Le Roi s’amuse

SCÈNE V

 

LES MÊMES, HOMMES, FEMMES du peuple.

 

UNE FEMME.

Ses paroles me serrent

Le cœur !

TRIBOULET, se retournant.

Ah ! vous voilà ! vous venez, maintenant !

Il est bien temps !

Prenant au collet un charretier, qui tient son fouet à la main.

As-tu des chevaux, toi, manant !

Une voiture ? dis !

LE CHARRETIER.

Oui. – Comme il me secoue !

TRIBOULET.

Oui ? Hé bien, prends ma tête, et mets-la sous ta roue !

Il revint se jeter sur le corps de Blanche.

Ma fille !

UN DES ASSISTANTS.

Quelque meurtre ! un père au désespoir !

Séparons-les.

Ils veulent entraîner Triboulet, qui se débat.

TRIBOULET.

Je veux rester ! je veux la voir !

Je ne vous ai point fait de mal pour me la prendre !

Je ne vous connais pas. Voulez-vous bien m’entendre ?

À une femme.

Madame, vous pleurez ? vous êtes bonne,vous !

Dites-leur de ne pas m’emmener.

La femme intercède pour lui. Il revint près de Blanche.

Tombant à genoux.

Àgenoux !

À genoux, misérable, et meurs à côté d’elle !

LA FEMME.

Ah ! calmez-vous. Si c’est pour crier de plus belle,

On va vous remmener.

TRIBOULET, égaré.

Non, non, laissez ! –

Saisissant Blanche dans ses bras.

Je crois

Qu’elle respire encore ! elle a besoin de moi !

Allez vite chercher du secours à la ville.

Laissez-la dans mes bras, je serai bien tranquille.

Il la prend tout à fait sur lui, et l’arrange comme une mère son enfant endormi.

Non, elle n’est pas morte ! Oh !Dieu ne voudrait pas ;

Car enfin, il le sait, je n’ai qu’elle ici-bas…

Tout le monde vous hait quand vous êtes difforme ;

On vous fuit, de vos maux personne ne s’informe ;

Elle m’aime, elle ! – elle est ma joie et mon appui.

Quand on rit de son père, elle pleure avec lui.

Si belle et morte ! oh ! non. –Donnez-moi quelque chose

Pour essuyer son front.

Il lui essuie le front.

Sa lèvre est encor rose.

Oh ! si vous l’aviez vue ! oh !je la vois encor

Quand elle avait deux ans avec ses cheveux d’or !

Elle était blonde alors. –

La serrant sur son cœur avec emportement.

Ô ma pauvre opprimée !

Ma Blanche ! mon bonheur ! ma fille bien-aimée !

Lorsqu’elle était enfant, je la tenais ainsi.

Elle dormait sur moi tout comme la voici !

Quand elle s’éveillait, si vous saviez quel ange !

Je ne lui semblais pas quelque chose d’étrange !

Elle me souriait avec ses yeux divins,

Et moi je lui baisais ses deux petites mains !

Pauvre agneau ! – Morte ! oh !non, elle dort et repose.

Tout à l’heure, messieurs, c’était bien autre chose.

Elle s’est cependant réveillée. – Oh !j’attends,

Vous l’ allez voir rouvrir ses yeux dans un instant !

Vous voyez maintenant, messieurs, que je raisonne ;

Je suis tranquille et doux, je n’offense personne :

Puisque je ne fais rien de ce qu’on me défend,

On peut bien me laisser regarder mon enfant.

Il la contemple.

Pas une ride au front ! pas de douleurs anciennes ! –

J’ai déjà réchauffé ses mains entre les miennes ;

Voyez, touchez-les donc un peu !

Entre un médecin.

LA FEMME, à Triboulet.

Le chirurgien.

TRIBOULET, au chirurgien qui s’approche.

Tenez, regardez-la, je n’empêcherai rien.

Elle est évanouie, est – ce pas ?

LE CHIRURGIEN, examinant Blanche.

Elle est morte.

Triboulet se lève debout d’un mouvement convulsif.

Elle a dans le flanc gauche une plaie assez forte.

Le sang a dû causer la mort en l’étouffant.

TRIBOULET.

J’ai tué mon enfant ! j’ai tué mon enfant !

Il tombe sur le pavé.

FIN DU ROI S’AMUSE.

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