Le Roi s’amuse

SCÈNE IV.

 

TRIBOULET, BLANCHE.

 

TRIBOULET.

Un éclair passe ; il se lève et recule avec un cri frénétique.

– Ma fille ! Ah ! Dieu ! ma fille !

Ma fille ! Terre et cieux ! c’est ma fille à présent !

Tâtant sa main.

Dieu ! ma main est mouillée ! à qui donc est ce sang ?

– Ma fille ! – Oh ! je m’y perds ! c’est un prodige horrible !

C’est une vision ! Oh ! non, c’est impossible,

Elle est partie, elle est en route pour Évreux.

Tombant à genoux près du corps, les yeux au ciel.

Ô mon Dieu ! n’est-ce pas que c’est un rêve affreux,

Que vous avez gardé ma fille sous votre aile,

Et que ce n’est pas elle, ô mon Dieu ?

Un second éclair passe et jette une vive lumière sur le visage pâle et les yeux fermés de Blanche.

Si ! c’est elle !

C’est bien elle !

Se jetant sur le corps avec des sanglots.

Ma fille ! enfant, réponds-moi, dis,

Ils t’ont assassinée ! oh !réponds ! oh ! bandits !

Personne ici, grand Dieu ! que l’horrible famille !

Parle-moi ! parle-moi ! ma fille ! ô ciel ! ma fille !

BLANCHE, comme ranimée aux cris de son père, entr’ouvrant la paupière et d’une voix éteinte.

Qui m’appelle ?

TRIBOULET, éperdu.

Elle parle ! elle remue un peu !

Son cœur bat, son œil s’ouvre, elle est vivante, ô Dieu !

BLANCHE.

Elle se relève à demi ; elle est en chemise, et tout ensanglantée, les cheveux épars. Le bas du corps, qui est resté vêtu, est caché dans le sac.

Où suis-je ?

TRIBOULET, la soulevant dans ses bras.

Mon enfant, mon seul bien sur la terre,

Reconnais-tu ma voix ? m’entends-tu,dis ?

BLANCHE.

Mon père !…

TRIBOULET.

Blanche, que t’a-t-on fait ? quel mystère infernal ? –

Je crains en te touchant de te faire du mal.

Je n’y vois pas. Ma fille, as-tu quelque blessure ?

Conduis ma main.

BLANCHE, d’une voix entrecoupée.

Le fer a touché, – j’en suis sûre, –

– Le cœur, – je l’ai senti… –

TRIBOULET.

Ce coup, qui l’a frappé ?

BLANCHE.

Ah ! tout est de ma faute, – et je vous ai trompé.

– Je l’aimais trop, – je meurs – pour lui.

TRIBOULET.

Sort implacable !

Prise dans ma vengeance ! Oh ! c’est Dieu qui m’accable !

Comment donc ont-ils fait ? Ma fille,explique-toi.

Dis !

BLANCHE, mourante.

Ne me faites pas parler.

TRIBOULET, la couvrant de baisers.

Pardonne-moi.

Mais, sans savoir comment, te perdre !Oh ! ton front penche !

BLANCHE, faisant un effort pour se retourner.

Oh !… de l’autre côté !…J’étouffe !

TRIBOULET, la soulevant avec angoisse.

Blanche ! Blanche !

Ne meurs pas !…

Se retournant, désespéré.

Au secours ! quelqu’un ! personne ici !

Est-ce qu’on va laisser mourir ma fille ainsi ?

– Ah ! la cloche du bac est là, sur la muraille.

Ma pauvre enfant, peux-tu m’attendre un peu que j’aille

Chercher de l’eau, sonner pour qu’on vienne ? un instant !

Blanche fait signe que c’est inutile.

Non, tu ne le veux pas ! – Il le faudrait pourtant !

Appelant sans la quitter.

Quelqu’un !

Silence partout. La maison demeure impassible dans l’ombre.

Cette maison, grand Dieu, c’est une tombe !

Blanche agonise.

Oh ! ne meurs pas ! enfant, mon trésor, ma colombe,

Blanche ! si tu t’en vas, moi, je n’aurai plus rien.

Ne meurs pas, je t’en prie !

BLANCHE.

Oh !

TRIBOULET.

Mon bras n’est pas bien,

N’est-ce pas, il te gêne ! – Attends, que je me place

Autrement. – Es-tu mieux comme cela ? –Par grâce,

Tâche de respirer jusqu’à ce que quelqu’un

Vienne nous assister ! – Aucun secours ! Aucun !

BLANCHE, d’une voix éteinte et avec effort.

Pardonnez-lui, mon père… Adieu !

Sa tête retombe.

TRIBOULET, s’arrachant les cheveux.

Blanche !… Elle expire !

Il court à la cloche du bac et la secoue avec fureur.

À l’aide ! au meurtre ! au feu !

Revenant à Blanche.

Tâche encor de me dire

Un mot ! un seulement ! parle-moi,par pitié !

Essayant de la relever.

Pourquoi veux-tu rester ainsi le corps plié ?

Seize ans ! non, c’est trop jeune !oh ! non, tu n’es pas morte !

Blanche, as-tu pu quitter ton père de la sorte !

Est-ce qu’il ne doit plus t’entendre ? ô Dieu ! pourquoi ?

Entrent des gens du peuple, accourant au bruit avec des flambeaux.

Le ciel fut sans pitié de te donner à moi !

Que ne t’a-t-il reprise au moins, ô pauvre femme,

Avant de me montrer la beauté de ton âme !

Pourquoi m’a-t-il laissé connaître mon trésor ?

Que n’es-tu morte, hélas ! toute petite encor,

Le jour où des enfants en jouant te blessèrent !

Mon enfant ! mon enfant !

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