LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

— Cette décision précipitée est de la pure folie, Ariadne ! Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Nous l’apprendrons en temps voulu. Je ne sais si c’est moi qui suis folle ou lui.

— Qui ça, lui ?

— Hercule Poirot.

Dans un appartement londonien, quatre hommes faisaient cercle autour d’Hercule Poirot. Il y avait là l’inspecteur Timothy Raglan affichant une mine de joueur de poker, comme cela lui arrivait lorsqu’il se trouvait en présence de ses supérieurs ; le Superintendant Spencer ; Alfred Richmond, le commissaire de police du comté, et un homme à la figure grave qui représentait le Ministère public.

L’un d’eux prit la parole.

— Vous semblez sûr de ce que vous avancez, monsieur Poirot ?

— J’en suis sûr, affirma Poirot. Lorsqu’un problème de cette sorte se pose, nous devons envisager toutes les explications possibles et les éliminer une à une jusqu’à ce que nous arrivions à la dernière qui est obligatoirement la bonne.

— Si vous me permettez un peu de scepticisme, je vous dirai que les mobiles que vous évoquez me paraissent plutôt compliqués.

— Au contraire, ils sont tellement simples qu’il est difficile d’en prendre tout de suite clairement conscience.

Le gentleman du Ministère public n’eut pas l’air très convaincu par la réponse.

L’inspecteur Raglan intervint :

— Nous aurons sous peu une preuve définitive. Naturellement, si notre petite expérience démontre que nous avons fait fausse route…

— Ding, dong, dell le chat n’est pas dans le puits, trancha Poirot. C’est bien cela ?

— Vous admettrez que cette hypothèse n’est… n’est enfin qu’une hypothèse !

— Non… L’évidence aurait dû nous frapper dès le début. Lorsqu’une jeune femme disparaît, il n’y a pas trente-six solutions. Ou bien elle a suivi l’homme dont elle était amoureuse, ou bien elle est morte.

— Y a-t-il d’autres points sur lesquels vous souhaiteriez attirer notre attention, monsieur Poirot ?

— Oui. Je me suis mis en rapport avec une agence très réputée que je connais et qui est spécialisée dans les placements immobiliers aux Antilles, dans la mer Égée, l’Adriatique, la Méditerranée et autres sites ensoleillés où se ruent les millionnaires de ce monde. On m’a informé d’un, achat récent qui, sans doute, vous intéressera.

Quelqu’un demanda :

— Vous croyez que cela expliquerait la situation ?

— J’en suis certain.

— Je me figurais que la vente d’îles dans ce coin était interdite par le gouvernement intéressé ?

— L’argent abat bien des barrières.

— Encore autre chose, monsieur Poirot ?

— J’espère que, dans les vingt-quatre heures qui viennent, je serai en état de vous apporter la preuve qui vous convaincra.

— De quoi s’agit-il ?

— D’un témoin oculaire.

L’homme de loi eut l’air plus incrédule que jamais.

— Où se trouve ce témoin à l’heure présente ?

— J’ai des raisons de penser qu’il est en route pour Londres.

— Pourtant, vous semblez… inquiet ?

— C’est exact. J’ai agi de mon mieux pour contrôler la situation, mais je ne puis m’empêcher de craindre que mes mesures n’aient pas été assez efficaces. Voyez-vous, messieurs, nous avons affaire à quelqu’un d’une implacable cruauté, littéralement obsédé par une hantise de possession et atteint – du moins je le soupçonne – d’une certaine forme de démence.

— Sur ce point, il nous faudra avoir recours à des avis plus autorisés, remarqua l’homme de loi, ironiquement. Il est évident que, pour le moment, nous n’avons qu’à attendre le rapport des forestiers. S’il est positif nous pourrons alors progresser rapidement, au cas où il s’avérerait négatif, force nous serait de repartir à zéro et d’étudier l’affaire sous un autre angle.

Hercule Poirot se leva.

— Messieurs, je dois partir. Je vous ai tout appris de ce que je savais et de ce que je redoute. Je resterai en contact avec vous.

CHAPITRE XXIV

1

Mrs. Oliver s’assit à une table située dans une encoignure de fenêtre du Black Boy et nota que la salle était presque vide. Elle n’en fut pas fâchée. Judith Butler qui était allée se repoudrer la rejoignit bientôt.

— Quel est le plat préféré de Miranda ? s’enquit l’écrivain, en consultant le menu.

— Le poulet rôti.

— Parfait. Et vous ?

— Je prendrai la même chose.

Mrs. Oliver commanda trois portions de poulet et lorsque la serveuse se fut éloignée, elle observa pensivement son amie.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? demanda cette dernière.

— Je songeais qu’au fond, je sais bien peu de choses de vous.

