Les Louves de Machecoul – Tome I

XV – Heure indue

Il était deux heures du matin, à peu près,lorsque le jeune baron Michel se retrouva au bout de l’avenue parlaquelle on arrivait au château de la Logerie.

L’air était calme ; le silence majestueuxde la nuit, que troublait seul le bruissement des trembles, l’avaitplongé dans une profonde rêverie.

Il va sans dire que les deux sœurs étaientl’objet de cette rêverie, et que celle des deux dont le baronsuivait l’image avec autant de respect et d’amour que, dans laBible, le jeune Tobie suit l’ange, c’était Mary.

Mais, lorsqu’il aperçut, à cinq cents pas delui, à l’extrémité de la sombre ligne d’arbres sous la voûte deverdure desquels il marchait, les fenêtres du château, quiscintillaient aux rayons de la lune, les charmants songes qu’ilfaisait s’évanouirent, et ses idées prirent immédiatement unedirection plus positive.

Au lieu de ces deux ravissantes figures dejeune fille qui avaient jusque-là cheminé à ses côtés, sonimagination lui montra le profil sévère et menaçant de sa mère.

On sait quelle crainte profonde la baronneMichel inspirait à son fils.

Le jeune homme s’arrêta.

Si dans les environs, fût-ce à une lieue, ileût connu une maison, une auberge même, où il pût trouver un gîte,ses appréhensions étaient si vives, qu’il ne fût rentré au châteauque le lendemain. C’était la première fois, non pas qu’ildécouchait, mais qu’il se mettait ainsi en retard, et il sentaitinstinctivement que son absence était connue et que sa mèreveillait.

Or, qu’allait-il répondre à cette terribleinterrogation : « D’où venez-vous ? »

Courtin, seul, pouvait lui donner unasile ; mais, en demandant un asile à Courtin, il fallait toutlui dire, et le jeune baron comprenait tout le danger qu’il y avaità prendre pour confident un homme comme Courtin.

Il se décida donc à braver le courrouxmaternel – mais comme le condamné se décide à braver l’échafaud,c’est-à-dire parce qu’il ne peut faire autrement – et continua saroute.

Cependant, plus il approchait du château, plusil sentait vaciller sa résolution.

Lorsqu’il se trouva à l’extrémité de l’avenue,lorsqu’il lui fallut marcher à découvert le long des pelouses,lorsqu’il aperçut la fenêtre de la chambre de sa mère, qui sedétachait sur la façade sombre, cette fenêtre étant la seuleéclairée, le cœur lui faillit tout à fait.

Ses pressentiments ne l’avaient donc pastrompé, la baronne guettait le retour de son fils.

La détermination du jeune homme, comme nousl’avons dit, s’évanouit alors tout entière, et la peur, développantles ressources de son imagination, lui donna l’idée d’essayer d’uneruse qui pouvait, sinon conjurer la colère de sa mère, du moins enretarder l’explosion.

Il se jeta sur la gauche, suivit unecharmille, perdu dans son ombre ; gagna le mur du potager,qu’il escalada, et passa, par la porte de communication, du potagerdans le parc.

Une fois, dans le parc, il pouvait, grâce auxmassifs, atteindre aisément les fenêtres du château.

Jusque-là, l’opération lui avait réussi àmerveille ; mais le plus difficile ou plutôt le plus chanceuxrestait à accomplir : il s’agissait de trouver une fenêtre quela négligence de quelque domestique eût laissée ouverte et parlaquelle il pût pénétrer dans le logis et regagner sonappartement.

Le château de la Logerie consistait en ungrand corps de logis carré, flanqué de quatre tourelles de mêmeforme.

Les cuisines et les offices étaient sousterre ; les appartements de réception au rez-de-chaussée, ceuxde la baronne au premier étage, ceux de son fils au second.

Michel interrogea le château par trois côtés,ébranlant doucement mais consciencieusement toutes les portes ettoutes les fenêtres, se collant le long des murs, marchant sur lapointe des pieds, retenant son haleine.

Ni portes ni fenêtres ne bougèrent.

Restait à explorer la façade principale.

C’était la partie dangereuse à aborder ;les fenêtres de la baronne étaient, comme nous l’avons dit, percéessur cette façade, dégarnie des arbustes qui entouraient le reste del’édifice, et l’une de ces fenêtres, celle de la chambre à coucher,était ouverte.

Cependant, Michel, qui pensait que, grondépour grondé, autant valait l’être dehors que dedans, se décida detenter l’aventure.

Il avançait, en conséquence, la tête le longde la tourelle et s’apprêtait à la contourner, lorsqu’il aperçutune ombre qui glissait le long des pelouses.

