Le Château dangereux

Chapitre 14Le Chevalier de la tombe.

La route est longue, mes enfans, longueet difficile. Les marais sont affreux et les bois sont noirs ;mais celui qui rampe du berceau à la tombe, sans connaître autrechose que les douceurs de la fortune, n’est pas instruit commedoivent l’être de nobles cœurs.

Vieille Comédie.

Il était encore de bonne heure quand, aprèsque le gouverneur et de Valence eurent rappelé Bertram pourdélibérer avec eux, la garnison de Douglas fut passée en revue, etqu’un grand nombre de petites troupes, en addition à celles déjadépêchées d’Hazelside par Valence, furent envoyées battre les boisà la poursuite des fugitifs, sous l’injonction sévère de lestraiter avec le plus grand respect s’ils étaient attrapés, etd’obéir à leurs ordres, en remarquant néanmoins l’endroit où ilspourraient se réfugier. Pour obtenir plus aisément ce résultat, lesecret sur la qualité réelle du pèlerin supposé et de la nonnefugitive fut confié à quelques hommes qui étaient gens dediscrétion. Tout le pays, forêts ou marécages, à plusieurs millesdu château de Douglas, fut couvert et traversé par des troupes dontl’ardeur à découvrir les fugitifs était proportionnée à larécompense généreusement offerte par de Walton et de Valence, dansle cas où ils seraient ramenés sains et saufs. Ils ne laissèrentcependant pas de faire dans toutes les directions telles enquêtesqui pouvaient jeter de la lumière sur les machinations des insurgésécossais, qui se tramaient peut-être dans ces districts sauvages,ce dont, comme nous l’avons déja dit, de Valence en particulieravait conçu de violens soupçons. Leurs instructions étaient, dansle cas où ils s’apercevraient de complots, de procéder contre lesgens qui seraient coupables, par arrêt ou autrement, de la manièrela plus rigoureuse, ainsi que l’avait recommandé de Waltonlui-même, alors que Douglas-le-Noir et ses complices avaient étéles principaux objets de ses vigilans soupçons. Ces détachemensdivers avaient de beaucoup réduit la force de la garnison :néanmoins, quoique nombreux, actifs et dépêchés dans toutes lesdirections, ils n’eurent le bonheur ni de découvrir les traces delady Augusta de Berkely, ni de rencontrer aucune bande d’insurgésécossais.

Cependant nos fugitifs, comme nous l’avons vu,avaient quitté le couvent de Sainte-Bride sous la conduite d’uncavalier dont lady Augusta ne savait rien, sinon qu’il devaitdiriger leurs pas dans une direction où ils ne seraient pas exposésau risque d’être repris. Enfin Marguerite de Hautlieu entamaelle-même la conversation sur ce sujet.

« Lady Augusta, dit-elle, vous n’avezdemandé ni où vous alliez ni sous la protection de qui nousvoyagions, quoiqu’il me semble que ce soit une chose importante àsavoir. »

« Ne me suffit-il pas, répondit ladyAugusta, d’être sûre que je voyage, ma chère sœur, sous laprotection d’un homme auquel vous vous fiez comme à un ami ?et qu’ai-je besoin de m’inquiéter davantage de masûreté ? »

– « Simplement parce que lespersonnes avec lesquelles je suis en relation, par descirconstances tant de pays que de parenté, ne sont peut-être pastout-à-fait des protecteurs auxquels vous pouvez, vous, madame,vous confier avec toute sûreté. »

– « Que voulez-vous dire en parlantainsi ? »

– « Que Bruce, Douglas, MalcolmFleming, et d’autres de ce parti, quoiqu’ils soient incapablesd’abuser d’un tel avantage pour un but déshonorant, pourraientnéanmoins ressentir une forte tentation de vous considérer comme unotage jeté entre leurs mains par la Providence, au moyen duquel illeur serait possible d’obtenir un arrangement favorable à leurparti abattu et dispersé. »

– « Ils pourront me prendre pour mefaire servir de base à un pareil traité quand je serai morte, mais,croyez-moi, jamais tant qu’il me restera un souffle de vie. Croyezencore que, malgré la peine, la honte, la mortelle douleur qui m’enreviendraient, je me remettrais plutôt au pouvoir de de Walton,oui, que j’irais plutôt me mettre entre ses mains, que dis-je,entre ses mains ? je me livrerais plutôt au dernier archer demon pays natal, que de comploter avec ses ennemis pour nuire à lajoyeuse Angleterre, à mon Angleterre, à ce pays qui excite l’enviede tous les autres pays, et fait l’orgueil de tous ceux qui peuventse vanter d’y être nés ! »

