Le Roi s’amuse

SCÈNE IV.

 

BLANCHE, TRIBOULET.

 

TRIBOULET, grave.

Parle à présent.

BLANCHE, les yeux baissés, interrompue de sanglots.

Mon père, il faut que je vous conte

Qu’il s’est hier glissé dans la maison… –

Pleurant, et les mains sur ses yeux.

J’ai honte !

Triboulet la serre dans ses bras et lui essuie le front avec tendresse.

Depuis longtemps, – j’aurais dû vous parler plus tôt, –

Il me suivait. –

S’interrompant encore.

Il faut reprendre de plus haut.

– Il ne me parlait pas. – Il faut que je vous dise

Que ce jeune homme allait le dimanche à l’église…

TRIBOULET.

Oui ! le roi !

BLANCHE, continuant.

Que toujours, pour être vu, je crois,

Il remuait ma chaise en passant près de moi.

D’une voix de plus en plus faible.

Hier, dans la maison il a su s’introduire…

TRIBOULET.

Que je t’épargne au moins l’angoisse de tout dire !

Je devine le reste ! –

Il se lève.

Ô douleur ! il a pris,

Pour en marquer ton front, l’opprobre et le mépris !

Son haleine a souillé l’air pur qui t’environne !

Il a brutalement effeuillé ta couronne !

Blanche ! ô mon seul asile en l’état où je suis !

Jour qui me réveillais au sortir de leurs nuits !

Âme par qui mon âme à la verdure monte !

Voile de dignité déployé sur ma honte !

Seul abri du maudit à qui tout dit adieu !

Ange oublié chez moi par la pitié de Dieu !

Ciel ! perdue, enfouie, en cette boue immonde,

La seule chose sainte où je crusse en ce monde !

Que vais-je devenir après ce coup fatal,

Moi qui dans cette cour, prostituée au mal,

Hors de moi comme en moi, ne voyais sur la terre

Que vice, effronterie, impudeur, adultère,

Infamie et débauche, et n’avais sous les cieux

Que ta virginité pour reposer mes yeux !–

Je m’étais résigné, j’acceptais ma misère.

Les pleurs, l’abjection profonde et nécessaire,

L’orgueil qui toujours saigne au fond du cœur brisé,

Le rire du mépris sur mes maux aiguisé,

Oui, toutes ces douleurs où la honte se mêle,

J’en voulais bien pour moi, mon Dieu, mais non pour elle !

Plus j’étais tombé bas, plus je la voulais haut.

Il faut bien un autel auprès d’un échafaud.

L’autel est renversé ! – cache ton front,– oui, pleure,

Chère enfant ! je t’ai fait trop parler tout à l’heure,

N’est-ce pas ? pleure bien. – Une part des douleurs,

À ton âge, parfois, s’écoule avec les pleurs.–

Verse tout, si tu peux, dans le cœur de ton père !

Rêvant.

Blanche, quand j’aurai fait ce qui me reste à faire,

Nous quitterons Paris. – Si j’échappe pourtant !

Rêvant toujours.

Quoi ! suffit-il d’un jour pour que tout change tant ?

Se relevant avec fureur.

Ô malédiction ! qui donc m’aurait pu dire

Que cette cour infâme, effrénée, en délire,

Qui va, qui court, broyant et la femme et l’enfant,

Échappée à travers tout ce que Dieu défend,

N’effaçant un forfait que par un plus étrange,

Éparpillant au loin du sang et de la fange,

Irait, jusque dans l’ombre où tu fuyais leurs yeux,

Éclabousser ce front chaste et religieux !

Se tournant vers la chambre du roi.

Ô roi François Premier ! puisse Dieu qui m’écoute

Te faire trébucher bientôt dans cette route !

Puisse s’ouvrir demain le sépulcre où tu cours !

BLANCHE, levant les yeux au ciel. À part.

Ô Dieu ! n’écoutez pas, car je l’aime toujours !

Bruit de pas au fond du théâtre ;dans la galerie extérieure paraît un cortège de soldats et de gentilshommes. À leur tête, monsieur de Pienne.

MONSIEUR DE PIENNE, appelant.

Monsieur de Montchenu, faites ouvrir la grille

Au sieur de Saint-Vallier qu’on mène à la Bastille.

Le groupe de soldats défile deux à deux au fond. Au moment où monsieur de Saint-Vallier, qu’ils entourent,passe devant la porte, il s’y arrête et se tourne vers la chambre du roi.

MONSIEUR DE SAINT-VALLIER, d’une voix haute.

Puisque, par votre roi d’outrages abreuvé,

Ma malédiction n’a pas encor trouvé

Ici-bas ni là-haut de voix qui me réponde,

Pas une foudre au ciel, pas un bras d’homme au monde,

Je n’espère plus rien. Ce roi prospérera.

TRIBOULET, relevant la tête et le regardant en face.

Comte, vous vous trompez ! – Quelqu’un vous vengera.

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