Journal d’Anne Franck

DIMANCHE 12 JUILLET 1942

Il y a un mois exactement, ils étaient tous très gentils avec moi parce que c’était mon anniversaire, mais maintenant je sens chaque jour que je m’éloigne un peu plus de maman et de Margot, aujourd’hui j’ai travaillé dur et tout le monde m’a encensée et cinq minutes plus tard, les voilà qui recommencent à me houspiller.

Ils n’ont pas du tout la même façon de s’adresser à Margot ou à moi, on voit bien la différence, par exemple Margot a cassé l’aspirateur et nous n’avons pas eu de courant de toute la journée. Maman lui a dit : « Mais Margot, on voit bien que tu n’as pas l’habitude de travailler, sinon tu aurais su qu’on n’éteint pas un aspirateur en tirant sur le fil.4 » Margot a répondu quelque chose et l’affaire a été enterrée. Mais cet après-midi, je voulais recopier une partie de la liste de courses de maman parce qu’elle a une écriture très difficile à lire, mais elle m’en a empêchée, elle m’a passé un bon savon et toute la famille s’en est mêlée.

Je ne suis pas comme eux et j’en prends clairement conscience, surtout ces derniers temps. Ils sont tellement sentimentaux entre eux, et moi, je préfère l’être toute seule. Et puis, ils n’arrêtent pas de dire comme on est bien tous les quatre, et comme on sait vivre en harmonie, mais ils ne songent pas un instant que je peux être d’un avis contraire.

Papa est le seul à me comprendre de temps en temps, mais généralement, il prend le parti de maman et de Margot. Et puis, je ne supporte pas non plus que devant d’autres gens, ils racontent que j’ai pleuré ou disent que je suis très raisonnable, ça m’agace au plus haut point, et quand il leur arrive de parler de Moortje, ça me met hors de moi car c’est mon point faible et mon point sensible. Moortje me manque à chaque instant de la journée et personne ne sait à quel point je pense à lui ; chaque fois, j’en ai les larmes aux yeux. Moortje est si mignon et je l’aime tellement, je rêve à des projets pour le faire revenir.

Je m’invente toujours de beaux rêves, mais la réalité, c’est que nous devons rester ici jusqu’à la fin de la guerre. Nous n’avons jamais le droit de sortir et ne pouvons recevoir de visite que de Miep, de son mari Jan, de Bep Voskuijl, de M. Voskuijl, de M. Kugler, de M. Kleiman, et de Mme Kleiman mais elle ne vient pas car elle trouve cela trop dangereux.

SEPTEMBRE 1942 (ajout)

Papa est toujours si gentil, il me comprend si parfaitement, et j’aimerais bien pouvoir me confier à lui sans éclater aussitôt en sanglots. Mais il paraît que c’est une question d’âge. J’aimerais bien ne jamais m’arrêter d’écrire, mais cela deviendrait beaucoup trop ennuyeux.

Jusqu’à présent, je n’ai pratiquement fait que noter des pensées dans mon journal et je n’ai pas encore réussi à écrire des histoires intéressantes que je pourrais lire plus tard devant tout le monde. Mais dorénavant, je vais essayer de ne pas être sentimentale ou de l’être moins, et d’être plus fidèle à la réalité.

VENDREDI 14 AOÛT 1942

Chère Kitty,

Je t’ai laissée tomber pendant un mois, mais il faut dire que je n’ai pas assez de nouvelles pour te raconter chaque jour de belles histoires. Les Van Daan sont arrivés le 13 juillet. Nous pensions qu’ils viendraient le 14, mais comme les Allemands ont commencé à affoler de plus en plus de gens entre le 13 et le 16 juillet en envoyant des convocations de tous les côtés, ils ont jugé qu’il valait mieux partir un jour trop tôt qu’un jour trop tard.

À neuf heures et demie (nous en étions encore au petit déjeuner) est arrivé Peter, le fils des Van Daan, un garçon de bientôt seize ans, un dadais timide et plutôt ennuyeux dont la compagnie ne promet pas grand-chose. Madame et Monsieur ont fait leur entrée une demi-heure plus tard ; à notre grande hilarité, Madame transportait dans son carton à chapeau un grand pot de chambre. « Sans pot de chambre, je ne me sens pas chez moi », a-t-elle déclaré, et le pot a été d’ailleurs le premier à trouver une place attitrée sous le divan. Monsieur, lui, n’avait pas son pot mais portait sous le bras sa table à thé pliante.

Le premier jour où nous avons été réunis, nous avons mangé ensemble dans la bonne humeur et au bout de trois jours, nous avions tous les sept l’impression d’être devenus une grande famille. Les Van Daan, on s’en doute, avaient beaucoup à nous raconter sur leur semaine supplémentaire de séjour dans le monde habité. Nous étions très intéressés, en particulier, par ce qu’il était advenu de notre maison et de M. Goldschmidt.

