La Conspiration des milliardaires – Tome IV – La revanche du Vieux Monde

Chapitre 7L’envoûtement

– Je me décide à venir vous réveiller,dit le savant, en pénétrant, un peu avant midi, dans la chambre oùLéon dormait toujours, à poings fermés.

– Quelle heure est-il donc ? demandamachinalement le Bellevillois en se dressant sur son séant…Oh ! mais pardonnez-moi, ajouta-t-il vivement, en apercevantle père Lachaume qui lui souriait paternellement… je ne merappelais plus, je croyais que c’était mon gardien… chez leshypnotiseurs.

– Vous n’y êtes pas, dit le vieillard ens’approchant. Vous êtes libre, chez moi ; et je viens vousréveiller, car le déjeuner est servi dans la salle à manger. Voussentez-vous assez fort pour vous lever ?

– Mais certainement, monsieur, je suisbien, répondit Léon en sautant lestement à bas de son lit. Je suistrès bien, et même j’ai grand-faim.

– C’est ce qu’il faut, mon ami ;cela prouve que vous êtes d’une constitution robuste. Et voscoupures ? Vous font-elles toujours souffrir ?

– Pas le moins du monde, réponditcourageusement le jeune homme en enlevant le bandage de son front.Tenez, je crois que j’en serai quitte pour quelques cicatricesinsignifiantes.

– Eh ! pas si vite, fit le pèreLachaume. Vous allez saigner de nouveau, si vous n’y mettezdavantage de précautions. Je reconnais bien là l’insouciantejeunesse, qui ne pense qu’à paraître brave, et néglige touteprudence. Attendez un peu, mon jeune ami, je vais vous appliquer unnouveau pansement, et mettre sur vos coupures une pommade qui lesaidera beaucoup à se refermer.

– Vous êtes trop bon, monsieur, je suisconfus !

– Là !… dit M. Lachaume lorsquece fut fait. Dans quelques jours, il n’y paraîtra plus qu’à peine.Les blessures à la tête sont peu graves. D’aucuns prétendentqu’elles doivent la rapidité de leur guérison au voisinage ducerveau, siège de l’intelligence ; d’autres soutiennent quecela n’y fait rien. En attendant, venez déjeuner.

Léon avait remis ses vêtements de la veille,ceux que lui avait donnés M. Lachaume.

Il ne put s’empêcher de rire, en voyant sonaccoutrement.

– Avez-vous assez l’air d’un parfaitgentilhomme ! dit en riant l’inventeur. Joséphine vousachètera d’autres vêtements cet après-midi. J’avoue que ceux-civous sont peut-être un peu trop grands.

– Mais vous êtes trop bon pour moi,monsieur, remercia Léon Goupit. Moi qui ai commis tant de dégâtsdans votre maison…

– Oui, vous qui avez brisé mon aquariumen mille pièces, fit le savant en grondant. C’est entendu, mon ami…À propos, vous savez, j’ai vu mes poissons ce matin, ils nesemblent pas s’être aperçus de leur brusque changement de domicile.Je les ai installés provisoirement dans des bocaux. Ils se portentbien… Ne parlons plus de cela, voulez-vous ? Venez à table.Joséphine nous a préparé un repas qui va vous remettre tout à faitsur pied et vous redonner du courage.

Léon s’étonna lui-même de son appétit.

Il loua sincèrement la cuisine de lagouvernante, et fit ainsi disparaître le ressentiment caché qu’ellelui gardait, pour la catastrophe qu’il avait involontairementcausée.

À la fin du déjeuner, ils étaient devenus lesmeilleurs amis du monde.

Connaissant la faiblesse et l’amour-propre decordon bleu de Joséphine, et devinant aussi l’innocente ruse dujeune homme, le père Lachaume se pinçait les lèvres pour ne pasrire.

Léon lui plaisait de plus en plus, par safranchise et sa bonne humeur.

Après le déjeuner, lorsque Joséphine futsortie pour acheter des vêtements dans un magasin de confection duvoisinage, la conversation reprit entre les deux hommes.

Léon dut refaire, en le détaillant davantage,le récit de son séjour chez les hypnotiseurs.

Il dit tout, mais n’eut garde cependant deparler de son maître, ni du rôle d’espions politiques qu’étaientvenus jouer en Europe les hypnotiseurs.

Olivier Coronal lui avait bien recommandé dene jamais instruire personne de l’existence de la société desmilliardaires américains, dont William Boltyn était le chef.

Il passa également sous silence l’horriblecomplot dirigé contre Lucienne Golbert.

Il ne parla au savant que de ce quil’intéressait lui-même, c’est-à-dire des inventions que leshypnotiseurs lui avaient volées.

– Écoutez-moi, lui dit alors le vénérableLachaume, lorsque Léon eut terminé son récit, je médite de tirer deces Yankees une vengeance éclatante. Quant aux inventions qu’ilsont revendues en Amérique, il est trop tard pour faire quoi que cesoit. Qu’ils les gardent, et que grand bien leur fasse. Vous meplaisez beaucoup, vous êtes un garçon actif et intelligent ;si cela vous agrée, restez avec moi, vous m’aiderez dans mesexpériences. Nous aviserons tous deux aux moyens de nousdébarrasser des hypnotiseurs.

– Oh ! pour cela, non, répliquavivement Léon. Je vous remercie beaucoup, mais je ne peux pasrester ici. Il faut que je vous quitte, aujourd’hui même… Je nevous l’avais pas encore dit, continua-t-il en voyant la minedésespérée du père Lachaume mais c’est que, depuis un mois, monmaître, Olivier Coronal ne doit pas savoir ce que je suis devenu.J’ai des choses de la plus haute importance à lui dire. Il faut queje le voie sans retard.

– Olivier Coronal, fit le savant enréfléchissant. Ce nom ne m’est pas inconnu. N’est-ce pas ce jeunesavant qui inventa une torpille terrestre, il y a quelquesannées ?

– C’est lui-même répondit Léon. Vous leconnaissez ?

– C’est-à-dire que je l’ai vu souvent àla Sorbonne. Il a même suivi mes cours de chimie. Vous dites quec’est votre maître ?

– Depuis des années. Je l’avais quittépendant quelque temps ; mais en revenant d’Amérique, nous noussommes retrouvés à Paris ; et depuis plusieurs mois, ma femmeet moi, nous sommes de nouveau à son service.

– Où habite-t-il maintenant ?demanda Lachaume avec intérêt.

– À Clamart. C’est à dix minutes par lagare Montparnasse.

– Eh bien, je vais vous accompagner, ditrésolument le vieillard. Je ne résiste pas au plaisir de voirOlivier Coronal. Justement, pendant ce temps, des ouvriers vontvenir réparer les dégâts de ma maison.

– C’est entendu, fit joyeusementLéon.

Joséphine venait de rentrer, apportant unvêtement complet, qu’il endossa prestement, bien qu’il eût encoreune de ses mains emprisonnée par des bandes de toile.

On lui avait tout acheté : bottines,chemise, cravate, chapeau. En quelques minutes, il fut transformécomplètement.

– La voilà, cette maison où j’ai passé unmois, moins libre qu’un forçat ! dit-il en étendant le brasvers la maison des Altidor lorsqu’il se retrouva dans l’impasse, encompagnie du père Lachaume… Ce qui serait bien amusant maintenant,ce serait de rencontrer un des hypnotiseurs, par exemple mongardien, celui que j’ai à moitié assommé cette nuit. Quel nez ilferait, messeigneurs !

Les deux hommes hélèrent le premier fiacrequ’ils rencontrèrent, et se firent conduire à la gare Montparnasse,où ils prirent le train de banlieue.

Les voyageurs regardaient curieusement cegrand vieillard, coiffé d’un haut-de-forme passé de mode depuislongtemps, et qui causait amicalement avec un jeune homme dont onapercevait à peine le visage sous les bandelettes de toile qui luientouraient la tête.

Moins d’une heure après avoir quittél’impasse, Isidore Lachaume et Léon Goupit frappaient à la ported’Olivier Coronal.

Ce fut Betty elle-même qui vint ouvrir.

– C’est moi ! s’écria joyeusementLéon, en se précipitant pour serrer sa compagne dans ses bras.

– Mon Dieu ! tu es blessé,s’exclama-t-elle en pâlissant.

– Mais non, ce n’est rien. Rassure-toi,fit Léon. Tu vois bien que ce n’est rien, puisque je suis valide etjoyeux d’être de retour. Tu peux remercier M. Lachaume quevoici. C’est lui qui m’a sauvé la vie.

Betty était tout émue ; elle serra lesmains du vieillard avec effusion.

– Mais tu ne me dis pas ce qui t’estarrivé, reprit-elle aussitôt. Qu’as-tu fais, pendant tout ce longmois ?

– Je ne peux pas t’expliquer cela tout desuite. Ce serait trop long. Et puis il faut que je parle àM. Olivier immédiatement. M. Lachaume aussi est venu pourle voir. Est-il là ?

– Oui, répondit Betty, derrière lamaison, dans le jardin. Il vient de sortir de son cabinet detravail.

Olivier Coronal, en effet, se sentant unviolent mal de tête, était allé dans le jardin se reposer un peu etprendre l’air.

Léon l’aperçut de loin, assis sur un bancrustique, qu’ombrageait une sorte de tonnelle de vigne vierge et dechèvrefeuille.

– M’sieur Olivier, cria-t-il de toutesses forces en allongeant le pas. Me voilà de retour !

– Comment ! C’est toi, Léon !…s’exclama l’inventeur, que cette voix joyeuse avait tiré de sarêverie.

– Mais oui, c’est moi, en chair et en os.Je ne suis pas mort, comme vous avez dû le penser certainement.

– Mais tu es blessé, grands dieux !…Que t’est il encore arrivé, mon pauvre Léon ?

– Oh ! rien du tout. C’est-à-direque… Enfin, j’en ai long à vous dire, et des choses sérieuses… Maisregardez donc, m’sieur Olivier, je ne suis pas seul.

Léon désignait du regard M. Lachaume qui,tout près de là, accoudé sur une jardinière, contemplait cettescène avec un sourire bienveillant.

Olivier Coronal se retourna.

Sa physionomie s’éclaira aussitôt d’uneexpression de joie sincère.

– Quel bonheur de vous revoir, monsieurLachaume, dit-il en serrant, dans les siennes, les mains du savant.Vous vous êtes souvenu de moi !… Par quel heureuxhasard ?… Mais rentrons donc dans la maison… Léon, dis à Bettyde nous apporter une vieille bouteille. Nous allons trinquer enl’honneur de votre arrivée.

Mme Goupit s’empressa dedisposer des verres sur la table de la salle à manger, et d’allerchercher à la cave une bouteille d’un certain vin de Saumur, quipétilla bientôt dans les coupes de cristal.

Olivier Coronal avait gardé un excellentsouvenir de son ancien professeur de chimie. Il était enchanté dele revoir.

Pourtant, l’inquiétude, l’impatience, selisaient dans les yeux de Léon.

Ce qu’il avait à dire à son maître étaitpressant. Il ne savait s’il devait parler en présence du pèreLachaume.

Olivier s’en aperçut et mit le Bellevillois àson aise en lui disant le premier :

– Parle, mon brave Léon. Tu as été faitprisonnier par les hypnotiseurs, je le sais. Tu peux me racontertout ce qui s’est passé. Ce bon monsieur Lachaume n’est pas detrop, au contraire. Je le connais assez pour savoir qu’il nerefusera pas de nous aider dans la tâche glorieuse que nous avonsentreprise.

– Je voudrais tout d’abord vous demanderquelque chose, dit Léon… Est-il vrai queMme Lucienne soit malade ?

– Tu l’as donc appris !…Hélas ! Ce n’est que trop vrai. Elle souffre, depuis quelquetemps, d’un mal que les médecins eux-mêmes ne peuvent définir. Elleressent au cœur des douleurs intolérables, et elle s’affaiblit dejour en jour.

– Eh bien, s’écria le jeune homme, en selevant sous l’influence de la colère, j’ai surpris une conversationentre les deux frères Altidor. Je soupçonne que ce sont eux qui luicausent le mal dont elle souffre.

Olivier Coronal pâlit.

À côté de lui, le père Lachaume se mordait leslèvres pour garder le silence.

Il refrénait les questions qui surgissaientdans son esprit.

Au milieu de l’attention générale, le mari deBetty expliqua son séjour forcé chez les hypnotiseurs.

Il décrivit son existence pendant un mois,raconta comment il avait été au courant de l’entreprised’espionnage commercial des Yankees, et finalement comment, enentendant parler les deux frères Altidor, il avait acquis lacertitude qu’un complot se tramait contre Lucienne Golbert.

Olivier Coronal l’écoutait sansl’interrompre.

Quant à M. Lachaume, sa physionomieexprimait l’étonnement le plus profond.

Après avoir retracé la scène de l’apparition,dans une glace, de Harry Madge menaçant ses espions, Léon racontales péripéties de son évasion mouvementée et sa chute dansl’aquarium de M. Lachaume.

