Le Château dangereux

Chapitre 12Le Billet.

Grande fut la surprise du jeune chevalier deValence et du révérend père Jérôme, lorsque, après avoir enfoncé laporte de la cellule, ils n’y aperçurent pas le jeune pèlerin ;et d’après les vêtemens qu’ils y trouvèrent, ils virent qu’ilsavaient toute raison de croire que la novice à l’œil unique, sœurUrsule, l’avait accompagné dans son évasion. Mille pensées seprésentèrent à la fois à l’esprit de sir Aymer, toutes pour luimontrer combien il s’était laissé honteusement jouer par lesartifices d’un bambin et d’une novice. Son révérend compagnond’erreur n’éprouvait pas moins de contrition pour avoir recommandéau jeune chevalier d’user avec modération de son autorité. PèreJérôme n’avait obtenu son élévation au grade d’abbé que sur la foide son zèle pour la cause du monarque anglais, zèle affectécependant avec lequel il ne savait trop comment concilier saconduite de la nuit précédente. On commença tout de suite desperquisitions, mais on ne put seulement découvrir que le jeunepèlerin s’était certainement évadé avec lady Marguerite deHautlieu, événement dont les femmes du monastère témoignèrent unegrande surprise mêlée de beaucoup d’horreur ; tandis que celledes hommes, qui apprirent bientôt cette nouvelle, fut modérée parune sorte d’étonnement qui semblait être fondé sur l’excessivedifférence des avantages physiques des deux fugitifs.

« Sainte Vierge ! dit une nonne, quise serait imaginé qu’une religieuse de si grande espérance, sœurUrsule, si récemment encore baignée dans les pleurs que luiarrachait la mort prématurée de son père, fût capable de s’enfuiravec un jeune homme à peine âgé de quatorze ans ? »

« Bienheureuse Sainte-Bride ! ditl’abbé Jérôme, et quel motif a pu décider un si beau jeune homme àseconder un cauchemar tel que sœur Ursule, pour qu’elle commît unesi grande atrocité ? Assurément il ne peut alléguer pourexcuse ni tentation ni séduction, mais il faut qu’il soit allé,comme on dit, vers le diable avec un torchon. »

« Je vais envoyer mes soldats à lapoursuite des fugitifs, dit de Valence, à moins que cette lettre,que le pèlerin doit avoir laissée exprès, ne contienne deséclaircissemens sur notre mystérieux prisonnier. »

Après en avoir examiné le contenu avec quelquesurprise, il lut à haute voix : « Le soussigné, quinaguère logea au monastère de Sainte-Bride, vous informe, pèreJérôme, abbé du susdit couvent, que, vous voyant disposé à letraiter en captif et en espion dans le sanctuaire où vous l’avezreçu comme malade, il a pris le parti d’user de sa liberténaturelle que vous n’avez aucun droit de lui ôter, et enconséquence s’est évadé de votre abbaye. D’ailleurs, trouvant lanovice, appelée dans votre couvent sœur Ursule, qui, d’après lesrèglemens et la discipline monastiques, est parfaitement libre derentrer dans le monde, à moins qu’il ne lui plaise, après une annéede noviciat, de se déclarer sœur de votre ordre, déterminée à faireusage de son privilége, je saisis avec joie l’occasion de sacompagnie, puisqu’elle n’exécute qu’une très légitime résolution,conforme à la loi de Dieu et aux préceptes de sainte Bride, qui nevous donne aucune autorité pour retenir les personnes de force dansvotre couvent, si elles n’ont pas irrévocablement prononcé les vœuxde l’ordre.

« Quant à vous, sir John de Walton et sirAymer de Valence, chevaliers d’Angleterre, commandant la garnisondu château de Douglas, j’ai seulement à vous dire que vous avezagi, et que vous agissez encore contre moi au milieu d’un mystèredont la solution dépend d’un secret qui n’est connu que de monfidèle ménestrel, Bertram aux lais nombreux, dont j’ai jugéconvenable de me faire passer pour le fils. Mais comme je ne puis,à cette heure, me résoudre personnellement à découvrir un secretqui ne saurait être par moi dévoilé par un sentiment de honte, jedonne non seulement permission au susdit Bertram le ménestrel, maisencore je lui enjoins et lui ordonne de vous dire dans quel butj’ai dirigé mes pas vers le château de Douglas. Quand ce secretsera connu, il ne restera qu’à exprimer mes sentimens à l’égard desdeux chevaliers en retour des peines et des chagrins qu’ils m’ontcausés par leurs violences et leurs menaces de rigueurs encore plussévères.

« Et d’abord, relativement à sir Aymer deValence, je lui pardonne volontiers et sincèrement une erreur danslaquelle j’ai moi-même contribué à le faire tomber, et ce seratoujours avec plaisir que je le reverrai comme ami ; de plus,je ne penserai jamais à l’histoire de ces quelques jours que pouren rire et m’en amuser.

