Le Château dangereux

Chapitre 15La Route.

Comme le chien qui suit son maître, quandcelui-ci veut lui apprendre quelque jeu dans lequel il désire qu’ilexcelle, lady Augusta se voyait en cette occasion traitée avec unerigueur propre à lui faire sentir la nécessité de l’obéissance laplus complète aux volontés du chevalier de la Tombe, en qui elles’était imaginé voir tout d’abord un des principaux adhérens deDouglas, sinon James Douglas lui-même. Encore, pourtant, l’idéequ’elle s’était faite du redoutable Douglas était celle d’unchevalier s’acquittant avec exactitude des devoirs de lachevalerie, particulièrement dévoué au service du beau sexe, ettout-à-fait différent du personnage auquel elle se trouvait siétrangement unie, comme par suite d’un enchantement. Néanmoins,lorsque, comme pour abréger un plus long entretien, il se précipitasubitement dans un des labyrinthes du bois, et sembla adopter unpas que, vu la nature du terrain, le cheval que montait ladyAugusta eut quelque peine à prendre, elle le suivit avec l’alarmeet la vitesse d’un jeune épagneul qui, par crainte plutôt que paramitié, s’efforce de marcher sur les traces d’un maître sévère. Lacomparaison, il est vrai, n’est pas fort polie ni très convenable àune époque où les femmes étaient adorées avec une espèce dedévotion, mais des circonstances telles que celles-ci étaientrares, et lady Augusta de Berkely ne pouvait s’empêcher de croireque le terrible champion, dont le nom avait été si long-temps lesujet de ses inquiétudes et la terreur de tout le pays, pouvaitd’une manière ou d’une autre accomplir sa délivrance. Elle fit donctous ses efforts pour suivre cette espèce de fantôme, et marchaderrière le chevalier telle que l’ombre du soir accompagne lepaysan attardé.

Comme la dame souffrait évidemment par suitede la peine qu’elle avait à se donner pour empêcher son palefroi defaire des faux pas dans ces sentiers raides et raboteux, lechevalier de la Tombe ralentit sa course, regarda d’un œil inquietautour de lui, et parut se dire à lui-même, quoique probablementavec l’intention que sa compagne l’entendit : « Il n’estpas besoin de tant se hâter. »

Il marcha donc plus lentement jusqu’àl’instant où ils parurent arriver sur le bord d’un ravin qui étaitune des nombreuses irrégularités de la surface du terrain, et formépar les torrens soudains particuliers à cette contrée, qui,serpentant parmi les arbres et les taillis, offraient, pour ainsidire, un nid de cachettes communiquant l’une avec l’autre, de sortequ’il n’y avait peut-être pas de lieu au monde plus propre à uneembuscade. L’endroit où l’habitant des frontières Turnbull avaitopéré son évasion durant la partie de chasse présentait unéchantillon de ce pays coupé, et peut-être communiquait-il auxdifférens buissons et passages par lesquels le chevalier et lepèlerin semblaient diriger leur route, quoique ce ravin fût à unedistance considérable du chemin qu’ils suivaient alors.

Cependant le chevalier avançait toujours, maisparaissant plutôt vouloir égarer lady Augusta au milieu de ces boisinterminables que suivre aucune route fixe et déterminée. Tantôtils montaient, et tantôt ils semblaient descendre dans la mêmedirection, ne trouvant que des solitudes sans bornes et lescombinaisons variées d’une campagne toute couverte de bois. Tellepartie de la contrée qui paraissait labourable, le chevaliersemblait l’éviter soigneusement : néanmoins il ne pouvaitdiriger sa marche avec tant de certitude, qu’il ne traversât pointparfois les sentiers que parcouraient les habitans et lescultivateurs qui ne montraient aucune surprise à la vue d’un êtresi singulier, mais ne manifestaient jamais, comme l’observait ladame, aucun signe de reconnaissance. Il était aisé d’en conclureque le spectre-chevalier était connu dans le pays, et qu’il ypossédait des partisans et des complices qui du moins étaient assezses amis pour ne pas donner l’alarme, ce qui aurait pu le fairedécouvrir. Le cri bien imité du hibou, hôte trop fréquent de cettesolitude pour que ces sons fussent un motif de surprise, semblaitêtre un signal généralement compris parmi eux, car on l’entendaitdans différentes parties du bois ; et lady Augusta, qui avaitacquis l’expérience de ces voyages par ses premières excursionssous la conduite du ménestrel Bertram, put remarquer qu’enentendant ces cris sauvages, son guide changeait la direction de sacourse, et prenait des sentiers qui les conduisaient dans dessolitudes plus profondes et des buissons plus impénétrables. Cettecirconstance arrivait si souvent qu’une nouvelle alarme s’empara del’infortunée pèlerine, et lui suggéra d’autres motifs de terreur.N’était-elle pas la confidente, et presque l’instrument de quelqueartificieux dessein, combiné sur un vaste plan et se rattachant àune opération dont le but était, comme les efforts de Douglasl’avaient toujours tenté, la reprise de son château héréditaire, lemassacre de la garnison anglaise, et enfin le déshonneur et la mortde ce sir John de Walton, du destin duquel elle avait long-tempscru ou cherché à croire que le sien dépendait ?

