LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

— Mais qui… qui ?

— Nous le saurons bientôt.

CHAPITRE XXII

Il n’était pas dans les habitudes d’Hercule Poirot d’avoir recours à l’opinion d’autrui. Néanmoins, bien qu’il fût presque toujours satisfait de son propre jugement, il lui arrivait quelquefois, de solliciter l’avis de personnes qu’il estimait. Lorsqu’il eut abouti à ses conclusions personnelles touchant le meurtre des deux enfants, il eut un entretien avec son ami Spencer et l’inspecteur Raglan, loua une voiture et avant de se rendre à Londres, se fit déposer à l’école des « Elms » où il pria Miss Emlyn de l’excuser de la déranger à une heure aussi indue.

— Je suppose que vous ne viendriez pas me trouver pour un motif futile, monsieur Poirot ?

— Vous êtes trop aimable, mademoiselle. Pour être franc, j’ai besoin d’un conseil.

Cette remarque laissa Miss Emlyn sceptique.

— Je n’avais pas l’impression que cette modestie fût un trait de votre caractère, monsieur Poirot.

— Cela est vrai, cependant j’aimerais beaucoup recevoir, de la part d’une personne dont je respecte grandement le bon sens, l’assurance que mes soupçons sont fondés. J’ai découvert l’identité du meurtrier de Joyce Reynolds et je crois que comme moi, vous le connaissez.

— Je ne vous ai pourtant rien dit !

— Certainement et cela m’incite à penser que votre conviction est sans fondement solide.

— Soit. Admettons que j’aie abouti à une conclusion. Cela n’implique pas que je doive vous la communiquer.

— Non… mais j’aimerais écrire quatre mots sur un morceau de papier et obtenir votre approbation en ce qui les concerne.

— Quatre mots ? Vous m’intriguez !

Poirot s’exécuta et tendit une feuille que la directrice parcourut des yeux.

— Eh bien ?

— Je partage votre opinion en ce qui concerne les deux premiers. Les deux autres sont plus difficiles, car je n’ai pas de preuves et je vous avouerai franchement que je n’y avais pas pensé.

— Mais pour les premiers, vous avez des preuves ?

— Je le pense, oui.

— L’eau ! annonça-t-il lentement. Dès que vous avez su, vous avez compris. Moi aussi. Nous avons tous les deux compris. Et à présent, un garçon vient d’être noyé dans un ruisseau.

— Un coup de téléphone me l’a annoncé avant votre arrivée. Comment le frère de Joyce était-il impliqué dans l’affaire ?

— Il voulait de l’argent. Il en obtint, mais lorsque l’occasion s’est présentée, on s’est débarrassé de lui. La personne qui me l’apprit était remplie de compassion, bouleversée. Pour obtenir de l’argent, Léopold avait pris des risques. Il était assez intelligent, assez rusé même pour deviner où pouvait le mener son petit jeu. Il n’avait que dix ans, mais l’âge ne compte pas lorsque l’on se lance dans une telle entreprise. Ce qui importe maintenant, c’est d’aider un autre Léopold à rester en vie. Un meurtrier qui a frappé plus d’une fois est un danger pour la société, surtout si, pour lui, tuer est le seul moyen qu’il lui reste de sauvegarder sa sécurité. Je me rends à Londres où je compte rencontrer quelques gens avec lesquels je tâcherai de mettre au point un système d’approche. Il y a encore un détail sur lequel j’aimerais obtenir votre opinion, mademoiselle. Croyez-vous que je puisse accorder toute ma confiance à Nicholas Ransom et Desmond Holland ?

— Oui. J’admets que par certains côtés, ils ont des réactions assez puériles, mais fondamentalement, ils sont aussi sains qu’une pomme sans vers.

— Nous en revenons toujours aux pommes, remarqua Poirot, tristement. Il faut que je parte, à présent. Je dois rendre une visite avant de reprendre ma course vers Londres.

CHAPITRE XXIII

1

— Êtes-vous au courant de ce qu’il se passe à Quarry Wood ? demanda Mrs. Cartwright, en plaçant un paquet de Fluffly Flakelets dans son panier à provisions.

— Non, je ne sais rien, répondit Mrs. McKay.

Les deux femmes venaient de se rencontrer dans le nouveau supermarché de Woodleigh Common.

— Il paraîtrait que les arbres menacent de s’abattre. Deux forestiers sont arrivés ce matin et inspectent les bois sur la colline du côté du vieil arbre penché. Ils creusent autour des racines, paraît-il. C’est dommage, ils vont tout saccager.

— Ils doivent connaître leur métier. Quelqu’un les a sans doute appelés.

— Deux policiers veillent à ce que personne n’approche de trop près tant qu’ils n’auront pas exactement localisé le danger.

— Je comprends, répondit Mrs. McKay.

Peut-être comprenait-elle. Elspeth n’avait pas besoin d’être beaucoup plus renseignée pour réaliser la gravité de la situation.

