Le Fils de trois pères (Hardigras)

Chapitre 9Où il est démontré que Titin-le-Bastardon avait du génie

Le lendemain soir, sur les sept heures, Titin,entièrement remis de sa cure forcée de sommeil, et plus réveilléque jamais, remontait d’un pas tranquille, en compagnie de sonfidèle Babazouk, l’avenue de la Victoire, quand se retournant toutà coup, il aperçut deux gentlemen. À la coupe de leurs habits ilétait impossible de les prendre pour des habitués de palaces.

Cependant, nous devons rendre cette justice àMM. Souques et Ordinal qu’ils s’étaient fait des têtes sidissemblables de celles qui les décoraient l’avant-veille chezCaramagna que Titin lui-même se demanda s’il ne se trompait pointen les attribuant aux deux célèbres détectives. Mais Babazouk luidit :

– Tu peux y aller, Titin, ce sont bieneux ! Ils ne nous lâchent pas !

Alors Titin s’avança vers ces messieurs et lessaluant correctement de la main portée à son feutre :

– Messieurs Souques et Ordinal, jecrois ? Oui, c’est bien vous. Messieurs ! Il y a troisjours vous étiez en Boches, aujourd’hui vous faites les English…Rien à dire à cela. C’est dans vos attributions, et puisque noussommes à la veille du Carnaval, il faut bien se mettre entrain…

« Mais je commence à en avoir marre. Vousne me quittez pas d’une semelle, et devant une insistance aussidéplacée, j’aurai le droit d’aller me plaindre à M. lecommissaire central ! Je vous prie seulement, puisque voustenez tant à notre compagnie, de venir vous promener avecnous !… Permettez-moi de vous présenter mon ami GiaouséBabazouk, qui m’en racontait tout à l’heure une bien bonne à proposde ce Hardigras, qui nous joue de si méchants tours.

« À propos, ne trouvez-vous point,messieurs, qu’il serait plus intelligent d’unir nos efforts que deles disséminer en pure perte ? On finira bien par l’avoir le« drôle » ! mais il faut que vous y mettiez duvôtre, messieurs, et que vous abandonniez une fois pour toutescette idée, qui fut tant funeste à ce pauvre M. Supia et surlaquelle il a dû revenir, en me présentant toutes ses excuses, queHardigras et Titin-le-Bastardon ne sont qu’une seule et mêmepersonne !…

« Messieurs, nous voici au passageNégrin. Il s’y trouve des bars fort recommandables… Permettez-moide vous offrir, puisque vous êtes aujourd’hui des English, quelquescocktails comme vous n’en avez certainement jamais bu enAngleterre !…

MM. Souques et Ordinal avaient écoutéavec une impassibilité parfaite le petit discours du Bastardon.

Quand il eut fini de parler, M. Ordinallui dit :

– Hardigras aussi a offert à boire àM. Morelli.

– Mon Dieu, messieurs, que vous êtesméfiants !…

– Écoute, Titin, intervint Babazouk,c’est bien naturel… après ce qui est arrivé à cesmessieurs !…

– Que voulez-vous dire ? interrogeaM. Ordinal en jetant un mauvais coup d’œil à Babazouk.

– Eh bien ! mais après votreaventure de Naples ! fit le Bastardon.

– Chut !… commanda M. Ordinal,en regardant avec inquiétude autour de lui.

Ils descendirent tous quatre le passageNégrin… Le Bastardon poussa une porte. Ils se trouvaient dans unbar qui était en même temps un bodéga, où l’on consommait lesboissons les plus variées autour de tonneaux coquettement cirés etcerclés d’acier brillant.

Fred, derrière son comptoir, agitait desgobelets avec une maestria sans cesse renouvelée. En entrant, Titinlui fit un petit signe d’amitié et lui demanda :

– Mon chef de la comptabilité n’est pasarrivé ?

– Pas encore, monsieur Titin, réponditFred, mais il ne tardera guère… Il vous a attendu hier !… Lebruit a couru que vous aviez été malade.

– Je ne suis jamais malade, j’ai étéempoisonné !

– Empoisonné ? s’écria Fred… Et parqui donc ?

– Par Hardigras !

Il ne parut pas prêter attention aux riresbruyants qui remplirent la salle et il se dirigea, suivi de sestrois compagnons, au fond de l’établissement, où se trouvait unepetite pièce.