– « Je pensais bien que tel seraitvotre choix, et, puisque vous m’avez honoré de votre confiance, jecontribuerai volontiers à votre liberté, en vous plaçant dans laposition où vous désirez être, autant que mes pauvres moyens mepermettront de le faire. Dans une demi-heure nous serons hors dudanger d’être pris par les troupes anglaises qui vont être envoyéesà notre poursuite sur toutes les directions. Maintenantécoutez-moi, lady : je connais un lieu où je puis me réfugierauprès de mes amis et compatriotes, ces braves Écossais qui n’ontjamais, dans ce siècle de honte, fléchi le genou devant Baal. Deleur honneur, de la pureté de leur honneur, j’aurais pu à une autreépoque répondre sur le mien propre ; mais depuis un certaintemps, je dois vous le dire, ils ont été mis à des épreuves parlesquelles les plus généreuses affections peuvent être éteintes etpoussées à une espèce de frénésie d’autant plus violente qu’elleest originairement fondée sur les plus nobles sentimens. Unindividu qui se sent privé des droits naturels que lui donne sanaissance, dénoncé, exposé à la confiscation et à la mort, parcequ’il défend les prétentions de son roi et la cause de son pays,cesse souvent d’être équitable et juste lorsqu’il s’agit dedéterminer le degré de représailles qu’il lui est légitimed’exercer en retour de semblables injustices ; et, croyez-moi,je serais amèrement affligée si je vous avais mise dans uneposition que vous auriez pu considérer comme fâcheuse oudégradante. »

– « En un mot, donc, quecraignez-vous que j’aie probablement à souffrir de la part de vosamis, qu’il faut m’excuser d’appeler rebelles ? »

– Si vos amis, que je devrais, moi,appeler oppresseurs et tyrans, prennent nos terres et notre vie,saisissent nos châteaux et confisquent nos biens, vous devezconvenir que les dures lois de la guerre accordent aux miens leprivilége des représailles. Il n’est point à craindre que de telshommes, au milieu de telles circonstances, se montrent cruels ou,insolens envers une femme de votre rang ; mais il est toutdifférent de se demander s’ils ne chercheront pas à tirer avantagede votre captivité, suivant le droit commun de la guerre. Vous nevoudriez pas, je pense, être rendue aux Anglais à condition que sirJohn de Walton livrerait le château de Douglas à son possesseurnaturel ; néanmoins, si vous étiez entre les mains de Bruce oude Douglas, quoique je puisse répondre qu’ils vous traiteraientavec tout le respect qu’il leur serait possible de vous montrer,j’avoue cependant qu’il ne serait nullement invraisemblable qu’ilsexigeassent pour vous une semblable rançon. »

« J’aimerais mieux mourir que de savoirmon nom mêlé à un contrat si honteux ; et la réponse qu’yferait de Walton serait, j’en suis certaine, de couper la tête aumessager, et de le jeter de la plus haute tour du château deDouglas. »

– « Où donc iriez-vous maintenant,madame, si le choix vous en était laissé ? »

« Dans mon propre château, où, s’il étaitnécessaire, je pourrais me défendre même contre le roi, jusqu’à ceque je pusse du moins mettre ma personne sous la protection del’Église. »

« En ce cas, mon pouvoir de vous prêtersecours n’est que précaire, mais il s’étend jusqu’à un choix que jevais sans hésiter soumettre à votre décision, quoi que j’exposeainsi les secrets de mes amis à être découverts et leurs projets àdevenir inutiles. Mais la confiance que vous avez mise en moim’impose la nécessité de vous en témoigner autant. Vous êtes donclibre, ou de m’accompagner au rendez-vous secret de Douglas et demes amis, que je puis être blâmée de vous avoir fait connaître, etde courir la chance de l’accueil qui vous y attend, puisque je nepuis vous répondre que d’un traitement honorable en ce qui concernevotre personne ; ou si vous trouvez ce parti trop hasardeux,dirigez-vous le plus promptement possible vers la frontière :dans ce dernier cas, je vous accompagnerai aussi loin que jepourrai vers la limite anglaise, et alors, je vous laisseraipoursuivre votre route, et trouver parmi vos compatriotes unprotecteur et un guide. Cependant, il sera heureux pour moi de nepas être rattrapée, car l’abbé n’hésiterait pas à me condamner àmort comme nonne parjure. »

