Le Misanthrope

SCÈNE IV

Célimène, Alceste, Dubois
Alceste
Que veut cet équipage et cet air effaré ?
Qu’as-tu ?
Dubois
Monsieur…
Alceste
Hé bien ?
Dubois
Voici bien des mystères.
Alceste
Qu’est-ce ?
Dubois
Nous sommes mal, monsieur, dans nos affaires
Alceste
Quoi ?
Dubois
Parlerai-je haut ?
Alceste
Oui, parle, et promptement.
Dubois
N’est-il point là quelqu’un ?
Alceste
Ah ! que d’amusement !
Veux-tu parler ?
Dubois
Monsieur, il faut faire retraite.
Alceste
Comment ?
Dubois
Il faut d’ici déloger sans trompette.
Alceste
Et pourquoi ?
Dubois
Je vous dis qu’il faut quitter ce lieu.
Alceste
La cause ?
Dubois
Il faut partir, monsieur, sans dire adieu.
Alceste
Mais par quelle raison me tiens-tu ce langage ?
Dubois
Par la raison, monsieur, qu’il faut plier bagage.
Alceste
Ah ! je te casserai la tête assurément,
Si ne veux, maraud, t’expliquer autrement.
Dubois
Monsieur, un homme noir et d’habit et de mine,
Est venu nous laisser, jusque dans la cuisine,
Un papier griffonné d’une telle façon,
Qu’il faudrait, pour le lire, être pis que démon10
C’est de votre procès, je n’en fais aucun doute ;
Mais, le diable d’enfer, je crois, n’y verrait goutte.
Alceste
Hé bien ! quoi ? Ce papier qu’a-t-il à démêler,
Traître, avec le départ dont tu viens me parler ?
Dubois
C’est pour vous dire ici, monsieur, qu’une heure ensuite11,
Un homme, qui souvent vous vient rendre visite,
Est venu vous chercher avec empressement,
Et, ne vous trouvant pas, m’a chargé doucement,
Sachant que je vous sers avec beaucoup de zèle,
De vous dire… Attendez, comme est-ce qu’il s’appelle12 ?
Alceste
Laisse là son nom, traître, et dis ce qu’il t’a dit.
Dubois
C’est un de vos amis ; enfin cela suffit.
Il m’a dit que d’ici votre péril vous chasse,
Et que d’être arrêté le sort vous y menace.
Alceste
Mais quoi ! n’a-t-il voulu te rien spécifier ?
Dubois
Non. Il m’a demandé de l’encre et du papier,
Et vous a fait un mot, où vous pourrez, je pense,
Du fond de ce mystère avoir la connaissance.
Alceste
Donne-le donc.
Célimène
Que peut envelopper ceci ?
Alceste
Je ne sais ; mais j’aspire à m’en voir éclairci.
Auras-tu bientôt fait, impertinent au diable ?
Dubois, après avoir longtemps cherché le billet.
Ma foi, je l’ai, monsieur, laissé sur votre table.
Alceste
Je ne sais qui me tient…
Célimène
Ne vous emportez pas,
Et courez démêler un pareil embarras.
Alceste
Il semble que le sort, quelque soin que je prenne,
Ait juré d’empêcher que je vous entretienne13 ;
Mais, pour en triompher, souffrez à mon amour14
De vous revoir, madame, avant la fin du jour.
10VAR. Qu’il faudrait pour le lire être pis qu’un démon.
Pis est un adverbe comparatif qui signifie, plus mal. On ne pourrait pas dire être plus mal qu’un, pour dire, être plus mauvais qu’un démon. L’adjectif pire était le mot nécessaire. AUGER.
11Une heure ensuite ne se dit pas pour une heure après ; c’est un barbarisme. AUGER.
12Il aurait fallu comment est-ce.
13Quand le verbe empêcher est employé négativement, la préposition subordonnée peut rejeter ou admettre à volonté la négation : Je n’empêche pas qu’il vienne, ou qu’il ne vienne ; mais empêcher, employé affirmativement, comme il l’est dans ce vers, veut toujours après lui la négation. AUGER.
14Souffrir à quelqu’un de faire une chose, se disait anciennement pour permettre. IBID.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer