Le Roi s’amuse

SCÈNE IV.

 

LES MÊMES, LE ROI, TRIBOULET.

 

TRIBOULET, entrant, et comme poursuivant une conversation commencée.

Des savants à la cour ! monstruosité rare !

LE ROI.

Fais entendre raison à ma sœur de Navarre.

Elle veut m’entourer de savants

TRIBOULET.

Entre nous,

Convenez de ceci, – que j’ai bu moins que vous.

Donc, sire, j’ai sur vous, pour bien juger les choses,

Dans tous leurs résultats et dans toutes leurs causes,

Un avantage immense, et même deux, je crois

C’est de n’être pas gris et de n’être pas roi.

– Plutôt que des savants, ayez ici la peste,

La fièvre, et cætera !

LE ROI.

L’avis est un peu leste.

Ma sœur veut m’entourer de savants !

TRIBOULET.

C’est bien mal

De la part d’une sœur. – Il n’est pas d’animal,

Pas de corbeau goulu, pas de loup, pas de chouette,

Pas d’oison, pas de bœuf, pas même de poëte,

Pas de mahométan, pas de théologien,

Pas d’échevin flamand, pas d’ours et pas de chien,

Plus laid, plus chevelu, plus repoussant de formes,

Plus caparaçonné d’absurdités énormes,

Plus hérissé, plus sale, et plus gonflé de vent,

Que cet âne bâté qu’on appelle un savant !

– Manquez-vous de plaisirs, de pouvoir,de conquêtes,

Et de femmes en fleur pour parfumer vos fêtes ?

LE ROI.

Hai… ma sœur Marguerite un soir m’a dit très-bas

Que les femmes toujours ne me suffiraient pas,

Et quand je m’en nuirai…

TRIBOULET.

Médecine inouïe !

Conseiller les savants à quelqu’un qui s’ennuie !

Madame Marguerite est, vous en conviendrez,

Toujours pour les partis les plus désespérés.

LE ROI.

Eh bien ! pas de savants, mais cinq ou six poëtes…

TRIBOULET.

Sire ! j’aurais plus peur, étant ce que vous êtes,

D’un poëte, toujours de rime barbouillé,

Que Belzébuth n’a pas peur d’un goupillon mouillé.

LE ROI.

Cinq ou six…

TRIBOULET.

Cinq ou six ! c’est toute une écurie !

C’est une académie, une ménagerie !

Montrant Marot.

N’avons-nous pas assez de Marot que voici,

Sans nous empoisonner de poëtes ainsi !

MAROT.

Grand merci !

À part.

Le bouffon eût mieux fait de se taire !

TRIBOULET.

Les femmes, sire ! ah Dieu ! c’est le ciel, c’est la terre !

C’est tout ! Mais vous avez les femmes ! vous avez

Les femmes ! laissez-moi tranquille ! vous rêvez,

De vouloir des savants !

LE ROI.

Moi, foi de gentilhomme !

Je m’en soucie autant qu’un poisson d’une pomme.

Éclats de rire dans un groupe au fond. – À Triboulet.

Tiens, voilà des muguets qui se raillent de toi.

Triboulet va les écouter et revient.

TRIBOULET.

Non, c’est d’un autre fou.

LE ROI.

Bah ! de qui donc ?

TRIBOULET.

Du roi.

LE ROI.

Vrai ! que chantent-ils ?

TRIBOULET.

Sire, ils vous disent avare,

Et qu’argent et faveurs s’en vont dans la Navarre,

Qu’on ne fait rien pour eux.

LE ROI.

Oui, je les vois d’ici

Tous les trois. – Mont chenu, Brion ,Montmorency

TRIBOULET.

Juste.

LE ROI.

Ces courtisans ! engeance détestable !

J’ai fait l’un amiral, le second connétable,

Et l’autre, Mont chenu, maître de mon hôtel.

Ils ne sont pas contents ! as-tu vu rien de tel ?

TRIBOULET.

Mais vous pouvez encor, c’est justice à leur rendre,

Les faire quelque chose.

LE ROI.

Et quoi ?

TRIBOULET.

Faites-les pendre.

MONSIEUR DE PIENNE, riant, aux trois seigneurs qui sont toujours au fond du théâtre.

Messieurs, entendez-vous ce que dit Triboulet ?

MONSIEUR DE BRION.

Il jette sur le fou un regard de colère.

Oui, certe !

MONSIEUR DE MONTMORENCY.

Il le paîra !

MONSIEUR DE MONTCHENU.

Misérable valet !

TRIBOULET, au roi.

Mais, sire, vous devez avoir parfois dans l’âme

Un vide… – Autour de vous n’avoir pas de femme

Dont l’œil vous dise non, dont le cœur dise oui !

LE ROI.

Qu’en sais-tu ?

TRIBOULET.

N’être aimé que d’un cœur ébloui,

Ce n’est pas être aimé.

LE ROI.

Sais-tu si pour moi-même

Il n’est pas dans ce monde une femme qui m’aime ?

TRIBOULET.

Sans vous connaître ?

LE ROI.

Eh ! oui.

À part.

Sans compromettre ici

Ma petite beauté du cul-de-sac Bussy.

TRIBOULET.

Une bourgeoise donc ?

LE ROI.

Pourquoi non ?

TRIBOULET, vivement.

