est le portraitde ma mère !…

– Quand cette malheureuse dame, dont vous memontrez l’image, vint, au bout de quelques années, vous retirer del’Hospice, – reprit Madame Goldstraw d’une voix ferme, – elle futvictime… et vous aussi, monsieur… d’une terrible méprise.

Wilding retomba lourdement sur sonfauteuil.

– Il me semble que la chambre tourne autour demoi !… – fit-il. – Ma tête !… ma tête !…

La femme de charge, toute éperdue, courut à lafenêtre qu’elle ouvrit, puis à la porte pour appeler dusecours ; mais un torrent de pleurs, s’échappant à grand bruitdes yeux de Wilding, vint heureusement le soulager. D’un signe, ilpria Madame Goldstraw de ne point le quitter. Elle attendit la finde cette explosion de larmes. Wilding revint à lui, leva la tête,et considéra sa femme de charge d’un air soupçonneux et irrité,avec toute la déraison d’un homme faible.

– Méprise !… méprise !… –s’écria-t-il, répétant le dernier mot qu’il avait dit. –Méprise !… – continua-t-il d’un ton farouche. – Et si vous metrompiez vous-même !…

– Malheureusement, – dit-elle, – je ne puisavoir commis une erreur. Je vous dirai pourquoi dès que vous serezen état de m’entendre.

– Tout de suite !… tout de suite !…– reprit Wilding. – Ne perdons pas un moment.

L’air égaré avec lequel il lui enjoignait deparler fit comprendre à Madame Goldstraw qu’il serait d’unegénérosité cruelle et maladroite de lui laisser un seul momentd’espérance. Il suffisait maintenant d’un mot pour mettre à jamaisun terme à cette illusion qu’il aurait voulu garder. Ce mot, quiallait l’accabler, elle devait le lui dire.

– Je viens de vous apprendre, – dit-elle, –que l’enfant de la dame dont vous avez le portrait avait été adoptéet emmené par une autre dame étrangère. – Vous me voyez aussi sûrede ce fait que je le suis d’être ici, auprès de vous en ce moment.Me voici forcée de vous affliger encore, monsieur, et cela contremon gré. Veuillez me suivre maintenant, vous reporter dans lepassé, trois mois après l’événement dont nous parlons. J’étaisalors à l’Hospice de Londres, toute prête à emmener, suivant lesordres que j’avais reçus, quelques enfants à notre succursale de lacampagne. Il y eut ce jour-là, je m’en souviens, une discussionrelative au nom que l’on allait donner à un petit nouveau venu.Nous donnions en général à nos petits anges, des noms que nousprenions tout simplement au hasard dans l’Almanach des Adresses. Cejour-là, l’un des gentlemen directeurs, qui feuilletait leRegistre, trouva que le baby qui venait d’être adopté, WalterWilding, avait été effacé, « Un nom à prendre, » dit-il ;« donnez-le à celui qui vient d’être reçu tout à l’heure.C’est le moyen de vous mettre d’accord. » On appela donc cenouvel enfant Walter Wilding comme l’autre qui nous avait étéretiré… Ce nouvel enfant, c’était vous.

La tête de Wilding retomba sur sapoitrine.

– C’était moi !… – murmura-t-il.

– Peu de temps après votre entrée dansl’institution, monsieur, – reprit la femme de charge, – je laquittai pour me marier. Si vous voulez ici me prêter toute votreattention, vous allez voir comment une funeste méprise a eu lieunaturellement. Onze ans et demi se passèrent avant que celle que,tout à l’heure, vous croyiez avoir été votre mère, ne retournât àl’Hospice pour y chercher le fils dont elle s’était séparée. Ellesavait qu’il s’appelait Walter Wilding, et rien de plus. Laservante qu’elle émut par sa douleur ne put lui désigner que leseul Walter Wilding alors connu dans la maison. Moi, qui aurais purétablir la vérité des choses, j’étais bien loin alors. Aucunindice, aucun soupçon, aucun doute ne put donc alors empêcher cettecruelle erreur de s’accomplir. Oh ! je souffre pour vous,monsieur, vous penserez toujours avec raison que le jour où je suisentrée chez vous fut un jour de malheur, j’y suis venue bieninnocemment, je vous le jure. Et pourtant j’éprouve le sentimentd’une mauvaise action que je viens de commettre. Que n’ai-je pudissimuler le trouble où la vue de ce portrait et les confidencesque vous m’avez faites m’avaient jetée malgré moi ! Si j’avaiseu la sagesse de me taire, vous n’auriez jamais eu l’occasiond’apprendre toutes ces choses douloureuses et, même à l’heure devotre mort, tranquille et sans inquiétude…

