Le Rosier de Mme Husson

2. Scène Seconde

(Il s’approche de la jeune femme qui lit avec attentionGil-Blas, et d’une voix douce 🙂

– Me permettez-vous, madame, de me rappeler à votresouvenir ?

(Mme de Chantever lève brusquement la tête, pousse un cri, etveut s’enfuir. Il lui barre le chemin, et, humblement 🙂

– Vous n’avez rien à craindre, madame, je ne suis plus votremari.

MME DE CHANTEVER. – Oh ! vous osez ? Après… après cequi s’est passé !

M. DE GARELLE. – J’ose… et je n’ose pas… Enfin… Expliquez çacomme vous voudrez. Quand je vous ai aperçue, il m’a été impossiblede ne pas venir vous parler.

MME DE CHANTEVER. – J’espère que cette plaisanterie estterminée, n’est-ce pas ?

M. DE GARELLE. – Ce n’est point une plaisanterie, madame.

MME DE CHANTEVER. – Une gageure, alors, à moins que ce ne soitune simple insolence. D’ailleurs, un homme qui frappe une femme estcapable de tout.

M. DE GARELLE. – Vous êtes dure, madame. Vous ne devriez pascependant, me semble-t-il, me reprocher aujourd’hui un emportementque je regrette d’ailleurs. J’attendais plutôt, je l’avoue, desremerciements de votre part.

MME DE CHANTEVER, stupéfaite. – Ah çà, vous êtes fou ? oubien vous vous moquez de moi comme un rustre.

M. DE GARELLE. – Nullement, madame, et pour ne pas mecomprendre, il faut que vous soyez fort malheureuse.

MME DE CHANTEVER. – Que voulez-vous dire ?

M. DE GARELLE. – Que si vous étiez heureuse avec celui qui apris ma place, vous me seriez reconnaissante de ma violence quivous a permis cette nouvelle union.

MME DE CHANTEVER. – C’est pousser trop loin la plaisanterie,monsieur. Veuillez me laisser seule.

M. DE GARELLE. – Pourtant, madame, songez-y, si je n’avais pointcommis l’infamie de vous frapper, nous traînerions encoreaujourd’hui notre boulet…

MME DE CHANTEVER, blessée. – Le fait est que vous m’avez rendulà un rude service !

M. DE GARELLE. – N’est-ce pas ? Un service qui mérite mieuxque votre accueil de tout à l’heure.

MME DE CHANTEVER. – C’est possible. Mais votre figure m’est sidésagréable…

M. DE GARELLE. – Je n’en dirai pas autant de la vôtre.

MME DE CHANTEVER. – Vos galanteries me déplaisent autant que vosbrutalités.

M. DE GARELLE. – Que voulez-vous, madame, je n’ai plus le droitde vous battre : il faut bien que je me montre aimable.

MME DE CHANTEVER. – Ça, c’est franc, du moins. Mais si vousvoulez être vraiment aimable, vous vous en irez.

M. DE GARELLE. – Je ne pousse pas encore si loin que ça le désirde vous plaire.

MME DE CHANTEVER. – Alors, quelle est votreprétention ?

M. DE GARELLE. – Réparer mes torts, en admettant que j’en aieeu.

MME DE CHANTEVER, indignée. – Comment ? en admettant quevous en ayez eu ? Mais vous perdez la tête. Vous m’avez rouéede coups et vous trouvez peut-être que vous vous êtes conduitenvers moi le mieux du monde.

M. DE GARELLE. – Peut-être !

MME DE CHANTEVER. – Comment ? Peut-être ?

M. DE GARELLE. – Oui, madame. Vous connaissez la comédie quis’appelle le Mari cocu, battu et content. Eh bien, ai-je été oun’ai-je pas été cocu, tout est là ! Dans tous les cas, c’estvous qui avez été battue, et pas contente…

MME DE CHANTEVER, se levant. – Monsieur, vous m’insultez.

M. DE GARELLE, vivement. – Je vous en prie, écoutez-moi uneminute. J’étais jaloux, très jaloux, ce qui prouve que je vousaimais. Je vous ai battue, ce qui le prouve davantage encore, etbattue très fort, ce qui le démontre victorieusement. Or, si vousavez été fidèle, et battue, vous êtes vraiment à plaindre, tout àfait à plaindre, je le confesse, et…

MME DE CHANTEVER. – Ne me plaignez pas.

M. DE GARELLE. – Comment l’entendez-vous ? On peut lecomprendre de deux façons. Cela veut dire, soit que vous méprisezma pitié, soit qu’elle est imméritée. Or, si la pitié dont je vousreconnais digne est imméritée, c’est que les coups… les coupsviolents que vous avez reçus de moi étaient plus que mérités.

