Guerrier De Lumière – Volume 2

Chapitre 18La Boîte de Pandore

Le même matin, trois signes venant de continents différents : uncourrier électronique du journaliste Lauro Jardim, me demandant deconfirmer certaines données sur une note me concernant etmentionnant la situation dans la Rocinha, à Rio de Janeiro. Unappel téléphonique de ma femme, qui vient de débarquer en France :elle était partie avec un couple d’amis français pour leur montrernotre pays, et ils sont tous les deux revenus effrayés et déçus.Enfin, le journaliste qui vient m’interviewer pour une télévisionrusse : est-il vrai que dans votre pays plus d’un demi-million depersonnes sont mortes assassinées, entre 1980 et 2000 ?

Bien sûr ce n’est pas vrai, je réponds.

Mais si : il me montre les données d’un « institut brésilien »(en réalité, l’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística,l’un des plus respectés au Brésil).

Je reste sans voix. La violence dans mon pays traverse lesocéans, les montagnes, et vient jusqu’ici, en Asie Centrale. Quedire ?

Dire ne suffit pas, car les mots qui ne se transforment pas enaction « apportent la peste », comme le disait William Blake. J’aitenté de faire ma part : j’ai créé mon institut, avec deuxpersonnes héroïques, Isabella et Yolanda Maltarolli, nous avonsessayé de donner de l’éducation, de l’affection, de l’amour, à 360enfants de la favela de Pavão-Pavãozinho. Je sais qu’en ce momentil y a des milliers de Brésiliens qui font beaucoup plus, quitravaillent en silence, sans aide officielle, sans appui privé,seulement pour ne pas se laisser dominer par le pire des ennemis :le désespoir.

À un certain moment, j’ai pensé que si chacun faisait sa part,les choses changeraient. Mais ce soir, tandis que je contemple lesmontagnes gelées à la frontière chinoise, j’ai des doutes.Peut-être que, même si chacun fait sa part, le dicton que j’aiappris enfant reste vrai : « Contre la force, il n’y a pasd’argument. »

Je regarde de nouveau les montagnes, éclairées par la lune.Est-ce que vraiment, contre la force, il n’y a pasd’argument ? Comme tous les Brésiliens, j’ai essayé, j’ailutté, je me suis efforcé de croire que la situation de mon payss’améliorerait un jour, mais chaque année qui passe les chosessemblent plus compliquées, indépendamment du gouvernant, du parti,des plans économiques, ou de leur absence.

J’ai vu la violence aux quatre coins du monde. Je me souviensqu’une fois, au Liban, peu après la guerre dévastatrice, je mepromenais dans les ruines de Beyrouth avec une amie, Söula Saad.Elle m’expliquait que sa ville avait déjà été détruite sept fois.Je lui ai demandé, sur le ton de la plaisanterie, pourquoi ils nerenonçaient pas à reconstruire, et ne s’en allaient pas ailleurs. «Parce que c’est notre ville », a-t-elle répondu. « Parce quel’homme qui n’honore pas la terre où sont enterrés ses ancêtressera maudit à tout jamais. »

L’être humain qui ne rend pas honneur à sa terre se déshonore.Dans l’un des classiques mythes grecs de la création, un dieu,furieux que Prométhée ait volé le feu et ait donné ainsil’indépendance à l’homme, envoie Pandore se marier avec son frère,Epiméthée. Pandore porte une boîte, qu’il lui est interditd’ouvrir. Cependant, comme il arrive à Eve dans le mythe chrétien,sa curiosité est la plus forte : elle soulève le couvercle pourvoir ce que la boîte contient, et à ce moment, tous les maux dumonde en surgissent et se répandent sur la Terre.

Seul reste à l’intérieur l’Espoir.

Alors, même si tout dit le contraire, malgré toute ma tristesse,ma sensation d’impuissance, même si en ce moment je suis quasiconvaincu que rien ne va s’arranger, je ne peux pas perdre la seulechose qui me maintient en vie : l’espoir – ce mot qui a toujourssuscité l’ironie des pseudo-intellectuels, qui le considèrent commesynonyme de tromperie ». Ce mot tellement manipulé par lesgouvernements, qui font des promesses en sachant qu’ils ne vont pasles accomplir, et déchirent encore plus les cœurs. Très souvent cemot est avec nous le matin, il est blessé au cours de la journée,meurt à la tombée de la nuit mais ressuscite avec l’aurore.

Oui, il existe le proverbe : « Contre la force, il n’y a pasd’argument. »

Mais il existe aussi cet autre : « Tant qu’il y a de la vie, ily a de l’espoir. » Et je le garde, tandis que je regarde lesmontagnes enneigées à la frontière chinoise.

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