– Vous comprenez, m’sieur Olivier,conclut-il, aussitôt que j’ai eu vent du danger qui menaçaitMme Lucienne, je n’ai plus pensé qu’à m’enfuir. J’ysuis parvenu ; et voilà pourquoi j’étais si pressé de vousmettre au courant de ce qui se passe. C’est terrible ! C’estmonstrueux !

La colère de Léon allait croissant. Sa loyalefigure, que voilaient à demi les bandes rougies par le sang, étaitimpressionnante de franchise et de généreuse fureur.

– Oui, reprit-il, l’Europe est menacéeplus que jamais par les Américains. Harry Madge, furieux que seshypnotiseurs aient négligé leur mission politique depuis qu’ilssont en France, les a menacés de les faire périr s’ils ne semettaient à l’œuvre sans retard. Les espions vont donc s’attaqueraux forteresses, aux arsenaux et aux ministères. Avant peu, lasociété des milliardaires connaîtra tous les secrets de notreorganisation militaire. Et le plus triste, le plus épouvantable,ajouta-t-il en baissant involontairement la voix, c’est que je suispresque certain, d’après ce que j’ai entendu, queMme Lucienne est en danger de mort.

Olivier Coronal n’écoutait plus.

La tête dans ses mains, il s’abîmait dans sesréflexions et semblait souffrir horriblement.

Ce fut le père Lachaume qui rompit le premierle silence, en demandant des explications à son ancien élève, ausujet de tout ce qu’il venait d’entendre.

– C’est malheureusement trop vrai,répondit Olivier en faisant des efforts pour rester calme. Le périltransatlantique est devenu une réalité. Quelques Yankees ambitieuxont formé le projet d’exterminer l’Europe, d’en faire leur vassaleau point de vue du commerce et de l’industrie. Contre la forcepensante de notre race, ils élèvent la puissance de leursmilliards. Ils haïssent notre civilisation, qu’ils ne comprennentpas. Ils veulent nous imposer la leur, brutale, égoïste et ennemiede toute idée, de tout sentiment généreux. L’humanité est attaquéedans son avenir, dans son bonheur futur, si les Yankees parviennentà réaliser leur projet de spoliation générale.

Avec une profonde amertume, le jeune inventeurdit son séjour en Amérique, son aventureuse et patriotiqueentreprise d’espionnage à Mercury’s Park, et son mariage – suivi derupture – avec miss Aurora Boltyn, la fille du président de lasociété des milliardaires américains.

– Comme la vie offre des surprises !dit mélancoliquement le père Lachaume. Lorsque vous étiez monélève, il m’avait semblé que vous aimiez éperdument la fille de moncollègue, l’ingénieur Arsène Golbert. J’étais bien convaincuqu’elle deviendrait votre femme.

Un nuage de douloureuse tristesse passa sur lefront d’Olivier. Mais ce ne fut qu’un éclair.

– La vie nous a éloignés l’un de l’autre,répondit-il. Lucienne Golbert a épousé le fils d’un savant duNouveau Monde, l’ingénieur Ned Hattison. Elle ne pouvait mieuxchoisir. Quoique Américain, Ned Hattison est un partisanenthousiaste de nos idées. Il est attaché à la cause du progrès etde l’amélioration de l’humanité. Il n’a pas hésité à rompre avecson père, pour s’assurer la liberté de ses pensées et de sesactions. Il est maintenant mon ami. C’est un des hommes quej’estime le plus.

– Oh ! je vous connais, mon cherami, dit le père Lachaume qui prit les mains du jeune homme dansles siennes. Vous êtes un noble cœur ! Vous avez sacrifiévotre amour. Ne dites pas non, je ne vous croirais pas.

Olivier Coronal se défendit.

– Moi-même, à Chicago, j’ai été séduitpar l’étrange beauté de miss Aurora, dit-il. Je l’ai épousée autantpar amour que par reconnaissance de ce qu’elle m’avait sauvé la vieà Mercury’s Park. Notre union n’a pas été heureuse. Maintenant monmariage est rompu. Je suis libre.

