LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

Changeant de ton, Poirot demanda :

— À votre avis, qui a tué votre sœur, Anne ? Vous connaissez son entourage et ceux qui ne l’aimaient pas ?

— Personne ne serait allé jusqu’à la tuer. Ce doit être un fou. Il ne peut s’agir de quelqu’un que nous côtoyons.

Alors que les visiteurs allaient se retirer, Anne déclara brusquement :

— Je ne veux pas calomnier ma sœur morte, mais je vous jure qu’elle était la pire menteuse que j’aie jamais connue.

Ils s’éloignaient de la maison des Reynolds lorsque Mrs. Oliver s’enquit :

— Avez-vous l’impression que nous progressons ?

— Absolument pas. C’est d’ailleurs là une constatation intéressante.

CHAPITRE VIII

Tandis qu’à l’église six heures sonnaient, Poirot et ses amis de la « Cime des Pins » finissaient de manger des saucisses cuites à point tout en buvant un thé assez insipide. Le Belge complimenta cependant son hôtesse, présidant à une extrémité de la table et veillant sur la théière traditionnelle.

Elspeth McKay ne ressemblait pas du tout à Spencer. La carrure massive de l’un devenait anguleuse chez l’autre, et dans le visage en lame de couteau de la sœur, on devinait une aptitude à tout juger rapidement et avec une étonnante précision. Toutefois, les yeux et le menton proéminent étaient semblables chez le frère comme chez la sœur. Poirot qui les trouvait tous deux doués d’un grand bon sens s’amusait à comparer leur façon de s’exprimer. Au cours de sa longue carrière, Spencer s’était plié à une discipline extrêmement sévère et avait appris à n’émettre un jugement ou même une simple remarque que lorsqu’il était absolument certain de son fait. Il parlait donc lentement, pesant chaque mot avant de le prononcer. Mrs. McKay, par contre, débitait ses impressions d’une façon volubile, directe et précise.

Après un échange classique de banalités, la conversation du trio s’orienta naturellement sur le crime commis chez Mrs. Drake.

D’un ton posé. Poirot annonça :

— Pour moi, il est clair que le caractère de la victime joue un grand rôle dans l’affaire. Quel est votre avis, mon cher ?

Haussant les épaules. Spencer protesta :

— Je n’habite pas le pays depuis assez longtemps pour vous donner un point de vue objectif. Adressez-vous plutôt à Elspeth.

Cette dernière enchaîna aussitôt :

— Si vous voulez mon avis, je vous dirai que Joyce était une menteuse.

— Vous n’auriez donc jamais pris au sérieux ce qu’elle racontait ?

— Certainement pas. Je reconnais qu’elle avait un grand pouvoir de persuasion, mais pour rien au monde je n’aurais ajouté foi à ce qu’elle racontait.

— Mentait-elle uniquement pour se rendre intéressante ?

— Je pense que oui. On vous a sans doute parlé de ce qu’elle avait inventé à propos d’un soi-disant voyage aux Indes avec son oncle ? Ce qu’elle a pu trouver ! Ses compagnes ont été convaincues pour la plupart, car elle décrivait fort bien ses pseudo chasses au tigre et à l’éléphant. Mais, au fur et à mesure qu’elle trouvait de nouveaux auditoires, les animaux se multipliaient et ce que personnellement j’avais d’abord mis sur le compte d’une exagération assez naturelle chez une fillette, ne me laissa vite aucun doute quant à la véracité de l’expédition. On peut dire que cette enfant-là n’était jamais à court d’imagination.

Spencer intervint :

— Qu’elle ait échafaudé un conte à propos d’un voyage alors qu’elle passait ses vacances chez une parente éloignée, ne signifie pas forcément que tout ce qu’elle disait était des mensonges.

— Peut-être, mais pour ma part, je tiens qu’elle mentait comme elle respirait.

