Le Roi s’amuse

SCÈNE II.

 

LE ROI, TRIBOULET, MONSIEUR DE GORDES,plusieurs Seigneurs. Les seigneurs superbement vêtus. Triboulet,dans son costume de fou, comme l’a peint Boniface.

Le roi regarde passer un groupe de femmes.

 

MONSIEUR DE LA TOUR-LANDRY.

Madame de Vendosme est divine !

MONSIEUR DE GORDES.

Mesdames

D’ Albe et de Mont chevreuil sont de fort belles femmes.

LE ROI.

Madame de Cossé les passe toutes trois.

MONSIEUR DE GORDES.

Madame de Cossé ! sire, baissez la voix.

Lui montrant monsieur de Cossé, qui passe au fond du théâtre. – Monsieur de Cossé, court et ventru,« un des quatre plus gros gentil hommes de France, » dit Brantôme.

Le mari vous entend.

LE ROI.

Hé ! mon cher Simiane,

Qu’importe !

MONSIEUR DE GORDES.

Il l’ ira dire à madame Diane.

LE ROI.

Qu’importe !

Il va au fond du théâtre parler à d’autres femmes qui passent.

TRIBOULET, à monsieur de Gordes.

Il va fâcher Diane de Poitiers.

Il ne lui parle pas depuis huit jours entiers.

MONSIEUR DE GORDES.

S’il l’ allait renvoyer à son mari ?

TRIBOULET.

J’espère

Que non.

MONSIEUR DE GORDES.

Elle a payé la grâce de son père.

Partant, quitte.

TRIBOULET.

À propos du sieur de Saint-Vallier,

Quelle idée avait-il, ce vieillard singulier,

De mettre dans un lit nuptial sa Diane,

Sa fille, une beauté choisie et diaphane,

Un ange que du ciel la terre avait reçu,

Tout pêle-mêle avec un sénéchal bossu !

MONSIEUR DE GORDES.

C’est un vieux fou. – J’étais sur son échafaud même

Quand il reçut sa grâce. – Un vieillard grave et blême.

– J’étais plus près de lui que je ne suis de toi.

– Il ne dit rien, sinon : Que Dieu garde le roi !

Il est fou maintenant tout à fait.

LE ROI, passant avec madame de Cossé.

Inhumaine !

Vous partez !

MADAME DE COSSÉ, soupirant.

Pour Soissons, où mon mari m’emmène.

LE ROI.

N’est-ce pas une honte, alors que tout Paris,

Et les plus grands seigneurs et les plus beaux esprits,

Fixent sur vous des yeux pleins d’amoureuse envie,

À l’instant le plus beau d’une si belle vie,

Quand tous faiseurs de duels et de sonnets,pour vous,

Gardent leurs plus beaux vers et leurs plus fameux coups,

À l’heure où vos beaux yeux, semant partout les flammes,

Font sur tous leurs amants veiller toutes les femmes,

Que vous, qui d’un tel lustre éblouissez la cour,

Que, ce soleil parti, l’on doute s’il fait jour,

Vous alliez, méprisant duc, empereur, roi,prince,

Briller, astre bourgeois, dans un ciel de province !

MADAME DE COSSÉ.

Calmez-vous !

LE ROI.

Non, non, rien. Caprice original

Que d’éteindre le lustre au beau milieu du bal !

Entre monsieur de Cossé.

MADAME DE COSSÉ.

Voici mon jaloux, sire !

Elle quitte vivement le roi.

LE ROI.

Ah ! le diable ait son âme !

À Triboulet.

Je n’en ai pas moins fait un quatrain à sa femme !

Marot t’a-t-il montré ces derniers vers de moi ?…

TRIBOULET.

Je ne lis pas de vers de vous. – Des vers de roi

Sont toujours très-mauvais.

LE ROI.

Drôle !

TRIBOULET.

Que la canaille

Fasse rimer amour et jour vaille que vaille.

Mais près de la beauté gardez vos lots divers,

Sire, faites l’amour, Marot fera les vers.

Roi qui rime déroge.

LE ROI, avec enthousiasme.

Ah ! rimer pour les belles,

Cela hausse le cœur. – Je veux mettre des ailes

À mon donjon royal.

TRIBOULET.

C’est en faire un moulin.

LE ROI.

Si je ne voyais là madame de Coislin,

Je te ferais fouetter.

