Le Château noir

XX – Évasion d’un squelette

Rouletabille et La Candeur avaient rouléjusqu’au fond de la salle des gardes.

Sur eux, la poterne avait été soigneusementrefermée par les soins de Vladimir. Et bientôt, quand on eutconstaté que personne n’était blessé, on se fit force complimentsd’un événement qui mettait nos jeunes gens à l’abri de Gaulow et deses hommes, au moins jusqu’au lendemain matin.

En effet, il fut aussitôt visible que cettetrêve si utile leur était accordée, par la disposition même queprenaient dans le chemin de ronde leurs gardiens. Ceux-ci avaientallumé des feux non seulement pour rechercher les blessés del’explosion, dont quelques-uns avaient été projetés assez loin dansla cour circulaire ou au fond du fossé, mais encore dans le butd’éclairer toute la face du donjon, de telle sorte qu’ils n’eussentaucune surprise à craindre de la part des assiégés.

La Candeur vit ainsi transporter quelquesvictimes, dont Stefo le Dalmate, qu’à l’ordinaire il appelait leCaïman, et qui avait été assez grièvement blessé. Il ne puts’empêcher de tressaillir en face des résultats trop importants deleur ingénieuse défense.

Hélas ! s’ils avaient bien reculé, leCaïman, lui, avait trop bien sauté !

Jamais, le Pacha noir ne pardonnerait auxhôtes du donjon l’état dans lequel on lui avait mis son premierlieutenant, même au neveu de Rothschild !

Enragés de la façon dont ils avaient ététraités par l’explosion et furieux aussi d’avoir vu leurs deuxprisonniers leur échapper, les soldats ne se gênaient point pourmontrer le poing au donjon et pour promettre à ceux qui y étaientenfermés un avenir peu réjouissant, tout cela heureusement dans unelangue que La Candeur ne comprenait point, mais dont, tout de même,il devinait à peu près le sens.

Comme il en était là de ses tristesréflexions, La Candeur sentit qu’on le frappait à l’épaule. C’étaitRouletabille qui réclamait son attention :

« Suis-moi !…

– Te suivre ?… Où ça ?… Nous sommesentourés de tous côtés.

– Si bien entourés, acquiesça Rouletabille,qu’ils ont même songé à envoyer des gardes au pied du donjon, ducôté de la campagne et des précipices… je redescends delà-haut : rien à faire par là…

– Alors, laisse-moi dormir, je tombe desommeil.

– Non ! suis-moi !

– Où ?

– Dans le souterrain !

– Penses-tu que nous allons pouvoir fuir parlà ? et que ce Priski de malheur n’aura pas pris sesprécautions !

– Mets toujours ça dans ta poche etsuis-moi ! »

Et Rouletabille tendait à La Candeur uneespèce de petite bougie assez lourde.

« Qu’est-ce que c’est que ça ?…

– C’est une chose qu’il ne faut pas, autantque possible laisser tomber, c’est « une cartouche dedynamite »…

– Encore ?…

– Oui, encore !… encore uneheureusement ! C’est la dernière, La Candeur,rassure-toi ! mais ne le regrette pas. Elle va nous être aussiutile que la première.

– Qu’est-ce que tu vas en faire ?

– Elle va nous servir comme l’autre, à nousisoler !

– Ah ! je comprends !…

– Eh bien, si tu comprends, suis-moi… C’esttout ce que je te demande… »

Depuis un quart d’heure qu’il avait pénétrédans le donjon, Rouletabille n’avait pas perdu son temps. Il avaitpassé en revue les dispositions prises sous la direction deVladimir par la petite garnison. Toutes les meurtrières donnant surle chemin de ronde étaient armées et approvisionnées de munitions.Les défenseurs, selon les besoins du moment, pourraient setransporter sur tous les points nécessaires et faire pleuvoir surles assaillants une grêle de projectiles sans être exposéseux-mêmes.

Rouletabille se sentant sûr, à nouveau, de sondonjon, surtout depuis que le pont avait sauté, reprenaitespoir.

La partie n’était pas perdue !

