Les Métamorphoses

Chant 15

 

Cependant on cherche un mortel digne du poidsde l’empire, et qui puisse succéder au grand Romulus. Messagère duvrai, la voix publique appelle au trône le pieux Numa. Ce n’étaitpas assez pour lui d’avoir étudié les mœurs et les usages desSabins ; son vaste génie embrasse des objets plus élevés, etveut connaître la nature des choses. Entraîné par cette ardeur desavoir, il s’éloigne de Cures, sa patrie, et visite la villecélèbre où Croton reçut le grand Alcide. Il demande quel fut leGrec qui vint élever ces remparts sur les rivages del’Ausonie ; et un vieillard, né dans cette contrée, instruitde ses fastes antiques, lui répond en ces mots :

« On raconte que le fils de Jupiter etd’Alcmène, riche des dépouilles de l’Ibérie, et des troupeauxenlevés à Géryon, arriva, après une heureuse navigation, des bordsde l’océan aux rives laciniennes ; que, laissant ses bœufserrer dans de gras pâturages, il entra sous le toit hospitalier deCroton ; qu’il s’y reposa de ses longs travaux ; et qu’enpartant, il dit à son hôte : – Cet endroit deviendra une villependant la vie de ton petit-fils.’ Et l’événement justifia cetteprédiction.

« Il y avait, dans l’Argolide, un Grecnommé Myscélos : il était fils d’Alémon ; et, de sontemps, aucun mortel ne fut plus agréable aux dieux. Une nuit,tandis qu’il reposait dans un sommeil profond, Hercule luiapparaît, et dit : – Hâte-toi, quitte ta patrie, va, etcherche les rives de l’Esar aux ondes sablonneuses.’ Il ajoute àl’ordre la menace ; et le châtiment suivrait le refus d’obéir.En même temps disparaissent le sommeil et le dieu.

« Le fils d’Alémon se lève. Ce qu’ilvient de voir et d’entendre occupe sa pensée. Des sentimentscontraires l’agitent. Un dieu ordonne son départ, et la loi ledéfend. La mort est la peine réservée à celui qui veut changer depatrie.

« Le soleil venait de cacher dans l’océanson front radieux, et la nuit, au-dessus de ses voiles sombres,élevait sa tête étoilée. Le même dieu se montre à Myscélos ;il répète le même ordre, les mêmes menaces, et en ajoute de plusterribles encore. Myscélos tremble, et se prépare à porter sespénates dans un pays nouveau. Le bruit de ce départ se répandbientôt dans la ville. Myscélos est accusé de mépriser les lois deson pays. Le crime est prouvé, les témoins sont inutiles. Pâle ettremblant, il lève les yeux et les mains vers le ciel : – Ôtoi, s’écrie-t-il, que tes douze travaux ont fait asseoir parmi lesimmortels, viens à mon secours ; car, si je suis coupable, toiseul as fait mon crime.’

« C’était, chez les Grecs, une coutumeantique d’employer, dans les jugements criminels, de petitscailloux noirs et blancs, ceux-ci pour absoudre, ceux-là pourcondamner. C’est ainsi que fut jugé Myscélos. Des cailloux noirsfurent seuls jetés dans l’urne impitoyable. Mais, quand elle futrenversée pour compter les suffrages, toutes les pierres noiresétaient devenues blanches. Par ce prodige, Hercule rendit lasentence favorable, et le fils d’Alémon fut renvoyé absous. Aprèsavoir rendu grâces au fils de Jupiter, il s’embarque et vogue, pardes vents favorables, sur la mer d’Ionie. Il laisse derrière luiTarente, bâtie par les Lacédémoniens, et Sybaris, et le Nééthé, quiarrose les champs de Salente, et le golfe de Thurium, et Némésé, etles campagnes d’Iapyx. Après avoir côtoyé presque toutes les terresde l’Italie qui regardent les mers, il trouve enfin les bouches del’Esar, où le destin l’appelle. Non loin du rivage, un tombeaucouvrait les pieux ossements de Croton. C’est là que Myscélos élèveles murs de la ville qu’Hercule lui a commandé de bâtir, et qui apris le nom du sage enseveli sur ces bords. C’est ainsi qu’unetradition certaine explique l’origine de Crotone, fondée par lesGrecs, sur les confins de l’Italie. »

Numa vit, dans cette ville, un homme de l’îlede Samos, qui, fuyant sa patrie et ses maîtres, s’étaitvolontairement exilé par haine de la tyrannie. Quelque éloignéqu’il fût des régions célestes, il s’élevait, par la méditation,jusqu’aux astres, et voyait, des yeux de l’esprit, ce que la naturerefuse aux regards des humains. Arrivé, par la pensée et par desavantes veilles, à la connaissance de toutes choses, il lesfaisait connaître aux hommes réunis pour l’entendre ; et,tandis qu’en l’admirant ils écoutaient en silence, le sageexpliquait l’origine du monde et les principes des êtres ; cequ’était la nature, ce qu’était la divinité ; de quellemanière se formaient et la neige et la foudre ; si c’étaitJupiter ou le choc des vents dans la nue qui produisait letonnerre ; ce qui faisait trembler la terre ; par quelleloi les astres se mouvaient, et tous les mystères cachés auxmortels. Le premier, il défendit de servir sur les tables desanimaux égorgés, et il exposa le premier, en ces termes, unedoctrine plus admirée que suivie :

« Cessez, mortels, de souiller vos corpsde ces aliments coupables. Vous avez les moissons des champs ;vous avez des fruits qui font courber sous leur poids les arbresdes vergers. Pour vous le raisin se gonfle et mûrit dans la vigne.Il est des légumes d’un goût exquis ; il en est d’autres quele feu rend plus tendres et plus savoureux. Ni le lait, ni le mielque parfume le thym, ne vous sont défendus. La terre prodigue vousoffre ses plus doux trésors, et vous fournit des aliments exemptsde sang et de carnage.

« Il n’appartient qu’aux animaux de senourrir de chair : encore tous n’en font-ils point usage. Lecheval, la brebis, et le bœuf, vivent de l’herbe des prairies. Maisceux qui sont d’un naturel farouche et sanguinaire, les tigresd’Arménie, les lions prompts à la colère, les ours et les loups,aiment les aliments sanglants. Ah ! c’est un grand crime deconfondre des entrailles dans des entrailles, d’engraisser un corpsd’un autre corps, et de ne conserver la vie d’un être que par lamort d’un autre !

« Quoi ! parmi tant de biens que lameilleure des mères, la terre, produit pour vos besoins, vousn’aimez qu’à porter vos dents cruelles sur des animaux égorgés,qu’à mordre des blessures, et qu’à imiter les barbarescyclopes ! Ne pouvez-vous faire cesser que par la destructiondes êtres, les jeûnes d’un estomac vorace et déréglé !

« Dans cet âge antique, que nous avonsappelé l’âge d’or, l’homme vivait content du fruit des arbres, desplantes champêtres ; et jamais il ne souilla sa bouche desang. Alors l’oiseau balançait, sans danger, ses ailes dans lesairs ; le lièvre errait sans frayeur, dans lescampagnes ; la crédulité du poisson ne l’attachait point àl’hameçon funeste. Aucun être n’employait, aucun ne craignait niles pièges, ni la fraude : tout était en paix. Mais celui,quel qu’il soit, qui, le premier abandonnant l’innocente frugalitéde cet âge, plongea des chairs dans son avide sein, ouvrit lechemin du crime. C’est, je veux le croire, par le carnage des bêtesféroces que le fer commença à être ensanglanté. Mais c’était assezde leur donner la mort. Il est permis, je l’avoue, d’ôter la vieaux animaux qui menacent la nôtre : on pouvait les tuer, maisil ne fallait pas s’en nourrir. On alla plus loin encore. On croitque le pourceau mérita d’être la première victime immolée, parcequ’il détruisait les semences et ruinait l’espoir de l’année. Lebouc fut sacrifié sur l’autel de Bacchus, parce qu’il avait offenséla vigne : ces deux animaux trouvèrent ainsi la peine de leurfaute.