« Mais relativement à sir John de Walton,je dois le prier de réfléchir si sa conduite à mon égard, vu lesrelations qui existent actuellement entre nous, est telle qu’il lapuisse oublier, ou que je doive la pardonner ; et j’espèrequ’il me comprendra lorsque je lui dis que tout rapport doitdésormais cesser entre lui et le prétendu AUGUSTIN. »

« C’est de la folie, s’écria l’abbé aprèsavoir lu la lettre… de la vraie folie, de mi-été, folie quiaccompagne assez fréquemment cette maladie pestilentielle, et jeferais bien de recommander aux soldats qui rattraperont ce jeuneAugustin de le mettre immédiatement au pain et à l’eau, et d’avoirbien soin qu’on ne lui laissé manger absolument que ce qui estnécessaire pour entretenir la vie ; même je ne serais sansdoute pas désapprouvé par les doctes si je conseillais de temps àautre quelques flagellations avec courroies, ceintures et sangles,ou si c’était trop peu avec de véritables fouets, de bonneshoussines, etc. »

« Paix ! mon révérend père, dit deValence, je commence à y voir clair. John de Walton, si messoupçons étaient vrais, préférerait s’exposer à ce que ses osfussent dépouillés de leurs chairs à consentir à ce qu’un doigt decet Augustin fût piqué par un moucheron. Au lieu de traiter cejeune homme de fou, moi je me contenterai, pour ma part, d’avouerque j’ai été le jouet d’un ensorcellement, d’un charme ; et,sur mon honneur, si j’envoie mes gens courir sur les traces desfugitifs, ce sera en leur recommandant, bien, lorsqu’ils les aurontsaisis ; de les traiter avec respect, et de les protéger s’ilsrefusent de revenir en cette maison jusqu’à tel lieu de refugehonnête qu’ils pourront choisir. »

« J’espère, répliqua l’abbé qui avaitl’air étrangement confus, que je serai d’abord entendu dansl’intérêt de l’Église, touchant cette affaire d’une nonne,enlevée ? Vous voyez vous-même, sir chevalier, que cefreluquet de ménestrel ne montre ni repentir ni contrition de lapart qu’il a prise à cette méchante action. »

« On vous mettra à même d’être entendutout au long, répliqua le chevalier, pour peu que vous enconserviez le désir. En attendant, il faut que je retourne auchâteau, sans perdre un instant, informer sir John de Walton de latournure qu’ont prise les affaires. Adieu, révérend père ; surmon honneur, nous pouvons nous applaudir l’un l’autre d’êtredébarrassés d’une ennuyeuse commission, qui nous a apparu entouréed’autant de terreurs que les fantômes d’un songe terrible, et dontcependant les terreurs peuvent être dissipées par le simple fait deréveiller le dormeur. Mais, par Sainte-Bride toutecclésiastique ; tout laïque doit prendre en commisérationl’infortuné sir John de Walton. Je vous dis, père, que si cettelettre, ajouta-t-il en la touchant du doigt, peut-être compriselittéralement, il est l’homme le plus digne de pitié qui respireentre les rives de la Solway et le lieu où nous sommes en cemoment. Suspendez votre curiosité, très digne ecclésiastique, depeur qu’il n’y en ait dans cette affaire plus que je n’en voismoi-même ; de façon que, tandis qu’il me semble que j’aidécouvert la véritable explication de ce mystère, je puisse n’avoirpas encore à reconnaître que je vous ai induit en erreur… Holàhé ! sonnez le bouteselle ! cria-t-il par une desfenêtres de l’appartement, et que les hommes qui m’ont accompagnéici se tiennent prêts à battre les bois en s’enretournant. »

« Sur ma foi ! dit le père Jérôme,je suis fort content que ce jeune casseur de noix m’abandonne enfinà mes propres réflexions. Je déteste qu’un jeune homme prétendesavoir ce qui se passe, tandis que les anciens sont obligésd’avouer que tout est mystère pour eux. Une telle, présomption estcomme celle de cette maudite folle, sœur Ursule, qui prétendaitavec son œil unique lire un manuscrit que je ne pouvais parvenir àdéchiffrer moi-même avec le secours de mes lunettes. »

Cette réplique n’aurait pas extrêmement plu aujeune chevalier, et ce n’était d’ailleurs pas une de ces véritésque l’abbé aurait voulu énoncer de manière qu’il pûtl’entendre ; mais sir Aymer lui avait secoué la main, luiavait dit adieu, et il était déja à Hazelside donnant des ordresparticuliers au petit détachement d’archers et d’autres soldats quis’y trouvaient, réprimandant même Thomas Dickson qui, avec unecuriosité que le chevalier anglais n’était pas disposé à excuser,avait tâché de recueillir quelques détails sur les événemens de lanuit.