MME DE CHANTEVER. – Prenez-le comme vous voudrez.

M. DE GARELLE. – Bon. Je comprends. Donc, j’étais avec vous,madame, un mari cocu.

MME DE CHANTEVER. – Je ne dis pas cela.

M. DE GARELLE. – Vous le laissez entendre.

MME DE CHANTEVER. – Je laisse entendre que je ne veux pas devotre pitié.

M. DE GARELLE. – Ne jouons pas sur les mots et avouez-moifranchement que j’étais…

MME DE CHANTEVER. – Ne prononcez pas ce mot infâme, qui merévolte et me dégoûte.

M. DE GARELLE. – Je vous passe le mot, mais avouez la chose.

MME DE CHANTEVER. – Jamais. Ça n’est pas vrai.

M. DE GARELLE. – Alors, je vous plains de tout mon cœur et laproposition que j’allais vous faire n’a plus de raison d’être.

MME DE CHANTEVER. – Quelle proposition ?

M. DE GARELLE. – Il est inutile de vous la dire, puisqu’elle nepeut exister que si vous m’aviez trompé.

MME DE CHANTEVER. – Et bien, admettez un moment que je vous aitrompé.

M. DE GARELLE. – Cela ne suffit pas. Il me faut un aveu. MME DECHANTEVER. – Je l’avoue.

M. DE GARELLE. – Cela ne suffit pas. Il me faut des preuves.

MME DE CHANTEVER, souriant. – Vous en demandez trop, à lafin.

M. DE GARELLE. – Non, madame. J’allais vous faire, vousdisais-je une proposition grave, très grave, sans quoi je ne seraispoint venu vous trouver ainsi après ce qui s’est passé entre nous,de vous à moi, d’abord, et de moi à vous ensuite. Cetteproposition, qui peut avoir pour nous deux les conséquences lesplus sérieuses, demeurerait sans valeur si je n’avais pas ététrompé par vous.

MME DE CHANTEVER. – Vous êtes surprenant. Mais que voulez-vousde plus ? Je vous ai trompé, na.

M. DE GARELLE. – Il me faut des preuves.

MME DE CHANTEVER. – Mais quelles preuves voulez-vous que je vousdonne ? Je n’en ai pas sur moi ou plutôt je n’en ai plus.

M. DE GARELLE. – Peu importe où elles soient. Il me lesfaut.

MME DE CHANTEVER. – Mais on n’en peut pas garder, des preuves,de ces choses-là… et…, à moins d’un flagrant délit… (Après unsilence.) Il me semble que ma parole devrait vous suffire.

M. DE GARELLE, s’inclinant. – Alors, vous êtes prête à lejurer.

MME DE CHANTEVER, levant la main. – Je le jure.

M. DE GARELLE, sérieux. – Je vous crois, madame. Et avec quim’avez-vous trompé ?

MME DE CHANTEVER. – Oh ! mais, vous en demandez trop, à lafin.

M. DE GARELLE. – Il est indispensable que je sache son nom.

MME DE CHANTEVER. – Il m’est impossible de vous le dire.

M. DE GARELLE. – Pourquoi ça ?

MME DE CHANTEVER. – Parce que je suis une femme mariée.

M. DE GARELLE. – Eh bien ?

MME DE CHANTEVER. – Et le secret professionnel ?

M. DE GARELLE. – C’est juste.

MME DE CHANTEVER. – D’ailleurs, c’est avec M. de Chantever queje vous ai trompé.

M. DE GARELLE. – Ça n’est pas vrai.

MME DE CHANTEVER. – Pourquoi ça ?…

M. DE GARELLE. – Parce qu’il ne vous aurait pas épousée.

MME DE CHANTEVER. – Insolent ! Et cetteproposition ?…

M. DE GARELLE. – La voici. Vous venez d’avouer que j’ai été,grâce à vous, un de ces êtres ridicules, toujours bafoués, quoiqu’ils fassent, comiques s’ils se taisent, et plus grotesquesencore s’ils se fâchent, qu’on nomme des maris trompés. Eh bien,madame, il est indubitable que les quelques coups de cravache reçuspar vous sont loin de compenser l’outrage et le dommage conjugalque j’ai éprouvés de votre fait, et il est non moins indubitableque vous me devez une compensation plus sérieuse et d’une autrenature, maintenant que je ne suis plus votre mari.

MME DE CHANTEVER. – Vous perdez la tête. Que voulez-vousdire ?

M. DE GARELLE. – Je veux dire, madame, que vous devez me rendreaujourd’hui les heures charmantes que vous m’avez volées quandj’étais votre époux, pour les offrir à je ne sais qui.

MME DE CHANTEVER. – Vous êtes fou.