— Voulez-vous exprimer par là, chère madame, que si vous l’aviez entendue parler d’un crime au déroulement duquel elle aurait assisté, vous ne l’auriez pas crue, non plus ?

— Je maintiens que là encore, elle avait trouvé un conte à offrir à ses compagnes. Mais je ne veux pas être injuste. Il est possible, je l’admets, que l’enfant ait surpris un incident susceptible de lui fournir une merveilleuse occasion de capter l’attention de son auditoire.

— Et elle a payé sa faute en se faisant tuer ? ironisa Spencer. N’oubliez pas que son dernier mensonge lui a coûté la vie, Elspeth.

— D’accord et si la chose est prouvée, j’en aurai des remords. Monsieur Poirot, vous pouvez interroger qui vous voulez, partout on vous dira que Joyce mentait sciemment chaque fois que l’occasion s’en présentait. Et ne perdez pas de vue que son histoire a été racontée à une soirée, alors que comme les autres, Joyce devait se trouver dans un état de surexcitation très naturelle chez des jeunes. Elle aura voulu se donner une importance particulière.

— Quel crime aurait-elle eu la possibilité de voir perpétrer ?

— Aucun, affirma aussitôt Elspeth.

— Il doit bien y avoir eu des décès dans cette petite ville, au cours des trois dernières années ?

Spencer répondit :

— J’y ai réfléchi et je vous ai préparé une liste. Tirant une feuille de sa poche qu’il tendit à Poirot, il ajouta : Cela vous évitera de perdre du temps à glaner des renseignements çà et là.

— S’agit-il de victimes d’assassinat ?

— Rien n’a pu être prouvé. Disons que les circonstances de leur mort demeurent encore un mystère.

Poirot parcourut la liste des yeux : Mrs. Llewellyn-Smythe, Charlotte Benfield, Janet White, Lesley Ferrier, et relevant la tête, il regarda Elspeth :

— Mrs. Llewellyn-Smythe…

— C’est, peut-être, le cas le plus étrange.

Et elle ajouta un mot qui intrigua fort Poirot.

— À cause de cette fille.

— Quelle fille ?

— Elle s’est envolée un beau soir et personne n’a plus entendu parler d’elle.

— Qui ça ? Mrs. Llewellyn-Smythe ?

— Non, la fille. Elle aurait facilement pu ajouter quelques gouttes de poison à la potion. Et elle aurait hérité de tout… c’est du moins ce qu’elle se figurait à l’époque.

Poirot se tourna vers Spencer, quêtant une explication. Mais Elspeth continuait :

— On ne l’a jamais revue et elle n’a plus donné de ses nouvelles. Ces filles qui viennent de l’étranger sont toutes les mêmes.

— Vous voulez parler d’une fille qui vivait au pair chez Mrs. Llewellyn-Smythe ?

— Parfaitement, elle vivait avec la vieille dame et une semaine ou deux après la mort de cette dernière, elle a brusquement disparu.

— À mon avis, elle est partie avec un homme pour aller vivre ailleurs, commenta l’ancien Superintendant.

— Si c’est le cas, personne n’a jamais parlé de leur liaison et vous n’ignorez pas qu’ici tout se sait très vite. Les amoureux ne sont nulle part à l’abri des indiscrets.

— A-t-on jugé que là mort de Mrs. Llewellyn-Smythe avait quelque chose d’insolite ?

— Non. Elle souffrait depuis quelque temps d’une maladie de cœur et le médecin la visitait régulièrement.

— Pourtant, mon ami, vous ouvrez votre liste de morts suspectes avec son nom.

— Mrs. Llewellyn-Smythe était riche, immensément riche et bien que la nouvelle de sa mort ne surprît personne, sa soudaineté étonna un peu le docteur Ferguson persuadé que sa cliente pouvait encore vivre des années. Il est vrai que les médecins ont parfois de ces surprises. De plus, la vieille dame n’était pas du genre à suivre scrupuleusement les conseils de son praticien. Alors qu’elle aurait dû se ménager, elle agissait toujours à sa guise, allant même jusqu’à s’occuper de jardinage, son passe-temps favori. Ce genre de distraction n’est pas indiqué pour les cardiaques.

