LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

— Ce que vous m’apprenez là est très intéressant.

Michael Garfield regarda le détective avec curiosité.

— Je ne comprends pas ?

— Je tente de remonter à une période antérieure à celle au cours de laquelle Lesley Ferrier et Olga Seminoff se rencontraient en cachette de Mrs ; Llewellyn-Smythe.

— Vous savez, je n’irai pas jusqu’à affirmer que les choses avaient pris cette tournure. J’ai croisé le couple assez souvent, mais Olga ne m’a jamais pris pour confident. Quant à Ferrier je le connaissais à peine.

— Mais avant, bien avant tout cela… n’a-t-il pas eu quelques ennuis avec la police ?

— À ce qu’il paraît. J’ai entendu dire que Ferguson l’avait repris à sa sortie de prison. Un brave type, ce Ferguson.

— On m’a raconté qu’il a été condamné pour faux.

— C’est vrai. Il semblerait qu’il avait presque réussi son coup, mais que la firme où il travaillait tomba par hasard sur les pièces truquées.

— Et lorsqu’à la mort de Mrs. Llewellyn-Smythe, on examina le codicille qu’elle avait soi-disant laissé, il fut prouvé qu’elle n’avait jamais écrit le document en question.

— Essayez-vous d’associer les deux escroqueries ?

— Ce serait assez logique… Nous retrouvons, ensemble, l’homme qui falsifie les documents de son employeur, lié à la jeune fille qui présenta un faux codicille pour hériter de la fortune d’une vieille dame.

— Eh oui… C’est ainsi que vont les choses. Pourtant c’est Olga qui a été accusée. Remarquez que, personnellement, je n’ai jamais cru qu’Olga ait réussi à reproduire exactement le coup de plume de notre patronne. Évidemment, si elle avait mis Lesley dans le coup, ils ont dû croire qu’à eux deux, ils feraient du bon travail et pourtant, avec son expérience, Lesley aurait dû douter de son talent de faussaire.

Fixant brusquement le détective d’un œil coléreux, il lança :

— Mais pourquoi venez-vous me parler de tout cela dans mon beau jardin ?

— Je voulais savoir.

— Il est préférable de ne pas savoir, ne jamais savoir. Mieux vaut laisser le passé dormir en paix.

— Vous voulez la beauté, à n’importe quel prix ? Moi, c’est la vérité que je veux.

Michael Garfield éclata de rire :

— Retournez auprès de vos amis policiers et laissez-moi goûter le calme de mon jardin, de mon paradis… Retire-toi, Satan !

CHAPITRE XXI

Poirot montait à pas lents la côte menant à la maison du policier retraité. Brusquement, il s’arrêta, oubliant d’un coup ses pieds douloureux et la pente raide. Il venait d’assembler les faits qu’il soupçonnait, depuis quelque temps, d’avoir un point commun. Il réalisa aussitôt quel danger menaçait une nouvelle victime si certaines mesures n’étaient pas prises sur-le-champ.

Agité par cette réflexion, Poirot arriva à la « Cime des Pins » où il fut accueilli par Mrs McKay qui sortait justement sur le pas de sa porte.

— Vous avez l’air épuisé, monsieur Poirot ? Venez vous asseoir.

— Votre frère est-il là ?

— Non. Il vient d’aller à la gare. Je crois savoir qu’il s’agit d’un accident.

— Déjà ? C’est impossible, voyons !

— Que dites-vous ?

— Rien, rien. De quoi est-il question ?

— Ma foi, je l’ignore. Jim Raglan a téléphoné et a pressé mon frère de descendre. Voulez-vous que je vous prépare une tasse de thé ?

— Non, merci beaucoup, mais je crois… je crois que je vais regagner mon hôtel. Mes pieds me font souffrir. Je suis mal équipé pour la campagne et je crois que je ferais mieux d’aller changer de chaussures.

Elspeth baissa les yeux sur les pieds du détective.

— Je vois que celles-ci sont inconfortables. À propos, une lettre est arrivée pour vous. Elle vient de l’étranger. Attendez, je vais vous la chercher.

