Le Château dangereux

Chapitre 17La Rencontre.

Le terrain qu’ils traversaient était, commelady Augusta pouvait s’en apercevoir, rompu et fort inégal, etquelquefois, à ce qu’elle pensa, encombré de ruines qu’ils avaientde la peine à traverser. La force de son compagnon la tiraitd’embarras dans ces occasions ; mais il lui prêtait ce secoursd’une façon si brutale, qu’une ou deux fois la dame, soit craintesoit douleur, fut forcée de pousser un gémissement ou un profondsoupir, malgré tout son désir de ne manifester aucun signe de lafrayeur qu’elle éprouvait ou du mal dont elle avait à souffrir.Dans une de ces occasions, elle sentit distinctement que le rudechasseur n’était plus à son côté, et que la place avait été rempliepar un autre homme, dont la voix, plus douce que celle de soncompagnon, ne lui semblait pas frapper son oreille pour la premièrefois.

« Noble dame, dit cette voix, ne craignezpas de nous la plus légère injure, et acceptez mes services au lieude ceux de mon écuyer qui est allé en avant avec notrelettre ; ne croyez pas que je veuille tirer avantage de maposition si je vous porte dans mes bras à travers ces ruines oùvous ne pourriez pas marcher aisément seule et les yeuxbandés. »

En même temps lady Augusta de Berkely sesentit soulevée de terre par les bras vigoureux d’un homme etportée avec la plus grande précaution sans plus avoir besoin defaire les pénibles efforts auxquels il lui avait d’abord fallu serésigner. Elle était bien honteuse de sa situation, mais sidélicate que cette situation fût, ce n’était pas l’instant des’abandonner à des plaintes qui auraient pu blesser des gens queson intérêt était de se concilier. Elle fit donc de nécessitévertu, et entendit les mots suivans qu’on prononçait tout bas à sonoreille :

« Ne craignez rien, on ne vous veut aucunmal ; et sir John de Walton lui-même, s’il vous aime commevous le méritez, n’aura rien à redouter de notre part. Nous ne luidemandons que de rendre justice à vous-même et à nous ; etsoyez convaincue que vous assurerez mieux votre propre bonheur ensecondant nos vues, qui ne sont pas moins favorables à vos désirset à votre délivrance. »

Lady Augusta aurait voulu faire quelqueréponse ; mais elle était tellement hors d’haleine par suitesoit de sa frayeur, soit de la vitesse avec laquelle on latransportait, qu’il lui fut impossible de proférer des accensintelligibles. Cependant elle commença à sentir qu’elle étaitenfermée dans quelque édifice, probablement en ruines ; car,quoique la manière dont elle voyageait alors ne lui permît plus dereconnaître distinctement la nature du terrain, cependant l’absencede l’air extérieur… qui néanmoins tantôt cessait de se faire sentiret tantôt entrait par bouffées furieuses, annonçait qu’elletraversait des bâtimens en partie intacts, mais donnant dansd’autres endroits passage au vent à travers des crevasses et desouvertures. En un certain moment, il sembla à la dame qu’elletraversait une foule considérable de gens qui tous observaient lesilence, quoique parfois il s’élevât parmi eux un murmure auquelcontribuaient plus ou moins toutes les personnes présentes, bienque le son général ne dépassât point un faible chuchottement. Sasituation lui imposait la loi de faire attention à tout, et elle nemanqua point de remarquer que ces personnes faisaient place àl’homme qui la portait, jusqu’à ce qu’enfin elle sentît qu’ilmontait les marches régulières d’un escalier, et qu’elle étaitalors seule avec lui. Arrivée, à ce qu’il lui sembla, sur unterrain plus égal, ils continuèrent leur singulier voyage par uneroute qui ne paraissait ni directe ni commode, et à travers uneatmosphère presque suffoquante, en même temps humide etdésagréable, qu’on eût dit produite par les vapeurs d’une tombenouvellement faite. Son guide lui parla une seconde fois :

« Du courage, lady Augusta, encore un peude courage, et continuez à supporter cette atmosphère qui doit unjour nous être commune à tous. Ma situation m’oblige à vousremettre entre les mains de votre premier guide ; et je puisseulement vous assurer que ni lui ni personne ne se permettraenvers vous la moindre impolitesse, le moindre affront… vous pouvezy compter sur la parole d’un homme d’honneur. »