2

Ariadne Oliver ouvrit le télégramme qu’on venait de lui remettre à la porte de son amie. Elle était tellement habituée à recevoir des messages téléphoniques que la vue d’un vrai télégramme lui causa une forte émotion.

« PRIÈRE EMMENER MRS. BUTLER ET MIRANDA À VOTRE APPARTEMENT IMMÉDIATEMENT, PAS DE TEMPS À PERDRE IMPORTANT VOIR DOCTEUR POUR OPÉRATION. »

Elle se rendit dans la cuisine où son amie préparait une « gelée » parfumée au coing.

— Judith, rangez vite quelques affaires dans une valise. Je rentre à Londres et vous m’accompagnez avec Miranda.

— C’est très gentil à vous de nous inviter, Ariadne, mais j’ai trop de choses en train pour pouvoir m’absenter en ce moment. De toute manière, vous n’êtes pas obligée de vous sauver aussi rapidement !

— Je vous dis qu’il le faut. Je viens d’en être instruite.

— Par qui, votre femme de ménage ?

— Non. Il s’agit d’une des rares personnes auxquelles j’obéis sans discuter. Allons, dépêchez-vous !

— Mais c’est impossible !

— Il le faut, la voiture est prête. Je l’ai amenée devant la grille. Nous pouvons partir immédiatement.

— Dans ce cas, j’ai envie de laisser Miranda chez les Reynolds ou chez Rowena Drake ?

— Miranda vient avec nous. Je vous en prie, c’est très sérieux. Ne perdons pas notre temps à discuter ! Tenez, lisez !

Elle tendit le télégramme à Mrs. Butler. Lorsque cette dernière en eut pris connaissance, elle s’enquit :

— Que signifie le mot « opération » ?

— C’est un mot de code pour dérouter d’éventuels indiscrets.

— Ariadne, j’ai peur.

Mrs. Oliver regarda son amie qui tremblait et trouva qu’elle ressemblait plus que jamais à Ondine, complètement détachée de la réalité.

— Songez, ma chère, que j’ai promis à Hercule Poirot de vous emmener lorsqu’il m’en donnerait l’ordre. L’heure est venue de lui obéir sans discuter.

— Seigneur ! Quelle idée j’ai eue de venir m’installer dans ce village !

— Il est inutile de chercher à raisonner sur ce qui pousse les gens à choisir de s’implanter en un lieu plutôt qu’en un autre.

S’avançant sur le seuil de la porte-fenêtre, Ariadne appela :

— Miranda ! Venez vite, nous partons pour Londres.

La fillette surgit.

— Pour Londres ?

— Nous y allons en voiture, expliqua sa mère. Nous y verrons une pièce de théâtre et Mrs. Oliver essaiera de nous obtenir des places pour un ballet. Cela vous plairait-il de voir un ballet ?

— Énormément. – Les yeux de la fillette brillèrent de joie. – Mais d’abord, je dois aller dire au revoir à un ami.

— Nous partons dans un instant.

— Je ne serai pas longue, Mummy.

Elle disparut en courant.

— Qui sont les amis de Miranda ? questionna Mrs. Oliver.

— Je ne sais pas ; elle ne me confie jamais rien. J’ai néanmoins le sentiment que ses seuls vrais amis sont les oiseaux et les écureuils des bois. Je crois que ses compagnes de classe l’aiment beaucoup, mais elle ne recherche pas souvent leur compagnie et en invite très peu à prendre le thé à la maison. Je pense que sa meilleure camarade était Joyce Reynolds. Elles se confiaient tous leurs secrets. Se levant, elle annonça : ma foi, puisque votre décision est arrêtée, je ferais bien d’aller me préparer. Mais franchement, j’aurais souhaité ne pas partir si vite. J’ai un tas de choses en train, cette gelée, par exemple…

— Inutile de discuter, vous ne faites que nous retarder !

Judith descendait chargée de deux valises lorsque Miranda entra, toute essoufflée.

— Nous ne mangeons pas, aujourd’hui ? demanda-t-elle.

En dépit de sa fragilité apparente, Miranda était une enfant comme les autres.

— Nous nous arrêterons en route pour déjeuner, répondit Mrs. Oliver. Nous irons au Black Boy à Haversham qui n’est qu’à trois quarts d’heure d’ici. Venez, Miranda.

— Je n’aurai donc pas le loisir de prévenir Cathie que je ne l’accompagnerai pas au cinéma demain ? Peut-être pourrais-je lui téléphoner, Mummy ?

— Entendu, mais vite !

Miranda courut au salon tandis que les deux femmes allaient placer les valises dans le coffre de la voiture.

Lorsque Miranda les rejoignit, elle expliqua :

— Elle n’était pas là, mais j’ai laissé un message pour elle.

Lorsqu’elles furent toutes trois installées dans la voiture que conduisait Mrs. Oliver, Judith Butter remarqua :

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