M. DE GARELLE. – Nullement. Votre amour m’appartenait, n’est-cepas ? Vos baisers m’étaient dus, tous vos baisers, sansexception. Est-ce vrai ? Vous en avez distrait une partie aubénéfice d’un autre ! Eh bien, il importe, il m’importe que larestitution ait lieu, restitution sans scandale, restitutionsecrète, comme on fait pour les vols honteux.

MME DE CHANTEVER. – Mais pour qui me prenez-vous ?

M. DE GARELLE. – Pour la femme de M. de Chantever. MME DECHANTEVER. – Ça, par exemple, c’est trop fort.

M. DE GARELLE. – Pardon, celui qui m’a trompé vous a bien prisepour la femme de M. de Garelle. Il est juste que mon tour arrive.Ce qui est trop fort, c’est de refuser de rendre ce qui estlégitimement dû.

MME DE CHANTEVER. – Et si je disais oui… vous pourriez…

M. DE GARELLE. – Mais certainement.

MME DE CHANTEVER. – Alors, à quoi aurait servi ledivorce ?

M. DE GARELLE. – À raviver notre amour.

MME DE CHANTEVER. – Vous ne m’avez jamais aimée.

M. DE GARELLE. – Je vous en donne pourtant une rude preuve.

MME DE CHANTEVER. – Laquelle ?

M. DE GARELLE. – Comment ? Laquelle ? Quand un hommeest assez fou pour proposer à une femme de l’épouser d’abord et dedevenir son amant ensuite, cela prouve qu’il aime ou je ne m’yconnais pas en amour.

MME DE CHANTEVER. – Oh ! ne confondons pas. Épouser unefemme prouve l’amour ou le désir, mais la prendre comme maîtressene prouve rien… que le mépris. Dans le premier cas, on acceptetoutes les charges, tous les ennuis, et toutes les responsabilitésde l’amour ; dans le second cas, on laisse ces fardeaux aulégitime propriétaire et on ne garde que le plaisir, avec lafaculté de disparaître le jour où la personne aura cessé de plaire.Cela ne se ressemble guère.

M. DE GARELLE. – Ma chère amie, vous raisonnez fort mal. Quandon aime une femme, on ne devrait pas l’épouser, parce qu’enl’épousant on est sûr qu’elle vous trompera, comme vous avez fait àmon égard. La preuve est là. Tandis qu’il est indiscutable qu’unemaîtresse reste fidèle à son amant avec tout l’acharnement qu’ellemet à tromper son mari. Est-ce pas vrai ? Si vous voulez qu’unlien indissoluble se lie entre une femme et vous, faites-la épouserpar un autre, le mariage n’est qu’une ficelle qu’on coupe àvolonté, et devenez l’amant de cette femme : l’amour libre est unechaîne qu’on ne brise pas. – Nous avons coupé la ficelle, je vousoffre la chaîne.

MME DE CHANTEVER. – Vous êtes drôle. Mais je refuse.

M. DE GARELLE. – Alors, je préviendrai M. de Chantever. MME DECHANTEVER. – Vous le préviendrez de quoi ?

M. DE GARELLE. – Je lui dirai que vous m’avez trompé ! MMEDE CHANTEVER. – Que je vous ai trompé… Vous…

M. DE GARELLE. – Oui, quand vous étiez ma femme. MME DECHANTEVER. – Eh bien ?

M. DE GARELLE. – Eh bien, il ne vous le pardonnera pas. MME DECHANTEVER. – Lui ?

M. DE GARELLE. – Parbleu ! Ça n’est pas fait pour lerassurer.

MME DE CHANTEVER, riant. – Ne faites pas ça, Henry.

(Une voix dans l’escalier appelant Mathilde.)

MME DE CHANTEVER, bas. – Mon mari ! Adieu.

M. DE GARELLE, se levant. – Je vais vous conduire près de lui etme présenter.

MME DE CHANTEVER. – Ne faites pas ça.

M. DE GARELLE. – Vous allez voir.

MME DE CHANTEVER. – Je vous en prie.

M. DE GARELLE. – Alors acceptez la chaîne.

La Voix. – Mathilde !

MME DE CHANTEVER. – Laissez-moi.

M. DE GARELLE. – Où vous reverrai-je ?

MME DE CHANTEVER. – Ici – ce soir – après dîner.

M. DE GARELLE, lui baisant la main. – Je vous aime…

(Elle se sauve.)

(M. de Garelle retourne doucement à son fauteuil et se laissetomber dedans.)

– Eh bien ! vrai. J’aime mieux ce rôle-là que le précédent.C’est qu’elle est charmante, tout à fait charmante, et bien pluscharmante encore depuis que j’ai entendu la voix de M. de Chanteverl’appeler comme ça « Mathilde », avec ce ton de propriétaire qu’ontles maris.

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