En prononçant ces mots, il la déposa sur ungazon uni, et, à son extrême soulagement, lui fit sentir qu’elleétait revenue en plein air et délivrée des exhalaisons suffocantesqui l’avaient oppressée comme celles qui s’échappent d’un charnier.En même temps, elle exprima à voix basse le désir ardent d’obtenirla permission de se débarrasser du manteau dont les plisl’empêchaient presque de respirer, quoiqu’on ne lui eût entouré latête que pour l’empêcher de voir la route qu’elle parcourait. Aumême moment le manteau fut écarté comme elle le demandait, et ellese hâta, avec ses yeux dont elle recouvrait l’usage, d’examiner lascène qui l’environnait.

Le pays était ombragé par des chênes épais, aumilieu desquels s’élevaient quelques restes de bâtimens, ou dumoins des ruines qui en avaient tout l’air, et les mêmes peut-êtrequ’elle venait de traverser. Une limpide fontaine d’eau vivejaillissait de dessous les racines entrelacées d’un de ces arbres,et permit à la jeune dame de boire quelques gouttes du liquideélément dans lequel elle lava aussi son visage qui avait reçu plusd’une égratignure pendant le cours de son voyage, en dépit du soinet presque de la tendresse avec laquelle on l’avait portée vers lafin. L’eau fraîche arrêta promptement le sang qui sortait de ceslégères blessures, et en même temps servit à ranimer les sens de lamalheureuse demoiselle. Sa première idée fut si une tentatived’évasion, dans le cas où elle serait possible, ne serait pasconvenable. Mais un moment de réflexion la convainquit qu’elle nepouvait songer à un pareil projet ; et cette seconde penséelui fut confirmée par le retour du gigantesque chasseur Turnbull,dont elle avait entendu la voix rude avant d’apercevoir safigure.

« Étiez-vous impatiente de me voirrevenir, belle dame ? les gens comme moi, continua-t-il d’unson de voix ironique, qui sont toujours les premiers à la chassedes daims sauvages et des habitans des forêts, ne sont pas dansl’habitude de rester en arrière, quand de belles dames comme voussont l’objet de la poursuite ; et si je ne suis pas siconstant à vous accompagner que vous pourriez le vouloir,croyez-moi, c’est parce que j’ai à m’occuper d’autres affairesauxquelles je dois sacrifier momentanément même le devoir dedemeurer avec vous. »

« Je ne fais aucune résistance, dit ladame ; dispensez-vous donc, en vous acquittant de votredevoir, d’ajouter encore à mes peines par votre conversation, carvotre maître m’a donné sa parole qu’il ne souffrirait pas que jefusse insultée ni maltraitée. »

« Allons, la belle, allons !répliqua le chasseur, j’avais toujours pensé qu’il était bien de seconcilier la bienveillance des dames par de douces paroles ;mais si cela vous déplait, je n’éprouve pas tant de plaisir, moi, àcourir après de beaux termes de dimanches que je ne puisse toutaussi bien me taire. Avançons donc, puisqu’il faut que nous voyionsvotre amant avant la fin de la matinée, et qu’il nous apprenne sarésolution définitive relativement à une affaire qui est sicompliquée ; je ne vous adresserai plus un mot, comme femme,mais je vous parlerai comme à une personne sensée, quoiqueanglaise. »

« Vous rempliriez mieux, réponditAugusta, les intentions de ceux dont vous exécutez les ordres en nefaisant pas avec moi d’autre compagnie que celle qui est nécessitéepar vos fonctions de guide. »

L’homme fronça le sourcil ; et cependantil parut consentir à ce que proposait lady de Berkely, et gardaquelque temps le silence pendant qu’ils poursuivaient leur route,chacun enfoncé dans ses propres réflexions, qui sans douteportaient sur des objets bien différens. Enfin le son bruyant d’uncorps se fit entendre à peu de distance de ces deux compagnons devoyage, si froids l’un envers l’autre. « C’est la personne quenous cherchons, dit Turnbull ; je reconnais son cor entre tousceux qui retentissent dans cette forêt, et mes ordres sont de vousmener vers elles. »