Elspeth enchaîna :

— Elle était venue s’installer ici à la suite de sa maladie. Avant, elle voyageait beaucoup à l’étranger. Elle a choisi notre coin pour être plus près de son neveu et de sa nièce, Mr. et Mrs. Drake. Elle a commencé par acheter « Quarry House », une grande bâtisse de style victorien adossée à une carrière abandonnée qu’elle désirait aménager en jardin. Elle a investi des millions pour réaliser son projet, faisant venir tout spécialement un paysagiste de Wisley. J’avoue qu’il a réussi des merveilles.

— J’irai jeter un coup d’œil sur son œuvre. Qui sait ? Cela me donnera peut-être des idées…

— Vous ne regretterez pas le déplacement.

— Comment Mrs. Llewellyn-Smythe avait-elle acquis sa fortune ?

— Son mari, un important constructeur de navires, la lui avait léguée par testament.

— Bien que le médecin ait jugé sa mort un peu soudaine, aucune enquête n’a été ouverte après le décès ?

Spencer hocha négativement la tête et Poirot reprit :

— Je me représente cette dame si riche. On lui recommande de se ménager, d’éviter les marches fatigantes, les montées d’escaliers, mais parce qu’elle est de tempérament énergique et probablement autoritaire, elle se refuse à écouter les conseils de prudence. À propos, est-ce le même médecin que je dois rencontrer ?

— Le docteur Ferguson, oui. Un homme approchant de la soixantaine et aimé de tous ses concitoyens.

— Néanmoins, vous ne semblez pas tout à fait convaincus tous les deux que Mrs. Llewellyn-Smythe soit morte d’une mort naturelle. Votre impression se base-t-elle sur des faits précis ?

— Il y a la fille au pair, commença Elspeth.

— Eh bien ?

— Pour commencer, elle a falsifié le testament de sa patronne et si ce n’est pas elle, qui l’a fait à sa place ?

— Quelle est cette histoire de testament falsifié ?

— Des rumeurs ont circulé au moment où le document laissé par la vieille dame dut être validé.

— Portait-il une date récente ?

— Il s’agissait d’un codicille appelé à remplacer des testaments successivement annulés. Ils se ressemblaient tous plus ou moins d’ailleurs, car toujours Mrs. Llewellyn-Smythe léguait le gros de sa fortune aux Drake, ses plus proches parents, changeant seulement le nom des œuvres de charité et des serviteurs fidèles bénéficiaires de petits legs.

— Tandis que par ce codicille… ?

— Elle laissait tout à cette fille « au pair », lança Elspeth, « pour la remercier de son dévouement et de sa gentillesse envers moi ».

— Parlez-moi un peu plus de cette fille « au pair » ?

— Elle venait d’un pays d’Europe centrale.

— Combien de temps est-elle restée auprès de la vieille dame ?

— Un peu plus d’un an.

— Mrs. Llewellyn-Smythe était-elle très âgée ?

— Non. Elle est morte à soixante-cinq ou six ans.

— Ce n’est pas vieux du tout, remarqua Poirot, légèrement vexé.

— En tout cas, cette fois, elle léguait tout à l’étrangère, sauf la maison construite pour le paysagiste qui pouvait en disposer à sa guise, et ce en plus d’une rente annuelle devant lui permettre de veiller à l’entretien des jardins.

— Je présume que la famille a prétendu que la défunte ne jouissait plus de toutes ses facultés lorsqu’elle avait rédigé ce codicille, et qu’elle s’était laissée influencer ?

— C’est possible, intervint Spencer. Toujours est-il que les notaires ont presque aussitôt insinué que le codicille était un faux.

