Le Roi s’amuse

SCÈNE PREMIÈRE

 

TRIBOULET, BLANCHE, en dehors ; SALTABADIL, dans la maison.

Pendant toute cette scène, Triboulet doit avoir l’air inquiet et préoccupé d’un homme qui craint d’être dérangé, vu et surpris. Il doit regarder souvent autour de lui, et surtout du côté de la masure. Saltabadil, assis dans l’auberge,près d’une table, s’occupe à fourbir son ceinturon, sans rien entendre de ce qui se passe à côté.

TRIBOULET.

Et tu l’aimes ?

BLANCHE.

Toujours !

TRIBOULET.

Je t’ai pourtant laissé

Tout le temps de guérir cet amour insensé.

BLANCHE.

Je l’aime.

TRIBOULET.

Ô pauvre cœur de femme ! – Mais explique

Tes raisons pour l’aimer.

BLANCHE.

Je ne sais.

TRIBOULET.

C’est unique !

C’est étrange !

BLANCHE.

Oh ! non pas. C’est bien cela qui fait

Justement que je l’aime. On rencontre en effet

Des hommes quelquefois qui vous sauvent la vie,

Des maris qui vous font riche et digne d’envie. –

Les aime-t-on toujours ? – Lui ne m’a fait, je crois,

Que du mal, et je l’aime, et j’ignore pourquoi.

Tenez, c’est à ce point qu’il n’est rien que j’oublie,

Et que, s’il le fallait, – voyez quelle folie ! –

Lui qui m’est si fatal, vous qui m’êtes si doux,

Mon père, je mourrais pour lui comme pour vous !

TRIBOULET.

Je te pardonne, enfant !

BLANCHE.

Mais, écoutez, il m’aime.

TRIBOULET.

Non ! – Folle !

BLANCHE.

Il me l’a dit ! il me l’a juré même !

Et puis il dit si bien, et d’un air si vainqueur,

De ces choses d’amour qui vous prennent au cœur !

Et puis il a des yeux si doux pour une femme !

C’est un roi brave, illustre et beau !

TRIBOULET, éclatant.

C’est un infâme !

Il ne sera pas dit, le lâche suborneur,

Qu’il m’ait impunément arraché mon bonheur !

BLANCHE.

Vous aviez pardonné, mon père…

TRIBOULET.

Au sacrilège !

Il me fallait le temps de construire le piège.

Voilà.

BLANCHE.

Depuis un mois, – je vous parle en tremblant, –

Vous avez l’air d’aimer le roi.

TRIBOULET.

Je fais semblant.

– Je te vengerai, Blanche !

BLANCHE, joignant les mains.

Épargnez-moi, mon père !

TRIBOULET.

Te viendrait-il du moins au cœur quelque colère

S’il te trompait ?

BLANCHE.

Lui ? non. Je ne crois pas cela.

TRIBOULET.

Et si tu le voyais de ces yeux que voilà ?

Dis, s’il ne t’aimait plus, tu l’aimerais encore ?

BLANCHE.

Je ne sais pas. – Il m’aime, il me dit qu’il m’adore.

Il me l’a dit hier.

TRIBOULET, amèrement.

À quelle heure ?

BLANCHE.

Hier soir.

TRIBOULET.

Eh bien ! regarde donc, et vois si tu peux voir !

Il désigne à Blanche une des crevasses du mur de la maison : elle regarde.

BLANCHE, bas.

Je ne vois rien qu’un homme.

TRIBOULET, baissant aussi la voix.

Attends un peu.

Le roi, vêtu en simple officier, paraît dans la salle basse de l’hôtellerie. Il entre par une petite porte qui communique avec quelque chambre voisine.

BLANCHE, tressaillant.

Mon père !

Pendant toute la scène qui suit,elle demeure collée à la crevasse du mur, regardant, écoutant tout ce qui se passe dans l’intérieur de la salle, inattentive à tout le reste, agitée par moments d’un tremblement convulsif.

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