M. Van Daan raconte : « Lundi matin, à neuf heures, M. Goldschmidt nous a téléphoné pour me demander de passer le voir. Je suis venu immédiatement et j’ai trouvé Goldschmidt dans tous ses états. Il m’a montré une lettre que la famille Frank avait laissée et qui lui demandait d’apporter le chat chez les voisins, ce qu’il voulait faire et que j’ai approuvé. Il craignait une perquisition, c’est pourquoi nous avons inspecté toutes les pièces pour faire un peu de rangement, et débarrassé la table. Soudain, j’ai vu sur le bureau de Mme Frank un bloc-notes portant une adresse à Maastricht. Je savais que Madame avait fait exprès de le laisser en évidence, mais j’ai pris un air étonné et effrayé, et j’ai pressé M. Goldschmidt de brûler le papier compromettant. Jusque-là, j’avais prétendu tout ignorer de votre disparition, mais quand j’ai vu le papier, j’ai eu une bonne idée. J’ai dit : “Monsieur Goldschmidt, je crois comprendre tout d’un coup à quoi se rapporte cette adresse. Je me rappelle très bien qu’il y a six mois environ, un officier de haut rang est passé au bureau, il avait bien connu M. Frank dans sa jeunesse et lui a promis de l’aider en cas de besoin, et cet officier était en effet cantonné à Maastricht. Il a dû tenir parole et faire passer M. Frank par je ne sais quel moyen en Belgique et, de là, en Suisse. Vous n’avez qu’à le dire aux amis des Frank, s’ils viennent demander de leurs nouvelles, mais bien entendu, ce n’est pas la peine de parler de Maastricht.” Sur ce, je suis parti. La plupart des amis sont au courant, car l’histoire m’est déjà revenue aux oreilles de différents côtés. »

Nous avons trouvé l’anecdote très amusante, mais avons ri bien plus encore de l’imagination des gens en entendant le récit de M. Van Daan à propos d’autres amis. Ainsi, une famille de la Merwedeplein nous avait vus passer tous quatre à bicyclette, le matin de bonne heure, et une autre dame assurait qu’on nous avait fait monter en pleine nuit dans une voiture de l’armée.

Bien à toi,

Anne

VENDREDI 21 AOÛT 1942

Chère Kitty,

Ça y est, notre cachette est devenue une cachette digne de ce nom. En effet, M. Kugler a jugé plus prudent de mettre une bibliothèque devant notre porte d’entrée (parce qu’on fait de nombreuses perquisitions à la recherche de vélos cachés) mais naturellement une bibliothèque pivotante qui peut s’ouvrir comme une porte. C’est M. Voskuijl qui s’est chargé de fabriquer l’objet. (Nous avons mis M. Voskuijl au courant de la présence des sept clandestins, il est le dévouement personnifié.)

Maintenant, pour descendre, nous sommes d’abord obligés de baisser la tête, puis de sauter. Au bout de trois jours, nous avions tous le front couvert de bosses parce que tout le monde se cognait à l’encadrement de la porte basse. Peter a essayé d’adoucir le choc en y clouant un morceau de tissu rembourré de laine de bois. Espérons que ça marchera !

Je n’apprends pas grand-chose, j’ai décidé de me mettre en vacances jusqu’en septembre. Ensuite, papa veut me donner des leçons, mais il nous faudra d’abord acheter tous les livres de classe nécessaires.

Notre vie ici ne connaît pas beaucoup de changement. Aujourd’hui, on a lavé les cheveux de Peter, mais cela n’a rien d’extraordinaire. M. Van Daan et moi sommes toujours comme chien et chat. Maman me prend toujours pour un bébé, et je ne peux pas le supporter. Mais à part ça, cela va tout de même un peu mieux. Peter ne m’est pas devenu plus sympathique, il est ennuyeux, paresse toute la journée sur son lit, donne deux trois coups de marteau et retourne faire un somme. Quelle andouille !

Ce matin, maman a recommencé à me faire un de ses affreux sermons et je ne le supporte pas, nos idées sont diamétralement opposées. Papa est un chou, même s’il lui arrive de se fâcher cinq minutes contre moi.

Dehors, il fait beau et chaud, et malgré tout nous en profitons autant que possible en allant nous étendre au grenier sur le lit-cage.

Bien à toi,

Anne

21 SEPTEMBRE 1942 (ajout)

Ces derniers temps, M. Van Daan est tout miel avec moi, je ne dis rien mais je n’en pense pas moins.

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