La nuit ne faisait que commencer, et dans larapide excursion qu’il venait de faire tout là-haut, au sommet dela formidable tour, il avait vu la foule des invités se presserencore dans la première cour du harem, cependant que les hommessortaient du selamlik pour assister au feu d’artifice dontl’explosion du pont avait été comme le signal et dont les premièresbombes commençaient à irradier le ciel.

« Non ! Ivana n’appartenait pasencore à Kara Selim et peut-être arriverait-il encore assez à tempspour la sauver ! »

Il avait son idée !

Nous savons que c’était dans les moments lesplus difficiles et dans les cas les plus désespérés que ces sortesd’idées lui embrasaient la cervelle… Mais, avant tout, il fallait,comme il l’avait expliqué à La Candeur, se garder contre unesurprise par le souterrain…

Tondor souleva une fois de plus la fameuseplaque de fer et les deux reporters descendirent à nouveau dans legouffre noir. Rouletabille était en avant, éclairant les ténèbresdu feu d’une petite lanterne. Il s’était, comme la première fois,entouré de cordes bien que, cette fois, il ne pût espérer passerpar l’oubliette qui devait être gardée. Arrivé sur le sol dusouterrain, il éclaira la descente de La Candeur et tous deuxrefirent bientôt le chemin qu’ils avaient fait avecM. Priski.

Ils passèrent devant les lourdes portes descachots, sans s’y arrêter et parvinrent ainsi au carrefour quiavait marqué leur première étape avant d’arriver à l’oubliette.

« Chut ! fit Rouletabille…Arrêtons-nous et écoutons !… »

Ils ne perçurent aucun bruit.

« Je crois que, de ce côté, nous sommesbons ! » dit-il encore, et, prenant la cartouche dans lapoche de La Candeur (il ne l’avait pas gardée sur lui parce que sespoches étaient pleines d’instruments propres au cambriolage etcapables de déterminer des chocs dangereux) prenant donc lacartouche, il la glissa dans une fissure du roc, à un mètre environdu sol ; il y attacha une mèche qu’il déroula à reculons enentraînant avec lui La Candeur.

Et ils revinrent ainsi non loin des portes descachots.

Rouletabille dit alors à La Candeur :

« Tu vas rester ici et écouter ; aumoindre bruit suspect du côté du carrefour, tu allumes !Compris ?

– Compris !

– Et tu te sauves, naturellement, jusqu’audonjon…

– Et toi ?…

– Ne t’occupe pas de moi !… Moi, je vaisaller rendre visite à ce pauvre pacha que Gaulow a traité sicruellement !…

– Quel pacha ?…

– Le squelette !…

– Le squelette, dans le cachot !…s’exclama La Candeur, ahuri, et qu’est-ce que tu veux en faire dece squelette ?

– Rien ! mais il y a dans le cachot dusquelette une honnête petite fenêtre.

– Pas si honnête puisqu’elle a desbarreaux !…

– Nous allons bien voir !… »

Et Rouletabille s’en fut pousser les lourdsverrous du cachot dans lequel ils avaient vu, dans une précédentepromenade souterraine, le fameux squelette du pauvre pacha attachépar la patte !

« Les barreaux, disait encoreRouletabille en secouant la porte, les barreaux ne me font paspeur !…

» Si on ne peut pas les limer parce que ceserait trop long, on les descellera !… Ce n’est pas lapremière fois que nous rencontrons des barreaux sur notre chemin,et ils ne nous ont jamais arrêtés ! »

La porte céda là-dessus à ses efforts.

Et il entra dans le cachot.

Une exclamation qu’il poussa fit accourir LaCandeur.

La chaîne de fer et son anneau étaienttoujours là, mais le squelette avait disparu !

Le plus beau était que les barreaux de lafenêtre avaient été arrachés, enlevés de leurs alvéoles de pierreet que l’on pouvait relever sur la muraille décrépite toutes lestraces d’une évasion.

« Ce que le pauvre pacha n’a pu faire deson vivant, dit Rouletabille, il l’a accompli après sa mort.

– C’est tout à fait extraordinaire !conclut La Candeur. Le squelette s’est évadé ! »

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