Le Fils de trois pères (Hardigras)

Chapitre 26Comment Hardigras se comporta devant l’échafaud

En ville, tout le monde espérait qu’ils’évaderait. ! Ne l’avait-il pas quasi annoncé ? Quand onsut que sa tentative avait échoué et que Tantifla, Tony Bouta etAiguardente n’avaient réussi qu’à se faire jeter aux cachots, il yeut bien des soupirs et une grande désolation.

Depuis quinze jours, M. Bezaudin avaitentrepris une tournée de conférences dans la Cité et dans tous lespetits pays environnants où il s’efforçait de démontrer la parfaiteinnocence de Titin. Comme on ne demandait qu’à le croire, ilobtenait partout le plus grand succès.

Il se faisait accompagner dans ces tournéespar ces deux nouveaux experts dont nous avons parlé. Car il s’entrouve toujours pour prouver que les experts officiels ne sont quedes ânes, et aussi par le Budeù et Gamba Secca, ex-inspecteur desfinances et chef du personnel du Bastardon, qui lui servaient desecrétaires.

M. Bezaudin se rendait parfaitementcompte que le meilleur de son argumentation sortait du cœur et quece n’est point avec l’aide de cet organe que l’on arrête le coursde la justice. Tout de même, il avait pensé qu’en faisant couvrirde milliers de signatures une pétition demandant la grâce de Titin,il pourrait au moins lui sauver la tête, ce qui, après tout, étaitle principal pour le moment.

Odon Odonovitch, comte de Valdar, seigneur deBistrita, Météores, Trikala, Traita et autres lieux, s’était faitfaire des cartes de visite dans le but de se faire ouvrir lesportes de tous les personnages un peu influents de la capitaleavant d’aller déposer lui-même les dites pétitions sur le bureau duprésident de la République.

C’est sur ces entrefaites qu’éclata :cette fâcheuse affaire de l’évasion. M. Bezaudin et OdonOdonovitch la regrettèrent, puisqu’elle n’avait pas réussi.

Ils avaient raison de s’en montrer attristéscar, quelques jours plus tard, on apprenait que le pourvoi de Titinavait été rejeté, que le président avait refusé de voir OdonOdonovitch, enfin que M. de Paris venait d’arriver engare de Nice avec les bois de justice.

Du Trayas aux Roches-Rouges, des confins del’Esterel à la haute vallée du Paillon, du golfe et du promontoireà la plaine et à la montagne, la sinistre nouvelle se répanditcomme une onde frissonnante. Les tramways du littoral, les trainsde banlieue, la gare du Sud déversaient sans arrêt des foules quiprenaient lentement le chemin de la place d’Armes, les voies quiconduisaient aux Novi, devant la porte desquelles devait avoir lieul’exécution. Bientôt, elles étaient arrêtées, refoulées par unservice d’ordre tout à fait extraordinaire, des troupes qu’on avaitfait venir de Draguignan et de Toulon, des pelotons de chasseursalpins qui paraissaient partager le deuil général.

Les toits et les fenêtres d’où l’on pouvaitapercevoir la place d’Armes, la rue de la Prison, frémissaientd’une vie obscure et mystérieuse, qui, s’accrochant à tout,débordait de partout.

Devant la porte de la prison, l’Homme et sesaides ont disparu. Il est allé chercher sa proie. Et d’autreshommes noirs sont venus, qui ont passé sous le porche, hâtivement,la tête basse, comme s’ils avaient honte ! Eux aussi, ils sontallés chercher leur victime… Ils veulent être sûrs qu’on ne la leurvolera pas…

Ah ! Titin ! Titin ! Toi quiaimais tant la vie, tu vas donc mourir mon fils ? Tu n’irasplus en mai gauler les olives !… Tous tes compagnons sont làque tu conduisais au festin !… Que vont-ils devenir sanstoi ?… Las ! la nuit s’efface, la nuit s’efface !…Voici ta dernière heure de Nice, ô Titin !…

Alors, soudain, vers le ciel qui se teignaitdéjà du sang du sacrifice, un chant d’une douceur infinie monta,suave comme le premier souffle du printemps, triste comme ledernier adieu des roses que des mains amies effeuillent sur unetombe… Mille voix répétaient cet hymne, qui était moins un chantque l’harmonieux gémissement de la cité qui t’avait tantaimé :

Nissa ! la mieu, bella Nissa !…

Nice, ô ma belle Nice !

Àtoi je veux une belle pensée !

Je salue tes toitures roses

Et tes beaux orangers !…

Mais quoi ! l’horrible parvis reste bienlongtemps désert. Le sang du ciel s’est fondu en un bouquet deroses, le jour sort victorieux et doux de la nuit tragique. L’undes plus beaux matins de Nice étend sa paix sur la terre. Quesignifie cette attente ? Pourquoi cet inexplicableretard ? On n’ose s’interroger. Une insupportable angoisse,qui est faite d’une impossible espérance, crispe les cœurs. Leschants peu à peu se sont tus. Un silence énorme dans lequel onentend voler encore l’ange de la mort écrase la ville.

Et c’est le jour. Un jour éclatant, le jourque les échafauds n’ont jamais regardé en face !

Et l’échafaud déménage ! Oui. Elle foutle camp, la guillotine ! On la démonte. L’homme rouge et leshommes noirs sont revenus tout seuls.

Et ce sont des gestes de fous autour de cettechose affreuse et inutile qui s’effondre, qui disparaît, dont laplace est nettoyée.

M. de Paris est remonté sur sonfourgon. En route pour Paris, M. de Paris. Et il revientle panier vide de sa moisson de fleurs rouges sur la Côte d’Azur.Ciao ! monsieur de Paris !

– Troun de pas Dieu ! Auplaisir de ne pas vous revoir :

Titin lui a fait une sacrée farce. Il ne l’apas attendu.

Quand M. de Paris s’est présentédans la cellule du condamné à mort, il n’y avait plus là qu’unhomme auquel on avait passé la camisole de force, mais cet homme,c’était M. le gardien en chef Peruggia, au cou duquel on avaitpassé un petit mot d’écrit : « Attention ! pasd’erreur ! » et signé : Hardigras !Etce coup-ci, on ne pouvait pas s’y tromper : c’était l’écriturede Titin, en minuscule, pour qu’il n’y eût pasconfusion.

La nouvelle de cette évasion phénoménale serépandit comme une traînée de poudre. On en donnait déjà lesdétails les plus circonstanciés. Vous pensez si on en inventait, sil’on brodait autour de cette vérité première qui était que Titins’était enfui avec la complicité d’un gardien et revêtu d’ununiforme de gardien !

Et maintenant, on s’embrassait ! Onpleurait de joie ! On dansait follement au milieu desrues ! On s’amusait de la figure de ces messieurs duparquet ! On poursuivait de lazzis les gendarmes, quipassaient en courant, obéissant à on ne savait quelle consigne. Onleur criait : « Bonjour à Titin ! Courez vite, ilvous attend ! Vé ! »

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