Le Fantôme de l’Opéra

Chapitre 13Faut-il tourner le scorpion ? Faut-il tourner la sauterelle ?

Ainsi, en descendant au fond du caveau, j’avais touché le finfond de ma pensée redoutable ! Le misérable ne m’avait pointtrompé avec ses vagues menaces à l’adresse de beaucoup de ceux dela race humaine ! Hors de l’humanité, il s’était bâti loin deshommes un repaire de bête souterraine, bien résolu à tout fairesauter avec lui dans une éclatante catastrophe si ceux du dessus dela terre venaient le traquer dans l’antre où il avait réfugié samonstrueuse laideur.

La découverte que nous venions de faire nous jeta dans un émoiqui nous fit oublier toutes nos peines passées, toutes nossouffrances présentes… Notre exceptionnelle situation, alors mêmeque tout à l’heure nous nous étions trouvés sur le bord même dusuicide, ne nous était pas encore apparue avec plus de préciseépouvante. Nous comprenions maintenant tout ce qu’avait voulu direet tout ce qu’avait dit le monstre à Christine Daaé et tout ce quesignifiait l’abominable phrase : « Oui ou non !… Si c’est non,tout le monde est mort et enterré !… » Oui, enterré sous lesdébris de ce qui avait été le grand Opéra de Paris !…Pouvait-on imaginer plus effroyable crime pour quitter le mondedans une apothéose d’horreur ?

Préparée pour la tranquillité de sa retraite, la catastropheallait servir à venger les amours du plus horrible monstre qui sefût encore promené sous les cieux !… « Demain soir, à onzeheures, dernier délai !… » Ah ! il avait bien choisi sonheure !… Il y aurait beaucoup de monde à la fête !…beaucoup de ceux de la race humaine… là-haut… dans les dessusflamboyants de la maison de musique !… Quel plus beau cortègepourrait-il rêver pour mourir ?… Il allait descendre dans latombe avec les plus belles épaules du monde, parées de tous lesbijoux… Demain soir, onze heures !… Nous devions sauter enpleine représentation… si Christine Daaé disait : Non !…Demain soir, onze heures !… Et comment Christine Daaé nedirait-elle point : Non ? Est-ce qu’elle ne préférait pas semarier avec la mort même qu’avec ce cadavre vivant ? Est-cequ’elle n’ignorait pas que de son refus dépendait le sortfoudroyant de beaucoup de ceux de la race humaine ?… Demainsoir, onze heures !…

Et, en nous traînant dans les ténèbres, en fuyant la poudre, enessayant de retrouver les marches de pierre… car tout là-haut,au-dessus de nos têtes… la trappe qui conduit dans la chambre desmiroirs, à son tour s’est éteinte… nous nous répétons : Demainsoir, onze heures !…

… Enfin, je retrouve l’escalier… mais tout à coup, je meredresse tout droit sur la première marche, car une pensée terriblem’embrase soudain le cerveau :

« Quelle heure est-il ? »

Ah ! quelle heure est-il ? quelle heure !… carenfin demain soir, onze heures, c’est peut-être aujourd’hui, c’estpeut-être tout de suite !… qui pourrait nous dire l’heurequ’il est !… Il me semble que nous sommes enfermés dans cetenfer depuis des jours et des jours… depuis des années… depuis lecommencement du monde… Tout cela va peut-être sauter àl’instant !… Ah ! un bruit !… un craquement !…Avez-vous entendu, monsieur ?… Là !. là, dans ce coin…grands dieux !… comme un bruit de mécanique !…Encore !… Ah ! de la lumière !… c’est peut-être lamécanique qui va tout faire sauter !… je vous dis : uncraquement… vous êtes donc sourd ?

M. de Chagny et moi, nous nous mettons à crier comme des fous…la peur nous talonne… nous gravissons l’escalier en roulant sur lesmarches… La trappe est peut-être fermée là-haut ! C’estpeut-être cette porte fermée qui fait tout ce noir… Ah !sortir du noir ! sortir du noir !… Retrouver la clartémortelle de la chambre des miroirs !…