« Le sang de la jeune dame circula alorsplus rapidement dans ses veines à l’idée d’être ainsi présentéesans cérémonie au chevalier, en faveur duquel elle avait confesséune téméraire préférence, plus conforme aux usages de ces temps oùdes sentimens exagérés inspiraient souvent des actions d’unegénérosité extravagante, qu’à ceux de nos jours, où toute chose estréputée absurde, quand elle n’est pas fondée sur un motif qui serattache immédiatement à l’intérêt personnel de celui qui la fait.Lors donc que Turnbull souffla dans son cor, comme pour répondre auson qu’ils avaient entendu, la dame fut tentée de s’enfuir, cédantà une première impulsion de honte et de crainte. Turnbull s’aperçutde son intention, et la saisit par le bras d’une manière quin’était rien moins que délicate, en lui disant :« Voyons, noble dame, comprenez bien que vous jouez aussi unrôle dans la pièce, et que, si vous ne restiez pas en scène, ellese terminerait d’une manière peu satisfaisante pour nous tous, parun combat à outrance entre votre amant et moi, où l’on verra qui denous deux est plus digne de votre faveur. »

« Je serai patiente, » dit Augusta,en pensant que la présence même de cet homme étrange et la violencedont il semblait user envers elle, étaient une espèce d’excuse àses scrupules de femme, pour se présenter devant son amant, dumoins dans leur première entrevue, sous un déguisement qu’ellesentait n’être ni extrêmement convenable ni d’accord avec ladignité de son sexe.

Un instant après que ces pensées eurent occupéson esprit, on entendit le galop d’un cheval qui approchait ;et sir John de Walton, arrivant au milieu des arbres, aperçut safiancée, captive, à ce qui lui sembla, entre les mains d’un banditécossais, qui ne lui était connu que par un premier trait d’audacedurant la partie de chasse.

La surprise et la joie ne permirent auchevalier que de s’écrier aussitôt : « Coquin !lâche cette femme ! ou meurs dans tes profanes efforts pourgêner les mouvemens d’un être auquel le soleil lui-même, le soleildu ciel, serait fier d’obéir. » En même temps, craignant quele chasseur n’entraînât la dame hors de sa vue, au moyen de quelquesentier difficile, semblable à celui qui une première fois luiavait permis de s’évader, sir John de Walton laissa tomber salourde lance, que les arbres ne lui permettaient pas de manier avecaisance, et, sautant à bas de son cheval, s’approcha de Turnbulll’épée nue.

L’Écossais, tenant encore de la main gauche lemanteau de la dame, leva de la droite sa hache d’armes, ou hache debois de Jedwood, pour parer et rendre le coup de sonantagoniste ; mais Augusta prit la parole.

« Sir John de Walton, dit-elle, au nom duciel, gardez-vous de toute violence, jusqu’à ce que vousconnaissiez le but pacifique qui m’amène ici, et par quels moyenspaisibles ces guerres peuvent enfin se terminer. Cet homme, quoiquevotre ennemi, a été pour moi un gardien civil et respectueux ;et je vous conjure de l’épargner jusqu’à ce qu’il ait dit pour quelmotif il m’a conduite en ces lieux. »

« Contrainte et lady de Berkely sont deuxmots que le seul fait de prononcer ensemble suffirait pourjustifier la mort de celui qui les aurait prononcés ! dit legouverneur du château de Douglas ; mais vous me l’ordonnez,noble dame, et j’épargne sa vie insignifiante, quoique j’aie dessujets de plainte contre lui, dont le moindre, s’il avait millevies, mériterait qu’il les perdît toutes. »

« John de Walton, répliqua Turnbull,cette dame sait bien que si cette entrevue se passe sans effusionde sang, ce ne sera point parce que j’ai peur de toi ; et sije n’étais pas retenu par d’autres grandes considérations, nonmoins importantes à Douglas qu’à toi-même, je ne balancerais pasplus à te provoquer en face et à soutenir les efforts de ta rage,que je ne balance en ce moment à mettre de niveau avec la terre cerejeton qui en sort. »

En parlant ainsi, Michel Turnbull leva sahache et abattit d’un chêne voisin une branche presque aussi grosseque le bras, qui, avec tous ses rameaux et ses feuilles, tomba àterre entre de Walton et l’Écossais, donnant une preuve irrécusablede la bonté de son arme, ainsi que de la force et de l’adresse aveclesquelles il s’en servait.

