Voyage du Prince Fan – Federin dans la romancie

CONCLUSION

Catastrophe lamentable.

O que les choses humaines sont sujetes àd’étranges vicissitudes ! Nous étions le grand paladin et moideux grands princes, fameux héros, montés sur deux superbespalefrois. Des brides d’or, des selles et des housses ornées deperles et de diamans relevoient la magnificence de notre train. Lesharnois de notre équipage n’étoient guéres moins riches. L’or,l’argent et les pierreries y brilloient de toutes parts, etrépondoient à la richesse de nos livrées. Tous nos officiers sefaisoient sur tout remarquer par leur bonne mine, et se seroientmême fait admirer, si l’avantage que nous donnoit notre air nobleet gracieux n’avoit attiré sur nous tous les regards. Nousmarchions ensemble aux deux côtés d’une magnifique calêche, dont larichesse effaçoit tout ce qu’on peut imaginer de plus beau. Quatrecolonnes d’or autour desquelles on voyoit ramper une vigned’émeraude, dont les grappes étoient de rubis et de saphirs,soutenoient l’impériale, et l’impériale elle-même étoit si belle,qu’elle faisoit honte au firmament. Dans le fond d’un si beau charbrilloient nos deux princesses pour le moins autant que deux desplus beaux astres du ciel ; l’éclat de leur beauté relevé parun air de satisfaction qui animoit leurs beaux yeux, ébloüissoittout le monde. On n’avoit jamais vû en hommes et en femmes unassemblage si complet de perfections, grandes et petites. Lesacclamations des peuples nous acompagnoient par tout. Noustrouvions tous les chemins semés de fleurs, l’air parfumé d’odeursexquises, et de distance en distance des chœurs de musique quichantoient nos exploits et la beauté de nos princesses. Enfin aprèsavoir déja fait un chemin assez considérable, je me croyois sur lepoint d’arriver au terme, lorsqu’un instant fatal me ravit un siparfait bonheur ; mais pour bien entendre ce cruel événement,il faut reprendre la chose de plus haut, et prévenir les lecteursque je vais changer de ton.

Il y a dans le fond du Languedoc ungentilhomme nommé M De La Brosse, qui retiré dans sa terre, jointaux amusemens de la campagne celui de la lecture qu’il aimepassionnément. Quoiqu’il sçache préférer les bons livres auxmauvais, il ne laisse pas de lire quelquefois des romans, moins parl’estime qu’il en fait, que parce qu’il aime à lire tous leslivres. Ce gentilhomme a une sœur qui vient d’épouser un autregentilhomme du voisinage appellé M Des Mottes ; et pour faireune double alliance, M De La Brosse a épousé en même tems la sœurde M Des Mottes. Tandis que ce double mariage se négocioit, etlorsqu’il étoit déja à la veille de le conclure, M De La Brosseayant la tête remplie d’une longue suite de romans qu’il avoit lûsrécemment, rêva dans un long et profond sommeil toute l’histoirequ’on vient de lire. Après s’être métamorphosé en PrinceFan-Férédin, il fit de M Des Mottes un grand paladin Zazaraph. Ilchangea sa sœur en Princesse Anemone, sa maîtresse en PrincesseRosebelle, et composa tout le beau tissu d’avantures qu’il vient deraconter. Or ce gentilhomme, ci-devant Prince Fan-Férédin ;c’est moi-même ne vous en déplaise, et jugez par conséquent quelfut mon étonnement à mon réveil de me retrouver M De La Brosse. Jedemeurai si frappé de la perte que j’avois faite, que pendant toutela journée je ne pus parler d’autre chose ; et M Des Mottesm’étant venu voir le matin : ah Prince Zazaraph, lui dis-je,que nous avons perdu tous deux ! Comment se porte la PrincesseRosebelle ? Avez vous vû la Princesse Anemone ? Que ditesvous de la folie de Rigriche ? ô les beaux diamans ! Quej’ai de regret à ce bracelet ! Arriverons nous bien-tôt dansla Dondindandie ?

Il est aisé de penser que de tels proposétonnerent étrangement M Des Mottes, et je vis le moment qu’ilalloit croire que la tête m’avoit tourné, lorsqu’un grand éclat derire que je fis le rassura. Il se mit à rire lui-même en medemandant l’explication de ce que je venois de lui dire. Non, luirépondis-je, c’est une longue histoire que je ne veux raconter quedevant un auditoire complet. Nous devons dîner aujourd’hui tousensemble ; après le dîner je vous régalerai du récit de mesavantures, et même des vôtres que vous ignorez. Je tins parole, etmon histoire ou mon songe leur fit à tous un si grand plaisir, quedepuis ce tems-là, pour conserver du moins quelques débris de notreancienne fortune, nous nous appellons encore souvent en plaisantantles Princes Fan-Férédin et Zazaraph, et les Princesses Anemone etRosebelle. On a de plus exigé de moi que je mîsse mon histoire parécrit. Ami lecteur vous venez de la lire. Je souhaite qu’elle vousait fait plaisir.

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