… Mais nous sommes arrivés en haut de l’escalier… non, la trappen’est pas fermée, mais il fait aussi noir maintenant dans lachambre des miroirs que dans la cave que nous quittons !… Noussortons tout à fait de la cave… nous nous traînons sur le plancherde la chambre des supplices… le plancher qui nous sépare de cettepoudrière… quelle heure est-il ?… Nous crions, nousappelons !… M. de Chagny clame, de toutes ses forcesrenaissantes : « Christine !… Christine !… » Et moi,j’appelle Érik !… je lui rappelle que je lui ai sauvé lavie !… Mais rien ne nous répond !… rien que notre propredésespoir… que notre propre folie… quelle heure est-il ?… «Demain soir, onze heures !… » Nous discutons… nous nousefforçons de mesurer le temps que nous avons passé ici… mais noussommes incapables de raisonner… Si on pouvait voir seulement lecadran d’une montre, avec des aiguilles qui marchent !… Mamontre est arrêtée depuis longtemps… mais celle de M. de Chagnymarche encore… Il me dit qu’il l’a remontée en procédant à satoilette de soirée, avant de venir à l’Opéra… Nous essayons detirer de ce fait quelque conclusion qui nous laisse espérer quenous n’en sommes pas encore arrivés à la minute fatale…

… La moindre sorte de bruit qui nous vient par la trappe quej’ai en vain essayé de refermer, nous rejette dans la plus atroceangoisse… Quelle heure est-il ?… Nous n’avons plus uneallumette sur nous… Et cependant il faudrait savoir… M. de Chagnyimagine de briser le verre de sa montre et de tâter les deuxaiguilles… Un silence pendant lequel il tâte, il interroge lesaiguilles du bout des doigts. L’anneau de la montre lui sert depoint de repère !… Il estime à l’écartement des aiguillesqu’il peut être justement onze heures…

Mais les onze heures qui nous font tressaillir, sont peut-êtrepassées, n’est-ce pas ?… Il est peut-être onze heures et dixminutes… et nous aurions au moins encore douze heures devantnous.

Et, tout à coup, je crie :

« Silence ! »

Il m’a semblé entendre des pas dans la demeure à côté.

Je ne me suis pas trompé ! j’entends un bruit de portes,suivi de pas précipités. On frappe contre le mur. La voix deChristine Daaé :

« Raoul ! Raoul ! »

Ah ! nous crions tous à la fois, maintenant, de l’un et del’autre côté du mur. Christine sanglote, elle ne savait point sielle retrouverait M. de Chagny vivant !… Le monstre a ététerrible, paraît-il… Il n’a fait que délirer en attendant qu’ellevoulût bien prononcer le « oui » qu’elle lui refusait… Etcependant, elle lui promettait ce « oui » s’il voulait bien laconduire dans la chambre des supplices !… Mais il s’y étaitobstinément opposé, avec des menaces atroces à l’adresse de tousceux de la race humaine… Enfin, après des heures et des heures decet enfer, il venait de sortir à l’instant… la laissant seule pourréfléchir une dernière fois…

… Des heures et des heures !… Quelle heure est-il ?Quelle heure est-il, Christine ?…

« Il est onze heures !… onze heures moins cinqminutes !…

– Mais quelles onze heures ?…

– Les onze heures qui doivent décider de la vie ou de lamort !… Il vient de me le répéter en partant, reprend la voixrâlante de Christine… Il est épouvantable ! Il délire et il aarraché son masque et ses yeux d’or lancent des flammes ! Etil ne fait que rire !… Il m’a dit en riant, comme un démonivre : “Cinq minutes ! Je te laisse seule à cause de ta pudeurbien connue !… Je ne veux pas que tu rougisses devant moiquand tu me diras ‘oui’, comme les timides fiancées !… Quediable ! on sait son monde !” Je vous ai dit qu’il étaitcomme un démon ivre !… “Tiens ! (et il a puisé dans lepetit sac de la vie et de la mort) Tiens ! m’a-t-il dit, voilàla petite clef de bronze qui ouvre les coffrets d’ébène qui sontsur la cheminée de la chambre Louis-Philippe… Dans l’un de cescoffrets, tu trouveras un scorpion et dans l’autre une sauterelle,des animaux très bien imités en bronze du Japon ; ce sont desanimaux qui disent oui et non ! C’est-à-dire que tu n’aurasqu’à tourner le scorpion sur son pivot, dans la position contraireà celle où tu l’auras trouvé… cela signifiera à mes yeux, quand jerentrerai dans la chambre Louis-Philippe, dans la chambre desfiançailles : oui !… La sauterelle, elle, si tu la tournes,voudra dire : non ! à mes yeux, quand je rentrerai dans lachambre Louis-Philippe, dans la chambre de la mort !…” Et ilriait comme un démon ivre ! Moi, je ne faisais que luiréclamer à genoux la clef de la chambre des supplices, luipromettant d’être à jamais sa femme s’il m’accordait cela… Mais ilm’a dit qu’on n’aurait plus besoin jamais de cette clef et qu’ilallait la jeter au fond du lac !… Et puis, en riant comme undémon ivre, il m’a laissée en me disant qu’il ne reviendrait quedans cinq minutes, à cause qu’il savait tout ce que l’on doit,quand on est un galant homme, à la pudeur des femmes !…Ah ! oui, encore il m’a crié : “La sauterelle !… Prendsgarde à la sauterelle !… Ça ne tourne pas seulement unesauterelle, ça saute !… ça saute !… ça sautejoliment !…” »