« Mais quelle peine méritiez-vous,innocentes brebis, troupeaux paisibles dont les mamelles pendantesse gonflent, pour l’homme, d’un nectar délicieux ; dont lamolle toison lui fournit ses vêtements ; et dont la vie est,plus que la mort, utile à ses besoins ? Quel mal a fait lebœuf, animal sans fraude et sans artifice, simple, incapable denuire, et né pour les plus durs travaux ? Ah ! ce fut uningrat, indigne des dons de Cérès, celui qui, le premier, détela dujoug fumant l’animal agricole pour l’égorger ; qui frappa dela hache son col usé par de rudes travaux, en retournant si souventla terre, et faisant produire aux champs tant de richesmoissons ! Mais ce n’était pas assez de commettre un si grandcrime : l’homme a voulu y associer les dieux ; et il osecroire que le sang des génisses est agréable auximmortels !

« Une victime sans tache, remarquable parsa beauté, car sa beauté lui devient funeste, est parée debandelettes et conduite à l’autel. Là, elle entend des prièresqu’elle ne comprend pas. Elle voit placer sur son front, au milieude ses cornes dorées, les fruits de la terre, qu’elle a cultivée.Le couteau, qu’elle a déjà peut-être aperçu dans l’eau limpidepréparée pour le sacrifice, la frappe : aussitôt on arrache deson sein les entrailles vivantes, et on les interroge pour ytrouver le secret des dieux.

« D’où vient à l’homme cette faim sigrande des aliments défendus ? Ô mortels ! je vous enconjure, renoncez à ces festins barbares. Écoutez et retenez mesavertissements : lorsque vous mangez la chair de vos bœufségorgés, sachez et souvenez-vous que vous mangez voscultivateurs.

« Et, puisqu’un dieu m’ouvre la bouche,je suivrai les mouvements qu’il m’inspire, je découvrirai lessecrets qu’Apollon a cachés dans mon sein ; je dévoilerai ceuxdu ciel même, et les oracles dont il m’a rempli. Je vais chanter degrandes choses, trop longtemps ignorées, et que l’esprit de nospères n’a pu pénétrer. Je vais monter parmi les astres, quitter laterre, séjour de l’erreur, marcher sur les nuées, m’asseoir sur lesvastes épaules d’Atlas ; et, de là, regardant les mortelserrants, sans que la raison les guide, et livrés à des terreursfrivoles, les rassurer contre la crainte de la mort, et déroulerdevant eux les lois immuables de leurs destinées.

« Faibles mortels, que glace l’effroi dutrépas, pourquoi craindre le Styx et l’empire des ombres, fablesinventées par les poètes, vaines expiations d’un mondeimaginaire ? Soit que le corps périsse consumé dans les feuxdu bûcher, soit que le temps le détruise, ne croyez pas qu’ilsouffre quand il n’est plus. Les âmes ne meurent point :sorties de leurs premières demeures, elles passent et vivent dansde nouvelles habitations. Moi-même, je m’en souviens, pendant laguerre de Troie, j’étais Euphorbe, fils de Panthous ; le plusjeune des Atrides me perça le cœur de sa forte lance : j’aireconnu naguère, au temple de Junon, dans la ville d’Argos, lebouclier dont alors mon bras était armé.

« Tout change, rien ne meurt. L’âme erred’un corps a un autre, quel qu’il soit : elle passe del’animal à l’homme, de l’homme à l’animal, et ne périt jamais.Comme la cire fragile reçoit des formes variées, et change defigure sans changer de substance : ainsi j’enseigne que l’âmeest toujours la même, mais qu’elle émigre en des corps différents.Dans vos appétits déréglés, craignez donc de devenir impies. Je ledéclare au nom des dieux, prenez garde, par le meurtre détestabledes animaux, de chasser de leur nouvel asile les âmes de vosparents. Que votre sang ne se nourrisse point de votre sang.

« Et, puisque, porté sur une vaste mer,j’ai livré aux vents toutes mes voiles, je dirai : Rien n’eststable dans l’univers : tout varie, tout n’offre qu’une imagepassagère. Le temps lui-même roule comme un fleuve dans sa courseéternelle. Le fleuve rapide et l’heure légère ne peuvent l’arrêter.Mais, comme le flot presse le flot, chassant celui qui le précède,et chassé par celui qui le suit, ainsi les moments s’écoulent, sesuccèdent, et sont toujours nouveaux. L’instant qui vient decommencer, n’est plus ; celui qui n’était pas encorearrive : tous passent, et se renouvellent sans cesse.

« Voyez la nuit, qui s’avance, tendrevers le jour, et les ombres s’effacer dans la lumière. Lorsque toutrepose encore dans la nature, l’azur du ciel n’est pas celui dontle ciel se colore au moment où l’étoile du matin paraît sur sonchar d’albâtre. Cet azur prend une autre nuance, quand l’aurore,qui précède le jour, sème de roses la carrière qu’elle va livrer ausoleil. Le soleil lui-même paraît environné de pourpre, quand, lematin, il s’élève de la terre inférieure, et quand, le soir, il yredescend. Mais, au milieu de sa course, sa lumière est pluséclatante, parce que, dans les hautes régions, l’air, plus pur, estdégagé des vapeurs de la terre. L’astre de la nuit offre aussi desaspects différents : dans sa croissance, il est plus petit,et, dans son décours, il est plus grand la veille que lelendemain.

« Voyez l’année, se partageant en quatresaisons, imiter ainsi, dans son cours, les âges de la vie. Aucommencement du printemps, elle a la faiblesse de l’enfant à lamamelle. Alors le grain, herbe tendre et fragile, croît et charmel’espoir du laboureur. Tout fleurit, la campagne riante estémaillée de mille couleurs ; mais les plantes n’ont encoreaucune énergie. Devenue plus robuste, l’année passe du printemps àl’été, semblable au jeune homme dans toute sa vigueur. Aucun âgen’est plus fort, plus fécond, plus ardent. L’automne succède :il n’a plus la ferveur de l’âge précédent ; c’est celui ducalme et de la maturité : il tient le milieu entre la jeunesseet la vieillesse, et, déjà sa tête commence à blanchir. Enfin levieil hiver arrive d’un pas tremblant, dépouillé de ses cheveux, oun’en ayant plus que de blancs.