« Une telle cruauté, ma sœur, ne pourraitguère être infligée a une femme qui n’a jamais prononcé les vœux dereligion, et qui a encore, d’après les lois de l’église, le droitde choisir entre le monde et le cloître. »

« Choix semblable à celui qu’ils ontlaissé aux braves victimes qui sont tombées entre des mainsanglaises durant ces guerres sans miséricorde ; à celui qu’ilsont laissé à Walace, le champion de l’Écosse ; qu’ils ontlaissé à Hay, le bon et le libre ; qu’ils ont laissé àSommerville, la fleur des chevaliers ; à Athol, proche parentdu roi Édouard lui-même ; à tous ceux enfin qui furentregardés comme autant de traîtres, nom sous lequel ils furentexécutés, de même que Marguerite de Hautlieu est une religieuseparjure et soumise aux règles du cloître. »

Elle parlait avec une certaine chaleur, car illui semblait que la noble Anglaise lui reprochait d’être plusfroide dans des circonstances si difficiles qu’elle n’avaitconscience de l’être.

Et après tout, continua-t-elle, vous, ladyAugusta de Berkely, à quoi vous exposez-vous en courant risque detomber entre les mains de votre amant ? Quel terrible dangeraffrontez-vous ? Vous ne devez pas craindre, ce me semble,d’être enfermée entre quatre murs avec un morceau de pain et unecruche d’eau ; ce qui, si j’étais prise, serait la seulenourriture qu’on m’accorderait pour le court espace de temps qui meresterait à vivre. Bien plus, dussiez-vous même être livrée auxÉcossais rebelles, comme vous les appelez, une captivité au milieudes montagnes, adoucie par l’espoir d’une prochaine délivrance, etrendue tolérable par tous les soulagemens que les circonstancesmettraient ceux qui vous retiendraient prisonnière à même de vousprocurer, ne seraient pas, je pense, un sort encore sidur. »

– « Néanmoins, il faut qu’il m’aitparu assez effrayant, puisque c’est pour m’y soustraire que je mesuis confiée à vos bons soins. »

– « Et quoique vous puissiez croireou soupçonner, je vous suis aussi dévouée que jamais femme le fut àune autre : oui, autant sœur Ursule resta fidèle à ses vœux,bien qu’elle n’en ait pas prononcé de définitifs, aussi fidèlementelle gardera votre secret, au risque même de trahir lesien. »

« Écoutez, Augusta ! dit-elle ens’arrêtant soudain, avez-vous entendu ? »

Le son dont elle voulait parler était encorel’imitation du cri de chat-huant, que lady Augusta avait déjaentendu sous les murs du couvent.

« Les sons, dit Marguerite de Hautlieu,annoncent l’approche d’une personne plus capable que moi de nousdiriger dans cette affaire. Il faut que j’aille en avant et que jelui parle : cet homme, notre guide, va rester quelques instansavec vous ; et quand il quittera la bride de votre cheval,n’attendez pas d’autre signal, mais avancez-vous au milieu du bois,et suivez les conseils et les instructions qu’il vousdonnera. »

« Arrêtez ! arrêtez ! sœurUrsule ! s’écria lady de Berkely, ne m’abandonnez pas dans cemoment d’incertitude et de détresse ! »

« Il le faut dans notre intérêt à toutesdeux, répliqua Marguerite de Hautlieu. Je suis aussi dansl’incertitude, je suis aussi dans la détresse ; mais patienceet obéissance sont les seules vertus qui puissent nous sauvertoutes deux. »