MM. Souques et Ordinal se regardaient et,sans qu’ils eussent à l’exprimer autrement, leur pensée était lamême : « Cette fois » nous letenons ! »

Quand ils furent servis, ce futM. Ordinal qui commença :

– Messieurs, vous nous parliez tout àl’heure de ce qui nous est arrivé à Naples !… Il nous y estdonc arrivé quelque chose ?

– Nous connaissons l’affaire dans tousses détails ! déclara Titin.

– Vous la connaissez aussi bien queHardigras lui-même ! jeta négligemment M. Ordinal.

– Ah ! c’est lui-même qui l’auraitracontée que ça ne m’étonnerait pas, vous savez ! répliquaTitin.

– Je saurais curieux del’entendre !… fit encore M. Ordinal en lançant à ladérobée un coup d’œil à M. Souques… histoire de vous avertirsi, par hasard, il s’y mêlait quelque fantaisie !…

– Eh bien ! vous allez juger,messieurs, si nous sommes bien renseignés !…

Et le Bastardon narra par le menu cetteaventure à la fois si extraordinaire par sa réussite et si simplepar les moyens employés…

Certain soir, les deux agents avaient étéavertis que Hardigras, se sachant pourchassé, venait de se réfugierà bord d’un caboteur qui devait quitter le port dans la nuitmême.

En attendant que le bâtiment prît la mer,Hardigras, pour plus de prudence, était descendu à fond de cale, oùon l’avait caché derrière des caisses à destination de Naples.

Si l’on tenait à le prendre comme dans untraquenard, l’occasion était propice, mais il fallait se presser.Dans le moment même, l’équipage étant à terre, avait laissé lagarde du bateau à quelque novice.

N’écoutant que leur courage, MM. Souqueset Ordinal s’étaient hâtés vers le port.

Monter sur le navire, se rendre maîtres dunovice, tout cela fut l’affaire d’un instant.

Le malheureux jeune homme protestait en vainde la violence qui lui était faite.

Ils le firent taire, revolver en main, et ildut leur montrer le chemin de la grande cale… Ils lui firentdescendre le premier « l’échelle » qui les laissa au plusprofond du bâtiment et là ils commencèrent leurs recherches.

Soudain, comme ils s’étaient enfoncés dans untrou noir, au bout duquel se trouvaient les caisses à destinationde Naples, un bâton, au-dessus de leurs têtes, s’abattit sur lapetite lanterne que portait M. Souques. En même temps, ilsétaient bousculés, roulés, renversés sans qu’ils osassent se servirde leurs armes qui pouvaient les blesser mutuellement. Quand ils serelevèrent, ils s’aperçurent qu’ils étaient enfermés dans une sortede cage où l’on avait eu la précaution humanitaire de laisserquelques provisions, auxquelles, durant tout le voyage, ils netouchèrent point, n’en ayant, hélas, ! nulle envie.MM. Souques et Ordinal étaient, en effet, sujets au mal de meret on les retira de là plus morts que vifs, quand ils furentarrivés à destination, bien entendu.

Le capitaine, l’équipage ne manquèrent pointde leur prodiguer les soins les plus empressés, en attendant lesautorités qu’ils avaient fait prévenir sitôt après leurdécouverte.

Quand on se fut expliqué, il parut certain queMM. Souques et Ordinal avaient été victimes une fois de plusdu maudit Hardigras et de ce novice que le capitaine n’avait plusretrouvé à son bord et qui n’avait plus donné signe de vie.

Pour montrer sa bonne volonté et la désolationoù il se trouvait du fâcheux voyage qu’il avait fait faire àMM. Souques et Ordinal, le capitaine leur avait offert de lesramener sans bourse délier sur son bâtiment, qui retournait à Nice,mais ces deux messieurs avaient décliné cette offre généreuse.

Ayant achevé son récit, Titin remplit lesverres et porta un toast à la santé des deux agents, leursouhaitant une prompte revanche.

– M. Titin, prononça lentement etpresque solennellement M. Ordinal, ni M. Souques ni moin’avons interrompu votre récit parce que nous reconnaissonsvolontiers qu’il est aussi près de la réalité que possible !Mais nous avons fait le nécessaire, croyez-le bien, pour que leslamentables détails d’une aventure qui ne nous fait point honneurne soient connus que de nous !… Mais au fait, commentavez-vous appris tout cela, monsieur Titin ? Serait-ilindiscret de vous le demander ?…

– Mon Dieu ! monsieur Ordinal, nousavons appris cela comme tout le monde ?