« C’est ainsi que nos corps changent sanscesse : ce que nous étions hier, ce qu’aujourd’hui noussommes, demain nous ne le serons plus. Il fut un temps où, simplegerme, espoir incertain de l’homme encore à naître, nous habitâmesdans le sein d’une mère. La nature soigna son ouvrage : ellene voulut pas que notre corps restât toujours resserré dans lesflancs qui l’enfermaient, et sa main puissante nous ouvrit lesportes de la vie. L’enfant à peine a vu le jour, il est sans force,et ne peut se mouvoir. Bientôt, semblable au quadrupède, il marchesur ses pieds et sur ses mains. Peu à peu, tremblant, et malaffermi sur ses jambes, il cherche un appui qui le soutienne, ilest debout ; il devient fort et léger ; sa jeunesses’envole, il traverse l’âge moyen de la vie, et, par une penterapide, est emporté au couchant de ses jours. La vieillesse dissoutla force de l’âge précédent. Milon, chargé d’années, pleure envoyant pendre et languir, sans vigueur, ces bras naguère nerveux etpuissants, semblables aux bras d’Hercule. Elle pleure aussi, lafille de Tyndare, en apercevant, dans la glace fidèle, les rides deson visage ; et elle se demande comment elle a pu être deuxfois enlevée.

« Temps, qui dévores ce qui existe ;et toi, vieillesse envieuse, vous détruisez tout ; et ce quela lime de l’âge a sourdement usé, vous le consumez par une lentemort.

« Ce que nous appelons éléments n’a pasplus de stabilité ; écoutez : J’enseignerai leschangements qu’ils éprouvent.

« Le monde éternel contient quatre corpsélémentaires : deux, la terre et l’eau, sont pesants, etdescendent entraînés par leur propre poids. Les deux autres, privésde toute gravité, l’air, et le feu, plus pur que l’air, s’élèventsans résistance. Quoique distants et séparés, ces corps sont leprincipe de toutes choses. Eux-mêmes se changent l’un enl’autre : la terre se dissout en eau, l’eau se résout envapeur légère ; et l’air, devenu plus subtil, brille parmi lesfeux éthérés. Par une révolution constante et contraire, tous cescorps reviennent dans leur premier état : en se condensant, lefeu se change en air, l’air en eau, l’eau en argile. Aucun corps neconserve sa forme primitive. La nature, qui renouvelle sans cesseles choses, ne fait que substituer des formes à d’autres formes.Croyez-moi, rien ne périt dans ce vaste univers ; mais toutvarie et change de figure. Ce qu’on appelle naître, c’est commencerd’être autre chose que ce qu’on était auparavant ; et ce qu’onappelle mourir n’est que cesser d’être ce qu’on était ; et,quoiqu’il y ait changement perpétuel de forme et de lieu, lamatière existe toujours.

« Je ne pense pas que rien puisse durersous la même apparence. C’est ainsi qu’après le siècle d’or estvenu le siècle de fer. C’est ainsi que divers pays ont changé defortune. J’ai vu ce qui fut jadis un terrain solide être maintenantune mer. J’ai vu des terres sorties du sein des ondes, et desconques marines loin des bords d’Amphitrite : une vieilleancre a été trouvée sur de hautes montagnes. Des torrents rapidesont creusé des vallons dans les plaines. Les inondations ont faitdescendre des collines au sein des eaux. Des marais sont devenusdes champs sablonneux ; et des terres arides sont aujourd’huides marécages. La nature ouvre ici de nouvelles sources ; elleen tarit d’autres ailleurs. Les secousses de la terre ébranlée ontfait naître des fleuves, et en ont desséché plusieurs. Ainsi leLycus, englouti dans la terre, se remontre plus loin, et semblesortir d’une source nouvelle. Ainsi l’Erasinus se perd dans ungouffre profond ; et, après avoir conduit paisiblement sesflots souterrains, reparaît plus vaste dans les plaines d’Argos.Ainsi, l’on raconte que le fleuve Mysus, ennuyé de sa source et deses premiers rivages, va, sous le nom de Caïque, couler dans despays lointains. Tantôt l’Amenanus roule, en Sicile, son ondesablonneuse ; tantôt son lit est desséché, et sa source paraîttarie. Jadis on buvait les eaux de l’Anigros ; elles sontdevenues pernicieuses, si toute croyance n’est point ravie auxpoètes, depuis qu’atteints par les flèches d’Hercule, les centauresentrèrent dans ce fleuve pour laver leurs blessures. Les ondes del’Hypanis, qui descend des montagnes de la Scythie, d’abord douceset pures, se chargent, dans leur cours, de sel et d’amertume.

« Antissa, Pharos, et Tyr bâtie par lesPhéniciens, ont eu pour ceinture les mers : aucune de cesvilles n’est une île aujourd’hui. Les anciens habitants de Leucadeont vu joint au continent leur territoire qu’entourent les flots.Zancle était, dit-on, réunie à l’Italie, avant que l’océan,séparant ces deux terres, n’eût entraîné la Sicile au milieu de sesondes. Si vous cherchez Hélicé et Buris, villes de l’Achaïe, vousles trouverez sous les eaux. Le nautonier montre encore leurs mursinclinés et leurs débris submergés.

« Près de Trézène, où régna Pitthée,s’élève une colline où aucun arbre n’offre son ombrage :c’était jadis une campagne fertile, unie dans sa surface. Par unprodige, dont le récit même est horrible, les vents furieux,enfermés dans des cavernes obscures, cherchant à respirer, luttanten vain pour s’ouvrir le chemin de l’air et de la liberté, et netrouvant dans leur prison aucun passage à leur haleine, enflèrentet distendirent cette terre, comme le souffle de la bouche enfleune vessie ou une peau de bouc. Cette enflure resta dans lacampagne ; elle a la forme d’une haute colline, et s’estdurcie avec le temps.

« Je pourrais ajouter ici beaucoupd’autres exemples qui vous sont connus, ou dont vous avez entenduparler : je n’en citerai qu’un petit nombre. L’eau nereçoit-elle et ne donne-t-elle pas des formes différentes ?Ton onde, ô fontaine d’Ammon, froide au milieu du jour, estbrûlante au lever et au coucher du soleil. On dit que, dans unefontaine du pays des Athamanes, le bois s’enflamme, s’il y estplongé lorsque en son déclin la lune resserre son croissant. LesCicones ont un fleuve dont l’eau pétrifie les entrailles de celuiqui la boit, et change en rocher tout ce qu’elle touche. LeCrathis, et le Sybaris, qui arrose ces campagnes, donnent auxcheveux la couleur de l’ambre et de l’or.

« Mais, par un prodige plus étonnant,s’il est des eaux qui changent les corps, il en est aussi quichangent les esprits.

« Qui n’a pas entendu parler de l’ondeobscène de Salmacis, et de ce lac d’Éthiopie, dont les eaux rendentfurieux celui qui en a bu, ou le plongent dans un vastesommeil ? Quiconque se désaltère à la fontaine de Clitoriumdéteste le vin et n’aime que l’onde pure, soit qu’il y ait danscette fontaine une vertu contraire à Bacchus, soit, comme leracontent les indigènes, que le fils d’Amythaon, après avoir, parses enchantements et par ses herbes, arraché aux Furies lesPrétides étonnées, ait jeté dans la source ces médicaments sipuissants sur la raison, et que l’eau en ait reçu le pouvoird’inspirer cette horreur pour le vin. Les ondes du fleuve Lyncesteproduisent un effet contraire : celui qui en a trop buchancelle comme un homme enivré du jus de la treille.

« Il est, dans l’Arcadie, un lac aux eauxdouteuses ou suspectes : les anciens l’ont appeléPhénéos ; craignez l’usage de ces eaux : elles sontnuisibles pendant la nuit, et sans danger pendant le jour. Ainsiles lacs, et les fleuves ont des propriétés différentes et deseffets divers. Il fut un temps où l’île d’Ortygie flottait sur lesondes ; maintenant elle est assise au sein des mers. Le navireArgo craignit les Symplégades errantes, et les flots qu’ellessoulevaient en s’entrechoquant. Aujourd’hui l’une et l’autre sontstables, immobiles, et résistent aux vents.