Prenez garde.

Une bourgeoise ! ô ciel ! votre amour se hasarde.

Les bourgeois sont parfois de farouches Romains.

Quand on touche à leur bien, la marque en reste aux mains.

Tenez, contentons-nous, fous et rois que nous sommes,

Des femmes et des sœurs de vos bons gentil hommes.

LE ROI.

Oui, je m’arrangerais de la femme à Cossé.

TRIBOULET.

Prenez-la.

LE ROI, riant.

C’est facile à dire et malaisé

À faire.

TRIBOULET.

Enlevons-la cette nuit.

LE ROI, montrant monsieur de Cossé

Et le comte ?

TRIBOULET.

Et la Bastille ?

LE ROI.

Oh ! non.

TRIBOULET.

Pour régler votre compte,

Faites-le duc.

LE ROI.

Il est jaloux comme un bourgeois.

Il refusera tout, et crîra sur les toits.

TRIBOULET, rêveur.

Cet homme est fort gênant : qu’on le paye ou l’exile…

Depuis quelques instants, monsieur de Cossé s’est rapproché par derrière du roi et du fou, il écoute leur conversation. Triboulet se frappe le front avec joie.

Mais il est un moyen commode, très-facile,

Simple, auquel je devrais avoir déjà pensé.

Monsieur de Cossé se rapproche et écoute.

– Faites couper la tête à monsieur de Cossé.

Monsieur de Cossé recule tout effaré.

– … On suppose un complot avec l’Espagne ou Rome…

MONSIEUR DE COSSÉ, éclatant.

Oh ! le petit satan !

LE ROI, riant, et frappant sur l’épaule de monsieur Cossé.

À Triboulet.

Là,foi de gentilhomme,

Y penses-tu ? couper la tête que voilà !

Regarde cette tête, ami : vois-tu cela ?

S’il en sort une idée, elle est toute cornue.

TRIBOULET.

Comme le moule auquel elle était contenue.

MONSIEUR DE COSSÉ.

Couper ma tête !

TRIBOULET.

Eh bien ?

LE ROI, à Triboulet.

Tule pousses à bout ?

TRIBOULET.

Que diable ! on n’est pas roi pour se gêner en tout,

Pour ne point se passer la moindre fantaisie.

MONSIEUR DE COSSÉ.

Me couper la tête ! ah ! j’en ai l’âme saisie !

TRIBOULET.

Mais c’est tout simple. – Où donc est la nécessité

De ne vous pas couper la tête ?

MONSIEUR DE COSSÉ.

En vérité !

Je te châtierai, drôle !

TRIBOULET.

Oh ! je ne vous crains guère !

Entouré de puissants auxquels je fais la guerre,

Je ne crains rien, monsieur, car je n’ai sur le cou

Autre chose à risquer que la tête d’un fou.

Je ne crains rien, sinon que ma bosse me rentre

Au corps, et comme à vous me tombe dans le ventre,

Ce qui m’enlaidirait.

MONSIEUR DE COSSÉ, la main sur son épée.

Maraud !

LE ROI.

Comte, arrêtez. –

Viens, fou !

Il s’éloigne avec Triboulet en riant.

MONSIEUR DE GORDES.

Le roi se tient de rire les côtés !

MONSIEUR DE PARDAILLAN.

Comme à la moindre chose il rit, il s’abandonne !

MAROT.

C’est curieux, un roi qui s’amuse en personne !

Une fois le fou et le roi éloignés, les courtisans se rapprochent, et suivent Triboulet d’un regard de haine.

MONSIEUR DE BRION.

Vengeons-nous du bouffon !

TOUS.

Hun !

MAROT.

Il est cuirassé.

Par où le prendre ? où donc le frapper ?

MONSIEUR DE PIENNE.

Je le sais.

Nous avons contre lui chacun quelque rancune,

Nous pouvons nous venger.

Tous se rapprochent avec curiosité de monsieur de Pienne.

Trouvez-vous à la brune,

Ce soir, tous bien armés, au cul-de-sac Bussy,–

Près de l’hôtel Cossé. – Plus un mot de ceci.

MAROT.

Je devine.

MONSIEUR DE PIENNE.

C’est dit ?

TOUS.

C’est dit.

MONSIEUR DE PIENNE.

Silence ! il rentre.

Rentrent Triboulet, et le roi entouré de femmes.

TRIBOULET, seul de son côté, à part.

À qui jouer un tour maintenant ? – au roi… – Diantre !

UN VALET, entrant, bas à Triboulet.

Monsieur de Saint-Vallier, un vieillard tout en noir,

Demande à voir le roi.

TRIBOULET, se frottant les mains.

Mort dieu ! laissez-nous voir

Monsieur de Saint-Vallier.

Le valet sort.

C’est charmant ! comment diable !

Mais cela va nous faire un esclandre effroyable !

Bruit, tumulte au fond du théâtre, à la grande porte.

UNE VOIX, au dehors.

Je veux parler au roi !

LE ROI, s’interrompant de sa causerie.

Non !… Qui donc est entré ?

LA MÊME VOIX.

Parler au roi !

LE ROI, vivement.

Non, non !

Un vieillard, vêtu de deuil, perce la foule et vient se placer devant le roi, qu’il regarde fixement. Tous les courtisans s’écartent avec étonnement.

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