Un instant plus tard, elle tendait la lettre à Poirot.

— Si vous ne voulez pas l’enveloppe, j’aimerais la garder pour un de mes neveux qui collectionne les timbres.

— Certainement.

Poirot décacheta le pli, en tira le contenu et offrit l’enveloppe à la sœur de son ami qui le remercia et disparut à nouveau dans la maison.

Olga Seminoff n’avait pas regagné sa ville natale où il ne lui restait plus de famille. Elle y comptait cependant une amie, une dame d’un certain âge avec laquelle elle avait correspondu à intervalles réguliers, la tenant au courant de l’existence qu’elle menait en Angleterre. Elle l’informait qu’elle s’entendait bien avec sa patronne qui, si elle se montrait exigeante, savait par contre, être généreuse.

Dans ses lettres plus récentes et qui remontaient à un an et demi, elle faisait allusion à un jeune homme avec lequel elle espérait pouvoir se marier, lorsque ce garçon, dont elle ne révélait pas le nom, se serait fait une situation. Dans sa dernière missive, Olga reparlait de ses projets matrimoniaux qui prenaient bonne tournure. Lorsque la vieille dame n’avait plus eu de nouvelles de sa jeune compatriote, elle avait supposé qu’Olga avait épousé son Anglais et changé du même coup d’adresse.

Cela cadre parfaitement, pensa Poirot. Lesley Ferrier avait dû parler mariage à Olga sans pour cela s’engager trop avant. Mrs. Llewellyn-Smythe était mentionnée comme ayant été une personne « généreuse ». L’argent qu’avait reçu Lesley devait venir d’Olga pour le pousser à commettre un faux dont il bénéficierait plus tard avec sa complice.

Comme Mrs. McKay ressortait sur la terrasse, Poirot lui demanda ce qu’elle pensait de ses déductions touchant le couple Ferrier-Seminoff.

Elspeth réfléchit un moment avant de déclarer :

— Ma foi, si ces deux-là s’aimaient, ils devaient bien se cacher. Aucune rumeur n’a circulé sur leur compte et pourtant, chez nous, les flirts entre jeunes gens s’apprennent tôt ou tard.

— Ferrier fréquentait déjà une femme mariée, ce qui l’aura sans doute incité à conseiller à sa compagne de garder leurs rencontres secrètes.

— C’est possible. D’ailleurs, Mrs. Llewellyn-Smythe sachant que Ferrier était un garçon peu estimable, aura sans doute conseillé à son « au pair » de se méfier de lui.

Poirot plia méticuleusement le message de Mr. Goby et le glissa dans sa poche.

— Vous devriez me laisser vous préparer une tasse de thé avant de partir. Cela vous ferait du bien.

— Merci, madame, mais je préfère rentrer pour changer au plus tôt de chaussures. Vous ne devinez pas quand votre frère sera de retour ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

Poirot pris congé de Mrs. McKay et regagna son hôtel. Alors qu’il montait les marches du perron, la porte principale fut poussée par sa logeuse qui arborait un air mystérieux.

— Il y a là une dame qui désire vous voir. Elle vous attend depuis un bon moment. Je lui ai bien dit que j’ignorais où vous étiez ni à quelle heure vous rentreriez, mais elle a insisté pour vous attendre. Il s’agit de Mrs. Drake. J’ai l’impression qu’elle est dans tous ses états. Elle, habituellement si calme, me fait l’effet d’avoir reçu un choc. Je l’ai laissée dans le salon. Voulez-vous que je vous serve du thé ?

— Non, merci. Je crois qu’il vaudrait mieux que j’écoute d’abord ce qu’elle est venue me confier.

Il entra dans le salon. En entendant la porte se refermer, Rowena Drake se retourna d’un élan.

— Monsieur Poirot ! Enfin, vous voici !

— Je suis désolé, madame, mais j’ignorais que vous vouliez me rencontrer. Quelque chose qui ne va pas ?