« L’Etna, brûlant dans ses fournaises desoufre, ne vomira pas toujours des feux, et n’en a pas toujoursvomi. Car si la terre est un animal, elle vit ; elle a, endivers lieux, des bouches nombreuses pour sa brûlantehaleine ; et toutes les fois qu’elle est ébranlée par quelquessecousses, elle peut fermer, dans une contrée, ses canauxsouterrains, et en ouvrir d’autres ailleurs. Si les vents légers,comprimés dans des antres profonds, lancent des rochers dont lechoc étincelant enflamme des matières qui recèlent les principes dufeu, ces vents peuvent abandonner leurs cavernes, qui alors serefroidiront. Et si les feux souterrains s’allument d’eux-mêmesdans le soufre et dans le bitume, un jour cette source doittarir ; la terre épuisée cessera de fournir cesaliments : consumés par les siècles, ils manqueront à lavoracité du gouffre, qui, ne pouvant s’en passer, verra ses feuxéteints.

« On dit qu’à Pallène, dans les payshyperboréens, il existe des hommes dont les corps, neuf foisplongés dans le marais Tritonien, se couvrent de plumes légères. Jene puis croire à ce prodige, ni à ce qu’on raconte de ces femmes deScythie qui, versées aussi dans l’art des enchantements, peuvent,en se teignant du suc de certaines herbes, se convertir en oiseaux.Si l’on doit croire aux choses merveilleuses, c’est du moins àcelles qui sont prouvées.

« Ne voyez-vous pas les corps qui sonttombés en dissolution par le temps ou par la chaleur, se convertiren insectes ? Si un taureau assommé est enterré par vous dansune fosse, l’expérience a prouvé ce fait, il sortira de sesentrailles en dissolution des abeilles amies des fleurs. Ellesaimeront les champs comme celui qui les fit naître ; ellesseront laborieuses, et l’espérance conduira leur travail. Lecoursier belliqueux qu’on enfouit dans la terre, engendre desfrelons. Ôtez au cancre, ami de l’onde, ses serres recourbées,couvrez de terre le reste de son corps : vous verrez s’enélancer un scorpion qui vous menacera de sa queue à double dard. Lachenille agreste, comme l’ont remarqué les laboureurs, roule sesfils blancs sur une feuille, et, s’enfermant dans le tissu qu’ellefile, quitte sa forme et devient papillon.

« Dans le limon des marais, une semenceféconde engendre la grenouille : d’abord, c’est un corpsinforme et sans pieds ; bientôt la nature lui donne descuisses dont elle se sert pour nager ; et, afin qu’elle puisses’élancer sur le rivage et dans l’onde, ses parties postérieuressont plus hautes que celles de devant. L’ours qui vient de naîtren’est qu’une masse de chair ébauchée, à peine vivante. Sa mère, enle léchant, façonne ses membres et lui fait prendre une formepareille à la sienne. N’avez-vous pas vu la mouche ouvrière dumiel, d’abord fœtus informe enfermé dans la cire hexagonale,recevoir plus tard ses pieds déliés, et plus tard ses aileslégères ?

« Qui croirait que l’oiseau de Junon,dont la queue porte l’image des astres, que l’oiseau qui tient lesfoudres de Jupiter, que les colombes de la déesse de Cythère, ettout le peuple ailé, puissent éclore et sortir du sein d’un œuf,s’il n’avait vu ce phénomène ?

« Il est des hommes qui croient quelorsque l’épine dorsale a pourri dans la tombe, la moelle humainese change en serpent.

« Tous ces prodiges ont cependant unprincipe qui les produit ; mais il est sur la terre un oiseauunique qui s’engendre et se renouvelle lui-même : lesAssyriens l’appellent le phénix. Il ne se nourrit ni d’herbes, nide fruits : il vit des larmes de l’encens et des sucs del’amome. Quand il a vu cinq siècles marquer le terme de sa vie, ilconstruit, de ses ongles et de son bec, un nid sur les hautesbranches d’un chêne ou sur la cime tremblante d’un palmier ;il le remplit de légères tiges de cannelle, de nard, de myrrhe etde cinname, se couche sur ce bûcher odorant, et meurt dans lesparfums. On raconte qu’un jeune phénix renaît alors des cendres deson père, et qu’un même nombre de siècles doit marquer sonexistence. Lorsque l’âge lui a donné des forces, et qu’il peutcharger ses ailes, il dégage du poids du nid les rameaux del’arbre, enlève ce pieux fardeau, l’emporte dans les airs, arrivedans la ville du soleil, et, devant les portes sacrées du temple dece dieu, dépose le tombeau de son père et son propre berceau.

« Si tous ces faits offrent desnouveautés merveilleuses, le pouvoir de changer de sexe doitparaître plus surprenant. Ne devons-nous pas admirer l’hyène quiest femelle et mâle tour à tour ; et le caméléon, nourri d’airet de vent, qui soudain prend la couleur de tous les objets qu’iltouche ? L’Inde soumise donna le lynx au dieu desvendanges ; on rapporte que tout ce que rejette la vessie decet animal se congèle et se durcit en pierre : c’est ainsi quele corail, plante molle et flexible sous l’onde, se pétrifie auxpremières impressions de l’air.

« Le jour finirait, et Phébus auraitplongé ses coursiers haletants dans l’onde, avant que j’eusseraconté les divers changements de toutes choses. Les temps changenteux-mêmes. Nous voyons des nations s’élever, et d’autres tomber.Ainsi, la superbe Troie, si riche en hommes et en trésors, qui putrépandre tant de sang dans un siège de dix années, humblemaintenant, n’offre plus que d’antiques ruines, et ne montre, pourtoutes richesses, que les tombeaux de ses habitants. Sparte a étécélèbre, Mycènes florissante ; la ville de Cécrops, et lesmurs bâtis par Amphion ont eu leur puissance et leur éclat.Aujourd’hui Sparte est un sol misérable ; Mycènes et seshautes tours n’existent plus. Que reste-t-il de Thèbes, où régnaOedipe ? une fable. Que reste-t-il d’Athènes, où régnaPandion ? son nom et son souvenir.

« Déjà la renommée annonce que, sur lesbords du Tibre, qui descend de l’Apennin, Rome, bâtie par lesTroyens, pose les fondements immenses d’un grand empire. Cetteville aura ses révolutions en s’agrandissant, et sera un jour lamaîtresse du monde. Ainsi l’ont dit les poètes et l’ont annoncé lesoracles. Si je m’en souviens, lorsque Énée déplorait ses destinsdouteux, dans les derniers temps de Troie, Hélénus, fils de Priam,lui adressa ce discours :

– Fils d’une déesse, si mon art de prédire leschoses futures t’est assez connu, tu vivras, et Troie ne tomberapas tout entière. La flamme et le fer t’ouvriront un chemin. Tuemporteras les restes de Pergame, et tu trouveras des bordsétrangers plus amis des Troyens et de toi que ta propre patrie. Jelis, dans le livre des destins, qu’aux enfants de la Phrygie estpromise une ville qui s’élèvera au-dessus de toutes celles qui ontété, qui sont encore, ou qui seront dans la suite des temps.Pendant plusieurs siècles, elle devra sa puissance à ses illustrescitoyens ; mais un descendant d’Iule la rendra maîtresse del’univers. Quand la terre aura possédé ce héros, les dieux enjouiront à leur tour : le ciel l’attend après sa mort.’

