L’Effrayante aventure

L’Effrayante aventure

de Jules Lermina

Partie 1
COXWARD EST-IL COXWARD ?

I – Le crime de l’Obélisque

Vers onze heures du matin, par un doux soleil de printemps – on était au commencement d’avril, le 2, pour bien préciser – tout à coup des hurlements éclatèrent dans la rue Montmartre, à proximité du boulevard, tandis qu’une foule de coureurs rapides, mais peu élégants, se ruaient du coin de la rue du Croissant, les uns vers le carrefour, les autres dévalant vers les Halles, mais tous glapissant des sons aigus, incohérents, à travers lesquels l’oreille déchirée cependant percevait des fragments de mots sinistres :

– Le crime de l’Obélisque… D’mandez le Nouvelliste, édition spéciale. – Horribles détails.

Après quelques hésitations – car combien de fois n’avait-on pas été mystifié par la rouerie des camelots !– quelques-uns achetaient la feuille, l’examinaient, puis subitement entourés, s’arrêtaient sur place comme médusés, et lisaient au milieu d’un groupe d’où émergeaient des facesanxieuses…

– Oui, oui !… un crime !… unassassinat !… De qui ?… On ne sait pas… L’assassin est-ilarrêté ?… Je t’en fiche !…

Voici l’article court mais sensationnel quimotivait cette émotion :

« Ce matin, à quatre heures et demie, àl’heure où Paris désert appartient aux balayeurs et n’est sillonnéque par des haquets[1] d’arrosage,un journalier, M. H… se rendait à son travail et, pouratteindre les chantiers de la Madeleine, traversait, venant deGrenelle, la place de la Concorde, quand tout à coup, du trottoirdes Tuileries par lequel il la contournait, ses outils surl’épaule, il lui sembla apercevoir, au pied de l’Obélisque, un peuau-dessus du sol, quelque chose d’anormal.

« Il passait d’ailleurs, sans plus sepréoccuper de ce détail, quand, s’étant retourné une dernière fois« pour se rendre compte », il lui sembla que ce – quelquechose – avait forme humaine.

« Il se décida alors à traverser etmarcha tout droit vers le monolithe, et quelle ne fut pas sasurprise quand, n’étant plus qu’à quelques pas, il reconnut quel’objet qui avait attiré son attention était un corps humain,appuyé debout devant la grille et dont les pieds ne touchaient pasle sol.

« Pris de peur et redoutant d’être mêlé àune mauvaise affaire, l’ouvrier avait fait volte-face ets’éloignait, quand le hasard voulut qu’il croisât deux agents deville. Ceux-ci, frappés du trouble de sa physionomie,l’interpellèrent et, ahuri, trouvant difficilement ses mots, illeur fit part de son étrange découverte, et tous trois revinrentvers l’Obélisque.

« Il ne s’était pas trompé : c’étaitbien le corps d’un homme qui se trouvait accroché aux piques de lagrille, la tête penchée en dedans de la clôture.

« Tout d’abord on crut qu’il s’agissaitd’un cas de pendaison, de suicide probablement ; mais quandles sergents de ville essayèrent de soulever l’homme afin dechercher le lien et le couper, ils s’aperçurent que leursupposition était mal fondée.

« Le corps était suspendu sur deux despiques de bronze qui avaient pénétré dans la poitrine, siprofondément que, malgré tous leurs efforts, les trois hommes neparvinrent pas à soulever suffisamment le cadavre pour ledégager.

« En vain l’un des deux sergents de villesauta par-dessus la grille sur le soubassement de granit : ilvit bien la tête de l’homme, couverte de sang coagulé qui formaitsur la face un masque rouge, mais il lui fut impossible de dégagerle thorax des pointes qui le transperçaient.

« Comme par miracle, des passants avaientsurgi de toutes parts et formaient groupe autour du mort. Lessergents de ville lancèrent des coups de sifflet d’appel et bientôtdeux autres agents arrivèrent et fendirent la foule. Quand ilseurent constaté le fait, un d’eux se détacha pour aller prévenir lecommissariat.

« Ainsi un quart d’heure se passa. Enfin,M. Richaud, le sympathique commissaire du quartier, arriva,accompagné de l’officier de paix et des hommes du poste.

« S’aidant les uns les autres, ilsparvinrent enfin à enlever le corps qu’ils étendirent sur letrottoir.

« Au premier coup d’œil, il apparut quece n’était pas celui d’un Français. La coupe et l’étoffe desvêtements étaient anglais, à n’en pas douter. La face, rapidementlavée et dégagée des caillots de sang qui la cachaient, étaitlarge, glabre, avec les mâchoires proéminentes, de caractère saxoncertainement.

« Le crâne portait, à la partie frontale,une effroyable blessure, causée évidemment par un instrumentcontondant. Des parcelles de cervelle giclaient hors de laplaie.

« Le corps a été transporté aucommissariat et les autorités ont été prévenues. M. Davaine,le chef de la Sûreté, vient d’arriver et procède à une premièreenquête. On attend M. Lépine d’un moment à l’autre…

« Il ne nous appartient pas d’insistersur les bruits qui se répandent : notre discrétion bien connuenous faisant un devoir de ne pas risquer d’entraver les recherchesde la justice.

« Cependant, d’après l’examen du cadavreet quelques indices déjà recueillis, voici ce qui semble d’ores etdéjà à peu près établi : le mort appartiendrait au monde dusport. Probablement à la suite de quelque querelle, il aurait étéassommé, à l’aide d’un marteau, ou peut-être d’une clef anglaise.Son meurtrier, aidé de quelques complices, aurait transporté lemoribond sur la place et on aurait tenté de jeter le corpspar-dessus la clôture. Mais son poids l’aurait retenu sur lespiques de la grille où on l’aurait abandonné.

« Des renseignements importants ont étérecueillis, qui paraissent devoir promptement mettre la police surla trace du ou des coupables. Dans notre édition de cinq heures,nous donnerons les détails de cette horrible affaire qui paraîtappelée à produire dans le public une profonde sensation et quiprovoquera très vraisemblablement des révélationsinattendues. »

On comprend facilement l’émotion qui courutdans Paris à l’annonce de ce mystérieux forfait.

Et encore qui aurait pu se douter desétonnantes, des incroyables conséquences que devait déchaîner cetévénement.

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