— Il a été démontré que la fille vivant « au pair » aurait pu aisément être l’auteur de ce méfait. Voyez-vous, monsieur Poirot, elle avait pris l’habitude de se charger de la correspondance de sa maîtresse. Cette dernière, bien qu’elle ne pût se servir d’une plume qu’avec difficultés à cause de douleurs rhumatismales, se refusait à faire taper son courrier. En dehors de quelques, correspondances officielles, elle priait l’étrangère de mettre son courrier à jour à sa place et d’essayer d’imiter son écriture du mieux possible. Je tiens cette information de Mrs. Minden, une domestique qui l’aurait entendue le dire alors qu’elle époussetait la pièce où se trouvaient les deux femmes. Déjà, j’en ai déduit qu’un jour l’étrangère a eu l’idée d’écrire un codicille en sa faveur, certaine que personne n’en contesterait l’authenticité. Malgré son habileté, les notaires ont éventé la ruse.

— S’agissait-il des notaires de Mrs. Llewellyn-Smythe ?

— Oui, Messrs. Fullerton, Harrison et Leadbetter, une vieille firme de solide réputation qui gérait depuis toujours les affaires de leur cliente. Afin de confirmer leurs soupçons, ils ont eu recours à des experts et ont demandé à rencontrer la fausse héritière. Mais notre oiseau a pris peur et s’est envolé sans même prendre le temps d’emporter ses bagages. Les hommes de loi auraient, sans doute, poursuivi cette fille en justice et elle n’a pas eu le courage d’affronter un procès. À l’heure qu’il est, elle a probablement regagné son pays et changé de nom.

Pensivement, Poirot remarqua :

— Cependant, la mort de Mrs. Llewellyn-Smythe n’a éveillé aucun soupçon.

— Non, puisque le médecin avait décidé que la défunte était morte de mort naturelle. Je sais qu’il arrive parfois aux praticiens de se laisser abuser par les apparences. Imaginez que Joyce ait surpris ou entendu quelque chose ? Par exemple, la vieille dame remarquant que, pour une fois, sa potion servie par l’étrangère, lui semblait très amère.

— À vous entendre, Elspeth, on jurerait que vous étiez vous-même témoin d’un tel incident !

— Où et à quel moment de la journée est morte Mrs. Llewellyn-Smythe ? questionna Poirot.

— Elle est morte chez elle, tôt dans l’après-midi. Elle venait de s’adonner au jardinage et avait regagné sa chambre en respirant avec peine. Elle s’est allongée sur son lit et est morte dans son sommeil. Une mort qui, à première vue, est des plus banales.

Poirot sortit son petit carnet et au haut de la page sur laquelle il avait déjà inscrit méthodiquement : victimes éventuelles, il commença sa liste en inscrivant Mrs. Llewellyn-Smythe.

Regardant ensuite les notes de son ami, il lut :

— Charlotte Benfield ?

Spencer lança aussitôt, comme s’il lisait un rapport :

— Vendeuse. Seize ans. Morte des suites de coups assenés sur la tête. Trouvée sur un sentier à l’orée de « Quarry Wood ». Des jeunes gens suspectés. Ils avaient été vus en sa compagnie peu de temps auparavant. Relâchés faute de preuve. Lors des interrogatoires, ils ont raconté quelques mensonges, se sont contredits, bref, ils avaient peur. Ni l’un ni l’autre n’ont l’envergure de meurtriers, mais… l’un ou l’autre a très bien pu faire le coup.

— Quel genre, ces garçons ?

— Peter Gordon, 21 ans, sans profession. A trouvé un ou deux emplois qu’il n’a pas gardés, trop paresseux pour persévérer. Un beau gars, d’ailleurs. Fut mis une ou deux fois en liberté surveillée pour de menus larcins. Son casier judiciaire ne porte aucune mention d’actes de violence. Il appartenait à un gang de voyous, mais s’est toujours gardé de s’attirer des ennuis trop sérieux.