En parlant ainsi, elle frappa son cheval avecsa badine, et, s’avançant avec vitesse, disparut au milieu desbranches d’un épais buisson. Augusta de Berkely voulut suivre sacompagne, mais le cavalier qui les accompagnait retint fortement labride de son palefroi, d’un air qui annonçait qu’il ne luipermettrait pas de poursuivre sa route dans cette direction.Épouvantée donc, quoique sans pouvoir en dire exactement la raison,lady de Berkely resta les yeux fixés sur le buisson, par instinctpour ainsi dire, comme s’attendant à voir une bande d’archersanglais ou de hideux Écossais insurgés sortir de la lisière dubois, et ne sachant laquelle de ces deux apparitions elle devait leplus redouter. Dans la détresse où la jetait l’incertitude, elleessaya encore d’avancer, mais la rudesse avec laquelle le guide mitde nouveau la main sur la bride de son coursier lui prouvasuffisamment que, pour s’opposer à sa volonté l’étranger,emploierait probablement la force physique dont il semblait fortbien muni. Enfin après un intervalle de quelques dix minutes, lecavalier lâcha la bride, et lui montrant avec sa lance le buissonau milieu duquel serpentait un étroit sentier à peine visible, ilsembla indiquer à la dame que la route était dans cette direction,et qu’il ne l’empêcherait pas plus long-temps de la suivre.

« Ne venez-vous pas avecmoi ? » dit Augusta qui, habituée à la compagnie de cethomme depuis qu’ils avaient quitté le couvent, en était peu à peuvenue à le regarder comme une espèce de protecteur ; mais ilsecoua la tête d’un air grave comme pour s’excuser d’accéder à unerequête qu’il n’était pas en son pouvoir de satisfaire ; et,tournant son coursier dans une direction différente, il s’éloignad’un pas qui le mit bientôt hors de vue. Augusta n’eut plus alorsd’autre alternative que de prendre le chemin du buisson qui avaitété suivi par Marguerite de Hautlieu, et elle y entrait à peinelorsque ses yeux furent attirés par un spectacle singulier.

Les arbres devenaient plus grands à mesure quela dame avançait, et lorsqu’elle pénétra dans le buisson même, elles’aperçut que, quoique bordé pour ainsi dire par un enclos detaillis, il était à l’intérieur entièrement rempli par quelques-unsde ces arbres magnifiques qui semblent être les ancêtres desforêts, et qui, bien que fort peu nombreux, suffisaient par lagrande étendue de leurs épais rameaux pour ombrager tout le terrainnon planté. Sous un de ces arbres gisait quelque chose de gris qui,à en considérer l’ensemble, avait l’air d’un homme revêtu d’unearmure, mais étrangement accoutré, et d’une manière assez bizarrepour indiquer quelqu’un des singuliers caprices propres auxchevaliers de cette époque. Son armure était habilement peinte defaçon à représenter un squelette, les côtes étant figurées par soncorselet et la pièce d’acier qui lui couvrait le dos. Son bouclierreprésentait un hibou les ailes étendues, devise qui était répétéesur le casque, lequel paraissait complétement couvert par une imagede ce même oiseau de mauvais augure. Mais ce qui étaitparticulièrement propre à exciter la surprise du spectateur,c’étaient la haute taille et l’extrême maigreur de l’individu, qui,lorsqu’il se releva de terre et reprit une posture droite, parutressembler plutôt à un fantôme au moment où on le tire de la tombequ’à un homme ordinaire se remettant sur ses pieds. Le cheval surlequel était montée la dame recula de frayeur et produisit un sonaigu avec ses narines, soit épouvanté du soudain changement deposture de cet affreux échantillon de la chevalerie, soitdésagréablement affecté par quelque odeur qui accompagnait saprésence. La dame elle-même manifesta quelque crainte ; car,quoiqu’elle ne crût pas tout-à-fait être en présence d’un êtresurnaturel, cependant, parmi les déguisemens bizarres et à demiinsensés que prenaient les chevaliers d’alors, c’était assurémentle plus étrange qu’elle eût jamais vu ; et considérant combienles chevaliers de cette époque avaient souvent poussé jusqu’à lafolie leurs inconcevables caprices, il ne paraissait nullement sansdanger de rencontrer un homme accoutré des emblèmes du roi desterreurs lui-même, seul et au milieu d’une forêt déserte. Quels quefussent néanmoins le caractère et les intentions du chevalier, ellerésolut de l’accoster avec le langage et les manières observéesdans les romans en semblables occasions, espérant que, quand mêmeil serait fou, il pourrait être pacifique et sensible à lapolitesse. » « Sire chevalier, dit-elle du ton le plusferme qu’elle put prendre, je suis vraiment fâchée, si par monarrivée soudaine j’ai troublé vos méditations solitaires. Moncheval, s’apercevant, je crois, de la présence du vôtre, m’a amenéeici sans que je susse qui ou quoi je devais rencontrer. »