« Qu’il y ait donc trève entre nous, moncamarade, dit sir John de Walton, puisque le bon plaisir de cettedame est qu’il en soit ainsi, et fais-moi connaître ce que tu as àme dire relativement à elle. »

« À ce sujet, dit Turnbull, mes parolesseront brèves ; mais fais-y bien attention, sir Anglais. LadyAugusta Berkely, courant dans ce pays, est devenue prisonnière dunoble lord de Douglas, légitime héritier du château et du titre dece nom, et il se voit obligé de mettre à la liberté de cette dameles conditions suivantes, qui sont sous tous les rapports tellesque le droit de la guerre, juste et équitable, permet à unchevalier d’en imposer ; à savoir : en tout honneur ettoute sûreté, lady Augusta sera remise à sir John de Walton ou àtoute autre personne qu’il désignera pour la recevoir ;d’autre part, le château de Douglas lui-même, ainsi que tous lesavant-postes et les garnisons qui en dépendent seront évacués etrendus par sir John de Walton dans l’état actuel et contenanttoutes les munitions, toute l’artillerie qui sont maintenant dansses murs ; et l’espace d’un mois de trève sera accordé à sirJames Douglas et à sir John de Walton pour régler les termes de lacapitulation de part et d’autre, après avoir préalablement engagéleur parole de chevaliers et promis avec serment que dans l’échangede l’honorable dame pour le susdit château réside l’essence duprésent contrat, et que tout autre sujet de dispute sera, suivantle bon plaisir des nobles chevaliers sus-dénommés, honorablementdécidé entre eux ; ou même, s’ils le désirent, vidé enchamp-clos et dans un combat singulier, selon les lois de lachevalerie, devant toute noble personne qui aura droit de présideret d’être juge. »

Il n’est pas facile de concevoir l’étonnementde sir John de Walton en entendant le contenu de cet extraordinairecartel ; il regarda lady de Berkely avec cet air de désespoirqu’on peut supposer à un criminel qui verrait son ange gardien sepréparer à partir. Des idées semblables flottaient aussi dansl’esprit d’Augusta comme si on lui accordait enfin ce qu’elle avaittoujours regardé comme le comble de son bonheur, mais à desconditions déshonorantes pour un amant, comme jadis la flamboyanteépée du chérubin, qui était une barrière entre nos premiers parenset les délices du paradis. Sir John de Walton, après un momentd’hésitation, rompit le silence en ces termes :

« Noble dame, vous pouvez être surprisequ’on m’impose une condition qui a pour objet votre mise enliberté, et que sir John de Walton, qui vous a déja tantd’obligations qu’il est fier de reconnaître, hésite cependant àl’accepter avec le plus vif empressement, cette condition qui doitassurer votre liberté et votre indépendance ; mais le fait estque les mots qui viennent d’être prononcés ont retenti à monoreille sans arriver jusqu’à mon intelligence, et il faut que jeprie lady de Berkely de m’excuser si je prends un moment pour yréfléchir. »

« Et moi, répliqua Turnbull, je ne puisvous accorder qu’une demi-heure de réflexion pour une offre quevous devriez, ce me semble, accepter en haussant les épaules, aulieu de demander le temps de la méditer ! Le cartel exige-t-ilde vous chose que votre devoir comme chevalier ne vous oblige pasimplicitement de faire ? Vous vous êtes engagé à devenirl’agent du tyran Édouard, en tenant comme gouverneur le château deDouglas, au préjudice de la nation écossaise et du chevalier deDouglas-Dale, qui jamais, ni comme nation ni comme individu, ne sesont rendus coupables de la moindre injure envers vous ; voussuivez donc une fausse route, indigne d’un loyal chevalier. D’unautre côté, la liberté et la sûreté de votre dame vous sontactuellement promises ; elle vous sera rendue en tout honneuret respect, si vous consentez à quitter la ligne de conduiteinjuste dans laquelle vous vous êtes laissé imprudemment engager.Si vous y persévérez au contraire, vous placez votre propre honneuret le bonheur de cette noble dame entre les mains d’hommes auxquelsvous avez fait tout ce qu’il était possible de faire pour lesréduire au désespoir, et qui, irrités ainsi, n’agiront plusvraisemblablement qu’en désespérés. »