– Comment, comme tout le monde ?

– S’fiche de nous ! sifflaM. Souques dont l’amour-propre était au supplice et qui necessait de remuer fébrilement dans sa poche les menottes destinéesà Hardigras…

– Mais oui ! comme tout lemonde !… par les journaux !…

– Par les journaux !… s’exclamaM. Ordinal qui pâlit à vue d’œil… Les journaux parlent denotre aventure ?…

– Ils en sont plein ! réponditinnocemment Titin…

– Voilà ! fit Babazouk en sortant desa poche deux journaux de Paris arrivés dans la soirée…

Et il les déploya. Les agents se jetèrentdessus, et ils furent éblouis tout de suite par une manchette quine leur laissa aucun doute sur leur malheur :« Extraordinaire et déplorable aventure survenue à deuxagents réputés de, la Sûreté générale. »

Dans le moment, ils n’eurent point la force delire plus avant ; ils se regardèrent avec désespoir.

– Nous aurons notre tour !… fitentendre la voix assourdie et menaçante de M. Ordinal.

– Oui, fit M. Souques…

Et ils ne dirent plus rien !…

Ce fut Titin qui continua :

– La position de ces messieurs n’est pasdrôle… Je parle maintenant sérieusement… Hardigras leur a sauvé lavie malgré eux et les a envoyés à Naples sans leur consentement.Cela mérite châtiment… Ils ne manqueront pas toujoursHardigras ! Moi aussi, je l’ai manqué ! Eh bien,messieurs !… cherchons-le ensemble !… Mais ne le cherchezpas sous ma veste ! vous ne l’y trouverez pas !…« Fan d’un amuletta ! » j’enrage de voir quelquefoismes meilleurs amis me regarder en rigolant quand on parle deHardigras !… J’ai toujours agi en honnête homme, moi !…Je n’ai jamais fait de tort à personne !… D’où vient que l’onpuisse me confondre avec un voleur de nuit ? Titin a toujoursagi au grand soleil !… On connaît ses travaux de chaquejour !… Je suis parti de rien et j’occupe aujourd’hui unesituation que je ne laisserai point compromettre par une obscure etridicule légende ! Troun de pas Diou !… Ce n’est pas enjouant de mauvaises farces à M. Supia que l’on arrive à monterune entreprise des plus prospères et qui donne des bénéficessuffisants à régaler mes copains et amis d’un bout à l’autre del’an, pas vrai, Giaousé ?…

– Il n’y en a pas deux dans le mondecomme Titin !… c’est tout ce que j’ai à dire, moi,Babazouk !…

– Et de quelle entreprise parlez-vousdonc ? demanda M. Ordinal qui croyait, d’après sesrenseignements particuliers, que Titin était à peu près sansressources…

– De quelle entreprise ? Vous medemandez de quelle entreprise ? Mais ne faites-vous donc, dansce pays, que vous dorer le dos au soleil pour n’avoir jamaisentendu parler des « Kiosques du Bastardon » ?

– Bah ! fit M. Ordinal quicroyait à une plaisanterie, vous avez une entreprise dekiosques ?

– Monsieur Ordinal !… Vous êtes leseul à ignorer que j’occupe deux cents employés, sans compter mesinspecteur des finances et mon chef de la comptabilité…

– Où sont vos kiosques ? interrogeal’agent, qui de plus en plus, croyait à une galéjade del’incorrigible Titin.

– Mais ils sont dans les rues !… Ilscouvrent la ville !… Ils sont assiégés dès les premièresheures du jour !

– C’est extraordinaire ! je ne medoute même pas de ce que ça peut être… et qu’est-ce qu’on vend dansvos kiosques ?

– Mais la meilleure chose qui soit aumonde à moins que vous ne trouviez que ce soit la pire, exprimanarquoisement Titin en agitant au nez de MM. Souques etOrdinal les deux feuilles où était raconté leur déshonneur :des journaux.

– Et où sont vos bureaux ?

– Ici !

– Comment ici ?