« Telles furent, je me les rappelle, lesprédictions faites par Hélénus à Énée, qui porta ses pénates aveclui. Je me réjouis de voir renaître, dans Rome, mon anciennepatrie : ainsi la victoire des Grecs aura fait la grandeur desTroyens.

« Mais, pour ne pas m’écarter pluslongtemps du but où je tends dans ma course, le ciel et tout cequ’il embrasse, la terre et tout ce qu’elle renferme, sont soumis àd’éternels changements. Nous-mêmes, portion passagère du monde,nous subissons les mêmes lois, puisque nous sommes non seulementdes corps, mais aussi des âmes légères, qui peuvent avoir pourdemeure le sein de l’hôte farouche des forêts ou celui du paisibleanimal qui paît dans le bocage. Conservons donc, au lieu de lesdétruire, ces corps qui ont peut-être reçu l’âme d’un père, d’unfrère, d’un parent, d’un homme du moins ; et n’allons pasrenouveler le festin de Thyeste.

« Ne s’accoutume-t-il pas au crime, ne seprépare-t-il pas à répandre le sang humain, l’impie qui enfonce lecouteau dans la gorge d’une génisse, et dont l’oreille resteinsensible à ses mugissements ; qui peut égorger un chevreau,et l’entendre vagir comme un enfant ; qui peut se nourrir del’oiseau que sa main a nourri ? Qu’il y a peu loin de cettecruauté au meurtre, à l’homicide ! et que facilement elle enouvre le chemin !

« Ainsi, que le bœuf laboure, et nepuisse imputer sa mort qu’à la vieillesse. Que la brebis nous donnesa toison pour nous défendre des attaques du froid Borée. Que lachèvre présente ses mamelles gonflées à la main qui les presse. Quela baguette, enduite de glu, cesse de tromper l’oiseau tropcrédule. N’enfermez plus, dans une enceinte, le cerf timide,effrayé par les plumes présentées à ses regards. Ne cachez plusl’hameçon sous une amorce perfide. Détruisez les animaux nuisibles,mais contentez-vous de les détruire. N’allez pas vous en nourrir,et ne prenez que des aliments convenables à l’homme. »

On rapporte qu’après avoir recueilli avec soinces leçons et d’autres encore, Numa retourna dans sa patrie. Appeléau trône des Latins, il prit les rênes de l’empire. Inspiré par lanymphe dont il était l’heureux époux, éclairé par les conseils desMuses, il enseigna les rites sacrés, et fit aimer les arts de lapaix a un peuple féroce et ami de la guerre.

Lorsque, courbé sous le poids d’un grand âge,il eut achevé son règne avec sa vie, les femmes du Latium, lepeuple, et le sénat, pleurèrent sa mort. La nymphe Égérie,s’éloignant de la ville de Rome, se retire dans la sombre forêtd’Aricie. Là, par ses gémissements et ses sanglots, elle trouble leculte de Diane, établi par Oreste. Combien de fois les nymphes dela forêt et les nymphes du lac cherchèrent, par de tendres soins, àconsoler sa douleur ! Combien de fois le fils de Thésée luidit :

« Cessez, cessez vos pleurs. Votredestinée n’est pas la seule qui soit à plaindre. Jetez les yeux surdes malheurs pareils, le vôtre vous paraîtra moins difficile àsupporter. Et plût aux dieux que, par d’autres exemples que lemien, je pusse soulager vos ennuis ! Mais mon exemple pourraitsuffire.

« Vous avez sans doute entendu parlerd’un Hippolyte qui périt victime de la crédulité de son père, etdes artifices d’une marâtre impie. Vous allez être étonné, vousm’en croirez à peine : je suis cet Hippolyte. Jadis la fillede Pasiphaé, qui voulut m’engager à souiller le lit de mon père,feignit que j’avais tenté le crime conçu par elle, et, soit dans ledépit de ses feux méprisés, soit qu’elle craignît d’être accuséepar moi, elle osa m’accuser elle-même. Mon père m’exila d’Athènes,malgré mon innocence, et, par ses imprécations, appela sur ma têtela haine des dieux.

« Debout sur mon char, je fuyais versTrézène, où Pitthée prit soin de mon enfance. Déjà j’étais arrivésur le rivage de Corinthe : soudain la mer se soulève, desflots immenses s’entassent, montent et s’inclinent courbes commeune montagne. L’horrible vague mugit, s’ouvre à son sommet, et, sebrisant avec furie, chasse de ses flancs un taureau armé de cornesredoutables. Le monstre s’élève, de la moitié du corps, sur l’ondejaillissante. Il rejette des flots élancés de sa gueule et de sesnaseaux. Mes compagnons épouvantés ont fui ; mon âme n’estpoint ébranlée : qu’avais-je à craindre de plus terrible quemon exil ? Mes coursiers ardents tournent la tête vers lamer ; leurs oreilles se dressent et leurs crins se hérissent.L’aspect du monstre les trouble, les effraie ; ils précipitentle char à travers les rochers escarpés. Vainement ma main veutgouverner les rênes : ils ne craignent plus le mors, qu’ilsblanchissent d’écume. Je penche en arrière mon corps, je tire ettends les guides ; et mes efforts eussent dompté la fureur descoursiers, si, heurtée contre un arbre, vers le point où elletourne rapidement sur son essieu, une roue ne se fût brisée enéclats. Je suis précipité du char : vous eussiez vu mes piedsembarrassés dans les rênes, mes entrailles vivantes traînées auloin, mes nerfs s’attacher aux ronces, mes membres épars emportéspar les coursiers, ou laissés sur la plage ; mes os, en sebrisant, rendre un son terrible, et mon âme fatiguée s’exhaler dansces affreux tourments : il ne restait de moi aucune partiequ’on eût pu reconnaître, et tout mon corps n’était qu’uneblessure.

« Maintenant, ô nymphe, pouvez-vous ouvoudrez-vous comparer votre malheur an mien ? J’ai vu lesroyaumes privés du jour, et j’ai lavé mes membres déchirés dans lesondes du Phlégéthon. Mais la vie ne m’eût point été rendue sansl’art puissant du fils d’Apollon : je la dus à la vertu de sesplantes, en dépit de Pluton indigné. Alors, craignant que maprésence, qui manifeste un si grand bienfait, n’excite encorecontre moi les fureurs de l’envie, Diane m’enveloppe d’un nuageépais ; et, afin que je puisse être vu sans danger pour mesjours, elle augmente mon âge, altère et change tous mes traits.Elle hésite longtemps entre la Crète et Délos pour fixer monséjour ; mais enfin, renonçant à Délos, à la Crète, elle metransporte dans ces lieux, et m’ordonne de quitter un nom qui peutme rappeler le cruel souvenir de mes coursiers : – Tu fusHippolyte, dit-elle ; sois Hippolyte encore sous le nom deVirbius.’ Depuis ce temps, j’habite cette forêt : mis au rangdes dieux inférieurs, je vis caché sous la protection de la déesse,et je sers ses autels. »

Cependant le deuil d’Égérie ne peuts’affaiblir dans le récit de malheurs étrangers. Couchée au piedd’une montagne, elle ne cesse de fondre en larmes, jusqu’à ce que,touchée de sa pieuse douleur, la sœur d’Apollon fait de son corpsune fontaine, et change ses membres mortels en ondeséternelles.

