LA FÊTE DU POTIRON d’ Agatha Christie

— Évidemment.

— Je compte sur vous pour m’avoir des tuyaux sur les gens qui assistaient à la soirée.

— D’accord. La plupart des voisines sont sûrement au courant. En ce qui concerne la soirée, je suis déjà assez bien renseigné. Il y avait surtout des femmes. Cependant le docteur Ferguson s’y trouvait, ainsi que le vicaire et à part eux, des mères, des tantes, des vieilles filles, deux professeurs de l’école locale et à peu près une quinzaine d’enfants dont les plus jeunes atteignent à peine leur onzième année.

— J’imagine que vous pourrez aisément m’indiquer les personnes qui se seraient décommandées à la dernière minute ?

— Ce serait difficile si votre théorie s’avère véridique.

Il haussa les sourcils pour poursuivre :

— En fait, vous ne cherchez plus un maniaque, mais un criminel qui, après avoir réussi son coup, il y a des années, aura eu la désagréable surprise d’apprendre – de la bouche d’une enfant – que son méfait avait eu un témoin. Il m’est impossible de me représenter un de mes concitoyens dans un rôle aussi ignoble. Ce qui m’intrigue, c’est que Joyce n’ait pas fourni plus d’explications sur ce sujet. Serait-il possible que le meurtrier ait conclu avec elle une sorte de marché pour qu’elle tienne sa langue ?

— Je ne pense pas. D’après les dires de Mrs. Oliver, Joyce n’avait pas pris conscience à l’époque d’avoir assisté à un meurtre.

— Cela ne tient pas debout, voyons !

— Croyez-vous ? L’histoire est racontée par une fillette de douze ou treize ans, ayant enfoui dans sa mémoire le souvenir d’un crime qui s’est déroulé quelques années auparavant. Elle aura pu voir quelque chose sans en comprendre pleinement la signification, par exemple un accident de voiture dont le chauffeur aurait estropié ou même tué un piéton. Je dois vous confesser que bien des suggestions m’ont été présentées par Mrs. Oliver dont l’imagination ne connaît pas de limites. De toutes ses hypothèses, je retiens que quelque chose, un geste ou une parole imprudente, a pu déclencher les souvenirs de la fillette en l’éclairant sur les circonstances dudit accident.

— Et vous êtes ici pour enquêter sur des possibilités de ce genre ?

— Ce serait dans l’intérêt commun, vous ne trouvez pas ?

— Je vais voir ce que je puis tenter. J’intéresserai Elspeth à notre cause. Ma sœur est presque toujours au courant de ce qui se passe chez les autres.

CHAPITRE VI

Satisfait du résultat de sa visite, Poirot prit congé de son ami Spencer. Il avait réussi à intéresser l’ancien officier de police à l’affaire et au cours de sa longue carrière, Spencer s’était toujours montré d’une ténacité exemplaire dans ce qu’il entreprenait. Et puis, sa réputation d’autrefois au C.I.D lui permettrait d’obtenir les confidences de la police locale qui menait l’enquête.

Poirot consulta sa montre et jugea qu’il serait ponctuel au rendez-vous que lui avait fixé Mrs. Oliver devant la maison de Mrs. Drake, « Les Pommiers ». Une coïncidence pour le moins ironique… Ces fruits reviendraient-ils donc toujours dans l’histoire ?

Suivant le chemin qu’on lui avait indiqué, le petit détective parvint bientôt à une villa en brique rouge de style géorgien, protégée par une rangée de hêtres bien taillés qui cernait un joli jardin entretenu avec soin.

Poussant le portillon de fer forgé sur lequel se lisait « Les Pommiers », le visiteur remonta l’allée menant à l’entrée principale au moment où la porte s’ouvrait pour livrer passage à Mrs. Oliver qui semblait mue par un de ces ressorts actionnant les personnages des horloges suisses.

— Je guettais votre venue de la fenêtre, s’écria l’écrivain en avançant à sa rencontre.

Poirot constata que pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, son amie ne tenait pas de pomme à demi mangée à la main. Il en fut soulagé à cause de la récente tragédie, bien qu’en son for intérieur il sût qu’il ne la chasserait de son esprit que le jour où il en aurait percé le mystère.

Prenant le détective par le bras, la romancière attaqua :

— Je ne comprends pas pourquoi vous refusez de venir vous installer chez Judith Butler, ni que vous puissiez préférer à son hospitalité, une pension de famille médiocre.

— Je tiens à mon indépendance afin de juger d’un œil objectif et sans aucune compromission.

