Le Roi s’amuse

SCÈNE IV.

 

LES MÊMES, moins TRIBOULET.

 

SALTABADIL, resté seul, examinant l’horizon qui se charge de nuages du côté de Saint-Germain. La nuit est presque tombée ;quelques éclairs.

L’orage vient, la ville en est presque couverte.

Tant mieux ! tantôt la grève en sera plus déserte.

Réfléchissant.

Autant qu’on peut juger de tout ceci, ma foi,

Tous ces gens-là m’ont l’air d’avoir on ne sait quoi.

Je ne devine rien de plus, l’aze me quille !

Il examine le ciel en hochant la tête. Pendant ce temps-là, le roi badine avec Maguelonne.

LE ROI, essayant de lui prendre la taille.

Maguelonne !

MAGUELONNE, lui échappant.

Attendez !

LE ROI.

Ô la méchante fille !

MAGUELONNE, chantant.

Bourgeon qui pousse en avril

Met peu de vin au baril.

LE ROI.

Quelle épaule ! quel bras ! ma charmante ennemie,

Qu’il est blanc ! – Jupiter ! labelle anatomie !

Pourquoi faut-il que Dieu qui fit ces beaux bras nus

Ait mis le cœur d’un Turc dans ce corps de Vénus ?

MAGUELONNE.

Lairelanlaire !

Repoussant encore le roi.

Point. Mon frère vient.

Entre Saltabadil, qui referme la porte sur lui.

LE ROI.

Qu’importe !

On entend un tonnerre éloigné.

MAGUELONNE.

Il tonne.

SALTABADIL.

Ilva pleuvoir d’une admirable sorte.

LE ROI, frappant sur l’épaule de Saltabadil.

Bon. Qu’il pleuve ! – Il me plaît cette nuit de choisir

Ta chambre pour logis.

MAGUELONNE.

C’est votre bon plaisir ?

Prend-il des airs de roi ! – Monsieur,votre famille

S’alarmera.

Saltabadil la tire par le bras et lui fait des signes.

LE ROI.

Je n’ai ni grand’mère, ni fille,

Et je ne tiens à rien.

SALTABADIL, à part.

Tant mieux !

La pluie commence à tomber à larges gouttes. Il est nuit noire.

LE ROI, à Saltabadil.

Tu coucheras,

Mon cher, à l’écurie, au diable, où tu voudras.

SALTABADIL, saluant.

Merci.

MAGUELONNE, au roi, très-bas et très-vivement, tout en allumant une lampe.

Va-t’en !

LE ROI, éclatant de rire et tout haut.

Il pleut. Veux-tu pas que je sorte

D’un temps à ne pas mettre un poëte à la porte ?

Il va regarder à la fenêtre.

SALTABADIL, bas à Maguelonne, lui montrant l’or qu’il a dans la main.

Laisse-le donc rester ! – Dix écus d’or ! et puis

Dix autres à minuit.

Gracieusement au roi.

Trop heureux si je puis

Offrir pour cette nuit à monseigneur ma chambre !

LE ROI, riant.

On y grille en juillet, en revanche en décembre

On y gèle, est-ce pas ?

SALTABADIL.

Monsieur la veut-il voir ?

LE ROI.

Voyons.

Saltabadil prend la lampe. Le roi va dire deux mots en riant à l’oreille de Maguelonne. Puis tous deux montent l’échelle qui mène à l’étage supérieur, Saltabadil précédant le roi.

MAGUELONNE, restée seule.

Pauvre jeune homme !

Allant à une fenêtre,

Ô mon Dieu ! qu’il fait noir !

On voit par la lucarne d’en haut Saltabadil et le roi dans le grenier.

SALTABADIL, au roi.

Voici le lit, monsieur, la chaise ; puis la table.

LE ROI.

Combien de pieds en tout ?

Il regarde alternativement le lit, la table et la chaise.

Trois, six, neuf, – admirable !

Tes meubles étaient donc à Marignan, mon cher,

Qu’ils sont tous éclopés ?

S’approchant de la lucarne, dont les carreaux sont cassés.

Et l’on dort en plein air.

Ni vitres, ni volets. Impossible qu’on traite

Le vent qui veut entrer de façon plus honnête !

À Saltabadil, qui vient d’allumer une veilleuse sur la table.

Bonsoir.

SALTABADIL.

Que Dieu vous garde !

Il sort, pousse la porte, et on l’entend redescendre lentement l’escalier.

LE ROI, seul, débouclant son baudrier.

Ah ! je suis las, mordieu ! –

Donc, en attendant mieux, je vais dormir un peu.

Il pose sur la chaise son chapeau et son épée, défait ses bottes et s’étend sur le lit.

Que cette Maguelonne est fraîche, vive,alerte !

Se redressant.

J’espère bien qu’il a laissé la porte ouverte.

– Oui, c’est bien !

Il se recouche, et en un moment on le voit profondément endormi sur le grabat. Cependant Maguelonne et Saltabadil sont tous deux dans la salle inférieure. L’orage a éclaté depuis quelques instants. Il couvre le théâtre de pluie et d’éclairs. À chaque instant des coups de tonnerre. Maguelonne est assise près de la table, quelque couture à la main. Son frère achève de vider, d’un air réfléchi, la bouteille qu’a laissée le roi. Tous deux gardent quelque temps le silence, comme préoccupés d’une idée grave.

MAGUELONNE.

Ce jeune homme est charmant !

SALTABADIL.

Je crois bien.

Il met vingt écus d’or dans ma poche.

MAGUELONNE.

Combien ?

SALTABADIL.

Vingt écus.

MAGUELONNE.

Il valait plus que cela.

SALTABADIL.

Poupée !

Va voir là-haut s’il dort. N’a-t-il pas une épée ?

Descends-la.

Maguelonne obéit. L’orage est dans toute sa violence. On voit paraître, au fond du théâtre, Blanche, vêtue d’ habits d’homme, habit de cheval, des bottes et des éperons, en noir ; elle s’avance lentement vers la masure, tandis que Saltabadil boit et que Maguelonne, dans le grenier, considère avec sa lampe le roi endormi.

MAGUELONNE, les larmes aux yeux.

Quel dommage !

Elle prend l’épée.

Il dort. Pauvre garçon !

Elle redescend et rapporte l’épée à son frère.

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