« Ce n’est pas du moins de toi, dit lechevalier, que j’apprendrai à connaître la manière dont Douglasexplique les lois de la guerre, et dont Walton doit recevoir cesexplications comme des préceptes. »

« Je ne suis donc pas reçu comme unmessager de paix ? répliqua Turnbull. Adieu, et songez quecette dame est loin d’être en des mains sûres pendant que vousméditerez à loisir sur le message que je vous ai apporté. Allons,madame, il faut nous en revenir. »

En parlant ainsi, il prit la main de ladyAugusta, et la tira brusquement, comme pour la forcer à le suivre.La pauvre fille était demeurée immobile et presque privée desentiment, tandis que ces discours étaient échangés entre les deuxguerriers ; mais quand elle se sentit entraînée par MichelTurnbull, elle s’écria, comme si la frayeur la mettait horsd’elle-même : « À mon secours, deWalton ! »

Le chevalier, transporté soudain de fureur,assaillit le chasseur avec une rage terrible, et lui porta avec salongue épée, sans qu’il pût se mettre sur ses gardes, deux ou troisbons coups, dont il fut si blessé ; qu’il tomba à la renversedans le taillis ; et de Walton allait l’achever, lorsqu’il enfut empêché par un cri aigu de sa maîtresse :« Hélas ! de Walton, qu’avez-vous fait ? Cet hommeétait ambassadeur, et il aurait dû être à l’abri de toute violencetant qu’il se bornait à remplir un message dont il étaitchargé ; et si vous l’avez tué, qui sait combien peut êtreterrible la vengeance qui sera tirée de sa mort ! »

La voix de la jeune dame parut faire revenirle chasseur des effets des coups qu’il avait reçus ; il sereleva, disant :

« Ne faites pas attention, et ne croyezpas que je vous garde rancune, à vous. Le chevalier, dans saprécipitation, ne m’a ni prévenu ni porté de défi, d’où il a prisun avantage qu’il aurait, je pense, été honteux autrement deprendre en pareil cas. Je recommencerai le combat à armes pluségales, j’appellerai un autre champion, comme le chevaliervoudra. » Sur ces mots il disparut.

« Ne craignez rien, reine des pensées dede Walton ; répliqua le chevalier ; mais croyez que, sinous regagnons ensemble l’abri du château de Douglas et lasauvegarde de la Croix de saint George, vous pourrez rire de tout.Et si vous consentez seulement à me pardonner, ce que je ne seraijamais capable d’oublier moi-même, l’inconcevable aveuglement quim’a empêché de reconnaître le soleil pendant une éclipsetemporaire, il n’est pas de tâche si dure, si difficile au couragehumain que je ne doive entreprendre volontiers, pour effacer lamémoire d’une faute si grave. »

« N’en parlons plus, répliqua ladame ; ce n’est pas dans un moment comme celui-ci, où notrevie est en danger, qu’il faut songer à se quereller pour de sifutiles motifs. Je puis vous dire, si vous ne le savez pas encore,que les Écossais sont en armes dans les environs, et que la terremême s’est entr’ouverte pour les dérober aux yeux de vossoldats. »

« Eh bien ! qu’elle s’entr’ouvre,dit sir John de Walton ; que tous les démons qui habitentl’abîme infernal sortent de leur prison et aillent renforcer nosennemis… À présent, ma toute belle, que j’ai reçu en vous une perled’un prix inestimable, puissent mes éperons m’être arrachés destalons par le dernier des goujats si je fais détourner la tête demon cheval pour reculer devant les forces les plus redoutables quepuissent réunir ces bandits, tant sur terre que dessous. En votrenom je les défie tous, et tout de suite, au combat. »

Comme sir John de Walton prononçait cesderniers mots d’un ton assez animé, un grand cavalier, revêtu d’unearmure de la forme la plus simple, sortit de l’endroit du buissonoù Turnbull avait disparu. « Je suis, dit-il, James Douglas,et votre cartel est accepté. Moi, comme provoqué, je choisis lesarmes, et les armes que je choisis sont nos épées de chevalier quenous portons en ce moment, le lieu du combat, cette vallée qu’onnomme Bloody-sykes, le temps, ce moment même ; et lescombattans, comme de vrais chevaliers, renonçant de part et d’autreà tous les avantages qu’ils peuvent avoir. »

