Le Château dangereux

Chapitre 10Le Pèlerin.

Quand le rossignol chante, les boisdevenus verts, les feuilles, le gazon et les fleurs en avril, touts’enflamme en moi ; et l’amour qui s’empare de mon cœur lepresse si vivement que mon sang bout nuit et jour, que mon cœur neme laisse pas de repos.

Manuscrit cité par Warton.

Sir Aymer de Valence, suivant son archer deprès, ne fut pas plus tôt arrivé au couvent de Sainte-Bride, qu’ilmanda l’abbé devant lui. Le saint personnage se présenta avec l’aird’un homme qui aime ses aises, et qui vient d’être inopinémentarraché de la couche où il goûtait un bienheureux repos, par ordred’un individu auquel il ne croit pas pouvoir impunément désobéir,et à qui il ne déguiserait pas sa mauvaise humeur, s’ill’osait.

« Il se fait tard, dit-il, pour que votrehonneur vienne encore du château ici. Puis-je savoir la cause quivous amène, après la détermination si récemment prise avec legouverneur ? »

« J’espère, répliqua le chevalier, quevous n’en êtes point déja instruit, père abbé : on soupçonne(et j’ai moi-même vu cette nuit des choses qui confirment cessoupçons) que certains des vieux entêtés de ce pays s’occupentencore de manœuvres coupables qu’ils dirigent contre lechâteau ; et je viens ici, père, pour voir si, enreconnaissance des nombreuses faveurs que vous avez reçues dumonarque anglais, vous ne mériterez pas sa bonté et sa protectionen nous aidant à découvrir les desseins de ses ennemis. »

« Assurément si, répliqua le père Jérômed’une voix troublée, très indubitablement, tout ce que je puissavoir est à vos ordres… en supposant que je sache quelque chosedont la communication puisse vous être utile. »

« Père abbé, reprit le chevalier anglais,quoiqu’il soit téméraire à moi d’oser répondre dans ces temps d’unhomme qui a le Nord pour patrie, j’avoue néanmoins que je vousconsidère comme un fidèle sujet du roi d’Angleterre, et je souhaitebien sincèrement que vous persistiez dans votrefidélité. »

« Et l’on m’y encourage singulièrementrépliqua l’abbé ; on m’arrache à minuit de mon lit, par untemps froid comme il en fut jamais, pour subir l’interrogatoired’un chevalier, qui peut-être est le plus jeune de son trèshonorable ordre, qui ne veut pas me dire le sujet de ses questions,mais me retient sur ce froid pavé jusqu’à ce que, suivant l’opinionde Celse, la goutte, qui est cachée dans mes pieds, puisse remonterà mon estomac, et alors bonsoir à mon titre d’abbé et à vosinterrogations pour toute l’éternité. »

« Bon père, dit le jeune homme, la naturedes temps doit vous enseigner à être patient. Rappelez-vous que jen’éprouve aucun plaisir à m’acquitter des fonctions que je remplisen ce moment, et que, si une insurrection avait lieu, les rebelles,qui vous en veulent passablement pour avoir reconnu le monarqueanglais, vous pendraient à votre propre clocher pour servir depâture aux corbeaux ; ou que si vous avez fait votre paix avecles insurgés, par quelque convention privée, le gouverneur anglais,qui tôt ou tard finira par s’emporter, ne manquera point de voustraiter comme rebelle envers son souverain. »

« Il peut vous sembler, mon noble fils,répondit l’abbé dont le trouble augmentait toujours, que je sois ence cas pendu aux cornes du dilemme que vous avez posé :néanmoins, je vous assure que si on m’accuse de conspirer avec lesrebelles contre le roi d’Angleterre, je suis prêt, pourvu que vousme donniez le temps d’avaler une potion recommandée par Celse dansle cas périlleux où je me trouve, de répondre avec la plus parfaitesincérité à toutes les questions que vous pouvez m’adresser à cesujet. »

En parlant ainsi, il appela un moine quil’avait aidé à se vêtir, et, lui remettant une grosse clef, luimurmura quelque chose à l’oreille. La coupe qu’apporta le moineétait d’un tel volume, qu’il fallait que la potion de Celse fûtadministrée en bien grande quantité, et l’odeur forte qu’ellerépandit dans l’appartement fit soupçonner au chevalier que lamédecine pouvait bien ne consister qu’en ce qu’on appelait alors del’eau distillée, préparation connue dans les monastères quelquetemps avant que ce secret inappréciable fût parvenu jusqu’auxlaïques. L’abbé, que n’épouvantèrent ni la force ni la quantité dela boisson, l’avala avec ce qu’il aurait lui-même appelé unsentiment de consolation et de jouissance, et sa voix devint encoreplus grave : il déclara qu’il se sentait admirablementréconforté par la médecine, et prêt à répondre aux questions quipourraient lui être adressées par son galant jeune ami.