J’essaie ici de reproduire avec des phrases, des motsentrecoupés, des exclamations, le sens des paroles délirantes deChristine !… Car, elle aussi, pendant ces vingt-quatre heures,avait dû toucher le fond de la douleur humaine… et peut-êtreavait-elle souffert plus que nous !… À chaque instant,Christine s’interrompait et nous interrompait pour s’écrier : «Raoul ! souffres-tu ?… » Et elle tâtait les murs, quiétaient froids maintenant, et elle demandait pour quelle raison ilsavaient été si chauds !… Et les cinq minutes s’écoulèrent et,dans ma pauvre cervelle, grattaient de toutes leurs pattes lescorpion et la sauterelle !…

J’avais cependant conservé assez de lucidité pour comprendre quesi l’on tournait la sauterelle, la sauterelle sautait… et avec ellebeaucoup de ceux de la race humaine ! Point de doute que lasauterelle commandait quelque courant électrique destiné à fairesauter la poudrière !… Hâtivement, M. de Chagny, qui semblaitmaintenant, depuis qu’il avait réentendu la voix de Christine,avoir recouvré toute sa force morale, expliquait à la jeune filledans quelle situation formidable nous nous trouvions, nous et toutl’Opéra… Il fallait tourner le scorpion, tout de suite…

Ce scorpion, qui répondait au oui tant souhaité par Érik, devaitêtre quelque chose qui empêcherait peut-être la catastrophe de seproduire.

« Va !… va donc, Christine, ma femme adorée !… »commanda Raoul.

Il y eut un silence.

« Christine, m’écriai-je, où êtes-vous ?

– Auprès du scorpion !

– N’y touchez pas ! »

L’idée m’était venue – car je connaissais mon Érik – que lemonstre avait encore trompé la jeune femme. C’était peut-être lescorpion qui allait tout faire sauter. Car, enfin, pourquoin’était-il pas là, lui ? Il y avait beau temps maintenant queles cinq minutes étaient écoulées… et il n’était pas revenu… Et ils’était sans doute mis à l’abri !… Et il attendait peut-êtrel’explosion formidable… Il n’attendait plus que ça !… Il nepouvait pas espérer, en vérité, que Christine consentirait jamais àêtre sa proie volontaire !… Pourquoi n’était-il pasrevenu ?… Ne touchez pas au scorpion !…

« Lui !… s’écria Christine. Je l’entends !… Levoilà !… »

Il arrivait, en effet. Nous entendîmes ses pas qui serapprochaient de la chambre Louis-Philippe. Il avait rejointChristine. Il n’avait pas prononcé un mot…

Alors, j’élevai la voix :

« Érik ! c’est moi ! Me reconnais-tu ? »

À cet appel, il répondit aussitôt sur un ton extraordinairementpacifique :

« Vous n’êtes donc pas morts là-dedans ?… Eh bien, tâchezde vous tenir tranquilles. »

Je voulus l’interrompre, mais il me dit si froidement que j’enrestai glacé derrière mon mur : « Plus un mot, daroga, ou je faistout sauter ! »

Et aussitôt il ajouta :

