Lettres de ma chaumière

VEUVE

 

À M. Paul Bourget.

 

Je me préparais à sonner au presbytère, quandla porte s’ouvrit. Je dus m’effacer pour livrer passage à une femmeen deuil qui sortait. Elle me parut très pâle sous son voile decrêpe anglais, mais il me fut impossible de distinguer ses traits.D’ailleurs, elle passa rapidement, reconduite par le curé jusqu’àla voiture – une vieille calèche de campagne attelée d’un grospercheron – qui stationnait à la porte.

– Ainsi, monsieur le curé, c’est bienentendu comme cela ? Voyons, nous n’avons rienoublié ?

– Je ne crois pas, madame lamarquise.

– Faudra-t-il vous envoyer quelqu’un dela ferme pour vous aider, monsieur le curé ?

– Merci, merci, madame la marquise…Gaudaud, mon sacristain, est habitué… Je l’emmènerai.

– Eh bien ! au revoir, monsieur lecuré.

– Je vous présente mes respects, madamela marquise.

Le curé referma la portière, et la voiturepartit, dans un bruit de ferrailles, vénérable et disloquée.

– Quelle bonne dame ! me dit levieux curé, comme nous entrions au presbytère. Si celle-là ne vapas tout droit en paradis, c’est que personne n’ira.

– Qui est-ce donc ? demandai-je. Ilme semble que cette figure ne m’est pas inconnue.

– C’est Mme la marquise dePerseigne.

– Comment, la marquise dePerseigne ? la célèbre et belle marquise dePerseigne ?

– Oui. Depuis son malheur, elle habite,pas loin d’ici, une espèce de ferme qui lui appartient de sa mère,et qu’elle n’a même pas pris la peine d’aménager en maisonbourgeoise. Et elle vit là, toute seule, ne s’occupant que decharités… Justement elle venait aujourd’hui régler avec moi lesdispositions de la semaine. Ah ! avec Mme lamarquise, je vous affirme que la cure de Saint-Sulpice n’est pasune… sinécure, conclut le curé qui de temps en temps aimait à rire.Et dites-moi, mon jeune ami, que faisons-nous enpolitique ?…

** *

Cela n’étonna personne à Paris, quand lanouvelle du mariage de Jacques, marquis de Perseigne, et de lacomtesse Marcelle de Savoise, née des Radrays, fut officiellementconnue. Il n’était que temps. Dans les salons où l’on jase, oncommençait à trouver que l’affaire durait, durait… Même il s’enétait fallu de peu – de la largeur d’une langue de femme – que l’onne causât sérieusement, et que la malveillance ne quittât ledomaine de l’allusion timide, pour entrer dans celui de la brutaleaffirmation. « Ah ! c’est un vraisoulagement ! », avait dit Mme de Grandcœur, àqui on ne donnait pour le moment que quatre amants : unbanquier israélite, un général de cavalerie, un sportsman et uncomédien sans compter le mari, lequel, encore que sénateur, nepassait point pour la cinquième roue de ce carrosse si bien attelé.Du reste, de toutes parts, on approuva et on applaudit. Nom,fortune, jeunesse, beauté, tout en cette union paraissait le mieuxdu monde assorti. L’amour lui-même la parfumait ; l’amour,cette fleur douloureuse, qui souvent n’éclôt que dans les larmes,l’amour, cette fleur rare, qui, si rarement, fleurit au front desnouveaux époux.

Le mariage fut célébré à Sainte-Clotilde engrandissime pompe. Il y eut orgie de fleurs et de cierges,toilettes folles, chants d’orgue délicieusement énervants, et SaGrandeur Mgr de Parabère, le plus jeune et le plus joli prélat deFrance, prononça, au milieu de l’assistance pâmée, une allocutionqui fut jugée divine, et que trois reporters, qui ne l’avaientpoint entendue, prétendirent être tout animée du souffle le pluschrétien et de la mondanitéla plus exquise. Entre desénumérations de noms mal orthographiés ou de pure fantaisie, cesmêmes reporters remarquèrent aussi que le marquis de Perseigne etla comtesse de Savoise avaient la gravité émue et la solennitéinquiète qui conviennent aux grands bonheurs. Donc, rien ne manquaet ce fut charmant. Et les dernières lumières de l’église éteintes,et le lunch terminé, et les nouveaux mariés enfuis, on pensa àd’autres choses, c’est-à-dire qu’on ne pensa plus à rien, ce quiest, à Paris, et dans ce milieu, la façon de penser la pluscommunément répandue.