« Je suis un être, répondit l’étrangerd’un ton solennel, que peu de gens cherchent à rencontrer, avantque vienne le temps où ils ne peuvent plus m’éviter. »

« Sire chevalier, répliqua lady deBerkely, vous parlez de manière à mettre vos paroles d’accord avecle rôle affreux dont il vous a plu de prendre les marquesdistinctives. Puis-je m’adresser à un homme dont l’extérieur est siformidable pour lui demander quelques instructions, relativement àla route que je dois suivre au milieu de ce bois sauvage ?Ainsi, par exemple, comment se nomme le château, la ville oul’hôtellerie la plus proche, et par quel chemin puis-je y arriverle plus promptement ? »

« C’est une singulière audace, réponditle chevalier de la Tombe, que d’oser entrer en conversation aveccelui qu’on appelle l’inexorable, l’implacable et l’impitoyable,celui que même le plus misérable des hommes craint d’appeler à sonsecours, de peur que sa prière ne soit trop tôt exaucée. »

« Sire chevalier, répliqua lady Augusta,le caractère que vous avez pris, incontestablement pour de bonnesraisons, vous ordonne de tenir un pareil langage ; maisquoique votre rôle soit vilain, il ne vous impose pas, je présume,la nécessité de rejeter au loin cette politesse à laquelle vousdevez vous être engagé en prononçant les grands vœux de lachevalerie. »

« Si vous consentez à vous laisserconduire par moi, reprit le fantôme, il est une seule condition àlaquelle je puis vous donner les renseignemens que vous medemandez, et c’est que vous suiviez mes pas sans m’adresser aucunequestion sur le but de notre voyage. »

« Je crois qu’il faut que je me soumetteà vos conditions, répondit-elle, s’il vous plait en effet devouloir bien me servir de guide. J’imagine que vous êtes un de cesmalheureux gentilshommes d’Écosse qui sont maintenant en armes,dit-on, pour la défense de leurs libertés. Une téméraire entreprisem’a amenée dans la sphère de votre influence ; et actuellementla seule faveur que j’aie à vous demander, à vous, à qui je n’aijamais ni fait ni voulu de mal, c’est de me conduire, comme votreconnaissance du pays vous permet aisément de le faire, vers lafrontière anglaise. Quoi que je puisse voir de vos réunions et devos manœuvres, croyez que tout me sera aussi invisible que si toutse passait derrière le sépulcre du roi lui-même dont il vous a plude prendre les attributs ; et si une somme d’argent assezforte pour être la rançon d’un puissant comte peut acheter unetelle faveur au besoin, cette rançon sera franchement payée, etavec autant de bonne foi qu’elle fut jamais comptée par un captifau chevalier qui l’avait pris. Ne me refusez pas, royal Bruce,noble Douglas, si c’est en effet à l’un ou à l’autre de ces hommesfameux que je m’adresse dans cette affreuse extrémité ; onparle de vous deux comme d’ennemis terribles, mais de généreuxchevaliers et d’amis fidèles. Permettez-moi de vous engager àsonger combien vous souhaiteriez que vos amis et vos parens,reçussent dans de pareilles circonstances quelque commisération dela part des chevaliers anglais. »

« Et en ont-ils donc reçu ? répliquale chevalier, d’une voix plus sombre qu’auparavant ; ouagissez-vous sagement, lorsque vous implorez la protection d’unhomme que vous ne croyez être un vrai chevalier écossais pouraucune autre raison que pour l’extrême et extravagante misère deson costume ; est-il bien, dis-je, est-il sage de lui rappelerla manière dont les seigneurs d’Angleterre ont traité les aimablesfilles et les nobles dames d’Écosse ? Les cages qui leurservaient de prison n’ont-elles pas été suspendues aux bastions deschâteaux, afin que leur captivité fût notoire au dernier desbourgeois qui désirait contempler[19] lesmisères des plus nobles princesses et même de la reined’Écosse ? Est-ce un souvenir qui puisse inspirer à unchevalier écossais de la compassion envers une dame anglaise ?ou est-ce une pensée qui puisse faire autre chose qu’enflammerdavantage la haine profonde et éternelle contre EdouardPlantagenet, l’auteur de ces maux, qui bout dans chaque goutte desang écossais encore échauffée par la vie ? Non ! tout ceque vous puissiez attendre, c’est que, froid et inflexible comme lesépulcre que je représente, je vous abandonne sans secours dans latriste condition où vous dites que vous êtes. »