— Comment y parviendrez-vous si vous avez décidé d’interroger une partie de la communauté ?

— C’est juste.

— Qui avez-vous déjà vu ?

— Mon ami, le Superintendant Spencer.

— Dans quel état est-il à présent ?

— Beaucoup plus vieux qu’autrefois.

— Je m’en doute, mais encore ?

— Ma foi, il a perdu un peu de poids et il porte des lunettes pour lire son journal. Autant que je sache, il n’est cependant pas atteint de surdité.

— Et quelle est son opinion sur l’affaire ?

— Vous allez trop vite, ma chère !

— Qu’avez-vous l’intention d’entreprendre, tous les deux ?

— Depuis ma visite chez Spencer dont j’espère obtenir certains renseignements que seul je pourrais difficilement glaner, je me suis dressé un emploi du temps très détaillé.

— Ces renseignements, vous pensez que Mr. Spencer réussira à les soutirer à la police locale ?

— Sans aller aussi loin, j’espère qu’il récoltera quelques tuyaux qui me permettront d’aller plus vite.

— Et qu’avez-vous fait encore ?

— Je suis venu à votre rendez-vous, car je tiens à jeter un coup d’œil sur le théâtre du crime.

Levant les yeux sur la jolie façade, Ariadne Oliver remarqua :

— On ne penserait jamais qu’un crime a été commis derrière ces murs, n’est-ce pas ?

— Non, évidemment. Après avoir examiné la pièce qui m’intéresse, j’aimerais que vous m’accompagniez auprès de la mère de la victime. Cet après-midi, Spencer m’aura fixé un rendez-vous avec l’inspecteur local, un Mr. Raglan. S’il me reste quelques loisirs, alors je me rendrai chez le médecin et la directrice d’école. À six heures, je suis de nouveau attendu chez Spencer pour prendre le thé et faire la connaissance d’Elspeth, sa sœur, afin que nous revenions tous trois sur notre conversation de ce matin.

— Que pense-t-il vous apprendre de neuf ?

— Sa sœur ayant vécu ici depuis plus longtemps que lui m’éclaira, je l’espère, sur les mœurs locales.

— Je l’espère aussi, et maintenant, venez que je vous présente à Mrs. Drake.

Poirot fut très impressionné par Mrs. Drake, une grande et belle femme portant bien la quarantaine, dont la chevelure dorée entremêlée de quelques fils argentés mettait en valeur des yeux bleus pétillants. Elle incarnait l’hôtesse idéale, toujours à l’aise au centre de ses réceptions.

Dans le petit salon où ils furent introduits, un café accompagné de biscuits attendait les visiteurs.

La maison, admirablement tenue, montrait des meubles cossus et des tapis de qualité. Une propreté scrupuleuse se retrouvait de pièce en pièce.

Mrs. Drake, par son attitude, semblait vouloir dissimuler ce que Poirot devinait être une sorte d’humiliation, celle de la maîtresse de maison forcée de constater que sa dernière soirée avait été gâchée par un incident impromptu, en l’occurrence : un meurtre. Elle donnait même l’impression qu’en tant que membre éminent de la communauté de Woodleigh Common, elle venait d’échouer en ne se montrant brusquement plus à la hauteur de la tâche qui, depuis toujours, lui incombait. Ce qui était arrivé, n’aurait pas dû arriver. Ailleurs, peut-être, mais pas dans sa demeure où elle avait soigneusement préparé, organisé et dirigé une soirée pour enfants. D’une manière ou d’une autre, elle aurait dû faire en sorte qu’un tel événement n’ait pas eu lieu.

— Monsieur Poirot, – fit-elle d’une voix douce et claire – je suis ravie que vous ayez pu venir. Mrs. Oliver m’a dit combien votre aide pourra nous être utile pour éclaircir ce drame affreux.

— Rassurez-vous, madame, je ferai tout mon possible, mais vous devez admettre qu’un problème de ce genre n’est pas facile à résoudre.

— Sans doute et j’ajouterai même, Mr. Poirot, qu’il est absolument inadmissible qu’il ait pu se poser. La police doit cependant avoir quelques indices. Je crois savoir que l’inspecteur Raglan qui mène l’enquête, jouit d’une très bonne réputation dans la région. Pensez-vous qu’il sera néanmoins obligé d’appeler Scotland Yard au secours ?

— Il est encore trop tôt pour pouvoir le dire.

