Le Crime de Rouletabille

XX. – Quelque chose qui brillait dansl’ombre

Marius Poupardin partit donc pour d’autrescieux, mais s’ils ne pouvaient plus guère compter sur lui pour unedéposition en cour d’assises, Rouletabille et Mme Boulengern’en avaient pas moins tiré le principal : que Théodora Luigis’était trouvée, au Pavillon, à l’heure du drame.

Il ne s’agissait plus que d’en trouver lapreuve absolue, irréfutable. La lettre était une invite àvenir ; elle ne témoignait point que la courtisane fût venue.Quant à la trace de pas qui était passée inaperçue des magistrats,elle devait avoir maintenant complètement disparu et Rouletabillen’en pouvait faire état. Et cependant, il fallait agir et agirvite, car nous sentions rôder autour du reporter évadé quelquechose de sinistre et de pire que la prison.

Mme Boulenger me confiait alors sesinquiétudes. Elle tremblait pour notre ami dont elle ne pouvaitm’entretenir sans retenir ses larmes.

Le moment était venu de nous résoudre auxmesures les plus graves. Nous nous réunîmes en secret chez V…,professeur au Collège de France, ami de Thérèse, et là il futdécidé que l’on poursuivrait Théodora au bout du monde, mais qu’onl’amènerait, coûte que coûte, devant ses juges. En dépit de ce queje pus dire, le plan de Rouletabille et de Mme Boulengertriomphait. Thérèse mettait à la disposition de Rouletabille safortune.

Or, la veille du jour où Rouletabille devaitfranchir la frontière pour commencer sa campagne contre l’amie deParapapoulos, il se passa un événement décisif. Rouletabille, surun mot que lui dit Mme Boulenger, avait voulu revoir une dernièrefois la petite maison de Passy. Sur sa prière, j’y retournai enamenant avec moi un premier clerc d’avoué de mes amis qui pouvaitnous servir de témoin. De son côté, Mme Boulenger avait amenéle professeur V… À deux heures du matin, alors que la policecroyait déjà Rouletabille à l’étranger, ce qui nous donna quelquesheures de sécurité, nous nous trouvâmes tous réunis dans la salle àmanger du premier étage du Pavillon…

Dans ce lieu de mort où chacun d’eux avaitperdu ce qu’il avait de plus cher au monde, Rouletabille et Thérèsese regar­dèrent comme des ombres de vivants qui visitent lesenfers…

Et puis, Rouletabille sembla nous oublier,tout entier à son étrange besogne. Nous le suivîmes en silence, lecœur étouffant d’une singulière angoisse comme ces personnes qui selaissent guider par les gestes « de l’au-delà » duspirite ou du somnambule…

Nous descendîmes avec lui jusque dans lesous-sol… jusque dans la cuisine qui servait aussi d’office.Apparemment, il sembla n’y rien avoir découvert, mais moi qui avaisl’habitude de Rouletabille, j’avais surpris son regard qui avaitfixé un dixième de seconde un alignement de verres sans pied dansun buffet dont j’avais inconsciemment ouvert la porte…

Je restai dans cette cuisine quand tout lemonde fut remonté, comme si le regard de Rouletabille m’y avaitfixé…

Cependant je n’aperçus rien qui fût capable deretenir mon attention… à moins que ce ne fût ce verre qui étaitbien dans sa place et dans l’alignement de la rangée, mais quin’était point retourné comme les autres, c’est-à-dire le fond enhaut, les bords sur la planchette, seul il avait son fond sur laplanchette et ses bords en haut… Y avait-il quelque conclusionà tirer de cela ?

C’était bien possible, mais je n’eus point letemps de m’y attarder, car j’entendais là-haut un remuement et unmurmure de voix insolites… J’arrivai dans le vestibule alors que leprofesseur V…, que mon premier clerc d’avoué et queMme Boulenger entouraient Rouletabille, qui venait de faireune découverte d’importance.

Il tenait dans la main une sorte d’anneaud’esclavage qu’il venait de ramasser entre deux dalles disjointes,en bas de la grille de fer forgé de l’escalier… C’était un de cesbijoux comme quelques dames en portent à la cheville ; undouble cercle en forme de serpent formant ressort et qui avait putrès bien se détendre et se détacher pour peu qu’il eût étéaccroché par quelque aspérité de la grille de l’escalier« dans le mouvement brusque d’une personne qui descendrapidement et qui a hâte de fuir », expliquait Rouletabilled’une voix singulièrement calme, alors que nous l’entourions denotre fièvre… car cet anneau d’esclave en forme de serpent, nous enreconnaissions la tête de diamant et les yeux de rubis !

Mme Boulenger en défaillait et moi, j’entremblais de joie…

Rouletabille, lui, continuait de tenir d’unemain ferme ce joyau qui le sauvait.

– Remercions le ciel, dit-il àMme Boulenger, d’être venus ici par ce clair de lune. Dèsl’ouverture de la porte du vestibule, j’ai vu quelque chose quibrillait dans l’ombre… Et maintenant, allons-nous-en, je n’ai plusrien à faire ici.

– Avec un joyau pareil, tu n’as plus qu’à terendre chez le juge… fis-je, et tout est terminé !…

Il me regarda de cet air qu’ont facilement lesêtres supérieurs quand ils considèrent un pauvre d’esprit !…Le lendemain, il avait de nouveau disparu…

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