L’idée ne fut pas plus tôt venue à l’esprit delady Augusta, qu’elle frissonna des conséquences que pouvaientavoir les ténébreuses transactions où elle se trouvait mêlée, etqui paraissaient prendre une tournure si différente de ce qu’elleavait pensé d’abord.

Les heures de la matinée, de ce jourremarquable (c’était le dimanche des Rameaux) se passèrent ainsi àerrer d’un lieu dans un autre ; tandis que lady de Berkelysuppliait de temps à autre son guide de lui rendre sa liberté,supplications qu’elle tâchait d’exprimer en termes les plustouchans et les plus pathétiques, ou bien elle lui offrait desrichesses et des trésors sans que son étrange compagnon daignât luifaire aucune réponse.

Enfin, comme las de l’importunité de sacaptive, le chevalier, se rapprochant du cheval de lady Augusta,dit d’un ton solennel :

« Je ne suis pas, comme vous pouvez biencroire, un de ces chevaliers qui courent les bois et les solitudes,cherchant des aventures par lesquelles je puisse obtenir grace auxyeux d’une gentille dame ; cependant j’accéderai jusqu’à uncertain point à la requête que vous sollicitez si ardemment, et ladétermination de votre sort dépendra du bon plaisir de celui à lavolonté duquel vous avez dit être prête à soumettre la vôtre. Dèsnotre arrivée au lieu de notre destination, qui n’est plus éloigné,j’écrirai à sir John de Walton, et lui enverrai ma lettre ainsi quevous-même par un messager spécial ; il nous répondra sansdoute promptement, et vous pourrez reconnaître que celui-là mêmequi jusqu’à présent a paru sourd aux prières et insensible auxaffections terrestres, a encore quelque sympathie pour la beauté etla vertu. Je remettrai le soin de votre sûreté et de votre bonheurfutur en votre propre pouvoir et en celui de l’homme que vous avezadopté, et vous serez libre de choisir entre ce bonheur et lamisère. »

Comme il parlait ainsi, un de ces ravins, unede ces fentes qui coupaient le terrain sembla s’ouvrir devanteux ; et le chevalier-spectre y dirigeant ses pas avec uneattention qu’il n’avait pas encore montrée, prit par la bride lepalefroi de la dame pour lui faciliter la descente du sentierrapide et raboteux qui seul rendait accessible le fond de cettenoire vallée.

Lorsqu’elle arriva enfin sur un sol ferme,après les dangers d’une descente dans laquelle son palefroisemblait être soutenu par la force et l’adresse de l’être singulierqui le tenait par la bride, la dame regarda avec quelque étonnementun lieu si propre à servir de retraite que celui qu’elle venaitd’atteindre. Et il fut d’autant plus évident qu’il en servait eneffet, qu’on répondit de différens côtés à un son de cor très basque donna le chevalier de la Tombe ; et lorsque le même sonfut répété, une dixaine d’hommes armés, les uns portant l’uniformede soldats, d’autres habillés en bergers et en laboureurs, parurentsuccessivement, comme pour montrer qu’ils avaient entendul’appel.

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