— La mort de cette enfant a bouleversé notre communauté. Je ne vous apprendrai rien en vous soulignant que loin des villes, il se produit des accidents dont les enfants sont trop souvent les malheureuses victimes.

Poirot coupa doucement :

— L’affaire qui nous occupe se présente sous un aspect très différent.

— Et c’est bien pour cela que je la trouve inadmissible ! Franchement, je ne puis encore réaliser que ce soit arrivé. J’avais pourtant veillé à tout régler à la perfection. Les enfants ne devaient pas échapper à notre surveillance et la soirée s’annonçait un succès. Personnellement, je suis prête à croire que le danger est venu de l’extérieur. Quelqu’un aura pénétré dans la maison sans éveiller l’attention, ce qui, étant donné les circonstances, n’aura pas été une tâche bien difficile. À mon avis, il s’agit d’un déséquilibré qui, ayant compris qu’une soirée enfantine se déroulait sous mon toit, aura réussi à attirer une fillette à l’écart pour la tuer. Une telle tragédie chez moi, me donne le sentiment de vivre un cauchemar…

— Peut-être pourriez-vous m’indiquer où…

— Bien sûr. Prendrez-vous une autre tasse de café ?

— Non, je vous remercie.

Se levant, Mrs. Drake remarqua :

— La police semble penser que le crime a eu lieu alors que se déroulait le jeu du Snapdragon installé dans la salle à manger. Si vous le voulez, je vous montre d’abord cette pièce.

Elle précéda les deux amis dans le hall, ouvrit une porte et, à la manière d’un guide promenant ses visiteurs dans un décor princier, elle indiqua d’un geste la longue table pouvant servir à une dizaine de convives et les lourds rideaux ornant les croisées.

— La pièce était plongée dans l’obscurité, illuminée seulement par un plateau où flambait une cascade de raisins arrosés de cognac. Maintenant, je vais vous conduire à la bibliothèque.

Refermant la porte, elle traversa le hall et poussa un battant ouvrant sur une salle de grandeur moyenne, au décor sobre où quelques vieilles peintures de chasse alternaient avec de longues étagères couvertes de livres.

— Le seau se trouvait au centre, à la place de la table et posé sur une nappe de plastique.

— Je présume qu’il y a eu beaucoup d’eau répandue ? hasarda Poirot.

Intriguée, Mrs. Drake affirma :

— Sur la nappe… oui, bien sûr.

Le petit détective précisa, comme se parlant à lui-même :

— Sans doute… puisque la tête de la victime a été plongée dans le seau plein.

— Durant le jeu, les joueurs avaient déjà renversé tellement d’eau qu’il a fallu remplir le seau au moins deux fois.

— Le criminel aura donc eu ses vêtements éclaboussés ?

— Évidemment…

— Pourtant son apparence n’a ni choqué ni intrigué les autres invités ?

— Non. L’inspecteur m’a d’ailleurs posé la même question. À la fin de la soirée, tout le monde était plus ou moins ébouriffé, maculé de farine ou mouillé. Il est donc impossible de s’appuyer sur ce genre de détail.

— Il nous faut alors orienter nos efforts sur le caractère de la fillette. J’aimerais que vous me confiiez l’impression que vous gardez d’elle.

— Joyce ?

Mrs. Drake semblait choquée par la question, comme si, le souvenir de la petite morte qu’elle essayait de chasser de son esprit devait brusquement lui être rappelé.

— La victime est très importante, Mrs. Drake, car, voyez-vous, son caractère révèle souvent la cause du crime.

— Revenons au salon, voulez-vous ?

Ayant repris leur place dans le petit boudoir, les visiteurs fixèrent leur hôtesse qui enchaîna, assez mal à l’aise :

— N’obtiendriez-vous pas de meilleurs renseignements en vous adressant à la police ou à la mère de la fillette ? Ce sera sans doute une rude épreuve pour la pauvre femme…

Elle s’interrompit, l’air attristé et Poirot en profita pour insister :

— Je ne cherche pas à établir mon opinion d’après les souvenirs d’une mère éplorée, mais plutôt d’après l’impression qu’a produite la fillette sur une personne telle que vous, madame. Votre rôle de paroissienne active vous donne, je n’en doute pas, le pouvoir de juger d’un œil perspicace ceux que vous côtoyez.

— Il est ici question d’une adolescente de douze ou treize ans et à mes yeux, les jeunes se conduisent tous de façon semblable.

— Permettez-moi, madame, de ne pas être tout à fait de votre avis. Ils se différencient par leur caractère et leurs inclinations. Joyce vous était-elle sympathique ?