— Et l’autre ?

— Thomas Hudd, vingt ans, affligé d’un bégaiement très prononcé. Caractère timide, névrosé. Nourrissait l’ambition de devenir professeur. Échec. La mère, veuve, s’est toujours montrée d’une faiblesse exagérée envers son fils, le couvant et l’empêchant de sortir avec les jeunes filles de son âge. Il travaille chez un libraire. Aucune action criminelle à son actif, mais du point de vue psychologique, il serait capable de mijoter un mauvais coup. Les deux compères ont tous deux fourni des alibis pour le soir du crime. Hudd se trouvait auprès de sa mère qui jurerait n’importe quoi plutôt que de laisser accuser son fils. Le jeune Gordon était en compagnie de ses copains dont le témoignage vaut moins que rien, mais là encore, impossible de découvrir un indice quelconque.

— Quand le crime a-t-il eu lieu ?

— Il y a dix-huit mois.

— Où ?

— Juste à la sortie de Woodleigh Common sur un sentier que coupe une colline.

— À trois quarts de mille d’ici, précisa Elspeth.

— À proximité de la maison des Reynolds ?

— Non, à l’autre extrémité du village.

Poirot réfléchit avant de remarquer pensivement :

— Ce pourrait difficilement être le meurtre auquel Joyce faisait allusion. Si elle avait vu défoncer le crâne d’une jeune fille, il ne lui aurait pas fallu plus d’un an pour réaliser qu’elle avait été témoin d’un crime.

Consultant des yeux son agenda, il lut à haute voix :

— Lesley Ferrier.

À nouveau, le Superintendant prit la parole :

— Clerc de notaire, vingt-huit ans. Employé chez Messrs. Fullerton, Harrison et Leadbetter de Market Street à Medchester.

— Ceux qui s’occupaient des affaires de Mrs. Llewellyn-Smythe ?

— Les mêmes.

— Curieux. Qu’est-il arrivé à Ferrier ?

— Tué d’un coup de poignard à proximité du pub Le Cygne Vert. Il aurait, paraît-il, mené une intrigue amoureuse avec la femme du tenancier Harry Griffin.

— L’arme du crime ?…

— On ne l’a jamais retrouvée. Ferrier aurait rompu ses relations avec la belle tenancière pour fréquenter une jeune fille que la police n’a pas réussi à identifier.

— Et qui a-t-on soupçonné, le mari ou la femme ?

— L’un ou l’autre aurait tout aussi bien pu être coupable. Mrs. Griffin a du sang de bohémien dans les veines et son tempérament emporté est connu de tous. Les époux n’étaient d’ailleurs pas les seuls à être soupçonnés. Lesley, au cours de sa jeunesse mouvementée, avait eu des ennuis avec la police vers sa vingtième année. On aurait trouvé des erreurs dans sa caisse ainsi que des documents falsifiés. À son procès, la défense a plaidé qu’il était issu d’une famille désunie et tout ce qui s’ensuit, vous connaissez la chanson… Ses collègues ont parlé en sa faveur, ce qui l’a sauvé d’une longue condamnation. À sa sortie de prison, il a été réembauché par la firme.

— Et après cela, il a mené une existence rangée ?

— Difficile à prouver. Sur le plan travail, il en donnait l’impression, mais il a pris part à des transactions plus ou moins louches avec d’anciens compagnons de cellule. À mon sens, il ne s’était pas amendé, mais agissait avec prudence.

— Comment expliquez-vous cette mort violente ?

— Son association avec des crapules, probablement. Ceux qui fréquentent les gibiers de potence doivent s’y attendre, un jour ou l’autre.

— Rien d’autre à ajouter ?

— On a découvert que son compte en banque avait beaucoup grossi peu avant sa mort, mais comme l’argent avait été déposé comptant, il fut impossible d’en retrouver la source. Ce détail intrigua fort les autorités.