« Vous ne serez pas si inhumain, répliquala dame ; en agissant ainsi, vous répudieriez tout droit àl’honnête réputation que vous avez gagnée, par l’épée ou la lance.Vous répudieriez toute prétention à cette justice qui se glorifiede soutenir le faible contre le fort. Vous prendriez pour règle deconduite de venger les torts et la tyrannie d’Édouard Plantagenetsur les dames et les demoiselles d’Angleterre qui n’ont point accèsdans ses conseils, et qui peut-être ne lui donnent pas leurapprobation dans ces guerres contre l’Écosse. »

« Je ne vous disposerais donc pas, dit lechevalier du sépulcre ; à ne plus m’adresser la prière quevous me faites, si je vous disais les maux auxquels vous seriezexposée dans le cas où nous tomberions entre les mains des soldatsanglais, et s’ils vous trouvaient sous une protection d’aussimauvais augure que la mienne ? »

« Soyez sûr, répliqua lady Augusta, quela considération d’un tel événement n’ébranle le moins du monde nima résolution ni mon désir de me confier à votre protection. Vouspouvez probablement savoir qui je suis, et par suite juger combienÉdouard serait peu tenté de m’infliger une punitionrigoureuse. »

« Comment puis-je vous connaître,répliqua le sombre cavalier, vous et votre position ? Il fautqu’elle soit extraordinaire, en effet, si elle peut retenir parjustice ou par humanité l’amour de vengeance qui dévore Édouard.Tous ceux qui le connaissent savent bien que ce n’est pas un motifordinaire qui l’empêcherait de se livrer au penchant de son mauvaisnaturel ; mais, quoi qu’il en soit, madame, si vous êtes unedame, vous m’investissez soudain de votre confiance, et il faut queje m’en montre digne de mon mieux. C’est pourquoi il faut que vousvous laissiez guider implicitement par mes conseils, qui vousseront donnés à la mode de ceux du monde spirituel, attendu qu’ilsseront des ordres plutôt que des instructions détaillées sur laconduite que vous avez à tenir, et qui auront pour base plutôt lanécessité qu’aucun argument, aucun raisonnement. De cette manièreil est possible que je puisse vous servir ; de toute autrefaçon, il est fort probable que je vous manquerais au besoin, etque je disparaîtrais de votre côté comme un fantôme qui craintl’approche du jour. »

– « Vous ne pouvez être sicruel ! un gentilhomme, un chevalier, un noble… car je suisconvaincue que vous êtes tout cela, a des devoirs qu’il ne peutrefuser de remplir. »

« Il en a, je vous l’accorde, et ils sonttrès sacrés pour moi ; mais il est aussi des devoirs dontl’obligation est doublement forte, et auxquels je dois sacrifierceux qui autrement me porteraient à me dévouer à votre défense. Laseule question est, si vous êtes disposée à accepter ma protection,aux conditions auxquelles seulement je puis vous l’accorder, et sivous préférez que chacun de nous suive son propre chemin, s’enremette à ses propres ressources et laisse le reste au soin de laProvidence ? »

– « Hélas ! exposée etpoursuivie comme je le suis, m’inviter à prendre moi-même unerésolution, c’est comme demander à un malheureux qui tombe dans unprécipice de songer avec calme à quelle branche il fera bien des’accrocher pour amortir sa chute. Sa réponse doit nécessairementêtre qu’il s’attachera à celle qu’il pourra le plus aisémentsaisir, et qu’il abandonnera le reste à la volonté de laProvidence. J’accepte donc la protection que vous m’offrez, avecles restrictions qu’il vous plait d’y mettre, et je place toute maconfiance dans le ciel et dans vous. Pour me servir efficacement,néanmoins, il faut que vous connaissiez mon nom et maposition. »

« J’en ai déja été instruit par celle quivous accompagnait tout à l’heure ; car ne pensez pas, jeunedame, que beauté, rang, vastes domaines, immenses richesses, talensaccomplis puissent avoir la moindre valeur aux yeux de celui quiporte la livrée de la tombe, et dont les affections et les désirssont depuis long-temps ensevelis dans le sépulcre. »

– « Puisse votre foi être aussiferme que vos paroles semblent sévères, et je m’abandonne à voussans le moindre doute, sans la moindre crainte d’avoir à tort mistoute ma confiance en vous ! »

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