Ce prodige émut les nymphes d’Aricie. Le filsde l’Amazone n’en fut pas moins surpris que ce laboureurtyrrhénien, lorsqu’il aperçut, dans son champ, une glèbe, sans quele soc l’agitât, se mouvoir d’elle-même, se dépouiller de sa forme,prendre celle d’un homme, et commencer la vie en ouvrant la bouchepour prédire l’avenir. Les indigènes l’appelèrent Tagès. Ilenseigna, le premier, aux Étrusques, l’art de connaître les chosesfutures.

Romulus ne fut pas moins étonné quand il vitle javelot par lui lancé sur les collines du Palatin s’attacher àla terre, s’affermir sur des racines nouvelles, et non sur le ferdont il était armé, se couvrir de feuillage, n’être déjà plus undard, mais un arbre à la tige flexible, donnant au peuple, quiadmire ce prodige, une ombre inattendue.

Tel fut encore l’étonnement de Cipus, lorsque,dans l’onde du Tibre, il vit les cornes récentes dont son frontétait armé : il les vit, et d’abord, refusant sa foi à cequ’il crut une image trompeuse, il porta souvent ses doigts à sonfront, toucha ce qu’il avait vu, et cessa d’accuser ses yeuxd’imposture. Il revenait à Rome, vainqueur des ennemis ; ils’arrête, et, levant ses yeux et ses bras vers le ciel :

« Dieux, s’écrie-t-il, quel que soitl’événement qu’annonce ce prodige, s’il est heureux, qu’il soitpour ma patrie et pour le peuple romain ; s’il est funeste,qu’il soit pour moi seul. »

Il dit, et, sur des autels de gazon, l’encensfume pour apaiser les dieux. Le héros fait, avec la patère, deslibations de vin, immole deux brebis, et, dans leurs entraillespalpitantes, cherche l’explication du prodige. L’haruspicetyrrhénien, qui les interroge avec lui, entrevoit de grandsévénements, d’abord obscurs et confus ; mais, lorsqu’ildétourne des fibres de la victime son regard perçant, qu’il portesur le front de Cipus :

« Ô roi, s’écrie-t-il, je te salue !Oui, Cipus, ces lieux et les citadelles du Latium obéiront à teslois. Hâte-toi : marche vers ces murs dont les portess’ouvrent devant toi : ainsi les destins l’ordonnent. À peineentré dans Rome, tu seras roi, et tu porteras longtemps un sceptrepacifique. »

Cipus étonné recule, et, d’un air sombre,détournant ses regards de Rome :

« Puissent les dieux, s’écrie-t-il,chasser loin de moi de tels présages ! Je m’imposerai pourtoujours un juste exil, avant que le Capitole me reçoive comme roid’un peuple libre. »

Il dit, et soudain il convoque le peuple et lesénat. Cependant il cache le présage funeste sous le laurier de lapaix qu’a donné la victoire ; il monte sur un tertre que sessoldats robustes viennent d’élever, et, après avoir, selon l’usageantique, invoqué les dieux :

« Romains, dit-il, ici même est un hommequi, si vous ne le chassez de la ville, sera votre roi. Cet homme,je vous le désignerai plutôt par un signe que par son nom :des cornes s’élèvent sur sa tête. L’augure vous avertit que, s’ilentre dans Rome, il y donnera ses lois. Il pouvait y paraître, lesportes étaient ouvertes ; je l’en ai empêché ; etcependant personne ne lui est attaché de plus près que moi.Romains, défendez-lui votre ville ; et si vous le jugezcoupable, chargez-le de fortes chaînes ou mettez fin à vos alarmespar la mort du tyran. »

Tel que les sifflements de l’Eurus dans uneforêt de pins, ou tel que le bruit sourd des flots de la mer,entendu dans le lointain ; tel est le murmure qui s’élève dansl’assemblée du peuple romain. Mais au milieu des confuses clameursde la foule frémissante, une voix s’élève, et crie :

« Quel est cet homme ? »

Tous se regardent les uns les autres, etcherchent des yeux l’homme que son front et l’oracle désignent.Cipus, reprenant la parole :

« Celui que vous cherchez, levoici ! »

Et, ôtant sa couronne, malgré le peuple, quiveut l’en empêcher, il découvre son front, chargé du signefuneste.

Tous ont baissé les yeux, tous font entendredes gémissements ; et, qui le croirait, le peuple regarde àregret ce front couvert de gloire ; et, ne pouvant souffrirqu’il reste plus longtemps sans honneur, il lui rend et replacelui-même le laurier qui le couvrait.

Ô Cipus ! puisque vous ne pouviez plusentrer dans Rome, le sénat voulut honorer votre vertu, et vousdécerna autant de terrain que pouvait en enfermer un sillon tracépar la charrue depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, etfit graver, sur les portes d’airain de la ville, votre image, pourperpétuer la mémoire de cet événement.

Maintenant, inspirez-moi, divinitésprotectrices des poètes, Muses, qui savez toutes choses, et que nepeuvent tromper les voiles de la vaste antiquité. Apprenez-moi dequelle contrée le fils de Coronis fut amené dans l’île qu’embrassele Tibre, et comment Rome le mit au nombre de ses dieux.

Jadis une contagion cruelle avait corrompul’air du Latium ; ses habitants erraient comme des spectreslanguissants. Fatigués de funérailles, voyant tous les effortshumains inutiles, et tout l’art de la médecine impuissant, ilsimplorent le secours céleste, et envoient à Delphes, située aumilieu du monde, consulter l’oracle d’Apollon. On invoque uneréponse favorable ; on le prie de sauver les Latins, et definir les malheurs de Rome. Alors le temple et le carquois du dieu,et le laurier qui le couronne, tout tremble à la fois, et, du fonddu trépied mouvant, sort une voix qui remplit tous les cœursd’épouvante :

« Romains, dit-elle, ce que vous demandezici, vous pouviez et vous devez le demander dans un lieu plus prèsde vous. Dans le deuil qui vous afflige, ce n’est point d’Apollonque vous avez besoin, mais du fils d’Apollon. Allez sous d’heureuxauspices, et appelez mon fils dans votre ville. »

Quand le sénat auguste a connu la réponse del’oracle, il s’informe du lieu où l’on adore le jeune filsd’Apollon, et des ambassadeurs partent pour Épidaure. Dès que levaisseau qui les porte a touché le rivage, ils se présentent devantle conseil des Grecs ; ils le prient de donner à Rome ce dieudont la présence dans l’Ausonie doit mettre un terme à tant defunérailles, et font connaître l’oracle infaillible qui l’aprononcé.

Les avis des Grecs sont partagés : lesuns pensent qu’on ne peut refuser le secours que Romedemande ; les autres, en plus grand nombre, conseillent de nepoint priver Épidaure d’un si puissant appui, et de ne pas livrerle dieu qui la protège.

Tandis qu’on délibère, le crépuscule succèdeaux derniers rayons du jour, et la nuit enveloppe la terre de sesombres. Le dieu salutaire, ô Romain qui viens le demander,t’apparaît au milieu de ton sommeil : tu le vois tel qu’il estdans son temple, tenant un bâton champêtre dans sa maingauche ; de la droite, caressant sa longue barbe, et, d’unevoix paisible, il t’adresse ces mots :

« Cesse de craindre : j’irai. Jechangerai les traits sous lesquels on m’honore. Regarde ce serpentdont les nœuds embrassent mon bâton : attache sur lui tesregards, pour bien le reconnaître : je prendrai sa forme, maisje serai plus grand, et tel qu’il convient aux corps célestes de semontrer. »

Soudain le dieu disparaît avec la voix ;avec la voix et le dieu le sommeil a disparu, et le jour suit lafuite du sommeil.