La question parut embarrasser Mrs. Drake.

— Certainement… enfin… j’aime les enfants, comme tout le monde, d’ailleurs.

— Là encore, je ne partage pas votre opinion. Il y a des enfants qui déplaisent.

— C’est ma foi vrai. De nos jours, ils sont pour la plupart très mal élevés, les parents s’en remettant aux professeurs pour leur donner des leçons de conduite et de discipline.

— Joyce était-elle ou non une gentille petite ?

— Vous oubliez qu’elle est morte.

— Morte ou vivante, cela ne change rien. Peut-être que si elle avait été une enfant modèle, elle ne se serait pas fait tuer.

— Je ne vois pas en quoi son caractère aurait pu précipiter sa fin ?

— Qui sait… Savez-vous qu’elle prétendait avoir été témoin d’un meurtre ?

— Oh, ça ! rétorqua Mrs. Drake avec dédain.

— Je présume, d’après votre ton, que vous ne prêtez aucun crédit à son histoire ?

— Certainement pas. Quelle bêtise !

— Vous rappelez-vous comment elle a été amenée à en parler ?

— Je crois me souvenir que c’est après que les enfants aient su la présence de Mrs. Oliver parmi nous. Se tournant vers l’écrivain, elle ajouta sans grand enthousiasme : Vous êtes une personnalité très connue, ma chère, même chez les jeunes. Si vous n’aviez pas été là, je doute qu’ils se soient lancés sur votre sujet favori.

Poirot enchaîna pensivement :

— Joyce a donc brusquement déclaré qu’elle avait eu l’occasion d’être témoin d’un meurtre.

— C’est exact bien que je n’aie pas prêté grande attention à ses paroles.

— Néanmoins, vous vous souvenez de son allusion à un crime ?

— Parfaitement. Je n’y ai d’ailleurs pas cru. Et sa sœur plusieurs fois l’incita à se taire.

— Ce qui ne lui plut pas, j’imagine ?

— Elle ne cessa de soutenir que son récit était véridique.

— Dirons-nous qu’elle s’en glorifiait ?

— Ma foi, oui.

— Il est possible qu’elle ait été sincère…

— Mais non, voyons ! C’est exactement le genre de contes que Joyce était capable d’inventer.

— Était-elle menteuse ?

— Pas particulièrement, mais elle était connue pour ses vantardises et son désir de passer pour plus intelligente que ses compagnes.

— Quelle a été la réaction des autres enfants lorsqu’elle aborda le sujet de ce crime dont elle aurait été témoin ?

— Ils se moquèrent tous d’elle, ce qui la poussa à s’entêter.

Se levant pour prendre congé, Poirot annonça :

— Je vous remercie d’avoir confirmé mon opinion sur Joyce. Se penchant galamment sur la main qu’on lui tendait, il conclut : J’espère que ma visite ne vous aura pas trop remis en mémoire des souvenirs pénibles.

— Cette aventure est évidemment très désagréable. Je souhaitais tant que ma soirée soit un succès comme les précédentes. Il est regrettable que Joyce ait compliqué les choses en parlant d’un crime qu’elle avait vu perpétrer. Et pour exprimer le fond de ma pensée, je suis à peu près convaincue que les déclarations de Joyce avaient pour but d’impressionner un groupe d’adolescents et probablement d’intéresser une romancière célèbre.

Ce disant, elle lança à Mrs. Oliver un regard dépourvu de sympathie et l’écrivain ne put s’empêcher de remarquer :

— En somme, ce qui s’est produit serait de ma faute ?

— Mais non, ma chère, ce n’est pas ce que je voulais dire.

En s’éloignant de la maison, Poirot soupira plus pour lui-même que pour sa compagne :

— Ce cadre ne convient pas à un crime aussi atroce, bien qu’il me soit arrivé de songer que quelqu’un pourrait, par moments, nourrir le projet de faire disparaître Mrs. Drake elle-même.

— Cette femme est exaspérante, je vous l’accorde, avec ses airs de supériorité et son excessive complaisance envers elle-même.

— Quelle sorte d’homme est son mari ?

— Il est mort depuis un ou deux ans. Atteint de poliomyélite, il est resté cloué des armées sur un fauteuil roulant. Il était banquier et se passionnait pour les sports. Il a beaucoup souffert de devoir abandonner sa vie active.

— Je comprends. Pour en revenir à Joyce, estimez-vous vraiment que personne n’a pris au sérieux l’histoire dans laquelle elle prétendait avoir joué le rôle de témoin ?