« L’honneur doit en revenir à mademoiselle !… Mademoisellen’a pas touché au scorpion (comme il parlait posément !),mademoiselle n’a pas touché à la sauterelle (avec quel effrayantsang-froid !), mais il n’est pas trop tard pour bien faire.Tenez, j’ouvre sans clef, moi, car je suis l’amateur de trappes, etj’ouvre et ferme tout ce que je veux, comme je veux… J’ouvre lespetits coffrets d’ébène : regardez-y, mademoiselle, dans les petitscoffrets d’ébène… les jolies petites bêtes… Sont-elles assez bienimitées… et comme elles paraissent inoffensives… Mais l’habit nefait pas le moine ! (Tout ceci d’une voix blanche, uniforme…)Si l’on tourne la sauterelle, nous sautons tous, mademoiselle… Il ya sous nos pieds assez de poudre pour faire sauter un quartier deParis… si l’on tourne le scorpion, toute cette poudre estnoyée !… Mademoiselle, à l’occasion de nos noces, vous allezfaire un bien joli cadeau à quelques centaines de Parisiens quiapplaudissent en ce moment un bien pauvre chef-d’œuvre deMeyerbeer… Vous allez leur faire cadeau de la vie… car vous allez,mademoiselle, de vos jolies mains – quelle voix lasse était cettevoix – vous allez tourner le scorpion !… Et gai, gai, nousnous marierons ! «

Un silence, et puis :

« Si, dans deux minutes, mademoiselle. vous n’avez pas tourné lescorpion – j’ai une montre, ajouta la voix d’Érik, une montre quimarche joliment bien… – moi, je tourne la sauterelle… et lasauterelle, ça saute joliment bien !… »

Le silence reprit plus effrayant à lui tout seul que tous lesautres effrayants silences. Je savais que lorsque Érik avait priscette voix pacifique, et tranquille, et lasse, c’est qu’il était àbout de tout, capable du plus titanesque forfait ou du plus forcenédévouement et qu’une syllabe déplaisante à son oreille pourraitdéchaîner l’ouragan. M. de Chagny, lui, avait compris qu’il n’yavait plus qu’à prier, et à genoux, il priait… Quant à moi, monsang battait si fort que je dus saisir mon cœur dans ma main, degrand-peur qu’il n’éclatât… C’est que nous pressentions trophorriblement ce qui se passait en ces secondes suprêmes dans lapensée affolée de Christine Daaé… c’est que nous comprenions sonhésitation à tourner le scorpion… Encore une fois, si c’était lescorpion qui allait tout faire sauter !… Si Érik avait résolude nous engloutir tous avec lui !

Enfin, la voix d’Érik, douce cette fois, d’une douceurangélique…

« Les deux minutes sont écoulées… adieu, mademoiselle !…saute, sauterelle !…

– Érik, s’écria Christine, qui avait dû se précipiter sur lamain du monstre, me jures-tu, monstre, me jures-tu sur ton infernalamour, que c’est le scorpion qu’il faut tourner…

– Oui, pour sauter à nos noces…

– Ah ! tu vois bien ! nous allons sauter !

– À nos noces, innocente enfant !… Le scorpion ouvre lebal !… Mais en voilà assez !… Tu ne veux pas duscorpion ? À moi la sauterelle !

– Érik !…

– Assez !… »

J’avais joint mes cris à ceux de Christine. M. de Chagny,toujours à genoux, continuait à prier…

« Érik ! J’ai tourné le scorpion ! !… »

Ah ! la seconde que nous avons vécue là ! Àattendre !

À attendre que nous ne soyons plus rien que des miettes, aumilieu du tonnerre et des ruines…

… À sentir craquer sous nos pieds, dans le gouffre ouvert… deschoses… des choses qui pouvaient être le commencement del’apothéose d’horreur… car, par la trappe ouverte dans lesténèbres, gueule noire dans la nuit noire, un sifflement inquiétant– comme le premier bruit d’une fusée – venait…

… D’abord tout mince… et puis plus épais… puis très fort…

Mais écoutez ! écoutez ! et retenez des deux mainsvotre cœur prêt à sauter avec beaucoup de ceux de la racehumaine.

Ce n’est point là le sifflement du feu. Ne dirait-on point unefusée d’eau ?… À la trappe ! à la trappe !

Écoutez ! écoutez !

Cela fait maintenant glouglou… glouglou…

À la trappe !… à la trappe !… à la trappe !…Quelle fraîcheur !

À la fraîche ! à la fraîche ! Toute notre soif quiétait partie quand était venue l’épouvante, revient plus forte avecle bruit de l’eau.

L’eau ! l’eau ! l’eau qui monte !…

Qui monte dans la cave, par-dessus les tonneaux, tous lestonneaux de poudre (tonneaux ! tonneaux !… avez-vous destonneaux à vendre ?) l’eau !… l’eau vers laquelle nousdescendons avec des gorges embrasées… l’eau qui monte jusqu’à nosmentons, jusqu’à nos bouches…

Et nous buvons… Au fond de la cave, nous buvons, à même lacave…

Et nous remontons, dans la nuit noire, l’escalier, marche àmarche, l’escalier que nous avions descendu au-devant de l’eau etque nous remontons avec l’eau.

Vraiment, voilà bien de la poudre perdue et bien noyée ! àgrande eau !… C’est de la belle besogne ! On ne regardepas à l’eau, dans la demeure du Lac ! Si ça continue, tout lelac va entrer dans la cave…

Car, en vérité, on ne sait plus maintenant où elle vas’arrêter…

Nous voici sortis de la cave et l’eau monte toujours…

Et l’eau aussi sort de la cave, s’épand sur le plancher… Si celacontinue, toute la demeure du Lac va en être inondée. Le plancherde la chambre des miroirs est lui-même un vrai petit lac danslequel nos pieds barbotent. C’est assez d’eau comme cela ! Ilfaut qu’Érik ferme le robinet : Érik ! Érik ! Il y aassez d’eau pour la poudre ! Tourne le robinet ! Ferme lescorpion !

Mais Érik ne répond pas… On n’entend plus rien que l’eau quimonte… nous en avons maintenant jusqu’à mi-jambe !…

« Christine ! Christine ! l’eau monte ! montejusqu’à nos genoux », crie M. de Chagny.

Mais Christine ne répond pas… on n’entend plus rien que l’eauqui monte.

Rien ! rien ! dans la chambre à côté… Pluspersonne ! personne pour tourner le robinet ! personnepour fermer le scorpion !

Nous sommes tout seuls, dans le noir, avec l’eau noire qui nousétreint, qui grimpe, qui nous glace ! Érik ! Érik !Christine ! Christine !

Maintenant, nous avons perdu pied et nous tournons dans l’eau,emportés dans un mouvement de rotation irrésistible, car l’eautourne avec nous et nous nous heurtons aux miroirs noirs qui nousrepoussent… et nos gorges soulevées au-dessus du tourbillonhurlent…

Est-ce que nous allons mourir ici ? noyés dans la chambredes supplices ?… Je n’ai jamais vu ça ? Érik, au tempsdes heures roses de Mazenderan, ne m’a jamais montré cela par lapetite fenêtre invisible !… Érik ! Érik ! Je t’aisauvé la vie ! Souviens-toi !… Tu étais condamné !…Tu allais mourir !… Je t’ai ouvert les portes de lavie !… Érik !…

Ah ! nous tournons dans l’eau comme des épaves !…

Mais j’ai saisi tout à coup de mes mains égarées le tronc del’arbre de fer !… et j’appelle M. de Chagny… et nous voilàtous les deux suspendus à la branche de l’arbre de fer…

Et l’eau monte toujours !

Ah ! ah ! rappelez-vous ! Combien y a-t-ild’espace entre la branche de l’arbre de fer et le plafond encoupole de la chambre des miroirs ?… Tâchez à voussouvenir !… Après tout, l’eau va peut-être s’arrêter… elletrouvera sûrement son niveau… Tenez ! il me semble qu’elles’arrête !… Non ! non ! horreur !… À lanage ! À la nage !… nos bras qui nagent s’enlacent ;nous étouffons !… nous nous battons dans l’eau noire !…nous avons déjà peine à respirer l’air noir au-dessus de l’eaunoire… l’air qui fuit, que nous entendons fuir au-dessus de nostêtes par je ne sais quel appareil de ventilation… Ah !tournons ! tournons ! tournons jusqu’à ce que nous ayonstrouvé la bouche d’air… nous collerons notre bouche à la bouched’air… Mais les forces m’abandonnent, j’essaie de me raccrocher auxmurs ! Ah ! comme les parois de glace sont glissantes àmes doigts qui cherchent… Nous tournons encore !… Nousenfonçons… Un dernier effort !… Un dernier cri !…Érik !… Christine !… glou, glou, glou !… dans lesoreilles !… glou, glou, glou !… au fond de l’eau noire,nos oreilles font glouglou !… Et il me semble encore, avant deperdre tout à fait connaissance, entendre entre deux glouglous… «Tonneaux !… tonneaux !… Avez-vous des tonneaux àvendre ? »

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