Le Crime de Rouletabille

XV. – Rouletabille en prison

Comment n’en aurais-je pas été persuadé ?Quand j’écris « Rouletabille était donc coupable ! »c’est que, dans l’instant, je le croyais tel. Ainsi en est-il pourtoutes les parties de ce récit dont je vous fais franchir lesétapes en vous mettant dans l’état d’esprit qui était le mien dansle moment même que je vous le décris. Aussi bien n’en ai-je pointfini avec les hypothèses ou les certitudes ou les quasi-certitudesrelatives au rôle de Rouletabille dans ce qu’on a appelé soncrime.

Dans le moment, je croyais donc Rouletabillecoupable, mais je n’en avais pas l’esprit plus clair pour cela. Aucontraire, je ne pouvais m’expliquer une attitude aussi basse dansle cas où mon ami eût fait œuvre de justicier, ni aussi mensongère,surtout vis-à-vis de moi-même, s’il avait obéi, sans pouvoir yrésister, au mouvement de la bête.

Finalement, je me dis qu’il devait être bienmalheureux et je résolus de l’aller voir dans la prison dès lelendemain matin. J’avais justement un « permis decommuniquer » signé de la veille par M. Hébert. Après unenuit pendant laquelle je ne pus fermer l’œil, je me dirigeai doncvers la prison où Rouletabille était détenu en pensant avectristesse combien les drames de l’amour changeaient les hommes,même les plus forts…

Je soupirais :

– Que n’a-t-il avoué noblement son crimepuisqu’il n’a pu s’en défendre : tout le monde luipardonnait ! Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un objet depitié !

Mais j’étais encore loin de m’attendre à lasurprise qui m’était réservée et qui, pour moi comme pour tout lemonde, ne fit que corroborer l’opinion où nous étions de laculpabilité du célèbre reporter, dans ces heures néfastes.

Je venais, au greffe, de faire viser monpermis de communiquer et, accompagné d’un gardien, je me dirigeaisvers la cellule de mon pauvre ami quand je rencontrai le directeurde la prison, M. Mazeau, que je connaissais depuis longtemps.Il faisait une ronde générale et il m’arrêta pour me parler deRouletabille et pour me confier que les affaires de mon clientallaient mal. Hélas ! j’en savais aussi long que lui ou toutau moins je le croyais. M. Mazeau est un homme sympathique,bien connu de tout Paris et qui, avant d’entrer dansl’administration pénitentiaire, a tenu son petit coin dans leslettres.

C’était une figure de l’ancien Montmartre. Ilfaisait partie de la noble phalange qui entourait Salis, auChat-Noir de la rue de Laval, aujourd’hui rue Victor-Massé.M. Mazeau avait alors une belle barbe d’or, un langage fleuri,spirituel et pompeux à l’instar du maître de céans. Ce Salis a faitdes élèves qui ont, ma foi, fort bien réussi. Les uns sont arrivésà l’Académie, les autres, comme Mazeau, occupent des postes detoute confiance dans la haute administration, d’autres ont faitleur chemin dans la publicité littéraire. Une figure aussiparisienne que celle-là n’était point ignorée, comme on pense bien,de Rouletabille. Sans faire une paire d’amis, ils s’étaient,autrefois, rencontrés assez souvent autour d’une pile de soucoupes,dans les tavernes gothiques, pour être un peu camarades. C’est cequi explique le ton véritablement désolé avec lequel M. Mazeaum’entretient de la cruelle situation du grand reporter deL’Époque.

Tout en parlant, il m’accompagnait et nousnous trouvâmes ensemble devant la porte de la cellule deRouletabille quand le gardien l’ouvrit. Nous ne fûmes pas peuétonnés de trouver cette cellule vide !

Je dois dire, du reste, que M. Mazeauétait encore plus stupéfait que moi. Je pouvais penser, en effet,que c’était l’heure de la promenade dans le préau, enfin, jen’avais aucune raison de m’imaginer que, parce que Rouletabillen’était point dans sa cellule, il se fût évadé. Mais le directeurqui savait, lui, que son client devait être là ne comprenait pasqu’il n’y fût point et je le vis tout de suite pâlir.

Il appela les gardiens, lessurveillants-chefs, bref, il fit un tapage d’enfer, ce qui meparut, au premier abord, assez maladroit, car enfin, s’il y avaiteu une faute commise, il était de son intérêt d’essayer d’yremédier sans la rendre aussi publique. Rouletabille, après tout,était peut-être encore dans la prison ! Ne pouvait-on pointessayer de le rattraper sans toute cette rumeur ?…

Mais M. Mazeau agissait comme si tout fûtperdu, et comme s’il tenait, aussi, à faire étalage de sastupéfaction et de sa colère. Ces façons me revinrent plus tard àl’esprit et je n’en tirai point alors la conclusion qu’il enattendait certainement, et telle qu’elle dût écarter tout soupçonde complaisance ou de complicité. Mais là-dessus je ne connusjamais la vérité. Quand j’eus l’occasion d’interroger Rouletabille,il me répondit toujours un peu vaguement, non sans une pointed’amicale ironie pour ce pauvre M. Mazeau qui fut bel et biendéplacé après le scandale d’une fuite pareille. Mais commeM. Mazeau, à quelque temps de là, fut nommé directeur d’uneprison centrale dans le midi – ce qui avait toujours été son rêve–, je ne vois point de quoi il se plaindrait si Rouletabille lui avraiment joué un tour de sa façon.

Toujours est-il qu’il fut établi que le détenuavait franchi les portes de la prison avec le gros manteau-cape, lechapeau de feutre mou, et le cache-nez sans lequel on ne voyaitguère sortir M. le directeur en cette arrière-saison…

J’ai pensé aussi qu’il avait pu y avoird’autres complaisances autour de cette affaire. Rouletabille, depar sa profession, connaissait non seulement tout le personnel dela police, mais tous les vieux gardiens et porte-clefs de prison.Et il avait, parmi ces derniers, de fameux admirateurs, presque desfanatiques.

Enfin, il faut bien expliquer, d’une façongénérale, une évasion que Rouletabille ne consentit jamais àexpliquer d’une façon particulière. Dans le fait, cela touchait àla fantasmagorie. Si l’on s’en fût tenu aux dires des gardiens,aucun n’aurait manqué à son devoir et Rouletabille aurait passé àtravers murs et portes comme un simple rayon X.

Il ne s’était jamais évadé personne decette prison !… On juge du désarroi au-dedans et duretentissement de l’affaire au-dehors… Le bruit de l’évasioncommença à se répandre vers midi. J’allai faire un tour deboulevard ; je fus arrêté presque à chaque pas. Maintenant, onétait plein d’enthousiasme pour Rouletabille. On oubliait le dramelui-même et la désolante attitude de l’inculpé pour ne plus voirque ce tour de force inimaginable. Cependant Rouletabille avait fuiles juges comme un vulgaire malfaiteur. C’était affreux, n’est-cepas ?… Eh bien, sur le boulevard, on trouvait que c’étaitépatant !…

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