Elle s’arrêta, car Wilding redressabrusquement la tête et la regarda. Son honnêteté native sesoulevait dans son cœur et protestait contre ce dernier mot deMadame Goldstraw.

– Entendez-vous par là que vous auriez voulume cacher tout ceci… – s’écria-t-il, – me le cacher à jamais sivous l’aviez pu ?

– Je me flatte de pouvoir toujours dire lavérité quand on me la demandera, – répondit Madame Goldstraw. –Certes, il vaut mieux pour moi et pour ma conscience de n’être paschargée d’un pareil secret. Mais cela vaut-il mieux pourvous ? De quelle utilité peut-il vous être, maintenant, de leconnaître, le secret qui vous déchire ?

– De quelle utilité ? – répéta Wilding. –Mais, grand Dieu, si cette histoire est vraie !…

– Si elle ne l’était point, vous l’eussé-jeracontée, monsieur ? – répliqua-t-elle.

– Je vous demande pardon, – continua Wilding.– Il faut être indulgente pour moi. Je ne puis encore trouver laforce d’admettre comme réelle cette terrible découverte. Nous nousaimions si tendrement l’un et l’autre (il montrait le portrait endisant cela). Je sentais si profondément que j’étais son fils… Elleest morte dans mes bras, Madame Goldstraw, morte en me bénissantcomme une mère seule peut bénir. Et c’est après tant d’années qu’onvient me dire : Elle n’était pas ta mère !

– Malheureusement, – fit Madame Goldstraw, –elle ne l’était pas, mais elle vous aimait…

– Je ne sais ce que je dis ! –s’écria-t-il.

Déjà l’empire passager qu’il avait pu prendresur lui-même quelques moments auparavant et qui lui avait donné unpeu de force s’évanouissait.

– Ce n’était pas à ce terrible chagrin que jesongeais tout à l’heure. Non, c’était tout autre chose qui metraversait l’esprit… Oui, oui, vous m’avez surpris et blessé,Madame Goldstraw. Votre langage me donne à supposer que vousregrettez de ne m’avoir point laissé une erreur qui m’était sichère. Ne vous laissez pas aller à de telles pensées, et surtoutgardez-vous bien de me les dire. C’eût été un crime que dem’épargner la vérité. Je sais que votre intention était bonne, jele sais ! je ne désire pas vous affliger, vous avez bon cœur.Mais songez à la situation où je me trouve. Dans la fausseconviction que j’étais son fils, Elle m’a laissé tout ce qu’ellepossédait. Je ne suis pas son fils. J’ai pris la place, j’aiaccepté, sans le savoir, la place d’un autre. Cet autre, il fautque je le trouve. L’espoir de le retrouver est le seul qui merelève et me fortifie au milieu de ce terrible chagrin qui mefrappe. Vous en devez savoir bien plus que vous ne m’en avezraconté, Madame Goldstraw ? Quelle était cette étrangère qui aadopté l’enfant ? Son nom, vous l’avez entendu ?

– Je ne l’ai jamais entendu… je ne l’ai jamaisrevue elle-même… je n’ai jamais reçu de ses nouvelles…

– Elle n’a donc rien dit lorsqu’elle a emmenél’enfant ?… Rappelez vos souvenirs, elle doit avoir ditquelque chose.