« Soit, au nom du ciel, » dit lechevalier anglais, qui, quoique surpris d’être inopinément défié enduel par un guerrier si formidable que le jeune Douglas, était tropfier pour songer à éviter le combat. Faisant signe à la dame de seretirer derrière lui, afin qu’il ne perdît pas l’avantage qu’ilavait obtenu en l’arrachant aux mains du chasseur, il tira sonépée, et, prenant l’attitude grave et résolue de l’attaque,s’avança lentement vers son adversaire. La rencontre fut terrible,car le courage et l’adresse tant du lord de Douglas-Dale que de deWalton étaient cités parmi les plus célèbres de l’époque, et lemonde de la chevalerie ne peut guère se vanter d’avoir produit deuxchevaliers plus fameux. Leurs coups tombaient comme portés parquelque ange formidable, ou ils étaient parés et rendus avec autantde force que de dextérité ; et il ne paraissait pasvraisemblable, même après dix minutes de combat, que l’un des deuxcombattans pût remporter l’avantage sur l’autre. Ils s’arrêtèrentun instant, comme d’un commun accord, pour reprendre haleine, etpendant ce temps Douglas dit : « Je prie cette noble damede bien comprendre que sa propre liberté ne dépend en aucunemanière de l’issue de cette lutte, qui n’a rapport qu’à l’affrontfait par ce sir John de Walton et par sa nation d’Angleterre à lamémoire de mon père et à mes droits naturels. »

« Vous êtes généreux, sir chevalier,répliqua la dame ; mais en quelle position me placez-vous, sivous me privez de mon protecteur par la mort ou la captivité, etque je reste seule dans un pays étranger ? »

« Si tel devait être l’événement ducombat, répondit sir James, Douglas lui-même, madame, vous rendraità votre terre natale ; car jamais son épée ne causa de mauxqu’il ne fût prêt à réparer avec cette même épée ; et si sirde Walton indique le moins du monde qu’il renonce à continuer cecombat, ne fût-ce qu’en détachant une plume du panache de soncasque, Douglas renoncera pour sa part à tout projet pouvant porteratteinte à l’honneur ou à la sûreté de cette dame, et cette luttesuspendue jusqu’à ce que la querelle nationale nous ramène l’uncontre l’autre. »

Sir John de Walton réfléchit un moment, etAugusta de Berkely, quoiqu’elle ne parlât point, le regarda avecdes yeux qui indiquaient clairement combien elle désirait qu’ilchoisît l’alternative la moins hasardeuse ; mais les propresscrupules du chevalier l’empêchèrent d’accepter un arrangement sifavorable.

« Il ne sera jamais dit de sir John deWalton, répliqua-t-il, qu’il a compromis au moindre degré sonpropre honneur ou celui de son pays. Ce combat peut se terminer parma défaite, ou plutôt par ma mort, et, dans ce cas, je n’ai plusrien à espérer en ce monde : alors, en rendant le derniersoupir, je confie à Douglas le soin de lady Augusta, espérant qu’illa défendra au péril de ses jours et trouvera moyen de la replacersaine et sauve dans le château de ses aïeux. Mais, tant que jevivrai, en supposant qu’elle puisse en avoir un meilleur, ellen’aura néanmoins pas besoin d’un autre protecteur que celui qu’ellea honoré en le choisissant pour tel ; et je ne céderai pas, nefût-ce qu’une plume de mon casque, pour donner à entendre que j’aisoutenu une querelle injuste, défendant la cause, soit del’Angleterre, soit de la plus belle de ses filles. Tout ce que jepuis accorder à Douglas, c’est une trève immédiate, à condition quema dame pourra sans obstacle se retirer en Angleterre, et que nouscontinuerons ce combat un autre jour. Le château et le territoirede Douglas appartiennent à Édouard d’Angleterre, le gouverneur quicommande en son nom est le gouverneur légitime ; et ce, je lesoutiendrai la lance au poing tant que mes yeux serontouverts. »