– Puisque je vous le dis ! Ici, surcette barrique ! Vous eussiez peut-être préféré un bureauaméricain ?

– S’fiche de nous ! grogna denouveau M. Souques… en voilà assez !…

– Oui, monsieur Titin, en voilàassez ! répéta M. Ordinal en se levant… assez pour cesoir, mais n’ayez crainte, j’ai comme une vague idée que nous nousretrouverons !

– À votre disposition, messieurs. Vousêtes toujours assurés de me trouver à mon bureau le premier samedidu mois. Je suis obligé d’y faire acte de présence pour mes comptesde fin de mois. Comme on dit chez nous : « L’ordrepouarta de pan, lou désordre la fan ! » (L’ordre apportedu pain, le désordre la faim).

À ce moment, Fred, qui traversait la pièce,dit :

– Monsieur Titin, votre chef decomptabilité est arrivé.

– Faites-le monter, Fred ! je seraienchanté de le présenter à ces messieurs ! C’est le plushonnête homme que je connaisse. Ils ne doivent pas en rencontrerdes tas, dans leur carrière.

– Non ! fit Souques.

– Entre, mon vieux « GambaSecca » ! nous sommes bien contents de te revoir !surtout si tu nous apportes de bonnes nouvelles.

– Excellentes ! Pour moi, ce sera uncoup de « blec » (de vin), commanda Gamba Secca.

Gamba Secca désigne (en niçard) une jambemalade, « une jambe sèche » et aussi celui que la nature,quelquefois marâtre, a doué de cette infirmité. Celui qui arrivaitlà traînait en effet, une guibole un peu courte qui le faisaitboiter, mais sa boiterie ne semblait pas le gêner beaucoup tant ilétait alerte et joyeusement sautillant. Il ne paraissait pointriche et sa tenue était assez poussiéreuse. À part cela, il nesemblait souffrir ni de la faim ni de la soif.

– M. Gamba Secca, chef de macomptabilité et du personnel, présenta Titin… Il n’est pas aussidécoratif que Sa Majesté Sébastien Morelli, mais, pour tenir desécritures, il n’en craint pas un ! Tu as apporté les livres,monsieur le chef de la comptabilité ?

– Ils ne me quittent jamais !proclama Gamba Secca en sortant de sa poche un calepin crasseux,grand comme le creux de la main, plus un petit bout de crayon derien du tout…

– M. l’inspecteur desfinances ! proposa Giaousé. Les chiffres, c’est les chiffres,mais les sous, c’est les sous !… Je vous aiderai àcompter !…

– À cette heure, il doit être encore aucafé de « Provence et Pérou réunis », à attendre larecette du jour, fit Titin.

– Non ! il m’a dit qu’il aurait lacaisse de bonne heure et qu’on pouvait l’attendre !…

– Le voilà !… annonça Babazouk.

– « Ciaô ! LeBudeù ! » (Salut ! Le Budeu !) lui fit Titin,avance ici que je te présente à MM. Souques et Ordinal, deuxde nos gloires parisiennes qui tiennent absolument à connaître tespetits talents !…

L’inspecteur des finances des entreprisesTitin salua fort dignement. Sa tenue ne se différenciait guère decelle du chef de la comptabilité. Seulement, au lieu d’apporter deslivres comme Gamba Secca, il bririqueballait deux sacs de toile àla panse bien remplie, qu’il jeta tout de go sur le bureau-tonneaude M. le directeur et qui rendirent un sonmétallique.

– Toujours « portant » (bienportant), Titin ? s’enquit fraternellement le Budeù. Ça nesera donc rien que cette maladie ? Je me disais aussi :Ce n’est pas un garçon à espirer (expirer) si jeune,diable !

– Es-tu content des affaires ?demanda Titin.

– Eh ! nous avons fait le moisdernier plus du quart du précédent ! Tu n’es pas en« estase » ?

– Si ! si ! je suis en« estase » ! mon bon Bedon, en « estaseestrême » !

– Eh bien ! pour moi, ce sera aussiun coup de « blec « ! tu entends Fred ! Etmaintenant, à nos comptes !…

Il tira de sa ceinture un mouchoir qu’ildénoua et qui contenait un respectable paquet de coupures de laBanque de France, puis il fit couler la monnaie de ses sacs sur lebureau de M. le directeur, en un double ruisseautintinnabulant.