Marcelle des Radrays avait, à dix-huit ans,épousé le comte de Savoise, l’unique héritier du nom célèbre et dela belle terre de Savoise en Normandie. Très joli homme, mince etblond, de manières correctes et parfaitement élégantes, d’uneignorance aussi complète que possible et d’une insignifianced’esprit qui lui faisait accepter, sans réflexion et sans révolte,les modes du jour, les idées reçues du moment et, en général,toutes les opinions bien portées, le comte de Savoiseétait ce qu’on appelle, dans les milieux spéciaux du chic,un gentleman accompli. Il montait en perfection ;aucun n’était plus habile que lui à mener un drag et à courre uncerf, et, dans les réunions sportives où il se prodiguait, lui, sesvoitures et ses chevaux, on ne cessait d’admirer l’harmoniedélicate de ses pantalons, la suavité de ses boutonnières fleuries.On le citait en toutes occasions. Il s’en montrait très fier, et safemme l’adora.

En cet amour, Marcelle avait apporté, sanscompter, tous les trésors de bonté passive et de vertu soumise quiétaient en elle. Elle ne voyait que son mari, n’entendait que lui,n’était heureuse que par lui, et, bien qu’elle fût très belle et,partant, très courtisée, elle passait, au milieu des hommages dumonde, indifférente à ce qui n’était pas son mari, sourde à ce quine venait pas de lui, sans retourner la tête, une seule fois, auxdésirs qui suivaient la traîne de ses robes et toujours voletaientautour d’elle. Ce qui faisait dire aux femmes, avec des moues deléger dédain, que « la petite » manquait d’esprit, commesi la bonté et la vertu n’étaient pas le véritable esprit de lafemme. Marcelle eut ainsi trois années d’un bonheur que pas unnuage ne vint, un seul instant, assombrir.

Un jour, à la chasse, le comte de Savoise,sautant un mur, tomba de cheval si malheureusement qu’on le ramenaau château, le visage sanglant, le crâne fendu, se mourant. Ilsuccomba dans la nuit. De ce coup terrible et si imprévu, on crutque Marcelle deviendrait folle. Elle ne pouvait arracher ses yeux àla vision horrible de ce cher cadavre. Hagarde, elle suppliaitqu’on l’ensevelît avec lui. Pendant plusieurs jours, en proie à desattaques de nerfs, elle emplissait le château de ses cris dedouleur. Cette première crise apaisée, la pauvre femme s’abîma enune prostration qui avait tout l’effrayant et tout l’inquiétant dela mort. Elle demeurait, des journées et des nuits entières,couchée sur sa chaise-longue, la tête vide, les yeux fixes, labouche ouverte, les lèvres froides et raidies, immobile ainsiqu’une statue de cire. Refusant les soins de sa femme de chambre,ne prenant aucune nourriture, ne parlant pas, ne dormant jamais,Marcelle, dans le néant de sa vie semblait attendre le néant de lamort. Elle ne mourut point, pourtant. Peu à peu, et sans efforts,le passé qu’elle se prit à revivre, les souvenirs qu’elle se prit àrappeler, un par un, lui coulèrent dans l’âme quelque chose de ladouceur indécise et triste d’un rêve. Et, comme il ne se mêlait àses souvenirs que des images riantes, des résurrections de joiestranquilles et sans remords, au bout d’une année, la douleurs’endormit, en quelque sorte bercée par sa tendresse même.

Ce fut vers cette époque que Jacques dePerseigne, au retour d’un long voyage à travers le monde, s’en vintpasser tout un été chez sa mère, à Perseigne. Perseigne n’étaitéloigné de Savoise que d’une lieue. De même que les deux domainesse touchaient, se confondaient presque, de même une étroiteintimité unissait les deux familles qui, durant les mois devillégiature, avaient accoutumé de se voir, à peu près chaque soir.La marquise, surtout après le malheur de Marcelle, avait redoubléde dévouement, et cette affection vigilante, mêlée de tendresses etde bourrades, ces caresses endormeuses qu’ont les vieilles gens,avaient été pour beaucoup dans l’apaisement des souffrances de latriste veuve. Aussi, en ce grand château, maintenant si abandonné,Marcelle se trouvait-elle presque heureuse, entre la marquise dePerseigne, qui essayait de ramener le sourire à ses lèvres pâlies,et Jacques, qui la regardait de ses yeux doux et profonds,l’intéressait en lui contant ses aventures et ses travaux.