« Mais il faut que je vous explique lesévénements, mon cher maître, reprit Olivier avec effort. MissAurora Boltyn, celle qui fut ma femme, a été jadis dédaignée parNed Hattison, qui refusa de l’épouser. Elle a conservé une rancuneféroce contre celle qui lui a pris le cœur de son fiancé, contreLucienne Golbert. Et cette rancune s’exerce aujourd’hui d’unemanière terrible. À entendre Léon, vous avez bien dû comprendre queles milliardaires yankees ont adopté une nouvelle tactique, unnouveau plan de campagne. Il s’est trouvé parmi eux un certainHarry Madge, spirite convaincu et magnétiseur hors ligne, qui a sules rallier à ses idées. À coups de dollars, les milliardaires ontfondé un collège de sciences psychiques. Les hypnotiseurs qui vousont volé vos inventions en sont les meilleurs élèves.

– Mais c’est impossible ! s’exclamale père Lachaume, en regardant alternativement Olivier Coronal etLéon Goupit. Les choses en sont à ce point de gravité ?

– Oui. Et pis encore. Léon vient de nousapprendre que la lutte, de générale, est devenue personnelle.Sachant la haine que miss Aurora a conservée pour Lucienne Golbert,les deux frères Altidor, les chefs des hypnotiseurs, se sontattaqués à elle, l’innocente et douce jeune femme.

« Je m’explique maintenant pourquoi,depuis quelque temps, elle souffre d’un mal mystérieux que lesmédecins se déclarent incapables de combattre, reprit Olivier d’unevoix altérée… Ah ! je vous demande pardon, mon ami, mais jesouffre trop. Comment faire pour la sauver !

Et il éclata en sanglots, lui, l’hommeénergique, lui qui avait déjà tant souffert sans se plaindre.

M. Lachaume essuya lui-même une grosselarme qui descendait sur sa joue ridée.

– Tout n’est pas perdu, dit-il. Voussavez que je suis votre ami. Je ferai tout mon possible pour vousvenir en aide. Voyons, je vous avouerai que je n’ai pas comprisgrand-chose à tout ceci. Quel est exactement le danger qui menaceLucienne Golbert ?

– Oui, fit vivement Léon. Moi non plus jen’ai pas bien saisi ce dont il s’agissait. J’ai bien entendu direaux frères Altidor qu’avant peu Mme Lucienne seraitmorte ; je les ai bien entendus parler de statuette…

– Mes pressentiments ne m’avaient doncpas trompé, s’écria Olivier Coronal qui sentit le sang affluer àson cœur… Mes pauvres amis, ces hommes sont terribles, plus encoreque je ne le supposais… Oui continua-t-il, dès lors qu’ils ontparlé de statuette, le doute n’est plus possible. Lucienne estenvoûtée.

– Envoûtée ! dit le père Lachaumestupéfait. Oh ! vous en êtes sûr ?

Quant à Léon, ne sachant pas ce que c’étaitque l’envoûtement, il restait hébété, cherchant à comprendre.

Olivier lui expliqua, en peu de mots, quel’envoûtement est une pratique occulte, qui consiste à faire mourirune personne en s’attaquant à son image.

– On se procure, dit-il, quelque objetayant appartenu à la personne que l’on veut envoûter ; on lecasse en menus fragments que l’on mélange à de la cire, aveclaquelle on fait une statuette. Chaque jour, on projette sa volontésur cette statuette, et on enfonce insensiblement une aiguille à laplace du cœur. La mort arrive, lentement, mais sûrement.

– Voyons, objecta le père Lachaume. Cesont là des pratiques du Moyen Âge et de l’Antiquité.

– Elles ont été renouvelées de nos jours,répondit Olivier ; et vous le voyez, les hypnotiseurs yankeesont su s’en faire une arme.

« Mais comment ont-ils bien pu seprocurer un objet ayant appartenu à Lucienne ? ajouta-t-il ense laissant aller à son désespoir. On ne peut pas pratiquerl’envoûtement sans cela. Je renonce à comprendre.

– Que cela ne vous arrête pas, dit levénérable M. Lachaume résolument. Au point où en sont leschoses, il faut agir sans retard. Je ne vous promets rien, maiscomptez sur mon dévouement.

– Que pourriez-vous faire ?interrogea Olivier dont les yeux s’inondaient, de nouveau, delarmes.

– Ce que je pourrais faire ?Morbleu ! beaucoup de choses. Vous oubliez que leshypnotiseurs sont mes voisins. Si je parvenais à leur dérober cettestatuette maudite, la cause du mal serait supprimée… D’abord oùest-elle ? Le savez-vous, Léon ?

– J’ai tout lieu de croire qu’elle setrouve dans une des chambres de la maison de l’impasse, répondit leBellevillois avec feu. Je me souviens que dans cette chambre, lesdeux frères Altidor s’enfermaient fréquemment, et qu’à part euxpersonne n’y pénétrait.

