LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

— Parce qu’il prévoyait que la loi refuserait de reconnaître l’étrangère comme légataire universelle. Il existe une expression « suggérer un testament ». Mrs. Llewellyn-Smythe n’était plus très jeune sa santé s’altérait, et préalablement elle avait écrit plusieurs testaments qui favorisaient ses proches, ses amis, quelques œuvres de charité, enfin le genre de document raisonnable, toujours reconnu légal par les tribunaux. Cette étrangère arrive et, sans avoir le moindre droit sur la fortune de sa patronne, prétend être son héritière. Le codicille, même authentique, aurait été difficilement enregistré. Je doute, de plus, qu’Olga se serait laissée influencer pour acheter une île grecque. Pour elle, Michael était le futur mari qui lui permettrait de demeurer en Angleterre. Rien de plus.

— Et Rowena Drake ?

— Elle, c’était différent. Elle était folle du paysagiste. Son mari avait été longtemps un invalide et bien qu’elle ne fût plus très jeune, elle possédait un caractère passionné. Un jour, elle rencontra un garçon d’une grande beauté, tomba éperdument amoureuse de lui. De son côté Michael Garfield, pour réaliser ses rêves extraordinaires, avait besoin d’argent, d’énormément d’argent. Quant à l’amour… Il était Narcisse. Je me souviens d’une chanson française que j’ai apprise il y a des années et qui dépeint bien Garfield.

Il fredonna doucement :

« Regarde Narcisse

Regarde dans l’eau

Regarde Narcisse, comme tu es beau !

Il n’y a au monde

Que la Beauté

Et la Jeunesse…

Hélas ! Et la Jeunesse…

Regarde, Narcisse

Regarde dans l’eau… »[8]

Mrs. Oliver déclara, outrée :

— Je ne puis croire, je ne puis vraiment croire que quelqu’un soit prêt à commettre de tels crimes pour réaliser son rêve de créer un jardin sur une île grecque !

— Vraiment ? C’est pourtant bien ce qui devait arriver. Garfield avait commencé par réaliser des jardins modestes, puis Quarry Wood, et brusquement il envisagea de posséder tout une île, et d’en faire un modèle de beauté. Rowena Drake et sa passion devaient lui servir à atteindre son but.

— Il voulait son île même au prix de s’embarrasser d’une femme autoritaire et dure ?

— Les accidents arrivent. Je n’aurais pas été surpris qu’un jour Mrs. Drake disparût à son tour.

— Un meurtre de plus ?

— Eh oui ! Tout a débuté très simplement. Il fallait qu’Olga meure parce qu’elle était au courant de l’existence d’un codicille. Morte, elle allait servir de bouc émissaire, méprisée et accusée d’avoir commis un faux. Le codicille authentique n’ayant pu être découvert dans la cachette que lui avait ménagée Mrs. Llewellyn-Smythe, Lesley Ferrier reçut de l’argent pour en écrire un nouveau tellement mal imité que les notaires comprirent tout de suite qu’il y avait supercherie. Cela scella l’arrêt de mort du garçon. Je compris assez vite que Ferrier n’avait pas dû avoir d’aventure avec Olga, une suggestion encore de Michael Garfield, et que l’argent trouvé à son compte en banque devait provenir du paysagiste. Au contraire, Garfield cherchait à capter l’affection d’Olga, conseillant à la jeune fille de taire leur liaison à quiconque et en particulier à sa maîtresse ; tout en faisant de vagues promesses de mariage à l’étrangère, il décidait froidement qu’elle serait la victime dont Mrs. Drake et lui auraient besoin si l’argent lui revenait. Il n’était pas nécessaire qu’Olga fût accusée d’avoir falsifié le codicille, ni qu’elle fût poursuivie en justice. Il suffisait qu’on la suspecte d’avoir forgé le document. Les soupçons ne manquèrent pas de pleuvoir sur elle. Ne savait-on pas dans le village que Mrs. Llewellyn-Smythe avait pour habitude de lui dicter son courrier en l’incitant à imiter son écriture et même sa signature ? Sa disparition soudaine devait d’ailleurs confirmer l’opinion publique ; pour tout le monde, elle s’était enfuie sa supercherie découverte. Donc, au moment jugé opportun, Olga Seminoff mourut. Quant à Lesley Ferrier, on pensa qu’il avait été attaqué par un gang de voyous auquel il était associé, ou puni par une femme jalouse qui voulait se venger de ses infidélités. Mais le couteau trouvé dans le puits avec le corps d’Olga était l’arme qui lui avait infligé des blessures mortelles. Je me doutais que le corps d’Olga devait être caché dans le voisinage, mais je n’avais aucun indice pouvant me guider jusqu’au moment où Miranda pria Michael Garfield de la mener au puits condamné et refusa. Un peu plus tôt, lorsque je demandai à Mrs. Goodbody où, à son avis, avait disparu l’étrangère, elle me répondit : « Ding dong dell, le chat est dans le puits. » Je sus alors avec certitude que le corps d’Olga était au fond du puits aux souhaits. Je découvris l’emplacement que je cherchais à proximité du cottage de Gharfield et je pensais que Miranda avait pu surprendre, cachée dans les bois, soit le meurtre soit le transport du cadavre. Mrs. Drake et Michael se doutèrent que quelqu’un les avait épiés, mais comme rien, ne vint confirmer leurs soupçons, ils se sentirent rassurés. Ils échafaudèrent des projets sans se presser. Mrs. Drake commença à répandre la rumeur de son prochain départ de Woodleigh Common où trop de souvenirs se rattachant à son défunt époux lui pesaient. Tout marchait au mieux jusqu’au jour où… Joyce annonça avoir été témoin d’un meurtre. Mrs. Drake crut alors, qu’elle et Michael avaient été surpris pendant : qu’ils transportaient le corps de leur victime dans les bois. Elle réagit presque sur-le-champ, mais ce ne devait pas être la fin de ses soucis. Le jeune Léopold décida brusquement de faire ses débuts dans le chantage. Il est impossible de préciser ce qu’il savait au juste, peut-être les deux complices le crurent-ils plus instruit qu’il ne l’était. Toutefois, ses incessantes demandes d’argent ne pouvaient durer. Donc,… Léopold mourut à son tour.

— Je comprends que vous ayez suspecté Mrs. Drake à cause de l’incident concernant l’eau, mais comment en êtes-vous venu à soupçonner aussi Garfield ?

— La dernière fois que j’eus un entretien avec lui, au milieu de ses bois, il me dit quelque chose qui me força à beaucoup réfléchir. « Retire-toi, Satan. Retournez auprès de vos amis policiers. » Je réalisai brusquement que ce devait être tout le contraire. Je me suis dit : « Je vous laisse derrière moi, Satan. » Un Satan jeune et beau, qui aimait la beauté née de son imagination et de ses mains. Pour servir son ambition, il aurait tout sacrifié. Je crois qu’à sa façon, il aimait Miranda et pourtant, il était prêt à la tuer pour sauvegarder sa sécurité. Il apporta un soin méticuleux à mettre au point la manière dont elle devait mourir, changea sa mort en un sacrifice rituel et prépara sa victime à se prêter aux préliminaires. Elle devait le prévenir au cas où elle quitterait Woodleigh Common et il lui donna rendez-vous au pub Black Boy où vous aviez décidé de déjeuner, mesdames. Plus tard, Miranda aurait été retrouvée sur le plateau du Kelterbury Ring, prostrée, près d’un signe gravé dans la pierre, un gobelet d’or dans sa main crispée.

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