Il court à madame de Coislin et paraît lui adresser quelques galanteries.

TRIBOULET, à part

Suis le vent qui t’emporte

Aussi vers celle-là.

MONSIEUR DE GORDES, s’approchant de Triboulet et lui faisant remarquer ce qui se passe au fond du théâtre.

Voici par l’autre porte

Madame de Cossé. Je te gage ma foi

Qu’elle laisse tomber son gant pour que le roi

Le ramasse.

TRIBOULET.

Observons.

Madame de Cossé, qui voit avec dépit les intentions du roi pour madame de Coislin, laisse en effet tomber son bouquet. Le roi quitte madame de Coislin et ramasse le bouquet de madame de Cossé, avec qui il entame une conversation qui paraît fort tendre.

MONSIEUR DE GORDES, à Triboulet.

L’ai-je dit ?

TRIBOULET.

Admirable !

MONSIEUR DE GORDES.

Voilà le roi repris !

TRIBOULET.

Une femme est un diable

Très-perfectionné.

Le roi serre la taille de madame de Cossé,et lui baise la main. Elle rit et babille gaiement. Tout à coup monsieur de Cossé entre par la porte du fond. Monsieur de Gordes le fait remarquer à Triboulet. – Monsieur de Cossé s’arrête, l’œil fixé sur le groupe du roi et de sa femme.

MONSIEUR DE GORDES, à Triboulet.

Le mari !

MADAME DE COSSÉ, apercevant son mari, au roi, qui la tient presque embrassée.

Quittons-nous !

Elle glisse des mains du roi et s’enfuit.

TRIBOULET.

Que vient-il faire ici, ce gros ventru jaloux ?

Le roi s’approche du buffet au fond et se fait verser à boire.

MONSIEUR DE COSSÉ, s’avançant sur le devant du théâtre, tout rêveur.

À part.

Que se disaient-ils ?

Il s’approche avec vivacité de monsieur de la Tour-Landry, qui lui fait signe qu’il a quelque chose à lui dire.

Quoi ?

MONSIEUR DE LA TOUR-LANDRY, mystérieusement.

Votre femme est bien belle !

Monsieur de Cossé se rebiffe et va à monsieur de Gordes, qui paraît avoir quelque chose à lui confier.

MONSIEUR DE GORDES, bas.

Qu’est-ce donc qui vous trotte ainsi par la cervelle ?

Pourquoi regardez-vous si souvent de côté ?

Monsieur de Cossé le quitte avec humeur et se trouve face à face avec Triboulet, qui l’attire d’un air discret dans un coin du théâtre, pendant que messieurs de Gordes et de la Tour-Landry rient à gorge déployée.

TRIBOULET, bas à monsieur de Cossé.

Monsieur, vous avez l’air tout en chariboté !

Il éclate de rire et tourne le dos à monsieur de Cossé, qui sort furieux.

LE ROI, revenant.

Oh ! que je suis heureux ! Près de moi, non, Hercules

Et Jupiter ne sont que des fats ridicules !

L’Olympe est un taudis ! – Ces femmes,c’est charmant !

Je suis heureux ! et toi ?

TRIBOULET.

Considérablement.

Je ris tout bas du bal, des jeux, des amourettes ;

Moi, je critique, et vous, vous jouissez ; vous êtes

Heureux comme un roi, sire, et moi, comme un bossu.

LE ROI.

Jour de joie où ma mère en riant m’a conçu !

Regardant monsieur de Cossé, qui sort.

Ce monsieur de Cossé seul dérange la fête.

Comment te semble-t-il ?

TRIBOULET.

Outrageusement bête.

LE ROI.

Ah ! n’importe ! excepté ce jaloux,tout me plaît.

Tout pouvoir, tout vouloir, tout avoir,Triboulet !

Quel plaisir d’être au monde, et qu’il fait bon de vivre !

Quel bonheur !

TRIBOULET.

Je crois bien, sire, vous êtes ivre !

LE ROI.

Mais là-bas j’aperçois… les beaux yeux !les beaux bras !

TRIBOULET.

Madame de Cossé ?

LE ROI.

Viens, tu nous garderas !

Il chante.

Vivent les gais dimanches

Du peuple de Paris !

Quand les femmes sont blanches…

TRIBOULET, chantant.

Quand les hommes sont gris.

Ils sortent. Entrent plusieurs gentil hommes.

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