— Peut-être de l’argent volé aux notaires ?

— Ces Messieurs affirmèrent que non, après vérification de leurs comptes.

— Et la police n’a jamais soupçonné d’où provenaient ces fonds ?

— Apparemment, non.

— Là encore, j’oserais affirmer que ce crime ne peut être celui auquel Joyce se référait.

Il lut le dernier nom de la liste.

— Janet White.

— Trouvée étranglée sur un chemin de traverse entre l’école où elle enseignait et l’appartement qu’elle partageait avec une autre institutrice, Nora Embrose. D’après les déclarations de celle-ci, Miss White aurait reçu à plusieurs reprises des lettres de menaces du boy-friend qu’elle avait laissé tomber une année plus tôt. Néanmoins, la police n’a pu mettre la main sur cet homme. Nora Embrose ne le connaissait pas et ignorait dans quelle ville il habitait.

— Cette affaire cadrerait mieux avec ce qui nous intéresse.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle correspond mieux au genre d’acte de violence que peut surprendre une fillette de l’âge de Joyce. Si l’assassin lui était étranger, elle aura pu reconnaître dans la victime, un de ses professeurs et, assistant à une querelle opposant le couple, elle n’aura pas, sur le moment, pensé à un crime. À combien de temps remonte cette affaire ?

— À deux ans et demi.

— Le temps aurait, là encore, une signification importante. La fillette qui voit l’homme serrer le cou de sa compagne, croit que les amoureux vont s’embrasser pour faire la paix et ce n’est, que deux ans plus tard qu’elle réalise à quel genre de scène elle a assisté.

Se tournant vers Mrs. McKay, il questionna :

— Que dites-vous de mon raisonnement, Madame ?

— Je le suis parfaitement, mais… ne considérez-vous pas la situation à rebours, en cherchant à résoudre un crime ancien plutôt que de concentrer votre attention sur celui qui vient de faire une petite victime dans notre village ?

— Il nous faut partir du passé pour progresser jusqu’au présent. Ainsi, nous en venons à la question que vous avez déjà dû vous poser, à savoir, qui parmi les invités de la soirée de Mrs. Drake aurait pu tremper de près ou de loin dans un crime perpétré bien plus tôt.

— Nous pouvons même restreindre un peu le nombre des suspects, coupa Spencer, car Joyce a parlé devant un petit groupe qui était là, dans le courant de l’après-midi, pour préparer la fête.

— J’imagine que vous avez réussi à obtenir la liste de ces personnes ?

— En effet. Je l’ai même revérifiée et ma tâche n’a pas été aisée. Voici le résultat de mon enquête.

« Liste des personnes présentes chez Mrs. Drake durant la préparation de la soirée, donnée à l’occasion de la Fête du Potiron. »

Mrs. Drake. (Propriétaire de la maison.) Mrs. Butler. Mrs. Oliver.

Miss Whittaker. (Maîtresse d’école.)

Révérend Charles Cotterell. (Vicaire.)

Simon Lampton. (Curé.)

Miss Lee. (Assistante du docteur Ferguson.)

Ann Reynolds.

Joyce Reynolds.

Nicholas Ransom.

Desmond Holland.

Beatrice Ardley.

Cathie Grant.

Diana Brent.

Mrs. Carlton. (Femme de ménage.)

Mrs. Minden. (Autre femme de ménage.) Mrs. Goodbody. (Aide bénévole.)

— Vous êtes sûr que les noms y sont tous ? demanda. Poirot après lecture.