« À présent, dit le chevalier, voussavez, père, que les étrangers qui voyagent dans ce pays doiventêtre les premiers objets de nos soupçons et de nos recherches.Quelle est, par exemple, votre opinion sur le jeune homme appeléAugustin, fils, ou se disant tel, d’un individu nommé Bertram leménestrel, qui demeure depuis quelques jours dans votrecouvent ? »

L’abbé entendit cette question avec des yeuxqui exprimaient sa surprise de l’entendre sortir de la bouche desir Aymer.

« En vérité, répondit-il, je pense quec’est un jeune homme qui, autant que je puis le connaître, possèdece naturel excellent, cette loyauté et cette religion, enfin toutce à quoi je devais m’attendre, à en juger par l’estimablepersonnage qui l’a confié à mes soins. »

Après cette réponse, l’abbé salua lechevalier, comme s’il eût pensé que cette repartie lui donnait ungrand avantage sur son adversaire et le réduisait au silence pourtoutes les questions qu’il aurait pu lui faire sur le mêmesujet ; et il fut probablement fort étonné quand sir Aymerrépliqua de la manière suivante.

« Il est bien vrai, père abbé, que c’estmoi-même qui vous ai recommandé ce bambin comme un jeune homme d’uncaractère inoffensif, et à l’égard duquel il ne serait pasnécessaire d’employer la vigilance sévère qu’on emploie enversd’autres en pareille circonstance ; mais les preuves qui meparaissaient démontrer l’innocence de ce jeune garçon n’ont passemblé satisfaisantes à mon supérieur et à mon commandant ;et, c’est par son ordre que je viens ici vous interroger. Vousdevez comprendre qu’il s’agit d’une importante affaire, puisquenous venons vous troubler encore une fois, et à une heure siindue. »

« Je puis seulement protester par monordre et par le voile de Sainte-Bride, répliqua l’abbé (l’esprit deCelse paraissant se retirer de son disciple) que, quelque mal qu’ilpuisse y avoir dans cette affaire, j’ignore absolument tout, etqu’on ne pourrait rien m’arracher par les tenailles et les autresinstrumens de torture. Quelques signes de déloyauté qu’ait pumanifester ce jeune homme, je n’ai rien aperçu, moi, bien que j’aiesévèrement examiné sa conduite. »

– « Sous quel rapport ? et quelest le résultat de vos observations ? »

– « Ma réponse sera sincère etfranche. Le jeune homme a consenti au paiement d’un certain nombrede couronnes d’or, nullement pour payer l’hospitalité de l’églisede Sainte-Bride, mais simplement… »

– « Allez, père, vous pouvez ne pasachever, attendu que le gouverneur et moi nous savons bien à quelprix les moines de Sainte-Bride exercent leur hospitalité. Dequelle manière a-t-elle été reçue par ce jeune garçon ? voilàce qu’il est plus utile de demander. »

– « Avec une extrême douceur, uneexcessive indulgence, noble chevalier. Il est vrai que d’abordj’avais craint que mon hôte fût un peu exigeant, car sa libéralitéenvers le couvent était de telle nature qu’elle pouvaitl’encourager, et même jusqu’à un certain point l’autoriser àvouloir être mieux traité que nous l’aurions pu faire. »

– « Au quel cas vous auriez eu ladouleur de rendre une partie de l’argent que vous aviezreçu. »

– « C’eût été une manière d’arrangerles choses contraire à nos vœux. Ce qui est payé au trésor deSainte-Bride ne peut, suivant notre règle, être restitué sous aucunprétexte. Mais, noble chevalier, il n’a été question de rien desemblable : une croute de pain blanc et une écuelle de lait,voilà tout ce qu’il fallait pour nourrir ce pauvre jeune hommependant un jour, et ç’a été mon inquiétude particulière pour sasanté qui m’a disposé à faire mettre dans sa cellule un lit plusdoux et une couverture meilleure que le permettent les règles denotre ordre.