Jacques avait-il aimé la comtesse deSavoise ? On le disait, mais on n’en savait rien. Il est vraique son brusque et si long voyage ressemblait bien à un exil, etl’on pouvait croire qu’il ne l’avait entrepris que pour se guérird’un amour impossible. Il s’expliquait aussi par le caractèrenaturellement mélancolique de ce très particulier jeune homme, etle dégoût qu’il avait sans cesse manifesté pour l’existence servilequi va des amitiés menteuses des clubs aux vaines amours dessalons. Un poète de ses amis avait dit de Jacques : « Ily a en lui du lion, du fakir et de la sensitive. » Du lion, ilavait les colères superbes ; du fakir, les contemplationsentêtées ; de la sensitive, les exaltations, lesdécouragements et les larmes.

Il détestait le monde parce qu’il n’y trouvaitrien de ce qu’il cherchait dans la vie : des idées, descroyances, des dévoûments. Et il n’y rencontrait que des bavardagesodieux, des préjugés, des rancunes, des abdications morales, descomédies d’alcôve, et des drames d’écurie, tout un scepticismepourrissant, mal dissimulé sous l’hypocrisie des protestationstimides et des lâches révoltes. Ces races épuisées, à qui, aumilieu de l’effarement du siècle, il ne restait que la conceptiondu plaisir, et qui, sans remords, sans luttes, assistaient àl’agonie définitive de leur histoire, n’étaient plus, pour lui, queles courtisans avilis du Million cosmopolite, les pèlerins apostatsde ces temples nouveaux, aux sommets desquels, brille, non pas laCroix de rédemption, mais le Chiffre d’or. Et c’était avec undéchirement de son âme tourmentée par le beau, qu’il voyait cettesociété, dégringolant dans l’abîme au bruit des orchestres et desfêtes, emportée par un vertige d’imbécillité et de folie.

Marcelle, écoutant cette voix chaude etvibrante, tantôt enflée comme un tonnerre, tantôt caressante commeun chant d’oiseau, se trouvait profondément troublée et remuée danstout son être. Un monde de sensations et d’idées nouvelles se levadu fond de son cœur, se dressa devant son esprit. Et un beau soir,elle découvrit, sans un scrupule, sans une pensée pour le mortqu’elle avait tant pleuré, – elle découvrit avec une joiedélicieuse, qu’elle aimait. Comme elle avait aimé Savoise, ce jeunehomme futile et banal, elle aima Perseigne, ce jeune homme grave etmystérieux, et, par cette prodigieuse et inconsciente intelligencedes situations qu’ont les femmes, son amour, qui n’avait pointdépassé le pauvre idéal de Savoise, monta d’un coup d’ailes jusqu’àla hauteur de cet esprit rare, de cette âme d’élite qui étaitJacques de Perseigne.

La belle saison finie, Marcelle rentrait àParis. Quelques mois après, ainsi qu’on l’a vu, elle semariait.

** *

C’est le soir dans leur hôtel de la rue Barbetde Jouy. Ils sont seuls, tous les deux, oh ! bien seuls !Marcelle, assise derrière un paravent à fleurettes pâles, le brasaccoudé à la liseuse, lit un livre, distraitement. Ses paupièressont un peu rougies et gonflées. Est-ce la fatigue ? On diraitqu’elle a pleuré. Jacques renversé dans un fauteuil, les mainspendantes, une cigarette éteinte entre les doigts, semble suivre,d’un œil accablé, les dessins qui courent sur les poutrelles doréesdu plafond, et le reflet rose et vert des lampes qui, de place enplace, se joue sur les tentures et éclaire des coins de chosesétranges, noyées d’ombre.

Un an à peine a passé depuis leur mariage. Etils ne se disent rien, comme s’ils craignaient de réveiller destristesses endormies ; et ils ne se regardent pas, comme s’ilsavaient peur d’apercevoir au fond de leurs regards des pensées dedouleur, montant sur un flux de larmes. Et l’on n’entend rien, dansce grand salon, que le froissement des feuillets du livre queMarcelle retourne toutes les cinq minutes, et les heures qui,jadis, furent si brèves et qui maintenant sonnent si longues, entredes éternités de silence.

