Le Roi s’amuse

SCÈNE PREMIÈRE.

 

TRIBOULET, seul.

Il s’avance lentement du fond du théâtre,enveloppé d’un manteau. L’orage a diminué de violence. La pluie a cessé. Il n’y a que quelques éclairs et par moments un tonnerre lointain.

Je vais donc me venger ! – Enfin !la chose est faite. –

Voici bientôt un mois que j’attends, que je guette,

Resté bouffon, cachant mon trouble intérieur,

Pleurant des pleurs de sang sous mon masque rieur.

Examinant une porte basse dans la devanture de la maison.

Cette porte… – Oh ! tenir et toucher sa vengeance ! –

C’est bien par là qu’ils vont me l’apporter,je pense !

Il n’est pas l’heure encor. Je reviens cependant.

Oui, je regarderai la porte en attendant.

Oui, c’est toujours cela. –

Il tonne.

Quel temps ! nuit de mystère !

Une tempête au ciel ! un meurtre sur la terre !

Que je suis grand ici ! ma colère de feu

Va de pair cette nuit avec celle de Dieu.

Quel roi je tue ! – un roi dont vingt autres dépendent,

Des mains de qui la paix ou la guerre s’épandent !

Il porte maintenant le poids du monde entier.

Quand il n’y sera plus, comme tout va plier !

Quand j’aurai retiré ce pivot, la secousse

Sera forte et terrible, et ma main qui la pousse

Ébranlera longtemps toute l’Europe en pleurs,

Contrainte de chercher son équilibre ailleurs ! –

Songer que si demain Dieu disait à la terre :

– Ô terre, quel volcan vient d’ouvrir son cratère ?

Qui donc émeut ainsi le chrétien,l’ottoman,

Clément Sept, Doria, Charles-Quint,Soliman ?

Quel César, quel Jésus, quel guerrier, quel apôtre,

Jette les nations ainsi l’une sur l’autre ?

Quel bras te fait trembler, terre, comme il lui plaît ?

La terre, avec terreur, répondrait :Triboulet. –

Oh ! jouis, vil bouffon, dans ta fierté profonde.

La vengeance d’un fou fait osciller le monde !

Au milieu des derniers bruits de l’orage, on entend sonner minuit à une horloge éloignée. Triboulet écoute.

Minuit !

Il court à la maison et frappe à la porte basse.

VOIX DE L’INTÉRIEUR.

Qui va là ?

TRIBOULET.

Moi.

LA VOIX.

Bon.

Le panneau inférieur de la porte s’ouvre seul.

TRIBOULET.

Vite !

LA VOIX.

N’entrez pas.

Saltabadil sort en rampant par le panneau inférieur de la porte. Il tire par une ouverture assez étroite quelque chose de pesant, une espèce de paquet de forme oblongue,qu’on distingue avec peine dans l’obscurité. Il n’a pas de lumière à la main, il n’y en a pas dans la maison.

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