Le Roi s’amuse

SCÈNE II.

 

LE ROI, BLANCHE.

Le roi, resté seul avec Blanche, soulève le voile qui la cache.

 

LE ROI.

Blanche !

BLANCHE.

Gaucher Mahiet ! ciel !

LE ROI, éclatant de rire.

Foi de gentilhomme !

Méprise ou fait exprès, je suis ravi du tour.

Vive Dieu ! ma beauté, ma Blanche, mon amour,

Viens dans mes bras !

BLANCHE, reculant.

Le roi ! le roi ! Laissez-moi, sire, –

Mon Dieu ! je ne sais plus comment parler ni dire… –

Monsieur Gaucher Mahiet… – Non, vous êtes le roi. –

Retombant à genoux.

Oh ! qui que vous soyez, ayez pitié de moi.

LE ROI.

Avoir pitié de toi, Blanche ! moi qui t’adore !

Ce que Gaucher disait, François le dit encore.

Tu m’aimes et je t’aime, et nous sommes heureux !

Être roi ne saurait gâter un amoureux.

Enfant ! tu me croyais bourgeois, clerc,moins peut-être.

Parce que le hasard m’a fait un peu mieux naître,

Parce que je suis roi, ce n’est pas un motif

De me prendre en horreur subitement tout vif !

Je n’ai pas le bonheur d’être un manant,qu’importe !

BLANCHE, à part.

Comme il rit ! Ô mon Dieu ! je voudrais être morte !

LE ROI, souriant et riant plus encore.

Oh ! les fêtes, les jeux, les dames, les tournois,

Les doux propos d’amour le soir au fond des bois,

Cent plaisirs que la nuit couvrira de son aile :

Voilà ton avenir, auquel le mien se mêle !

Oh ! soyons deux amants, deux heureux,deux époux !

Il faut un jour vieillir ; et la vie,entre nous,

Cette étoffe où, malgré les ans qui la morcellent,

Quelques instants d’amour par places étincellent,

N’est qu’un triste haillon sans ces paillettes-là !

Blanche, j’ai réfléchi souvent à tout cela,

Et voici la sagesse : honorons Dieu le Père,

Aimons et jouissons, et faisons bonne chère !

BLANCHE, atterrée et reculant.

Ô mes illusions ! qu’il est peu ressemblant !

LE ROI.

Quoi ! me croyais-tu donc un amoureux tremblant,

Un cuistre, un de ces fous lugubres et sans flammes,

Qui pensent qu’il suffit, pour que toutes les femmes

Et tous les cœurs charmés se rendent devant eux,

De pousser des soupirs avec un air piteux ?

BLANCHE, le repoussant.

Laissez-moi ! – Malheureuse !

LE ROI.

Oh ! sais-tu qui nous sommes ?

La France, un peuple entier, quinze millions d’hommes,

Richesse, horreurs, plaisirs, pouvoir sans frein ni loi,

Tout est pour moi, tout est à moi, je suis le roi !

Eh bien ! du souverain tu seras souveraine.

Blanche, je suis le roi ; toi, tu seras la reine !

BLANCHE.

La reine ! et votre femme ?

LE ROI, riant.

Innocence ! ô vertu !

Ah ! ma femme n’est pas ma maîtresse,vois-tu !

BLANCHE.

Votre maîtresse ! oh ! non !quelle honte !

LE ROI.

La fière !

BLANCHE.

Je ne suis pas à vous, non, je suis à mon père !

LE ROI.

Ton père ! mon bouffon ! mon fou ! mon Triboulet !

Ton père ! il est à moi ! j’en fais ce qu’il me plaît !

Il veut ce que je veux !

BLANCHE, pleurant amèrement et la tête dans ses mains.

Ô Dieu ! mon pauvre père !

Quoi ! tout est donc à vous ?

Elle sanglote. Il se jette à ses pieds pour la consoler.

LE ROI, avec un accent attendri.

Blanche ! oh ! tu m’es bien chère !

Blanche, ne pleure plus ! Viens sur mon cœur.

BLANCHE, résistant.

Jamais !

LE ROI, tendrement.

Tu ne m’as pas encor redit que tu m’aimais.

BLANCHE.

Oh ! c’est fini !

LE ROI.

Je t’ai, sans le vouloir, blessée.

Ne sanglote donc pas comme une délaissée.

Oh ! plutôt que de faire ainsi pleurer tes yeux,

J’aimerais mieux mourir, Blanche !j’aimerais mieux

Passer dans mon royaume et dans ma seigneurie

Pour un roi sans courage et sans chevalerie !

Un roi qui fait pleurer une femme ! ô mon Dieu !

Lâcheté !

BLANCHE, égarée et sanglotant.

N’est-ce pas, tout ceci n’est qu’un jeu ?

Si vous êtes le roi, j’ai mon père. Il me pleure.

Faites-moi ramener près de lui. Je demeure

Devant l’hôtel Cossé. Mais vous le savez bien.

Oh ! qui donc êtes-vous ? je n’y comprends plus rien.

Comme ils m’ont emportée avec des cris de fête !

Tout ceci comme un rêve est brouillé dans ma tête !

Pleurant.

Je ne sais même plus, vous que j’ai cru si doux,

Si je vous aime encor !

Reculant avec un mouvement d’horreur.

Vous roi ! – J’ai peur de vous !

LE ROI, cherchant à la prendre dans ses bras.

Je vous fais peur, méchante !

BLANCHE, le repoussant.

Oh ! laissez-moi !

LE ROI, la serrant de plus près

Qu’entends-je ?

Un baiser de pardon !

BLANCHE, se débattant.

Non !

LE ROI, riant, à part.

Quelle fille étrange !

BLANCHE, s’échappant de ses bras.

Laissez-moi ! – Cette porte !…

Elle aperçoit la porte de la chambre du roi ouverte, s’y précipite, et la referme violemment sur elle.

LE ROI, prenant une petite clef d’or à sa ceinture.

Oh ! j’ai la clef sur moi.

Il ouvre la porte, la pousse vivement, entre, et la referme sur lui.

MAROT, en observation à la porte du fond depuis quelques instants. Il rit.

Elle se réfugie en la chambre du roi !

Ô la pauvre petite !

Appelant monsieur de Gordes.

Hé ! comte.

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