Le Bastardon, sérieux maintenant comme unprésident du conseil d’administration, commença de compter lesbillets, cependant que Giaousé empilait les pièces et que le chefde la comptabilité contrôlait et alignait des chiffres…

Titin se retourna un instant pour considérerla mine ahurie et de plus en plus défiante de MM. Souques etOrdinal :

– Si vous voulez nous aider ? leurdit-il…, ça irait plus vite !

Pour votre récompense je vous mettrai aucourant de ma petite combinaison !

Les deux agents brûlaient de savoir d’oùvenait tout cet argent, mais ne pouvaient se décider à jouer lerôle d’« extras » dans l’entreprise du Bastardon ;celui-ci, qui n’avait pas de fiel, la leur expliqua tout de même.Voici ce qu’il leur conta :

À l’heure où les boutiques sont encorefermées, où les marchands de journaux n’ont pas encore commencéleur étalage, où les débits de tabac eux-mêmes ont encore leursvolets, tout un peuple d’employés, d’ouvriers, de manœuvres, de« petites mains », enfin tous les matineux qui serendent, ceux-là à leur administration, ceux-ci à l’usine ou à lafabrique, les autres à leurs magasins, eussent bien désiré, avantde se mettre au travail, de connaître les dernières nouvelles, desuivre le feuilleton du jour. Titin, au temps où il arrivait avecl’aurore au marché, avait bien souffert lui-même de cette absencede littérature et c’est en y réfléchissant que lui avait poussél’idée des « kiosques du Bastardon ».

Leur établissement n’avait demandé comme misede fonds que la somme nécessaire à l’achat d’un assez grand nombrede sacs. Encore s’était-il trouvé de bonnes gens pour faire crédit…« Je vous donnerai en échange de votre « fric »,leur avait-il dit, des parts de fondateurs », et ainsiavait-il monté son affaire en commandite.

Les sacs avaient été accrochés un peu partout,de la place Masséna, qui est le cœur de la ville, aux pluslointains faubourgs. Ceci regardait son chef de personnel quijoignit bientôt à ce premier titre celui d’inspecteur des finances,le beau-frère de Gamba Secca que l’on appelait « leBudeù » (le boyau) à cause de son amour effréné pour lestripes, depuis que sa haute situation dans l’entreprise deskiosques du Bastardon lui permettait de ne se rien refuser.

On voyait quelquefois le Budeù, mais onn’apercevait jamais son personnel.

Et c’est encore aujourd’hui une surprise pourbien des gens que de voir, dès la première heure du jour, des sacspleins de journaux sentant encore l’encre d’imprimerie, suspendus àun clou planté dans un mur, à une persienne fermée, aux barreaux decuivre d’une tente de magasin non encore déroulée, sacs que nul nesemble surveiller pendant qu’ils se vident ; de leurs journauxet se remplissent des sous que le passant y laisse tomber. Un sacplein de gros sous, c’est tentant ! et nous ne sommes plus,hélas ! au temps de Rollon !

Faudrait-il taxer Titin d’imprudence ? Ceserait mal connaître le Bastardon.

On ne voyait point son personnel mais ilexistait, fort nombreux, et c’était la compagnie des T. D. L(tramways du littoral) qui le lui fournissait autant qu’il pouvaiten avoir besoin ! et sans bourse délier, naturellement.

Les kiosques étaient installés le long deslignes, à tous les carrefours, les arrêts, les changements detraction et aiguillage. Tout en faisant leur besogne, lesaiguilleurs et autres surveillaient les sacs et les clients… Quen’eussent-ils point fait pour Titin qui les récompenserait tous lesans, au mois de mai, par un repas pantagruélique.

Ce dîner ne lui coûtait non plus un sol (lecoût gâte le goût) car il le faisait royalement payer par quelquegros personnage avide de gloire, auquel il promettait, pour lesgrands jours de batailles électorales, toutes les voix de son« personnel ».

Ce furent là, du reste, les débuts de lagrande influence de Titin qui faisait des députés et des sénateurscomme Warwic fait des rois, mais toujours « avè » lesourire, hé !…

Ainsi est démontré, une fois pour toutes, legénie de Titin, lequel, avec une idée, remplissait sa poche enfaisant travailler les autres et soulevait, par-dessus le marché,le monde ! Le monde politique, s’entend.

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