L’aurore avait chassé les astres de lanuit ; incertains de ce qu’ils doivent résoudre, le peuple etses chefs s’assemblent dans le riche temple du dieu : ils leprient de faire connaître, par des signes célestes, le séjour qu’ilveut habiter. À peine ils ont fini de prier, caché sous la formed’un serpent, le dieu lève sa tête émaillée d’or, et annonce saprésence par de longs sifflements. Il s’avance ; et la statue,et l’autel, et les portes, et le marbre du parvis, et le faite dorédu temple, sont ébranlés. Il s’arrête au centre, se dresse ets’élève de la moitié de son corps, et promène autour de lui desyeux étincelants. Le peuple frémit épouvanté. Le prêtre, dont desbandelettes de lin ceignent la tête, a reconnu la divinité, ets’écrie :

« C’est le dieu, c’est le dieului-même ! Mortels ici présents, adorez et priez. Et toi,divinité bienfaisante, que ton aspect nous soit propice, et protègeles peuples qui révèrent tes autels ! »

Chacun adore et répète les paroles du pontife.Les Romains invoquent Esculape, et le prient de la voix et du cœur.Favorable à leurs vœux, et pour annoncer qu’ils sont exaucés, troisfois il agite les écailles de sa crête, et, trois fois vibrée, salangue fait entendre trois sifflements. Alors, glissant sur lesdegrés du temple, il tourne en arrière sa tête, regarde les autelsantiques qu’il va abandonner, et salue sa demeure et son templeaccoutumés. Son corps immense serpente et roule en cercles sur laterre jonchée de fleurs ; il traverse la ville, et arrive auxremparts qui défendent le port ; il s’arrête : sesregards sereins s’attachent sur la foule qui l’a suivi avecrespect, et il monte, en rampant, sur le vaisseau latin. Le naviresent le poids de la divinité : les Romains se réjouissent dele voir pressé par un dieu ; ils immolent un taureau sur lerivage, et lèvent l’ancre qui retient la nef couronnée defleurs.

Un vent léger enfle les voiles. Le dieu seredresse, repose sa tête sur la poupe, et regarde les ondes. Levaisseau, sous la douce haleine des zéphyrs, vogue sur la merd’Ionie, et, au lever de la sixième aurore, il fend les flots quibaignent l’Ausonie. Il dépasse Lacinium, célèbre par le temple deJunon ; et le golfe de Scylacium ; s’éloigne del’Iapygie, laisse à gauche, à force de rames, les rochersd’Amphrise ; à droite les monts de Célennie ; côtoieRométhium, et Caulon, et Narycie ; surmonte tous les dangersde ces mers difficiles ; double le promontoire dePélore ; poursuit sa route devant le royaume d’Éole, devantTémèse, riche de ses métaux, devant Leucosie, et Paestum, au douxclimat, que parfument les roses. Il cingle vers Caprée, et lepromontoire de Minerve, et les collines de Sorrente, si fertiles envins généreux ; et la ville d’Héraclée, et celle de Stabies,et celle de Parthénope, séjour des doux loisirs. Il laisse derrièrelui le temple de la Sibylle de Cumes, Baïes et ses fontainesbrûlantes ; Literne, dont la campagne est couverte delentisques ; le Volturne, qui roule tant de sable avec sesflots ; Sinuesse, où l’on voit tant de blanchescolombes ; Minturne et son air pesant ; Caïète, où lepieux Énée ensevelit sa nourrice ; Formium, où régna le cruelAntiphate ; Thrachas, qu’un marais environne ; et laterre de Circé, et le rivage resserré d’Antium.

Les Romains tournent leurs voiles vers cerivage, car les flots de la mer étaient alors trop agités : ledieu déroule les cercles de son corps, se replie en immensesvolumes, s’étend, et entre dans le temple de son père, élevé surces bords. Quand le calme est rétabli sur l’onde, le dieud’Épidaure quitte les autels d’Apollon, et, après avoir joui del’asile paternel, il sillonne le sable de sa bruyante écaille,rampe vers le navire, s’appuie sur le gouvernail, et repose sa têtesur la poupe, jusqu’à ce qu’abordant Castrum, aux champs sacrés deLavinium, il se montre à l’embouchure du Tibre.

C’est là que tout un peuple, que les hommes etles femmes, et les vierges qui gardent les feux de Vesta, accourentau-devant du dieu, et le saluent de joyeuses clameurs. Tandis quele navire remonte rapidement les eaux du fleuve, des autels sontdressés sur les deux rives ; partout l’encens brûle, desnuages de parfums s’élèvent dans les airs, qui retentissent ;et la victime frappée échauffe le couteau de son sang. Enfin lenavire entre dans Rome, reine superbe du monde. Le serpent s’élèveen rampant au haut du mât ; promène autour de lui sa tête, etregarde quelle demeure il devra choisir.

Le Tibre, dans son cours, se divise en deuxparties : il laisse au milieu de ses flots un espace de terrequ’environnent deux bras d’égale largeur, et forme une île quiporte son nom. C’est là qu’en descendant du vaisseau latin, leserpent se retire. Il reprend sa figure céleste ; sa présencemet fin au deuil du Latium, et il devient le dieu conservateur deRome.

Mais Esculape n’est, dans nos temples, qu’undieu venu de l’étranger : César, né dans Rome, est dieu danssa patrie. Sans égal dans la guerre comme dans la paix, ce n’estpas plus à ses travaux guerriers achevés dans la victoire, au sagegouvernement de l’état, au cours rapide de ses conquêtes, qu’auxvertus de son fils, qu’il doit d’avoir été changé en comète, et debriller parmi les astres : car, dans tout ce que César a fait,sa gloire la plus éclatante est d’être père d’Auguste.

Est-il, en effet, plus grand d’avoir domptéles Bretons que protègent les mers, d’avoir conduit ses vaisseauxtriomphants sur le Nil, qui voit croître le papyrus, et se diviseen sept canaux, d’avoir soumis au peuple romain le Numide rebelle,Juba l’Africain, et le Pont, encore tout plein du nom deMithridate ; d’avoir obtenu quelquefois et souvent mérité leshonneurs du triomphe ; que d’avoir eu pour fils ce grand hommepar qui, ô dieux ! vous avez tout fait pour le monde, en lesoumettant à ses lois ? Afin qu’Auguste ne sortît pas d’unsang mortel, il fallait faire un dieu de César. Quand la mèred’Énée a vu se préparer l’apothéose du souverain pontife, quand, enmême temps, elle a vu les apprêts de sa mort cruelle, et lesconjurés aiguisant leurs poignards, elle pâlit d’épouvante, et,s’adressant à tous les dieux, qu’elle va trouver :

« Voyez, dit-elle, quels noirs complotssont tramés contre moi ! avec quelle fureur on attaque ledernier rejeton d’Iule et de mon sang ! Serai-je donc la seuledéesse toujours livrée à de justes alarmes ! Blessée par lalance calydonienne du fils de Tydée, j’ai vu tomber, mal défendus,les remparts de Troie. J’ai vu mon fils, battu par les tempêtes,errer longtemps sur les mers, descendre au séjour des ombres,soutenir de grandes guerres contre Turnus, et, s’il faut dire lavérité, de plus grandes guerres contre Junon. Mais pourquoirappeler aujourd’hui les antiques maux que les miens ontsoufferts ! La crainte de ceux qu’on prépare encore ne permetplus le souvenir de ceux qui sont passés. Vous voyez les glaivesimpies aiguisés contre moi. Ah ! détournez-les, je vous enconjure ; repoussez le crime, et ne souffrez point que le feusacré de Vesta s’éteigne dans le sang de son pontife. »

C’est ainsi que Vénus, dans son deuil, remplitle ciel de plaintes inutiles : mais les dieux en sontémus ; et, ne pouvant changer les décrets immuables des troisantiques sœurs, ils annoncent leur douleur par des signescertains.

