Le Rosier de Mme Husson

Chapitre 12La Revanche

1. Scène Première

M. DE GARELLE, seul, au fond d’un fauteuil.

Me voici à Cannes, en garçon, drôle de chose. Je suisgarçon ! À Paris, je ne m’en apercevais guère. En voyage,c’est autre chose. Ma foi, je ne m’en plains pas.

Et ma femme est remariée !

Est-il heureux, lui, mon successeur, plus heureux que moi ?Quel imbécile ça doit être pour l’avoir épousée après moi ? Aufait, je n’étais pas moins sot pour l’avoir épousée le premier.Elle avait des qualités, pourtant, des qualités… physiques…considérables, mais aussi des tares morales importantes.

Quelle rouée, et quelle menteuse, et quelle coquette, et quellecharmeuse, pour ceux qui ne l’avaient point épousée ! Étais-jecocu ? Cristi ! quelle torture de se demander cela dumatin au soir sans obtenir de certitude !

En ai-je fait des marches et des démarches pour l’épier, sansrien savoir. Dans tous les cas, si j’étais cocu, je ne le suisplus, grâce à Naquet. Comme c’est facile tout de même, ledivorce ! Ça m’a coûté une cravache de dix francs et unecourbature dans le bras droit, sans compter le plaisir de taper àcœur que veux-tu sur une femme que je soupçonnais fortement de metromper !

Quelle pile, quelle pile !…

(Il se lève en riant et fait quelques pas, puis se rassied.)

Il est vrai que le jugement a été prononcé à son bénéfice et àmon préjudice – mais quelle pile !

Maintenant, je vais passer l’hiver dans le Midi, engarçon ! Quelle chance ! N’est-ce pas charmant de voyageravec l’éternel espoir de l’amour qui rôde ? Que vais-jerencontrer, dans cet hôtel, tout à l’heure, ou sur la Croisette, oudans la rue peut-être ? Où est-elle, celle qui m’aimera demainet que j’aimerai ? Comment seront ses yeux, ses lèvres, sescheveux, son sourire ? Comment sera-t-elle, la première femmequi me tendra sa bouche et que j’envelopperai dans mes bras ?Brune ou blonde ? grande ou petite ? rieuse ousévère ? grasse ou ?… Elle sera grasse !

Oh ! comme je plains ceux qui ne connaissent pas, qui neconnaissent plus le charme exquis de l’attente ? La vraiefemme que j’aime moi, c’est l’Inconnue, l’Espérée, la Désirée,celle qui hante mon cœur sans que mes yeux aient vu sa forme, etdont la séduction s’accroît de toutes les perfections rêvées. Oùest-elle ? Dans cet hôtel, derrière cette porte ? Dansune des chambres de cette maison, tout près, ou loin encore ?Qu’importe, pourvu que je la désire, pourvu que je sois certain dela rencontrer ! Et je la rencontrerai assurément aujourd’huiou demain, cette semaine ou la suivante, tôt ou tard ; mais ilfaudra bien que je la trouve !

Et j’aurai, tout entière, la joie délicieuse du premier baiser,des premières caresses, toute la griserie des découvertesamoureuses, tout le mystère de l’inexploré aussi charmants, lepremier jour, qu’une virginité conquise ! Oh ! lesimbéciles qui ne comprennent pas l’adorable sensation des voileslevés pour la première fois. Oh ! les imbéciles qui semarient… car… ces voiles-là… il ne faut pas les lever trop souvent…sur le même spectacle…

Tiens, une femme !…

(Une femme traverse le fond du promenoir, élégante, fine, lataille cambrée.)

Bigre ! elle a de la taille, et de l’allure. Tâchons devoir… la tête.

(Elle passe près de lui sans l’apercevoir, enfoncé dans sonfauteuil. Il murmure 🙂

Sacré nom d’un chien, c’est ma femme ! ma femme, ou plutôtnon, la femme de Chantever. Elle est jolie tout de même, lagueuse…

Est-ce que je vais avoir envie de la répouser maintenant ?…Bon, elle s’est assise et elle prend Gil-Blas. Faisons le mort.

Ma femme ! Quel drôle d’effet ça m’a produit. Mafemme ! Au fait, voici un an, plus d’un an qu’elle n’a été mafemme… Oui, elle avait des qualités physiques… considérables ;quelle jambe ! J’en ai des frissons rien que d’y penser. Etune poitrine, d’un fini. Ouf ! Dans les premiers temps nousjouions à l’exercice – gauche – droite – gauche – droite – quellepoitrine ! Gauche ou droite, ça se valait.

Mais quelle teigne… au moral !

A-t-elle eu des amants ? En ai-je souffert de cedoute-là ? Maintenant, zut ! ça ne me regarde plus.

Je n’ai jamais vu une créature plus séduisante quand elleentrait au lit. Elle avait une manière de sauter dessus et de seglisser dans les draps…

Bon, je vais redevenir amoureux d’elle…

Si je lui parlais ?… Mais que lui dirais-je ?

Et puis elle va crier au secours, au sujet de la pile !Quelle pile ! J’ai peut-être été un peu brutal tout demême.

Si je lui parlais ? Ça serait drôle, et crâne, après tout.Sacrebleu, oui, je lui parlerai, et même si je suis vraiment fort…Nous verrons bien…

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