Pourtant ces deux êtres qui sont là, tristeset mornes, ainsi que les ménages coupables ou ceux que la lassitudeest venue séparer de chair, comme elle les a déjà séparés d’âme,ces deux êtres s’adorent. Jeunes, bons, ardents, Dieu les avaitcréés pour la joie de vivre et pour les célestes ivresses despassions bénies. Il n’était pas possible qu’une seule année eûtvidé leur cœur de tout l’amour qu’ils y avaient entassé.

Non, ils s’adorent comme au premier jour, plusqu’au premier jour même, et pourtant ils comprennent que leurbonheur est à jamais perdu, et qu’elles sont défuntes à jamais, lesespérances promises d’un avenir si beau. Jacques est jaloux, nond’un homme vivant, mais d’un mort, et, dès le lendemain de sonmariage, une image s’est dressée entre sa femme et lui, une imageimplacable et maudite, l’image du premier mari.

Quand cette vision, subitement, se présenta àlui, il éprouva au cœur une serrée douloureuse, puis comme unétranglement dans la gorge. Il crut qu’il allait défaillir. Ainsicette femme, sa femme à lui, Marcelle enfin, n’était pas tout àlui. Un autre l’avait possédée, et c’était cet autre qui avaitéveillé la femme dans la jeune fille et bu, à s’en griser, lesprémisses délicieuses du plaisir ignorant et révélé ! Cequ’elle lui avait dit, lèvres à lèvres, elle l’avait dit à unautre. Ces baisers, ces étreintes, ces abandons, cette impudeursuperbe de la femme qui se donne, tout ce par quoi il venait d’êtreaffolé ? Une habitude, une continuation. Ainsi elle sortaitdes bras d’un homme, souillée ; et retombait dans les brasd’un autre homme, prostituée, sans une hésitation, sans un remords,sans une révolte, pareille à la femme de l’Écriture qui essuya seslèvres et dit : « Je n’ai pas mangé. » Et c’étaitmaintenant seulement qu’il pensait à cela, à cela,l’irréparable ! Il essaya de raisonner. Marcellel’aimait ; que craignait-il ? Marcelle l’aimait.Ah ! l’autre était enterré dans le cœur de Marcelle plusprofondément encore que dans le caveau de la chapelle de Savoise.Marcelle l’aimait, Marcelle l’aimait… Et il se répétait ces mots, àhaute voix, comme si la vertu de leur charme dût éloigner lesfantômes qui les enfonçaient dans la chair leurs serres griffantes…Mais ce fut en vain qu’il fit appel à la raison. La jalousiel’avait mordu au cœur et le poison coulait, coulait à plein, en sesveines.

À partir de cette heure détestée, Jacquesavait compris que sa vie était désormais brisée. Cependant, il sepromit bien de cacher le trouble de son âme à la pauvre femme quin’était point, elle, coupable de cette folie de délicatesse.Hélas ! cache-t-on quelque chose au cœur des femmesaimantes ? Marcelle ne fut pas longtemps à deviner la cause dumal qui rongeait Jacques et mettait autour de ses yeux brillants defièvre, ce cerne bleu des gens qui vont mourir. Elle en demeuracruellement atteinte. Mais elle espéra aussi qu’à force detendresses, de soumissions et de dévouements, elle parviendrait àpanser les blessures de cette âme et à ramener le calme dans cetesprit torturé.

– Je suis un vilain égoïste, ma chèreMarcelle, disait Jacques, et je vous prive de toutes lesdistractions. Retournons dans le monde, voulez-vous ?

Marcelle voulait ce que voulait son mari. Tousdeux d’ailleurs, comptaient que le bruit du monde, le brouhaha dela vie de plaisirs, les occupations multiples, incessantes,auxquelles cette existence vous astreint, l’étourdiraient, ledistrairaient de cette pensée unique, et finiraient par chasserl’image implacable. Mais, là, l’image grandissait, liée plusétroitement encore à celle de Marcelle. Sa femme, n’était-elle pasainsi, jadis, avec Savoise, qui l’entraînait à toutes lesfêtes ? Et il la revoyait à son bras, parée du même sourire etdu même bonheur. Et puis ces yeux qui la dévisageaient, lafouillaient, la déshabillaient, ses hommages du monde au fonddesquels s’allument les désirs adultères et qui laissent tombertant d’ordure autour de la femme qu’on admire, tout cela exaltait,exaspérait sa folie au point que, bien souvent, des ivresseshomicides flambèrent dans son cerveau.