On raconte qu’annonçant un grand crime, lecliquetis des armes fut entendu dans de noires nuées ; que leson terrible des trompettes et des clairons retentit dans les airs.Le dieu du jour voila son visage, et ne semblait donner à la terrealarmée qu’une pâle lumière. On vit souvent, au-dessous des astres,des torches flamboyantes ; souvent des gouttes de sangtombèrent mêlées avec la pluie. L’étoile brillante du matin offrit,sur son front, la couleur livide du fer, et le char de la luneparut ensanglanté. Le hibou, sombre oiseau du Styx, fit entendre,en mille lieux, de sinistres présages ; en mille lieux on vitpleurer l’ivoire. On dit que le silence des bois sacrés fut troublépar des chants lugubres et des voix menaçantes. Aucune victime neparaissait agréable aux dieux. La fibre interrogée annonçait degrands tumultes prochains. On trouva même, dans des flancspalpitants, la partie supérieure du foie coupée. On ajoute qu’onentendit, au milieu des ténèbres, des chiens hurlants dans leforum, autour des maisons et des temples des dieux. On vit errerdes mânes silencieux, et la ville ébranlée trembla sur sesfondements.

Mais les avis des dieux ne peuvent ni prévenirla trahison, ni vaincre les destins qui vont s’accomplir. Desglaives nus sont portés dans le sénat, qui s’assemble au palais dePompée ; et, dans Rome, aucun autre lieu n’a paru préférablepour le meurtre de César.

Alors Vénus frappe son sein d’albâtre de sesdeux mains. Elle veut envelopper César du nuage éthéré dans lequelelle enleva Pâris à la fureur de Ménélas, et déroba Énée au glaivede Diomède. Mais son père lui parle en ces termes :

« Ma fille, prétends-tu seule surmonterle destin insurmontable ? Entre, tu le peux, dans le palaisdes trois sœurs : tu y verras le sort des mortels gravé surdes tables de fer et d’airain, immuables, éternelles, qui braventet le choc des cieux et mes foudres terribles, et ne craignent niruine, ni changement. Tu y trouveras, écrits sur le diamant, quirésiste aux siècles, les destins de tes descendants : moi-mêmeje les ai lus et recueillis dans ma mémoire : je vais te lesapprendre, afin que tu n’ignores plus l’avenir de ta postérité.

« Ô ma fille, celui pour qui tut’affliges a rempli les temps qui lui furent donnés ; César aachevé les jours qu’il dut à la terre : il faut que César soitreçu parmi les dieux du ciel, et qu’il ait, dans le monde, desautels. Ce seront tes soins, et ceux de son fils, qui, héritier deson nom, portera seul, après lui, le poids de l’empire. Il vengera,dans les champs de Mars, la mort de son père, et aura pour lui soncourage et les dieux. Modène assiégée, et ne pouvant plus sedéfendre, lui devra son salut. Pharsale le verra ; les champsde Philippes seront encore teints du sang des Romains. Iltriomphera d’un grand nom dans les mers de Sicile. Une reined’Égypte, fière d’être la femme d’un général romain, tombera dansson fol orgueil, et aura menacé en vain d’asservir à Canope notreCapitole.

« Qu’est-il besoin de dénombrer lesnations barbares qu’embrassent les deux océans ? Tous lespeuples de la terre obéiront à ses lois, et la mer lui serasoumise.

« Lorsque il aura donné la paix à laterre, il appliquera ses soins aux lois civiles. Législateur justeet sage, c’est par son exemple qu’il réglera les mœurs :étendant ensuite ses regards sur les temps à venir, et sur sapostérité, il ordonnera que le fils de sa chaste épouse porte enmême temps son nom et son empire ; et, lorsque ses annéesauront égalé ses actions, enlevé aux demeures éthérées, il prendraplace auprès de ses aïeux.

« Va cependant recevoir l’âme de César,prête à s’échapper dans le meurtre qui se prépare ; fais-en unastre tutélaire, et que le dieu Jules veille, du haut du ciel, surle forum et sur le Capitole. »

Jupiter se tait : Vénus, invisible à tousles yeux, descend et s’arrête au milieu du sénat. Elle sépare ducorps de César l’âme de ce grand homme, et, l’empêchant des’évaporer dans les airs, l’emporte vers les astres. En s’élevant,la déesse la voit s’embraser, se ceindre de feux éclatants, et lalaisse échapper de son sein. Ce nouvel astre s’envole au-dessus dela lune, et brille en étoile, traînant, dans un long, espace, unechevelure enflammée. C’est du ciel que voyant les hauts faitsd’Auguste, César avoue qu’ils sont au-dessus des siens, et qu’il seréjouit d’être surpassé par lui.

Mais quoique Auguste défende qu’on préfère sesactions à celles de son père, la renommée, libre, et qui nereconnaît point de lois, leur donne, malgré lui, la préférence, et,sur ce point seul, s’obstine à lui être contraire. Ainsi le fierAtride est moins illustre qu’Agamemnon ; ainsi Théséel’emporte sur Égée ; ainsi Achille s’élève au-dessus dePélée ; et, pour citer des exemples dignes, par leur grandeur,de mon sujet, ainsi Saturne est inférieur à Jupiter. Jupitercommande dans le ciel et règne sur les trois mondes ; la terreest soumise à Auguste : tous deux sont souverains et pères del’Univers.

Dieux, compagnons d’Énée, qui, avec lui, vousouvrîtes un chemin à travers le fer et la flamme ; dieuxindigètes ; Quirinus, fondateur de l’empire romain ;Mars, père de l’invincible Romulus ; Vesta, consacrée parmiles pénates de César ; Apollon, qu’on voit, avec Vesta, aunombre de ses dieux domestiques ; et toi, Jupiter Tarpéien,dont l’autel est dans le Capitole ; et vous tous, dieuximmortels, qu’il est permis, et qu’il convient aux poètesd’implorer : ah ! retardez et reculez loin de notre âgele jour où, abandonnant le monde qu’il gouverne, Auguste iras’asseoir parmi les dieux ! et qu’alors il reçoive etaccueille les vœux des mortels.

Enfin, je l’ai achevé cet ouvrage que nepourront détruire ni la colère de Jupiter, ni les flammes, ni lefer, ni la rouille des âges ! Qu’il arrive quand il voudra cejour suprême qui n’a de pouvoir que sur mon corps, et qui doitfinir de mes ans la durée incertaine : immortel dans lameilleure partie de moi-même, je serai porté au-dessus des astres,et mon nom durera éternellement. Je serai lu partout où les Romainsporteront leurs lois et leur empire ; et s’il est quelquechose de vrai dans les présages des poètes, ma renommée traverserales siècles ; et, par elle, je vivrai.

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