« Le temps fuit, répliqua Douglas, sansattendre notre décision, et aucun de ses instans n’est aussiprécieux que celui qui s’écoule avec chaque souffle d’air vital quenous respirons actuellement. Pourquoi ajournerions-nous à demain cequi peut tout aussi bien se faire aujourd’hui ? nos épéesseront-elles plus tranchantes, ou nos bras plus vigoureux à lesmanier qu’ils ne sont à présent ? Douglas fera tout ce qu’unchevalier peut faire pour secourir une dame malheureuse mais iln’accordera point au chevalier de cette dame la moindre marque dedéférence, ce que sir John de Walton se croit vainement capabled’extorquer par la force des armes. »

À ces mots, les chevaliers recommencèrent leurlutte à mort, et la dame fut indécise si elle tenterait de s’évaderà travers les sentiers tortueux du bois, où si elle attendraitl’issue du combat. Ce fut plutôt son désir de voir quel serait lesort de sir John de Walton, que toute autre considération, qui lafit demeurer comme retenue par un charme sur la place où l’une desplus terribles querelles qui se vidèrent jamais était vidée par lesdeux plus braves champions qui tirèrent jamais l’épée. Enfin ladame s’efforça de mettre un terme au combat en profitant de lacirconstance des cloches qui commençaient à sonner le service dujour, car c’était le dimanche des Rameaux.

« Au nom du ciel, dit-elle, au nom devous-mêmes, au nom de l’amour des dames et des devoirs de lachevalerie, suspendez vos coups seulement pour une heure, etespérons que, quand les forces sont si égales, il se trouveraquelque moyen de convertir la trève en une paix solide. Songez quec’est aujourd’hui la fête des Rameaux : souillerez-vous par dusang une si grande solennité du christianisme ? Interrompez dumoins votre lutte de manière à vous rendre à la plus proche église,portant avec vous des rameaux, non pas à la manière ni avecl’ostentation des conquérans de ce monde, mais comme rendantl’hommage dû aux règles de l’église, et aux institutions de notresainte religion. »

« J’étais en chemin, belle dame, et à ceteffet pour me rendre dans la sainte église de Douglas, ditl’Anglais, lorsque j’ai eu le bonheur de vous rencontrer ici ;et je ne refuse pas de continuer ma route en ce moment même,concluant une trève d’une heure ; attendu que j’y trouveraibien certainement des amis auxquels je vous confierai en touteassurance, si je venais à succomber dans le combat que nous venonsd’interrompre pour le reprendre après le service divin. »

« Je consens aussi, répliqua Douglas, àcette courte trève ; et je trouverai de même, assurément,assez de bons chrétiens dans l’église qui ne souffriraient pas queleur maître fût accablé sous le nombre. Marchons donc, et quechacun de nous coure la chance de ce qu’il plaira au ciel de luienvoyer. »

D’après un tel langage, sir John de Waltondouta peu que Douglas ne se fût assuré un parti parmi ceux qui yseraient rassemblés ; mais il n’hésitait pas à penser que lessoldats de la garnison y seraient assez nombreux pour comprimertoute tentative de soulèvement : au reste c’était un risquequi valait bien la peine qu’on le courût, puisque par là iltrouvait l’occasion de placer lady Augusta de Berkely en lieu sûr,ou du moins de faire dépendre sa liberté de l’issue d’une bataillegénérale, au lieu du résultat précaire d’un combat entre Douglas etlui-même.

Ces deux illustres chevaliers pensaientintérieurement que la proposition de la dame, quoiqu’elle suspendîtle combat pour le moment, ne les obligeait en aucune manière às’abstenir de profiter des avantages qu’une augmentation de forces,pourrait leur donner de part et d’autre ; et chacun comptaitsur la victoire, en puisant ses espérances de supériorité dansl’égalité même de la première lutte. Sir John de Walton étaitpresque certain de rencontrer quelques unes de ses bandes desoldats qui battaient le pays et traversaient les bois par sonordre ; et Douglas, on peut le supposer, ne s’était pasaventuré en personne dans un lieu où sa tête était mise à prix,sans être accompagné d’un nombre suffisant de partisans dévouésplacés plus ou moins près les uns des autres, mais toujours demanière à se secourir mutuellement. Chacun donc entretenaitl’espérance bien fondée que, en acceptant la trève proposée, ils’assurait un avantage sur son antagoniste, quoiqu’il ne sûtexactement ni de quelle manière ni jusqu’à quel point ce succèsdevait être obtenu.

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