– Eh bien, voyez-vous que vous avez tortde vous désespérer, mon cher Olivier. Je vais retourner chez moi,et je trouverai bien un moyen de réduire les hypnotiseurs àl’impuissance.

M. Lachaume s’était levé et avait prisson chapeau.

– Oh ! je pars avec vous, monsieurLachaume, s’écria Léon. Je connais la maison, puisque je l’aihabitée pendant un mois. Du moment qu’il s’agit de sauverMme Lucienne, vous ne pouvez me refuser cela.J’escaladerai de nouveau les murs de la maison, s’il le faut. Jedéfoncerai les portes, j’assommerai les hypnotiseurs, mais jeparviendrai bien à leur enlever la statuette.

– Toi ! dit Olivier Coronal ;mais mon pauvre garçon, tu tiens à peine debout, tu esblessé !…

– Je suis blessé ! protestavaillamment Léon. Pouvez-vous le dire ? Pouvez-vous appelerdes blessures quelques coupures insignifiantes qui ne m’incommodentmême pas !… Je vous jure que je ne me suis jamais senti aussidispos. J’exige de partir avec M. Lachaume… D’abord, il y aune raison en vertu de laquelle je dois tout tenter pour sauverMme Lucienne. Vous savez bien que son mari n’a pasvoulu se rencontrer avec moi depuis mon retourd’Amérique ?…

– N’en dis pas plus long, je comprends,interrompit Olivier Coronal. Pars donc, puisque tu le veux. Tu asraison, et tu es un brave cœur.

Il fut donc décidé que, pendant quelque temps,Léon retournerait habiter la maison du père Lachaume.

– Allez-vous prévenir votre ami Golbertdu danger qui menace sa fille ? demanda ensuite levieillard.

– Oh ! non, répondit Olivier. Ceserait lui donner un coup mortel. Je ne dirai rien non plus à NedHattison. J’ai calculé qu’il faudrait encore un mois auxhypnotiseurs pour achever leur œuvre criminelle. Il faut que, dansune semaine au plus tard, nous soyons en possession de la statuettequi leur sert à perpétrer l’envoûtement, ou alors – et ses yeuxlançaient des éclairs – je sais ce qui me restera à faire.

– Comptez sur nous, dirent ensemble lepère Lachaume et Léon. Ne dérangez pas vos travaux. Nous suffironsà cette tâche.

– D’abord, moi, fit le Bellevillois, avecson éternelle manie de plaisanter, les hypnotiseurs me doivent unmois de traitement, c’est-à-dire une cinquantaine de dollars auprix où nous sommes convenus. J’ai un compte à régler avec eux.

– Mon brave Léon, s’écria Olivier Coronaltrès ému, je ne puis pas te retenir, mais je saurai te prouver mareconnaissance.

Cependant, Betty avait pénétré timidement dansla salle à manger ; et elle se tenait immobile près de laporte, contemplant son mari en silence.

Léon la rejoignit et l’entraîna.

Les deux époux ne s’étaient pas vus depuis unmois, et Betty brûlait d’impatience de savoir ce qui était arrivé àson mari.

Il eut la force de s’arracher des bras de safemme qui, redoutant pour lui de nouveaux dangers, le suppliait dene pas partir.

Olivier reconduisit M. Lachaume et Léonjusqu’à la gare de Clamart et il leur fit promettre de lui envoyer,chaque jour, un télégramme pour le tenir au courant desévénements.

– J’irai demain à Meudon, dit-il. Voicitrois jours que je n’ai vu ni M. Golbert ni Ned Hattison.Pourvu, ajouta-t-il douloureusement, que vousréussissiez !

Le train partait. Il n’eut que le temps deserrer une dernière fois la main de M. Lachaume et de soncompagnon.

« Ah ! songeait-il, en reprenantseul le chemin de sa petite maison comme je les hais cesAméricains. Comme je voudrais être plus fort qu’eux, et pouvoir lesvaincre… Et cette malheureuse et féroce Aurora ! C’estévidemment à son instigation que les frères Altidor ont entreprisd’envoûter Lucienne. J’ai beau me raisonner, je n’en puis pasdouter… Que ne donnerais-je pas pour sauver Lucienne, elle que j’aitant aimée ! »

Rentré chez lui, Olivier Coronal s’enfermadans son cabinet de travail, et pendant de longues heures, sanscourage et sans force, il pleura comme un enfant.

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