« Paix, drôle ! dit-il et occupe-toide ta propre besogne, car je t’assure qu’il viendra un temps oùelle exigera toute l’attention dont tu es capable, laissant auxautres le soin de leurs affaires. »

« Si l’on a des soupçons contre moi,répliqua Dickson d’un ton plutôt bourru et rechigné qu’autrement,il me semble qu’il serait juste qu’on me fît connaître l’accusationqu’on élève contre moi. Je n’ai pas besoin de vous dire que lachevalerie défend à un chevalier d’attaquer un ennemi sans l’avoirdéfié. »

« Quand vous serez chevalier, repartitsir Aymer de Valence, il sera encore assez temps pour que nousdiscutions ensemble l’étiquette qu’on doit observer à votre égardd’après les lois de la chevalerie. En attendant ; vous feriez,mieux de m’apprendre quelle part vous avez prise à l’apparition dece fantôme guerrier qui poussa le cri de guerre, le cri rebelle desDouglas dans la ville de ce nom. »

« J’ignore absolument ce dont vous voulezparler, » répliqua le Fermier d’Hazelside.

« Tâchez donc, dit le chevalier, de nepas vous mêler des affairés d’autrui, quand même votre consciencevous dirait que vous n’avez rien à craindre pour vos propresactions. »

À ces mots il s’éloigna sans attendre deréponse. Les idées qui lui remplissaient la tête peuvent se résumerainsi.

« Je ne sais comment cela se fait, maisun brouillard n’est pas plus tôt dissipé que nous nous trouvonsplongés dans un autre ; je regarde comme certain que lademoiselle déguisée n’est autre que la déesse de l’idolâtrieparticulière de Walton, qui nous a valu à lui et à moi tant depeine et même une espèce de mésintelligence pendant ces dernièressemaines. Sur mon honneur ! cette belle est vraiment prodiguedu pardon qu’elle m’a si franchement accordé, et s’il lui plaitd’être moins complaisante pour sir John de Walton, ma foi alors…mais quoi donc ?… Il n’y a dans tout ceci rien qui doive mefaire conclure qu’elle me donnerait dans son cœur la place qu’ellevient d’ôter à de Walton. Et quand même elle y serait disposée,pourrais-je profiter d’un tel changement en ma faveur aux dépens demon ami, de mon compagnon d’armes ? Il y aurait folie même àsonger à une chose aussi improbable. Mais ma première aventure decette nuit demande de sérieuses réflexions. Ce fossoyeur sembleavoir fait société avec les morts au point qu’il ne puisse plustenir compagnie aux vivans ; et quant à ce Dicksond’Hazelside, comme on l’appelle, il n’est pas de tentative contreles Anglais, durant ces interminables guerres, à laquelle il n’aitparticipé ; quand même ma vie en aurait dépendu, il m’auraitété impossible de ne pas le prévenir des soupçons que j’ai contrelui ; qu’il prenne la chose comme il lui plaira. »

En parlant ainsi, le chevalier pressa soncheval, et, arrivant au château de Douglas sans autre aventure,demanda d’un ton de plus grande cordialité que celui qu’il prenaitd’ordinaire, s’il pouvait être introduit chez sir John de Walton,attendu qu’il avait des choses importantes à lui communiquer. Ilfut aussitôt conduit dans une pièce où le gouverneur déjeûnaitseul. Vu le pied sur lequel ils étaient depuis quelque temps, legouverneur de la Vallée de Douglas fut un peu surpris de l’aird’aisance et de familiarité avec lequel de Valence s’approchaitalors de lui.

« Quelque nouvelle extraordinaire sansdoute, dit sir John d’un ton plutôt froid, me procure l’honneurd’une visite de sir Aymer de Valence ? »

« Il s’agit, répliqua sir Aymer, dechoses qui paraissent devoir vous intéresser vivement, sir John deWalton ; c’est pourquoi je serais blâmable de différer d’uninstant à vous les communiquer. »

« Je serai fier de profiter de vosdécouvertes » ajouta sir John de Walton.

« Et moi, reprit le jeune chevalier, jeregrette de ne pouvoir prétendre à l’honneur d’avoir pénétré unmystère qui aveuglait sir John de Walton. En même temps, jevoudrais que vous ne me crussiez pas capable de plaisanter avecmoi, ce qui pourrait bien vous arriver si mes fausses craintesfaisaient que je vous donnasse une fausse clef de cette affaire.Avec votre permission, donc, nous procéderons ainsi : Allonsensemble trouver le ménestrel Bertram, qui est retenu prisonnier.J’ai entre les mains un billet du jeune homme qui fut confié auxsoins de l’abbé Jérôme ; il est écrit par une main délicate defemme, et autorise le ménestrel à déclarer le motif qui les aamenés dans ce pays. »

« Il en sera comme vous dites, répliquasir John de Walton, quoique je ne voie guère la nécessité de fairetant de cérémonie pour un mystère qui peut être si viteexpliqué. »

Les deux chevaliers, précédés d’un garde quileur montrait le chemin, se rendirent donc au cachot où leménestrel avait été renfermé.

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