Le Roi s’amuse

SCÈNE IV.

 

BLANCHE, DAME BÉRARDE, LE ROI.

Pendant la première partie de la scène, le roi reste caché derrière l’arbre.

 

BLANCHE, pensive, écoutant les pas de son père qui s’éloigne.

J’ai du remords pourtant !

DAME BÉRARDE.

Duremords ! et pourquoi ?

BLANCHE.

Comme à la moindre chose il s’effraie et s’alarme !

En partant, dans ses yeux j’ai vu luire une larme.

Pauvre père ! si bon ! j’aurais dû l’avertir

Que le dimanche, à l’heure où nous pouvons sortir,

Un jeune homme nous suit. Tu sais, ce beau jeune homme ?

DAME BÉRARDE.

Pourquoi donc lui conter cela, madame ?En somme

Votre père est un peu sauvage et singulier

Vous haïssez donc bien ce jeune cavalier ?

BLANCHE.

Moi, le haïr ! oh ! non. –Hélas ! bien au contraire,

Depuis que je l’ai vu, rien ne peut m’en distraire.

Du jour où son regard à mon regard parla,

Le reste n’est plus rien, je le vois toujours là.

Je suis à lui ! vois-tu, je m’en fais une  idée… –

Il me semble plus grand que tous d’une coudée !

Comme il est brave et doux ! comme il est noble et fier,

Bérarde ! et qu’à cheval il doit avoir bel air !

DAME BÉRARDE.

C’est vrai qu’il est charmant !

Elle passe près du roi, qui lui donne une poignée de pièces d’or, qu’elle empoche.

BLANCHE.

Untel homme doit être…

DAME BÉRARDE, tendant la main au roi, qui lui donne toujours de l’argent.

Accompli.

BLANCHE.

Dans ses yeux on voit son cœur paraître.

Un grand cœur !

DAME BÉRARDE.

Certe ! un  cœur immense !

À chaque mot que dit dame Bérarde, elle tend la main au roi,qui la lui remplit de pièces d’or.

BLANCHE.

Valeureux.

DAME BÉRARDE, continuant son manège.

Formidable !

BLANCHE.

Et pourtant… bon.

DAME BÉRARDE, tendant la main.

Tendre !

BLANCHE.

Généreux.

DAME BÉRARDE, tendant la main.

Magnifique.

BLANCHE, avec un profond soupir.

Il me plaît !

DAME BÉRARDE, tendant toujours la main à chaque mot qu’elle dit.

Sa taille est sans pareille !

Ses yeux ! – son front ! – sonnez !… –

LE ROI, à part.

Ô Dieu ! voilà la vieille

Qui m’admire en détail ! je suis dévalisé !

BLANCHE.

Je t’aime d’en parler aussi bien.

DAME BÉRARDE.

Je le sai.

LE ROI, à part.

De l’huile sur le feu !

DAME BÉRARDE.

Bon, tendre, un cœur immense !

Valeureux, généreux…

LE ROI, vidant ses poches.

Diable ! elle recommence !

DAME BÉRARDE, continuant.

C’est un très-grand seigneur, il a l’air élégant,

Et quelque chose en or de brodé sur son gant.

Elle tend la main. Le roi lui fait signe qu’il n’a plus rien.

BLANCHE.

Non, je ne voudrais pas qu’il fût seigneur ni prince,

Mais un pauvre écolier qui vient de sa province !

Cela doit mieux aimer.

DAME BÉRARDE.

C’est possible, après tout,

Si vous le préférez ainsi.

À part.

Drôle de goût !

Cerveau de jeune fille, où tout se contrarie !

En essayant encore de tendre la main au roi.

Ce beau jeune homme-là vous aime à la furie.

Le roi ne donne pas.

À part.

Je crois notre homme à sec. – Plus un sou, plus un mot.

BLANCHE, toujours sans voir le roi.

Le dimanche jamais ne revient assez tôt.

Quand je ne le vois pas, ma tristesse est bien grande.

Oh ! j’ai cru l’autre jour, au moment de l’offrande,

Qu’il allait me parler, et le cœur m’a battu !

J’y songe nuit et jour ! de son côté,vois-tu,

L’amour qu’il a pour moi l’absorbe. Je suis sûre

Que toujours dans son âme il porte ma figure.

C’est un homme ainsi fait, oh ! cela se voit bien !

D’autres femmes que moi ne le touchent en rien ;

Il n’est pour lui ni jeux, ni passe-temps, ni fête.

Il ne pense qu’à moi,

DAME BÉRARDE, faisant un dernier effort et tendant la main au roi.

J’en jurerais ma tête !

LE ROI, ôtant son anneau qu’il lui donne.

Ma bague pour la tête !

BLANCHE.

Ah ! je voudrais souvent,

En y songeant le jour, la nuit en y rêvant,

L’avoir là… – devant moi…

Le roi sort de sa cachette et va se mettre à genoux près d’elle. Elle a le visage tourné du côté opposé.

pour lui dire à lui-même :

sois heureux ! sois content !oh ! oui, je t’ai…

Elle se retourne, voit le roi à ses genoux, et s’arrête, pétrifiée.

LE ROI, lui tendant les bras.

Je t’aime !

Achève ! achève ! – oh !dis : je t’aime ! Ne crains rien.

Dans une telle bouche un tel mot va si bien !

BLANCHE, effrayée, cherche des yeux dame Bérarde qui a disparu.

Bérarde ! – Plus personne, ô Dieu !qui me réponde !

Personne !

LE ROI, toujours à genoux.

Deux amants heureux, c’est tout un monde !

BLANCHE, tremblante.

Monsieur, d’où venez-vous ?

LE ROI.

De l’enfer ou du ciel,

Qu’importe ! que je sois Satan ou Gabriel,

Je t’aime !

BLANCHE.

Ô ciel ! ô ciel ! ayez pitié… – J’espère

Qu’on ne vous a point vu ! sortez !– Dieu ! si mon père…

LE ROI.

Sortir, quand palpitante en mes bras je te tiens,

Lorsque je t’appartiens ! lorsque tu m’appartiens !

– Tu m’aimes ! tu l’as dit.

BLANCHE, confuse.

Il m’écoutait !

LE ROI.

Sans doute.

Quel concert plus divin veux-tu donc que j’écoute

BLANCHE, suppliante.

Ah ! vous m’avez parlé. – Maintenant, par pitié,

Sors !

LE ROI.

Sortir, quand mon sort à ton sort est lié,

Quand notre double étoile au même horizon brille,

Quand je viens éveiller ton cœur de jeune fille,

Quand le ciel m’a choisi pour ouvrir à l’amour

Ton âme vierge encore et ta paupière au jour !

Viens, regarde ! oh ! l’amour, c’est le soleil de l’âme !

Te sens-tu réchauffée à cette douce flamme ?

Le sceptre que la mort vous donne et vous reprend,

La gloire qu’on ramasse à la guerre encourant,

Se faire un nom fameux, avoir de grands domaines,

Être empereur ou roi, ce sont choses humaines ;

Il n’est sur cette terre, où tout passe à son tour,

Qu’une chose qui soit divine, et c’est l’amour !

Blanche, c’est le bonheur que ton amant t’apporte,

Le bonheur, qui, timide, attendait à la porte !

La vie est une fleur, l’amour en est le miel.

C’est la colombe unie à l’aigle dans le ciel,

C’est la grâce tremblante à la force appuyée,

C’est ta main dans ma main doucement oubliée…

– Aimons-nous !aimons-nous !

Il cherche à l’embrasser. Elle se débat.

BLANCHE.

Non ! Laissez !

Il la serre dans ses bras, et lui prend un baiser.

DAME BÉRARDE, au fond du théâtre, sur la terrasse, à part.

Il va bien !

LE ROI, à part.

Elle est prise !

Haut.

Dis-moi que tu m’aimes !

DAME BÉRARDE, au fond, à part.

Vaurien !

LE ROI.

Blanche ! redis-le moi !

BLANCHE, baissant les yeux.

Vous m’avez entendue.

Vous le savez.

LE ROI, l’embrasse de nouveau avec transport.

Je suis heureux !

BLANCHE.

Je suis perdue !

LE ROI.

Non, heureuse avec moi !

BLANCHE, s’arrachant de ses bras.

Vous m’êtes étranger.

Dites-moi votre nom.

DAME BÉRARDE, au fond, à part.

Il est temps d’y songer !

BLANCHE.

Vous n’êtes pas au moins seigneur ni gentilhomme ?

Mon père les craint tant !

LE ROI.

Mon Dieu, non, je me nomme…

À part.

– Voyons ?…

Il cherche.

Gaucher Mahiet. – Je suis un écolier…

Très-pauvre !

DAME BÉRARDE, occupée en ce moment même à compter l’argent qu’il lui a donné.

Est-il menteur !

Entrent dans la rue monsieur de Pienne et monsieur de Pardaillan, enveloppés de manteaux, une lanterne sourde à la main.

MONSIEUR DE PIENNE, bas à monsieur de Pardaillan.

C’est ici, chevalier !

DAME BÉRARDE, bas, et descendant précipitamment la terrasse.

J’entends quelqu’un dehors.

BLANCHE, effrayée.

C’est mon père peut-être !

DAME BÉRARDE, au roi.

Partez, monsieur !

LE ROI.

Que n’ai-je entre mes mains le traître

Qui me dérange ainsi !

BLANCHE, à dame Bérarde.

Fais-le vite passer

Par la porte du quai.

LE ROI, à Blanche.

Quoi ! déjà te laisser !

M’aimeras-tu demain ?

BLANCHE.

Et vous ?

LE ROI.

Ma vie entière !

BLANCHE.

Ah ! vous me tromperez, car je trompe mon père.

LE ROI.

Jamais ! – Un seul baiser, Blanche, sur tes beaux yeux.

DAME BÉRARDE, à part.

Mais c’est un embrasseur tout à fait furieux !

BLANCHE, faisant quelque résistance.

Non, non !

Le roi l’embrasse et rentre avec dame Bérarde dans la maison.

Blanche reste quelque temps les yeux fixés sur la porte par où il est sorti ; puis elle rentre elle-même.Pendant ce temps-là, la rue se peuple de gentilshommes armés,couverts de manteaux et masqués. Monsieur de Gordes, monsieur de Cossé, messieurs de Montchenu, de Brion et de Montmorency, Clément Marot, rejoignent successivement monsieur de Pienne et monsieur de Pardaillan. La nuit est très-noire. La lanterne sourde de ces messieurs est bouchée. Ils se font entre eux des signes de reconnaissance, et se montrent la maison de Blanche. Un valet les suit portant une échelle.

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