– « Maintenant, écoutez bien ce quej’ai à vous dire, sir abbé, et répondez-moi franchement. Quellesont été les relations de ce jeune homme avec les personnes ducouvent, avec les gens du dehors ? Interrogez votre mémoiresur ce point, et que votre réponse soit précise, car la sûreté devotre hôte et la vôtre même en dépendent. »

– « Aussi vrai que je suis chrétien,je n’ai rien remarqué qui puisse servir de fondement aux soupçonsde votre seigneurie. Le jeune Augustin, contrairement à l’usage desjeunes gens qui ont été élevés dans le monde, comme je l’ai souventobservé, montrait une préférence marquée pour la compagnie dessœurs que renferme le monastère de Sainte-Bride, plutôt que pourcelle des moines, mes frères, quoiqu’il se trouve parmi eux deshommes dont la conversation soit agréable. »

« Une mauvaise langue pourrait expliquerle motif de cette préférence. »

– « Non pas lorsqu’il s’agit dessœurs de Sainte-Bride, dont la plupart ont été complétementmaltraitées par l’âge, ou dont la beauté a toujours été détruitepar quelque malheur avant qu’elles aient été reçues dans lasolitude de cette maison. »

Le bon père fit cette observation avec uneespèce de joie intérieure qu’excita apparemment en lui l’idée queles nonnes de Sainte-Bride eussent pu conquérir des cœurs par leurscharmes personnels, tandis que réellement leur laideur étaitnotable et même horrible à faire rire. Le chevalier anglais, quiconnaissait aussi les saintes femmes, ne put s’empêcher de rire àcette conversation.

« J’admets, dit-il, que, si les pieusessœurs ont pu charmer le jeune étranger, ce n’a pu être que parleurs souhaits bienveillans et leurs attentions à soulager sessouffrances. »

« Sœur Béatrix, continua le père,reprenant sa gravité, a effectivement reçu du ciel un véritable donpour faire les confitures et les caillées de lait au vin ;mais, après une enquête minutieuse, je n’ai pas trouvé que le jeunehomme ait goûté de ces bonnes choses. Sœur Ursule non plus, n’a pasété tant maltraitée par la nature que par les suites d’unaccident ; mais votre honneur sait que quand une femme estlaide les hommes ne s’inquiètent guère de la cause de sa laideur.Je vais, avec votre permission, aller voir en quel état se trouveactuellement le jeune homme, et l’avertir qu’il ait à comparaîtredevant vous. »

– « Je vous prie de le faire, ettout de suite, père, car il n’y a point de temps à perdre ; jevous conseille aussi sérieusement d’épier de la manière la plusstricte la conduite de cet Augustin : vous ne pouvez y mettretrop d’attention. Je vais attendre votre retour, et j’emmenerai lejeune homme au château ou le laisserai ici, suivant que lescirconstances paraîtront l’exiger. »

L’abbé s’inclina, promit de faire sonpossible, et sortit de la chambre pour se rendre à la cellule dujeune Augustin, jaloux de satisfaire, s’il le pouvait, les désirsde Valence, qu’il regardait comme devenu par les circonstances sonpatron militaire.

Son absence dura long-temps, et ce délaicommençait même à inspirer des soupçons à sir Aymer, lorsque l’abbérevint, l’agitation et l’inquiétude écrites sur le visage.

« Je vous demande pardon de vous avoirfait attendre, dit Jérôme avec un grand trouble ; mais j’aiété moi-même retenu et vexé par des formalités inutiles et de sotsscrupules de la part de ce méchant garçon. En premier lieu,entendant mes pas se diriger vers sa chambre, mon jeune homme, aulieu d’ouvrir la porte, ce qui n’aurait été qu’un égard dû à mesfonctions, tira au contraire un fort verrou intérieur ; et ceverrou, Dieu me pardonne ! a été mis dans sa cellule par ordrede sœur Ursule, afin que son sommeil pût être convenablementrespecté. Je le prévins du mieux que je pus, qu’il devait se rendresans délai devant vous, et se préparer à vous accompagner auchâteau de Douglas ; mais il ne voulait pas répondre un seulmot, sinon qu’il me recommandait de prendre patience, et il fallutbien que je m’y résignasse de même que votre archer que je trouvaien sentinelle devant la porte de la cellule, et se contentant del’assurance que lui avaient donnée les sœurs qu’il n’y avait pasd’autre issue par ou Augustin pût s’échapper. Enfin la portes’ouvre, et mon jeune maître se présente complétement équipé pourson voyage. En vérité, je crois que quelque attaque récente de samaladie a affecté le jeune homme ; il se pourrait encore qu’ilfût quelque peu hypocondre, qu’il fût tourmenté par la bile noire,espèce de mal qui trouble l’esprit, et qui parfois accompagne etindique la contagion ; mais à présent il est bien remis, et,si votre seigneurie désire le voir il attend vos ordres. »

« Amenez-le donc ici, dit lechevalier. » Et un espace considérable de temps s’écoulaencore avant que l’éloquence de l’abbé, moitié grondant et moitiépriant, eût décidé la jeune dame, qui était toujours déguisée, àvenir au salon, ou elle se présenta enfin avec un visage où l’onpouvait encore découvrir des traces de larmes, et avec la minemaussade d’un jeune garçon ou l’air réservé d’une jeune fille quiest déterminée à faire ce que bon lui semblera, et bien résolue àne donner aucune raison de sa conduite. La précipitation qu’elleavait mise à s’habiller ne l’avait pas empêchée de disposer avectout le soin possible le déguisement à l’aide duquel elle voulaitse faire passer pour un pèlerin, de manière à se changertout-à-fait et à bien déguiser son sexe. Mais comme par politesseelle ne pouvait garder un grand chapeau rabattu sur sa tête, ellelaissa nécessairement voir sa figure plus qu’elle ne l’auraitvoulu : et quoique le chevalier pût contempler à son aise sonjoli minois, son visage néanmoins n’était pas tel qu’il dût trahirle rôle qu’elle avait adopté et qu’elle était résolue à jouerjusqu’à la fin. Aussi s’était-elle armée d’un degré de courage quine lui était pas naturel, et qu’elle n’entretenait peut-être quepar des espérances que sa situation ne lui permettait guère deconcevoir. Dès l’instant où elle se trouva dans le même appartementque de Valence, elle prit des manières plus hardies et plusdécidées que ne l’avaient été jusqu’alors les siennes. »

– « Votre seigneurie, dit-elle ens’adressant la première au jeune homme, est chevalier d’Angleterre,et possède sans doute les vertus qui conviennent à ce noble titre.Je suis un malheureux garçon, obligé, par des motifs qu’il faut queje tienne secrets, à voyager dans un pays dangereux, où je suissoupçonné, sans juste cause, de prêter la main à des complots et àdes conspirations qui sont contraires à mon propre intérêt, dontmon ame même a horreur, et que je pourrais abjurer en toute sûreté,appelant sur ma tête tous les châtimens dont nous menace notrereligion, et renonçant à toutes les promesses qu’elle nous faitdans le cas où j’aurais participé à de tels desseins par pensées,par paroles ou par actions. Néanmoins, vous qui ne voulez pascroire à cette protestation solennelle, vous allez agir contre moicomme si j’étais un criminel, et en le faisant je dois vousprévenir, sire chevalier, que vous commettrez une grande et cruelleinjustice. »

« Je tâcherai d’éviter ce malheur,répliqua sir Aymer, en laissant le soin de cette affaire à sir Johnde Walton, gouverneur du château, qui décidera quelle conduite ilfaut tenir : en ce cas, mon seul devoir sera de vous remettreentre ses mains, au château de Douglas. »

– « Est-ce donc là votredessein ? »

– « Assurément, sinon je seraisresponsable d’avoir négligé mon devoir. »

– « Mais si je m’engage à vousdédommager de vos pertes par une somme d’argent considérable, parune vaste étendue de terre… »

– « Ni trésors ni terres, ensupposant que vous en ayez à votre disposition, ne sauraientréparer la perte de l’honneur ; et d’ailleurs, jeune homme,comment me fierais-je à vos promesses si mon ambition était tellequ’elle pût m’engager à écouter de semblablespropositions ? »

– « Faut-il donc alors que je meprépare à vous suivre tout de suite au château de Douglas et àcomparaître devant sir John de Walton ? »

– « Jeune homme, il faut qu’il ensoit ainsi, puisque, si vous tardez plus long-temps à consentir jeme verrais contraint à vous emmener de force. »

– « Et quelles en seront lesconséquences pour mon père ? »

– « Ceci dépendra absolument de lanature de vos aveux et des siens : vous avez tous deux deschoses à dire, comme le prouvent les termes de la lettre que sirJohn vous a apportée ; et, je vous l’assure, mieux vaudraitavouer tout de suite que courir les chances d’un nouveauretard ; je ne puis souffrir qu’on se joue davantage de nous,et croyez-moi, votre, sort sera entièrement déterminé par votrefranchise et votre sincérité. »

– « Je vais donc me préparer à voussuivre dès que vous m’en donnerez l’ordre ; mais la cruellemaladie dont j’ai souffert ne m’a point tout-à-fait quitté, et lepère Jérôme, qui possède de vastes connaissances en médecine, vousassurera lui-même que je ne puis marcher sans péril pour mes jours,et que depuis l’instant où je suis entré dans ce couvent j’aitoujours refusé de prendre de l’exercice, lorsque la bienveillancede vos soldats d’Hazelside m’en offrait l’occasion, de peurd’introduire la contagion parmi vos gens. »

« Le jeune homme dit vrai, ajoutal’abbé ; les archers et les hommes d’armes sont plus d’unefois venus inviter ce pauvre garçon à partager leurs jeuxmilitaires ou à les divertir peut-être par ses chants et samusique ; mais il a toujours refusé, et je pense fermement quece sont les effets de sa maladie qui l’ont empêché d’accepter uneinvitation, si séduisante à son âge, et surtout dans un lieu quidoit sembler si triste que le couvent de Sainte-Bride à un jeunehomme élevé dans le monde. »

« Pensez-vous donc, révérend père,répliqua de Valence, qu’il y ait véritablement danger à emmenercette nuit ce jeune homme au château, comme j’en avais ledessein ? »

« Je crois, répondit l’abbé, que cedanger existe en effet, non seulement en ce qu’il peut occasionerune rechute à ce pauvre jeune homme lui-même, mais aussi en cequ’il serait extrêmement probable que vous introduiriez lacontagion dans votre honorable garnison, attendu qu’on n’auraitpris aucune des mesures nécessaires ; car c’est dans lesrechutes plutôt que dans la première violence de la maladie qu’elleparaît être plus contagieuse. »

« Alors, reprit le chevalier, il faudravous résoudre, mon ami, à partager votre chambre avec un archer quiy montera la garde. »

« Je ne puis refuser, dit Augustin,pourvu que mon malheureux voisinage n’expose pas la vie de cepauvre soldat. »

« Il fera aussi bien son devoir, répliqual’abbé, en se tenant en dehors à la porte de l’appartement que,s’il se tenait en dedans ; et si ce jeune homme peut dormirtranquillement, ce qu’empêcherait la présence d’une sentinelle danssa chambre, il n’en pourra que mieux vous accompagner demain aumatin. »

« Eh bien, soit, dit Aymer ; maisvous êtes sûr que nous ne lui facilitons pas ainsi les moyens des’échapper ? »

« L’appartement, répliqua l’abbé, n’ad’autre issue que celle qui est gardée par votre archer ; maispour vous satisfaire davantage je fermerai la porte devantvous. »

« Soit donc, dit le chevalier deValence ; ensuite j’irai moi-même me coucher sans quitter macotte de mailles, et faire un somme jusqu’à ce que l’aurorerougissant me rappelle à mon devoir ; et alors, Augustin, ilvous faudra être prêt à m’accompagner au château deDouglas. »

Les cloches du couvent appelèrent les habitanset les habitantes de Sainte-Bride, aux prières du matin dès lapointe du jour. Quand ce devoir fut rempli, le chevalier demandason captif. L’abbé le conduisit à la porte de la chambred’Augustin ; la sentinelle qui y était postée, munie d’unelongue pertuisane, dit n’avoir pas entendu le moindre bruit dans lachambre, de toute la nuit ; l’abbé frappa donc à la porte,mais ne reçut aucune réponse ; il cogna encore plus fort, maisun silence parfait régnait toujours en dedans.

« Qu’est-ce à dire s’écria le révérendsupérieur du couvent de Sainte-Bride, mon jeune malade estcertainement tombé en syncope, ou bien il s’estévanoui ! »

« Je souhaite, dit le chevalier, qu’il nese soit pas évadé plutôt ; accident dont nous serionsresponsables vous et moi, puisque, rigoureusement, notre devoirétait de ne pas le perdre de vue et de le garder étroitementjusqu’au lever du jour… »

« J’espère que votre seigneurie, répliqual’abbé, prévoit seulement un malheur que je ne puis croirepossible. »

« C’est ce que nous verrons bientôt,répondit le chevalier, et élevant la voix de manière à être entenduà l’intérieur : Apportez des leviers et des marteaux, etfaites voler cette porte en éclats sans tarder un seulinstant ! »

La force de sa voix et le ton sévère dont ilparlait amenèrent bientôt autour de lui les frères de la maison,ainsi que deux ou trois archers de sa suite qui s’occupaient déja àseller leurs chevaux. Le mécontentement du jeune chevalier semanifestait par la rougeur qui lui montait au visage, et la manièresèche dont il répéta l’ordre d’enfoncer la porte. Il futpromptement obéi, quoiqu’il fallût un grand déploiement de force,et tandis que les éclats retombaient dans la chambre, de Valences’y précipita, l’abbé l’y suivit ; mais la cellule duprisonnier était vide, de sorte que leurs pires soupçons furentconfirmés.

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