— Non, je ne le crois pas.

— Les autres enfants, par exemple ?

— C’est à eux que je pensais. Ils ont réagi comme s’ils comprenaient qu’elle leur racontait un mensonge.

— Et vous, quelle a été votre propre réaction ?

— La même que la leur. Pour sa part, Mrs. Drake aimerait se persuader que le crime n’a jamais eu lieu.

— C’est normal. La trouvez-vous sympathique ?

— Vous avez le don de poser les questions les plus embarrassantes qui soient. Il semblerait que tout ce qui vous intéresse est de découvrir si les gens sont sympathiques ou pas. À mon avis, Rowena Drake est le genre de femme qui aime à commander, organiser, ordonner et réglementer l’existence de son entourage. C’est elle qui dirige plus ou moins la petite ville, ce à quoi elle s’applique fort bien, je l’avoue. Mais personnellement, je suis contre les femmes autoritaires.

— Et quelle impression gardez-vous de la mère de Joyce, chez laquelle nous nous rendons ?

— Une gentille femme quelque peu sotte. Je la plains beaucoup. Tout le monde ici est persuadé que Joyce a été la victime d’un obsédé sexuel, ce qui aggrave la douleur de la pauvre mère.

— Rien, jusqu’ici, n’indique que le criminel soit un malade.

— Ne vaudrait-il pas mieux que ce soit Judith Butler qui vous mène chez Mrs. Reynolds ? Elle la connaît bien alors que je ne l’ai rencontrée qu’une ou deux fois.

— Nous agirons suivant le plan qui a été décidé, ma chère.

CHAPITRE VII

Mrs. Reynolds offrait un contraste frappant avec l’autoritaire Rowena Drake. Toute menue dans son habit de deuil, la mère de Joyce serrait nerveusement un mouchoir qu’elle portait parfois à ses yeux rougis et gonflés de larmes.

Ayant tendu une main moite à ses visiteurs qu’elle introduisit dans une pièce servant de salle de séjour, elle trouva un peu de courage pour annoncer :

— C’est bien aimable à vous d’être venus pour chercher à éclaircir cette tragique affaire, bien que je ne voie pas à quoi cela servira. Rien ne pourra me rendre ma fille… C’est épouvantable ! Comment quelqu’un a-t-il pu vouloir, la tuer ? Si seulement elle avait crié… La scène repasse sans cesse dans mon esprit et cependant je ne puis supporter d’imaginer la façon dont elle a dû se dérouler.

Poirot dit avec douceur :

— Rassurez-vous, madame, nous ne sommes pas ici pour vous tourmenter, mais pour vous prier de nous aider dans nos efforts en vue de démasquer le meurtrier. Vous n’avez aucun soupçon quant à son identité ?

— Comment en aurais-je ? Nous vivons dans une bonne ville où tout le monde se connaît plus ou moins et j’aurais du mal à croire qu’un criminel se cache parmi nous. Celui qui a tué mon enfant n’est pas un être normal. Il devait se droguer ou boire. Peut-être a-t-il agi inconsciemment ?

— Vous êtes sûre qu’il s’agit d’un homme ?

Mrs. Reynolds eut l’air choqué.

— Il est impensable qu’une femme ait commis un crime aussi horrible !

— Elle n’aurait cependant pas eu besoin d’user de beaucoup de force.

— J’admets que, de nos jours, les femmes sont plus athlétiques qu’autrefois. Mais quel genre de monstre serait la femme qui irait tuer une enfant de cette manière ? Joyce n’avait que treize ans.

— Je ne veux pas vous torturer en vous posant des questions que la police a déjà dû vous poser. Je suis ici pour que vous m’aidiez à comprendre une remarque faite par votre fille peu avant le meurtre. Au fait, étiez-vous présente à la soirée donnée par Mrs. Drake ?

— Non. J’ai été malade récemment et je craignais que les cris des enfants et leurs jeux ne me fatiguent trop. J’ai accompagné mes filles et mon fils en voiture. Je devais les reprendre à la fin de la soirée. Il me reste à présent Anne l’aînée, qui a seize ans, et Léopold qui approche de ses douze ans. Que vouliez-vous me demander au sujet de Joyce ?

— Mrs. Oliver l’a entendue déclarer, devant ses camarades, qu’elle avait eu l’occasion, il y a longtemps, d’assister à un meurtre.

— Joyce a dit ça ? C’est impossible, voyons ! Quel crime aurait-elle bien pu découvrir ?