— Cela ne pourrait-il être dit de tout le monde ?

— Parce qu’à votre avis, on ne connaît jamais à fond une personne ?

— N’est-ce pas exact ?

— Sans doute.

Elles se turent un moment, puis Judith remarqua :

— Ils mettent longtemps à servir.

— Je crois que notre serveuse revient.

La jeune fille apportait en effet leurs assiettes.

— Miranda tarde beaucoup.

— Elle est passée par ici en entrant.

Judith se leva d’un mouvement impatient.

— Je vais la chercher.

— Pensez-vous que le voyage en voiture l’ait incommodée ?

— C’est possible. Enfant, elle ne pouvait supporter ce genre de transport. Je vais voir si tout va bien.

— Quelques instants plus tard, Mrs. Butler revenait seule.

— Elle n’est pas dans les toilettes. Mais j’ai remarqué une porte latérale donnant sur l’extérieur. Peut-être est-elle en train d’observer un oiseau ou un animal. Miranda est ainsi.

— Pas le temps d’observer les oiseaux aujourd’hui. Nous devons bientôt reprendre la route. Allez l’appeler, Judith.

2

Elspeth Mckay piqua soigneusement des saucisses avec une fourchette, les allongea dans un plat allant au four et les rangea dans le frigidaire. Puis, comme elle commençait à éplucher des pommes de terre, la sonnerie du téléphone résonna.

— Mrs. McKay ? Sergent Goodwin à l’appareil. Pourrais-je parler à votre frère ?

— Il n’est pas encore revenu de Londres où il devait passer la journée.

— Je sais, je viens d’essayer de l’y joindre, mais on m’a appris qu’il était parti. Lorsqu’il rentrera, annoncez-lui que nous avons obtenu un résultat positif.

— Dois-je comprendre que vous avez trouvé un corps dans le puits ?

— La nouvelle s’est déjà répandue à travers tout le village.

— De qui s’agit-il ? La fille « au pair » ?

— Il semblerait.

— Pauvre gosse… S’est-elle jetée dans le puits ?…

— Ça m’étonnerait. Elle avait encore un couteau dans le dos.

3

Après que sa mère l’eut laissée aux toilettes, Miranda s’assura que personne ne venait. Alors, elle ouvrit doucement la porte latérale et traversa en courant le jardin jusqu’à un vieux hangar aménagé en garage. De l’intérieur, elle actionna un loquet et poussa un lourd battant qui ouvrait sur une allée étroite au bout de laquelle une voiture en stationnement attendait ». Au volant, un homme barbu, aux sourcils grisonnants, lisait son journal. Miranda courut, ouvrit la portière, sauta près du conducteur et éclata de rire.

— Ce que vous êtes drôle comme ça !

— Riez tout votre soûl, personne ne vous en empêchera.

Le moteur vrombit, suivit un moment la route, puis tourna à droite, à gauche, encore à droite pour s’engager finalement sur une voie secondaire.

— Nous ne sommes pas en retard, remarqua soudain le conducteur. Bientôt je vous montrerai la hache à deux tranchants comme elle doit être vue et aussi Kilterbury Down qui offre une vue splendide.

Un véhicule arriva sur eux en trombe et les frôla au passage. Le conducteur fit une embardée qui le força à empiéter sur le bas-côté.

— Ces jeunes idiots ! maugréa-t-il.

Il avait remarqué que l’un des occupants de l’autre voiture portait une longue chevelure et de grosses lunettes teintées ; son compagnon aurait pu passer pour un Espagnol avec ses favoris noirs et touffus.

— Vous ne croyez pas que Mummy va se faire du souci à mon sujet ? interrogea brusquement Miranda.

— Avant qu’elle ne constate votre absence, nous serons arrivés.

4

À Londres, Hercule Poirot écouta la voix lointaine d’Ariadne Oliver qui annonçait :

— Nous avons perdu Miranda.

— Comment cela, perdu ?

— Nous déjeunions aux « Black Boy » de Haversham. Elle s’est rendue aux toilettes et nous ne savons où elle a filé. On croit l’avoir vue partir en voiture avec un vieux gentleman. Mais c’est sans doute une fausse piste, car…

— Quelqu’un aurait dû l’accompagner ! Je vous avais avertie qu’il y avait du danger dans l’air. Mrs. Butler est-elle inquiète ?

— Naturellement ! Que croyez-vous ? Elle est dans tous ses états et insiste pour appeler la police.

— C’est la meilleure chose à faire. Je vais l’appeler de mon côté.

— Mais pourquoi Miranda devrait-elle courir un danger quelconque ?

— Vous ne savez pas ? Le corps vient d’être retrouvé !

— Quel corps ?

— Le corps dans le puits.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer