Le Mort Vivant

Chapitre 5M. GÉDÉON FORSYTH ET LA CAISSE MONUMENTALE

J’ai déjà dit que, à Bournemouth, JuliaHazeltine avait quelquefois l’occasion de faire des connaissances.Il est vrai que c’était à peine si elle avait le temps de lesentrevoir avant que, de nouveau, les portes de la maison deBloomsbury se refermassent sur elle jusqu’à l’été suivant ;mais ces connaissances éphémères n’en étaient pas moins unedistraction pour la pauvre fille, sans parler de la provision desouvenirs et d’espérances qu’elles avaient, en outre, le mérite delui fournir. Or, parmi les personnes qu’elle avait ainsirencontrées à Bournemouth, l’été précédent, se trouvait un jeuneavocat nommé Gédéon Forsyth.

Dans l’après-midi même du jour mémorable où lemagistrat s’était amusé à changer les étiquettes, vers quatreheures, une promenade quelque peu rêveuse et mélancolique avait parhasard conduit M. Forsyth sur le trottoir de John Street, àBloomsbury ; et, à peu près au même moment, Miss Hazeltine futappelée à la porte du numéro 16 de cette rue par un coup desonnette d’une énergie foudroyante.

M. Gédéon Forsyth était un jeune hommeassez heureux, mais qui aurait été plus heureux encore avec del’argent en plus et un oncle en moins. Cent vingt livres par anconstituaient tout son revenu ; mais son oncle,M. Édouard H. Bloomfield, renforçait ce revenu d’une légèresubvention et d’une masse énorme de bons conseils, exprimés dans unlangage qui aurait probablement paru d’une violence excessive àbord même d’un bateau de pirates.

Ce M. Bloomfield était, en vérité, unefigure essentiellement propre à l’époque de M. Gladstone.Ayant acquis de l’âge sans acquérir la moindre expérience, iljoignait aux sentiments politiques du parti radical une exubérancepassionnée qu’on est plus habitué à regarder comme l’apanagetraditionnel de nos vieux conservateurs. Il admirait le pugilat, ilportait un formidable gourdin à nœuds, il était assidu aux servicesreligieux : et l’on aurait eu de la peine à dire sur qui sacolère sévissait le plus volontiers, de ceux qui se permettaient dedéfendre l’Église Établie ou de ceux qui négligeaient de prendrepart à ses cérémonies. Il avait, en outre, quelques épithètesfavorites qui inspiraient une légitime frayeur à sesconnaissances : lorsqu’il ne pouvait pas aller jusqu’àdéclarer que telle ou telle mesure « n’était pasanglaise », du moins ne manquait-il pas à la dénoncer comme« n’étant pas pratique ». C’est sous le ban de cettedernière excommunication qu’était tombé son pauvre neveu. La façondont Gédéon entendait l’étude de la loi avait été décidémentreconnue « non pratique » ; et son oncle lui avaiten conséquence signifié, au cours d’une bruyante entrevue rythméeavec le gourdin à nœuds, qu’il devait soit trouver au plus vite uneou deux causes à défendre, ou bien se préparer à vivre désormais deses propres fonds.

Aussi ne s’étonnera-t-on point que Gédéon,malgré une nature plutôt joyeuse, se sentît envahi de mélancolie.Car, d’abord, il n’avait pas le moindre désir de pousser plus loinqu’il n’avait fait déjà l’étude de la loi ; et puis, ensupposant même qu’il s’y résignât, il y avait toujours encore unepartie du programme qui restait indépendante de sa volonté. Commenttrouver des clients, des causes à défendre ? La question étaitlà.

Tout à coup, pendant qu’il se désespérait dene pouvoir pas la résoudre, il trouva son passage barré par unrassemblement. Une voiture de camionnage était arrêtée devant unemaison ; six athlètes, ruisselants de sueur, s’occupaient à enretirer la plus gigantesque caisse d’emballage qu’ils eussentjamais vue ; et, sur les degrés du perron, la massive figuredu cocher et la frêle figure d’une jeune fille se tenaient debout,comme sur une scène, se querellant.

– Cela ne peut pas être pour nous !affirmait la jeune fille. Je vous prie de remporter cettecaisse ! Elle ne pourrait pas entrer dans la maison, si mêmevous arriviez à la retirer de votre voiture !

– Alors je vais la laisser sur letrottoir, répondait le cocher, et M. Finsbury s’arrangeracomme il voudra avec la police !

– Mais je ne suis pasM. Finsbury ! protestait la jeune fille.

– Peu m’importe de savoir qui vousêtes ! répondait le camionneur.

– Voudriez-vous me permettre de vousvenir en aide, miss Hazeltine ? dit Gédéon, en s’avançant.

Julia poussa un petit cri de plaisir.

– Oh ! monsieur Forsyth,s’écria-t-elle, je suis si heureuse de vous voir !Figurez-vous qu’on veut m’obliger à faire entrer dans la maisoncette horrible chose, qui ne peut être venue ici que parerreur ! Le cocher déclare qu’il faut que nous défassions lesportes, ou bien qu’un maçon démolisse un pan de mur entre deuxfenêtres, faute de quoi la voirie va nous intenter un procès, pourlaisser nos meubles sur le pavé !

Les six hommes, pendant ce temps, avaientenfin réussi à déposer la caisse sur le trottoir ; etmaintenant ils se tenaient debout, appuyés contre elle, etconsidérant, avec une détresse manifeste, la porte de la maison oùcette caisse monstrueuse avait à pénétrer. Ai-je besoin d’ajouterque toutes les fenêtres des maisons voisines s’étaient garnies,comme par enchantement, de spectateurs curieux et amusés ?

Ayant pris l’air le plus scientifique qu’ilpût se donner, Gédéon mesura avec sa canne les dimensions de laporte, pendant que Julia notait, sur son album à aquarelle, lerésultat des évaluations. Puis Gédéon, en mesurant la caisse et encomparant les deux séries de chiffres, découvrit qu’il y avait toutjuste assez d’espace pour que la caisse pût entrer. Après quoi,s’étant dévêtu de son veston et de son gilet, il aida les hommes àenlever de leurs gonds les battants de la porte. Et, enfin, grâce àla collaboration presque forcée de quelques-uns des assistants, lacaisse monta péniblement les marches, grinça en se frottant auxmurs, et se trouva installée à l’entrée du vestibule, le bloquant àpeu près dans toute sa largeur. Alors les artisans de cettevictoire se regardèrent les uns les autres avec un sourire detriomphe. Ils avaient, en vérité, cassé un buste d’Apollon, etcreusé dans le mur de profondes ornières ; mais, du moins, ilsavaient cessé d’être un des spectacles publics deLondres !

– Ma parole, monsieur, dit le cocher,jamais je n’ai vu un colis pareil !

Gédéon lui exprima éloquemment sa sympathie enlui glissant dans la main deux pièces de dix shillings.

– Allons, patron, cinq shillings de plus,et je me charge de régler le compte de tous les camarades !s’écria le cocher.

Ainsi fut fait ; sur quoi toute la troupedes porteurs improvisés grimpa dans la voiture, qui détala dans ladirection de la taverne la plus proche. Gédéon referma la porte, etse tourna vers miss Hazeltine. Leurs yeux se rencontrèrent ;et une folle envie de rire les saisit tous les deux. Puis, peu àpeu, la curiosité s’éveilla dans l’esprit de la jeune fille. Elles’approcha de la caisse, la tâta dans tous les sens, examinal’étiquette.

– C’est la chose la plus étrange que l’onpuisse rêver ! dit-elle, avec un nouvel éclat de rire.L’écriture est certainement de la main de Maurice, et j’ai reçu unelettre de lui, ce matin même, me disant de me préparer à recevoirun baril. Croyez-vous que ceci puisse être considéré comme unbaril, monsieur Forsyth ?

– Statue, à manier avec précaution,fragile, lut tout haut Gédéon, sur un des côtés de la caisse.Vous êtes bien sûre que vous n’avez pas été prévenue de l’arrivéed’une statue ?

– Non, certainement ! réponditJulia. Oh ! monsieur Forsyth, ne pensez-vous pas que nouspuissions jeter un coup d’œil à l’intérieur de la caisse ?

– Et pourquoi pas ? s’écria Gédéon.Dites-moi seulement où je pourrai trouver un marteau !

– Venez avec moi, dans la cuisine, et jevous montrerai où sont les marteaux ! dit Julia. La planche oùon les met est trop haute pour moi !

Elle ouvrit la porte de la cuisine et y fitentrer Gédéon. Un marteau fut vite trouvé, ainsi qu’unciseau : mais Gédéon fut surpris de n’apercevoir aucune traced’une cuisinière. Il découvrit également, par contre, que missJulia avait un très petit pied et une cheville très fine ;découverte qui l’embarrassa si fort qu’il fut tout heureux depouvoir s’attaquer au plus vite à la caisse d’emballage.

Il travaillait ferme, – et chacun de ses coupsde marteau avait une précision admirable, – pendant que Julia,debout près de lui, en silence considérait plutôt l’ouvrier quel’ouvrage. Elle songeait que M. Forsyth était un fort belhomme ; jamais encore elle n’avait vu des bras aussivigoureux. Et tout à coup Gédéon, comme s’il avait deviné sespensées, se retourna vers elle et lui sourit. Elle sourit aussi, etrougit : et ce double changement lui seyait si bien que Gédéonoublia de regarder où il frappait, de telle sorte que, quelquessecondes après, le pauvre garçon assénait un coup terrible sur sespropres doigts. Avec une présence d’esprit touchante, il parvint,non seulement à retenir, mais à changer même en une plainte anodinele pittoresque juron qui allait sortir de ses lèvres. Mais ladouleur était vive ; la secousse nerveuse avait été tropforte : et, après quelques essais, il s’aperçut qu’il nepouvait pas songer à poursuivre l’opération.

Aussitôt Julia courut dans sa chambre, apportaune éponge, de l’eau, une serviette, et commença à baigner la mainblessée du jeune homme.

– Je regrette, infiniment !s’excusait Gédéon. Si j’avais eu le moindre savoir-vivre, j’auraisouvert la caisse d’abord, et me serais ensuite écrasé lesdoigts ! Oh ! ça va déjà beaucoup mieux !ajoutait-il. Je vous assure que ça va beaucoup mieux !

– Oui, je crois que, maintenant, vousallez assez bien pour être en état de diriger le travail ! ditenfin Julia. Commandez-moi, et c’est moi qui serai votreouvrière !

– Une délicieuse ouvrière, envérité ! – déclara Gédéon, oubliant tout à fait lesconvenances. La jeune fille se retourna, et le regarda avec unpetit soupçon de froncement de sourcils ; mais l’impertinentjeune homme se hâta de détourner son attention sur la caissed’emballage. Le plus gros du travail, d’ailleurs, se trouvait fait.Julia ne tarda pas à soulever la première planche du couvercle, cequi mit au jour une couche de paille. Une minute après les deuxjeunes gens étaient à genoux, l’un près de l’autre, comme despaysans occupés à retourner le foin ; et, dès la minutesuivante, ils furent récompensés de leurs efforts par la vue dequelque chose de blanc et de poli. C’était, sans erreur possible,un énorme pied de marbre.

– Voilà un personnage vraimentesthétique ! dit Julia.

– Jamais je n’ai rien vu de pareil !répondit Gédéon. Il a un mollet comme un sac de grossous !

Bientôt se découvrit un second pied, et puisquelque chose qui semblait bien en être un troisième. Mais cequelque chose se trouva être, en fin de compte, une massue reposantsur un piédestal.

– Hé ! parbleu ! c’est unHercule ! s’écria Gédéon. J’aurais dû le deviner à lavue de son mollet ! Et je puis affirmer en toute confiance –ajouta-t-il en regardant les deux jambes colossales – que c’est icile plus grand à la fois et le plus laid de tous lesHerculede l’Europe entière ! Qu’est-ce qui peutl’avoir décidé à venir chez vous ?

– Je suppose que personne autre n’en auravoulu ! dit Julia. Et je dois ajouter que, nous-mêmes, nousnous serions parfaitement passés de lui.

– Oh ! ne dites pas cela,mademoiselle ! répliqua Gédéon. Il m’a valu une des plusmémorables séances de toute ma vie !

– En tout cas, une séance que vous nepourrez pas oublier de sitôt ! fit Julia. Vos malheureuxdoigts vous la rappelleront !

– Et maintenant, je crois qu’il faut queje m’en aille ! dit tristement Gédéon.

– Non ! non ! plaida Julia.Pourquoi vous en aller ? Restez encore un moment, et prenezune tasse de thé avec moi !

– Si je pouvais penser que, réellement,cela vous fût agréable, dit Gédéon en faisant tourner son chapeaudans ses doigts, il va de soi que j’en serais ravi !

– Mais, certes, cela me seraagréable ! répondit la jeune fille. Et, de plus, j’ai besoinde gâteaux pour manger le thé, et je n’ai personne que je puisseenvoyer chez le pâtissier. Tenez, voici la clef de lamaison !

Gédéon se hâta de mettre son chapeau et decourir chez le pâtissier, d’où il revint avec un grand sac enpapier tout rempli de choux à la crème, d’éclairs et detartelettes. Il trouva Julia occupée à préparer une petite table àthé dans le vestibule.

– Les chambres sont dans un tel désordre,dit-elle, que j’ai pensé que nous serions plus à l’aise ici, àl’ombre de notre statue !

– Parfait ! s’écria Gédéonenchanté.

– Oh ! quelles adorables tartelettesà la crème ! fit Julia en ouvrant le sac. Et quels délicieuxchoux aux fraises !

– Oui ! dit Gédéon, essayant decacher sa déconvenue. J’ai bien prévu que le mélange produiraitquelque chose de très beau. D’ailleurs, la pâtissière l’a prévuaussi.

– Et maintenant, dit Julia après avoirmangé une demi-douzaine de gâteaux, je vais vous montrer la lettrede Maurice. Lisez-la tout haut : peut-être y a-t-il desdétails qui m’ont échappé ?

Gédéon prit la lettre, la déplia sur un de sesgenoux, et lut ce qui suit :

« Chère Julia, je vous écris deBrowndean, où nous nous sommes arrêtés pour quelques jours. L’onclea été très secoué par ce terrible accident, dont, sans doute, vousaurez lu le récit dans le journal. Demain, je compte le laisser iciavec Jean, et rentrer seul à Londres ; mais, avant monarrivée, vous allez recevoir un baril contenant deséchantillons pour un ami. Ne l’ouvrez à aucun prix, maislaissez-le dans le vestibule jusqu’à mon arrivée !

« Votre, en grande hâte,

« M. FINSBURY.

« P. S. – N’oubliez pas delaisser le baril dans le vestibule ! »

– Non, dit Gédéon, je ne vois rien là quise rapporte au monument ! – Et, en disant cela, il désignaitles jambes de marbre. – Miss Hazeltine, poursuivit-il, mepermettez-vous de vous adresser quelques questions ?

– Mais volontiers ! répondit lajeune fille. Et si vous réussissez à m’expliquer pourquoi Mauricem’a envoyé une statue d’Hercule au lieu d’un baril contenant des« échantillons pour un ami », je vous en seraireconnaissante jusqu’à mon dernier jour. Mais, d’abord, qu’est-ceque cela peut-être, « des échantillons pour unami » ?

– Je n’en ai pas la moindre idée !dit Gédéon. Je sais bien que les marbriers envoient souvent deséchantillons ; mais je crois que, en général, ce sont desmorceaux de marbre plus petits que notre ami le monument. Au reste,mes questions portent sur d’autres sujets. En premier lieu, est-ceque vous êtes tout à fait seule, dans cette maison ?

– Oui, pour le moment ! réponditJulia. Je suis arrivée avant-hier pour mettre la maison en état etpour chercher une cuisinière. Mais je n’en ai trouvé aucune qui meplût.

– Ainsi vous êtes absolument seule !dit Gédéon, stupéfait. Et vous n’avez pas peur ?

– Oh ! pas du tout ! réponditJulia. Je ne sais pas de quoi j’aurais peur. Je me suis simplementacheté un revolver, d’un bon marché fantastique, et j’ai demandé aumarchand de me montrer la manière de m’en servir. Et puis, avant deme coucher, j’ai bien soin de barricader ma porte avec des tiroirset des chaises.

– C’est égal, je suis heureux de penserque votre monde va bientôt rentrer ! dit Gédéon. Votreisolement m’inquiète beaucoup. S’il devait se prolonger, jepourrais vous pourvoir d’une vieille tante à moi, ou encore de mafemme de ménage, à votre choix.

– Me prêter une tante ! s’écriaJulia. Oh ! quelle générosité ! Je commence à croire quec’est vous qui m’avez envoyé l’Hercule !

– Je vous donne ma parole d’honneur quenon ! protesta le jeune homme. Je vous admire bien trop pouravoir pu vous envoyer une œuvre d’art aussi monstrueuse !

Julia allait répondre, lorsque les deux amistressautèrent : un coup violent avait été frappé à laporte.

– Oh ! monsieur Forsyth !

– Ne craignez rien, ma chèreenfant ! dit Gédéon appuyant tendrement sa main sur le bras dela jeune fille.

– Je sais ce que c’est !murmura-t-elle. C’est la police ! Elle vient se plaindre ausujet de la statue !

Nouveau coup à la porte, plus violent, et plusimpatient.

– Mon Dieu ! c’est Maurice !s’écria la jeune fille. Elle courut à la porte et ouvrit.

C’était en effet Maurice qui apparaissait surle seuil : non pas le Maurice des jours ordinaires, mais unhomme d’aspect sauvage, pâle et hagard, avec des yeux injectés desang, et une barbe de deux jours au menton.

– Le baril ? s’écria-t-il. Où est lebaril qui est arrivé ce matin ?

Il regardait autour de lui, dans le vestibule,et ses yeux lui sortirent de la tête, littéralement, lorsqu’ilaperçut les jambes de l’Hercule.

– Qu’est-ce que c’est queça ? hurla-t-il. Qu’est-que c’est que ce mannequin decire ? Qu’est-ce que c’est ? Et où est le baril ? Letonneau à eau ?

– Aucun baril n’est venu, Maurice !répondit froidement Julia. Voici le seul colis qu’on aitapporté !

– Ça ? s’écria le malheureux. Jen’ai jamais entendu parler de ça !

– C’est cependant arrivé avec une adresseécrite de votre main ! répondit Julia. Nous avons presque étéforcés de démolir la maison pour le faire entrer. Et je ne puisrien vous dire de plus !

Maurice la considéra avec un égarement sanslimites. Il passa une de ses mains sur son front, et puis s’appuyacontre le mur, comme un homme qui va s’évanouir. Mais, peu à peu,sa langue se délia, et il se mit à accabler la jeune fille d’untorrent d’injures. Jamais jusqu’alors Maurice lui-même ne se seraitsupposé capable d’autant de feu, d’autant de verve, ni d’une tellevariété de locutions grossières. La jeune fille tremblait etchancelait sous cette fureur insensée.

– Je ne souffrirai point que vous parliezdavantage à miss Hazeltine sur un ton pareil ! dit enfinGédéon, s’interposant avec résolution.

– Je lui parlerai sur le ton qui meplaira, répliqua Maurice, dans un nouvel élan de fureur. Jeparlerai à cette misérable mendiante comme elle lemérite !

– Pas un mot de plus, monsieur, pas unmot ! – s’écria Gédéon. – Miss Hazeltine, poursuivit-il ens’adressant à la jeune fille, vous ne pouvez pas rester davantagesous le même toit que cet individu ! Voici mon bras !Permettez-moi de vous conduire en un lieu où vous soyez à l’abri del’insulte !

– Monsieur Forsyth, dit Julia, vous avezraison ! Je ne saurais rester ici un seul moment de plus, etje sais que je me confie à un homme d’honneur !

Pâle et résolu, Gédéon offrit son bras, et lesdeux jeunes gens descendirent les marches du perron, poursuivis parMaurice, qui réclamait la clef de la porte d’entrée.

Julia venait à peine de lui remettre sontrousseau de clefs, lorsqu’un fiacre vide passa rapidement devanteux. Il fut hélé, simultanément, par Maurice et par Gédéon. Mais,au moment où le cocher arrêtait son cheval, Maurice se précipitadans la voiture.

– Dix sous de pourboire ! cria-t-il.Gare de Waterloo, aussi vite que possible ! Dix sous pourvous !

– Mettez un shilling, monsieur ! ditle cocher. L’autre gentleman m’a retenu avant vous !

– Eh bien ! soit, un shilling !– cria Maurice, tout en songeant, à part lui, qu’il examinerait denouveau la question en arrivant à la gare. Et le cocher fouetta sabête, et le fiacre tourna au premier coin de rue.

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