— Non, je n’en suis pas du tout sûr, et il est pratiquement impossible d’être affirmatif. Quelqu’un a apporté des ampoules colorées, un autre des miroirs. On a aussi livré de la vaisselle supplémentaire, un seau. Il se peut donc que celui ou celle qui nous intéresse se soit trouvé présent quelques instants et ait été oublié par les gens interrogés. Et même, sans entrer dans la salle de jeu, notre suspect aurait pu surprendre les paroles de Joyce en restant dans le hall où personne n’aura remarqué sa furtive présence. Force nous est donc de limiter notre liste aux dix-huit personnes qui sont restées plus d’une heure chez Mrs. Drake.

— Je vous remercie. Encore une question : lorsque vous leur avez parlé, ont-elles fait allusion à l’étrange déclaration de Joyce ?

— Non, je ne pense pas. Et la police qui a vérifié de son côté, ne l’a pas noté non plus. C’est par vous que j’en ai entendu parler pour la première fois.

— Intéressant…

— Cela démontre surtout que personne n’a pris les paroles de Joyce au sérieux.

Poirot hocha la tête.

— Je dois prendre congé pour ne pas manquer mon rendez-vous avec le docteur Ferguson. Je tiens à le voir après l’heure des consultations.

Il plia soigneusement la liste que venait de lui remettre son ami et la glissa dans sa poche.

CHAPITRE IX

Le docteur Ferguson, sexagénaire d’origine écossaise aux manières franches et brusques, fixa sur son visiteur un regard dépourvu de bienveillance et dissimulé en partie par d’épais sourcils broussailleux.

— De quoi s’agit-il ? Asseyez-vous en prenant garde à ce fauteuil dont les roulettes ne tiennent presque plus.

— Peut-être devrais-je vous expliquer…, commença Poirot.

— Inutile : dans notre petite ville tout se sait. La romancière vous a prié de venir en tant que plus grand policier de tous les temps, pour réduire à rien notre police locale. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

— Oui et non. Je suis venu rendre visite à un de mes vieux amis, l’ancien Superintendant Spencer qui habite ici avec sa sœur.

— Un bon policier, ce Spencer. Beaucoup de cran et l’honnêteté qui distinguait la vieille école. Un incorruptible pas du tout partisan de la violence. Un garçon loin d’être bête.

— Vous l’évaluez à sa juste valeur.

— Eh bien ! que pensez-vous tous deux de cette affaire ?

— L’inspecteur Raglan et lui, Spencer, m’ont témoigné une grande amabilité. J’espère que, comme eux, vous me prêterez assistance, docteur.

— Je n’ai pas à être aimable. Je ne sais rien qu’ils ne connaissent déjà. Une fillette meurt asphyxiée parce qu’au cours d’une soirée on lui a maintenu la tête dans un seau rempli d’eau et de pommes. Sale histoire, Monsieur. Tout ça parce que des fous sont laissés en liberté. Je dois dire qu’habituellement, ils ne choisissent pas une soirée pour satisfaire leurs instincts sanguinaires. Beaucoup trop risqué. Mais… les malades mentaux doivent eux aussi éprouver parfois le goût de l’aventure.

— Nourrissez-vous quelque soupçon sur l’identité de celui que nous recherchons ?

— Croyez-vous que ce soit là une question à laquelle je puisse vous répondre comme ça ? Il me faudrait des preuves, non ?

— Vous pourriez vous risquer à une hypothèse ?

— N’importe qui peut ébaucher des hypothèses. Si je rends visite à un malade, il me faut questionner, soupeser pour finalement décider avec un éventail de possibilités plus ou moins ouvert. Et cela, monsieur Poirot, c’est ce que, dans ma profession, on appelle un diagnostic. Impossible de prononcer sans réfléchir ni être sûr de ce qu’on avance.

— Connaissiez-vous la victime ?

— Certainement. Elle et sa famille étaient de ma clientèle. Nous ne sommes que deux médecins, ici, Worral et moi. Les Reynolds m’ont toujours consulté. Joyce était une fillette robuste, ayant eu les maladies infantiles habituelles. Aucun signe particulier sinon qu’elle mangeait et parlait trop.

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