Son existence devint intolérable, martyriséepar le supplice qui le dévorait, le tenaillait, et lui faisait desnuits d’insomnies, pleines d’épouvantes. Chaque être, chaque chose,chaque manifestation de la vie, lui étaient une douleur. Ilassociait à tout l’idée de sa femme et de Savoise. Il ne pouvaitpasser devant un théâtre, un restaurant, un magasin, qu’il ne reçûtaussitôt au cœur un coup affreux, car il se disait que Marcelles’était certainement montrée là, avec l’autre, et il retrouvaitleurs attitudes, leurs gestes, et il entendait ce qu’ils s’étaientmurmuré.

Son égarement devint tel qu’il rechercha lesoccasions de savoir, prit des détours ingénieux pour interroger, etil connut d’effroyables jouissances à retrouver les baisers del’autre, dans ses baisers, à elle, son odeur à elle, dans son odeurà lui. L’autre ! l’autre ! l’autre emplissait le bruit,le silence, la minute brève, l’heure lente, de son obsédante image.Pas un coin si lointain, si bien caché où l’autre ne fût toujoursvisible et toujours triomphant. Jacques rêvait de s’en aller dansdes pays inconnus, ou bien de se retirer, au fond d’une campagne,perdue en un petit village de paysans, où il aurait bêché laterre.

Et c’est pourquoi, dans le grand salon del’hôtel de la rue Barbet-de-Jouy, ils ne se disaient rien, pourquoiils ne se regardaient pas, pourquoi les heures sonnaient silongues, entre des éternités de silence.

** *

Marcelle referma son livre, se leva lentementet s’approcha de Jacques, qui n’avait point bougé et semblaitsommeiller.

– Jacques, dit-elle, d’une voixtendre.

Il se souleva à demi, prit les mains de safemme qu’il baisa et l’attira tout près, tout près de lui.

– Pauvre chère femme ! murmura-t-il.Pardon, pardon.

Marcelle lui ferma la bouche d’un baiser. Ellese pelotonna, se fit toute petite, et laissant tomber sa tête surl’épaule de son mari, elle soupira :

– Je t’aime !

Elle lui passa les bras autour du cou et leserra dans une douce et passionnée étreinte.

– Je t’aime, répéta-t-elle.

Mais Jacques essaya de se dégager. Subitementses yeux avaient pris une expression hagarde, sa voixtremblait :

– Laissez-moi, laissez-moi. Parpitié ! laissez-moi !

Et Marcelle, l’enlaçant plus fort, la bouchetout près de ses lèvres, répéta encore :

– Je t’aime.

– Mais laissez-moi donc ! cria-t-il.Vous voyez bien que vous me faites du mal… Ah ! va-t-en,va-t-en.

La jeune femme, agenouillée maintenant auxpieds de son mari, disait toujours :

– Je t’aime.

Alors Jacques, éperdu, poussa un cri sauvage.Et crachant au visage de Marcelle, il la souffleta.

Pas un pli de ce beau visage n’avait remuésous l’insulte. Les yeux seulement s’humectèrent de larmes ;la voix se fit plus douce encore et plus câline. Elle prit lesmains qui l’avaient frappée, et les baisa ; elle mit sa bouchesur la bouche qui lui avait vomi l’outrage, et la baisa. Puis elledit :

– Écoute-moi, mon Jacques adoré. Si pourton repos, si pour ton bonheur, si pour ta vie, il faut que jemeure… Oh ! tue-moi, je t’appartiens. Morte, tu m’aimeraspeut-être comme tu eusses voulu m’aimer, je serai devenue la femmeque tu avais rêvée, la femme que vivante, je ne puis être… Le corpsqui te renvoie sans cesse l’image, le corps pourrit et s’efface,mais l’âme reste, plus pure, plus belle… Qu’importe de mourir, sila mort est pour toi la vie qui s’ouvre, si la mort est pour nousl’amour qui commence !

Jacques se précipita dans les bras de safemme. Et longtemps, longtemps ils sanglotèrent…

Le lendemain matin, le domestique, en entrantdans la chambre de son maître, le trouva étendu sur le tapis, uncouteau planté dans le cœur.

** *

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