– Une seule, monsieur, une seule qui merevienne. Cette année-là, l’hiver avait été très cruel et beaucoupde nos petits élèves avaient souffert. Lorsqu’elle prit le babydans ses bras, l’étrangère me dit en riant : « Ne soyezpas en peine pour sa santé. Il grandira sous un climat meilleur quele vôtre. Je vais le conduire en Suisse. »

– En Suisse ?… dans quelle partie de laSuisse ?

– Elle ne me l’a pas dit.

– Rien que ce faible indice… rien que ce filléger pour trouver ma route… – murmura Wilding, – et un quart desiècle s’est écoulé depuis ce jour ! Que dois-jefaire ?

– J’espère que vous ne vous offenserez pas dela franchise de mon langage, monsieur, – reprit Madame Goldstraw. –En vérité, je ne vois point pourquoi vous voilà si fort incertainde ce que vous avez à faire. Chercher cet enfant ! Qui saits’il est en vie ? Et, monsieur, s’il vit, il ne connaîtsûrement pas l’adversité. L’étrangère qui l’a adoptée était unefemme de condition ; elle a dû prouver au directeur del’Hospice qu’elle était en état de se charger d’un enfant, sansquoi on ne lui aurait point permis de le prendre. Si j’étais àvotre place, monsieur, pardonnez-moi de vous parler si librement…Je me consolerais en songeant que j’ai aimé la pauvre femme qui estlà (elle montrait à son tour le portrait), aussi fortement qu’onaime sa mère et qu’elle a eu pour moi la même tendresse que sij’avais été son fils. Tout ce qu’elle vous a donné, n’est-ce pas enraison de son affection même ? Son cœur ne s’est jamaisdémenti envers vous durant sa vie ; le vôtre, j’en suis biensûre, ne se démentira jamais envers elle. Quel meilleur droitpouvez-vous avoir à conserver ses présents ?…

– Arrêtez ! – s’écria Wilding.

Sa probité native lui faisait voir lecharitable sophisme que lui opposait Madame Goldstraw pour leconsoler.

– Vous ne comprenez pas, – reprit-il ; –c’est parce que je l’ai aimée que mon devoir maintenant est defaire justice à son fils. Un devoir sacré, Madame Goldstraw.Oh ! si ce fils est encore au monde, je le retrouverai. Jesuccomberais, d’ailleurs, dans cette terrible épreuve, si jen’avais la ressource et la consolation de m’occuper tout de suiteactivement de ce que ma conscience me commande de faire. Il fautque je cause sans retard avec mon homme de loi. Je veux l’avoir misà l’œuvre avant de m’endormir ce soir.

Il s’approcha d’un tube attaché à la muraille,et par ce moyen appela quelqu’un dans le bureau de l’étageinférieur.

– Veuillez me laisser un moment, MadameGoldstraw, – dit-il, – je serai plus calme et plus en état decauser avec vous dans l’après-midi ! nous nous plaironsensemble, j’en suis sûr, en dépit de ce qui arrive. Oh ! cen’est pas votre faute… Donnez-moi la main, Madame Goldstraw. Etmaintenant faites de votre mieux dans la maison…

Comme Madame Goldstraw se dirigeait vers laporte Jarvis parut sur le seuil.

– Envoyez chercher Monsieur Bintrey, – lui ditWilding, – j’ai besoin de le voir sur-le-champ.

Le commis n’était point venu là seulement pourrecevoir un ordre. Quelqu’un le suivait qu’il avait missiond’introduire ; il annonça :

– Monsieur Vendale.

Le nouvel associé de Wilding et Co. entra.

– Excusez-moi pour un moment, George Vendale,– dit Wilding, – j’ai encore un mot à dire à Jarvis. Envoyez,envoyez tout de suite chercher Monsieur Bintrey.

Jarvis, avant de quitter la chambre, déposaune lettre sur la table.

– De nos correspondants de Neufchâtel,monsieur, je pense, – dit-il. – Cette lettre porte un timbreSuisse.

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