C’était là une question qu’il n’aurait jamais cru pouvoir adresser un jour à son interlocutrice. Rowena Drake laissant voir qu’elle n’était plus la maîtresse des événements, c’était impensable !

— Vous êtes au courant ?

— De quoi ?

— C’est horrible ! Il est mort… quelqu’un l’a tué !

— Qui est mort, madame ?

— Il n’était qu’un enfant et moi qui avais pensé mais aussi, quelle idiote j’ai été ! J’aurais dû vous faire confiance. Je me sens terriblement coupable de m’être crue capable de savoir mieux que quiconque ce qu’il conviendrait de décider… J’ai agi ainsi parce que j’étais persuadée d’avoir trouvé la meilleure solution, monsieur Poirot. Il faut absolument que vous me croyiez.

— Asseyez-vous, madame et racontez-moi. Un autre enfant est mort… quel enfant ?

— Son frère, Léopold.

— Léopold Reynolds ?

— Oui. Il a été trouvé sur un sentier de la colline. J’imagine qu’en sortant de l’école, il s’est offert un détour pour aller jouer dans le ruisseau qui passe là-haut. Quelqu’un lui a maintenu la tête sous l’eau et il est mort asphyxié.

— Comme Joyce.

— Oui. Je suis sûre que ces actes criminels sont l’œuvre d’un fou. Ce qu’il y a de plus angoissant, c’est qu’on ne possède pas le moindre indice. Et moi qui me figurais avoir deviné juste ! Je pensais vraiment…

— Il faut tout me dire, madame.

— Bien sûr. Vous êtes venu me parler de ce geste de surprise qu’Elizabeth Whittaker avait cru me voir esquisser dans les escaliers, au cours de la soirée. Elle pensait que j’avais pu apercevoir quelque chose d’insolite. J’ai nié parce que j’étais persuadée…

Elle se tut et Poirot la pressa :

— Vous aviez vu quelque chose, en réalité ?

— Oui et je regrette de ne pas vous l’avoir appris plus tôt. La porte de la bibliothèque s’est ouverte et il est apparu sur le seuil. Il s’est immobilisé un moment et a disparu presque aussitôt.

— De qui parlez-vous ?

— De Léopold.

— Vous avez pensé que… que Léopold venait de tuer sa sœur. C’est cela ?

— Oui. Pas tout de suite, cependant. J’ignorais encore que Joyce était morte. Mais j’ai trouvé que Léopold avait une expression bizarre. Dans un sens, il était un enfant assez effrayant. Il donnait toujours l’impression de n’être pas tout à fait normal. Très intelligent, il semblait ne pas vivre comme les autres gens. Lorsque je l’ai aperçu, je me suis dit : « Pourquoi Léopold n’est-il pas avec ses camarades à jouer au Snapdragon ? Il fait une drôle de tête. Je me demande ce qu’il cherchait dans la bibliothèque ? » Ensuite, ma foi, j’ai oublié l’incident, mais son apparition soudaine a dû me surprendre au point que je lâchai le vase de fleurs. Quand Joyce a été trouvée, je repensai à ce qui s’était passé plus tôt et j’en déduisis…

— Que Léopold avait tué sa sœur.

— Oui… Une monstrueuse erreur de jugement. Que Léopold ait été tué à son tour, signifie qu’il avait dû se rendre dans la bibliothèque, y voir sa sœur… morte, et ressentir un choc terrible. Voulant se sauver sans être remarqué, il aura jeté un coup d’œil dans le hall et m’apercevant, se croire obligé de battre en retraite.

— Et vous n’avez rien dit, madame ? Même après la découverte du crime ?

— Il… il était si jeune, à peine onze ans. J’avais le sentiment qu’il n’avait pu réaliser la portée de son acte.

Mes intentions étaient pures, monsieur Poirot. Je pensais agir pour le mieux. D’un ton distrait, Poirot remarqua :

— Je viens d’apprendre aujourd’hui que Léopold dépensait beaucoup d’argent ces derniers temps. Quelqu’un devait le payer pour qu’il garde le silence.

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