— Je dois reconnaître que ses amis n’ont pas pris sa déclaration au sérieux. Joyce avait-elle fait allusion devant vous à ce meurtre ?

— Certainement pas !

— Nous devons prendre en considération que pour une fillette, le mot meurtre a peut-être été employé abusivement. Joyce aurait pu avoir été témoin d’un accident de voiture ou d’une bagarre entre gamins au cours de laquelle un des protagonistes aurait culbuté dans la rivière poussé par son adversaire du moment, en bref, un accident involontaire.

— Je ne me souviens d’aucun accident de cette sorte survenu dans notre petite ville. De plus, si Joyce en avait surpris un, elle n’aurait pas manqué de m’en parler. Elle devait plaisanter.

Mrs. Oliver intervint :

— Pourtant, elle s’exprimait sur un ton très persuasif. Plus on se moquait d’elle, plus elle s’entêtait.

Poirot tint à préciser d’un ton net :

— À mon sens, il y a toutes les chances pour que Joyce ait mal interprété un accident auquel elle aura assisté il y a longtemps.

— Dans ce cas, je vous le répète, j’aurais été la première avertie !

— Peut-être qu’elle vous a fait une réflexion à l’époque et que vous l’avez oubliée ?

— Mais enfin, quand cet accident aurait-il eu lieu ?

— Nous n’en savons rien. Joyce a seulement précisé, qu’alors, elle était encore très jeune. Que signifie cette remarque dans la bouche d’une fillette de treize ans ?

— Comment vous répondre ?

— Vous pensez toutefois que si elle affirmait avoir été témoin d’un meurtre, elle était profondément convaincue de ce qu’elle avançait ?

— Oui, mais vraisemblablement elle aura été trompée par les apparences.

— C’est aussi mon avis. Me permettez-vous de m’entretenir un instant avec vos deux enfants qui se trouvaient, eux aussi, à la soirée donnée par Mrs. Drake ?

— Si vous voulez, bien que je doute qu’ils vous révèlent quoi que ce soit. Anne est dans sa chambre en train d’étudier et Léopold est au jardin où il construit un avion miniature.

Les visiteurs trouvèrent le garçon, un solide adolescent aux joues rondes, absorbé dans son travail d’assemblage et peu enclin à interrompre sa tâche pour prêter attention aux intrus.

Poirot s’enquit :

— Chez Mrs. Drake, vous avez dû entendre votre sœur raconter une affaire étrange…

— Vous voulez parler du meurtre ?

— Parfaitement. Elle a déclaré avoir vu se perpétrer un meurtre. Est-ce vrai ?

— Bien sûr que non ! C’était bien de Joyce d’inventer des histoires pareilles.

— Pourquoi ?

— Elle aimait à se vanter. Il fixa une minuscule hélice avec application avant de poursuivre : Joyce était idiote, elle aurait débité n’importe quoi pour se rendre intéressante.

— Donc, à votre avis, sa déclaration était purement le fruit de son imagination ?

Se tournant à demi vers Mrs. Oliver, Léopold précisa :

— Je parie qu’elle cherchait à vous impressionner. C’est bien vous qui écrivez des romans policiers ? Elle voulait sans doute que vous la remarquiez plus que les autres…

Poirot pressa :

— Aimait-elle à se faire valoir ?

— Et comment ! Je parie pourtant que personne n’a cru à ses racontars !

— Avez-vous retenu ses paroles ?

— Non, car je n’y ai attaché aucune importance. Je me souviens que Béatrice s’est moquée d’elle ainsi que Cathie.

Comprenant qu’ils n’apprendraient rien de plus du garçon, les deux amis regagnèrent la maison et se rendirent auprès d’Anne, une grande adolescente au visage sérieux qu’ils trouvèrent penchée sur une table encombrée de livres d’étude.

À la question de Poirot, la jeune fille répondit d’un ton posé :

— Je me trouvais, en effet, à la soirée.

— Et vous étiez là quand votre sœur a fait allusion à un meurtre ?

— Oui, bien que je n’y aie prêté aucune attention.

— Vous n’y avez donc pas cru ?

— Évidemment, non !

— Quelle conclusion tirez-vous de la déclaration de votre sœur ?

— Joyce passait son temps à mentir. Je me souviens qu’un jour, elle avait monté un conte fantastique concernant les Indes. Notre oncle y avait séjourné quelque temps et Joyce broda sur ce voyage, prétendant devant ses compagnes avoir accompagné son parent. Je dois reconnaître que plusieurs des filles de sa classe l’ont crue.

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