Cette ombre faisait naturellement supposer uncorps.

Michel s’arrêta et porta toute son attentionsur le nouvel arrivant.

Il reconnut que c’était un homme et que cethomme suivait le chemin que lui-même eût dû suivre s’il se fûtdécidé à rentrer directement au château.

Le jeune baron fit quelques pas en arrière, etse tapit dans l’ombre portée par la saillie de la tourelle.

Cependant, l’homme approchait.

Lorsqu’il ne fut plus qu’à une cinquantaine depas du château, Michel entendit retentir à la fenêtre la voix sèchede sa mère.

Il s’applaudit de ne point avoir passé sur lespelouses par lesquelles cet homme arrivait.

– Est-ce vous, enfin, Michel ? demanda labaronne.

– Non, Madame, non, répondit une voix que lejeune homme reconnut, avec un étonnement mêlé de crainte pour celledu métayer ; et c’est beaucoup trop d’honneur que vous faitesau pauvre Courtin que de le prendre pour M. le baron.

– Grand Dieu ! s’écria la baronne, quivous amène à cette heure ?

– Ah ! vous vous doutez bien que c’estquelque chose d’important, n’est-ce pas, madame labaronne ?

– Serait-il arrivé malheur à monfils ?

L’accent de profonde angoisse avec lequel samère avait prononcé ces paroles toucha si vivement le jeune homme,qu’il allait s’élancer pour la rassurer.

Mais la réponse de Courtin, qu’il entenditpresque immédiatement, paralysa cette bonne disposition.

Michel rentra donc dans l’ombre qui luiservait de cachette.

– Oh ! que nenni, Madame, répondait lemétayer ; le jeune gars, si j’ose m’exprimer ainsi en parlantde M. le baron, est sain comme l’œil, jusqu’ici du moins.

– Jusqu’ici ! interrompit la baronne.Est-il donc sur le point de courir quelque danger ?

– Eh ! eh ! fit Courtin, ouibien ! il pourrait lui arriver quelque dommage s’il continuaità se laisser affrioler par des espèces du calibre de ces satanéesfemelles que l’enfer confonde ! et c’est pour prévenir cemalheur que j’ai pris la liberté de venir vous trouver ainsi aumilieu de la nuit, me doutant bien, du reste, que vous étantaperçue de l’absence de M. le baron, vous ne vous seriez pascouchée.

– Et vous avez bien fait, Courtin. Mais,enfin, où est-il, ce malheureux enfant ? lesavez-vous ?

Courtin regarda autour de lui.

– Je suis étonné, par ma foi, qu’il ne soitpas encore rentré, dit-il. J’ai pris tout exprès le chemin vicinalpour lui laisser le sentier libre, et le sentier est d’un bon quartde lieue plus court que le chemin vicinal.

– Mais, encore une fois, d’où vient-il ?où était-il ? qu’a-t-il fait ? Pourquoi court-il leschamps, la nuit, à deux heures du matin, sans souci de mesinquiétudes, sans réfléchir qu’il compromet sa santé et lamienne ?

– Madame la baronne, dit Courtin, netrouvez-vous pas vous même que voilà bien des questions pour quej’y réponde en plein air ?

Puis, baissant la voix :

– Ce que j’ai à raconter à madame la baronneest si grave, qu’elle ne sera pas trop en sûreté dans sa chambrepour m’écouter… sans compter que, si le jeune maître n’est point auchâteau, il ne peut tarder à y arriver, ajouta le métayer enregardant de nouveau avec inquiétude autour de lui, et que je ne mesoucierais pas le moins du monde qu’il sût que je l’espionne,quoique ce soit pour son bien-être et surtout pour vous rendreservice.

– Entrez, alors, s’écria la baronne ;vous avez raison, entrez vite !

– Faites excuse, Madame, mais par où, s’ilvous plaît ?

– En effet, dit la baronne, la porte estfermée.

– Si Madame voulait me jeter la clef…

– Elle est à la porte, et en dedans.

– Ah ! dame…

– Voulant cacher à mes gens la conduite de monfils, je les ai envoyés se coucher ; mais attendez, je vaissonner la femme de chambre.

– Eh ! que madame n’en fasse rien !dit Courtin ; il est inutile de mettre quelqu’un dans nossecrets ; d’ailleurs, m’est avis que les circonstances sonttrop graves pour que madame se soucie de l’étiquette. On sait bienque madame la baronne n’est pas faite pour venir ouvrir la porte àun pauvre métayer comme moi ; mais une fois n’est pas coutume.Si tout le monde dort dans le château, tant mieux ! Nousserons, du moins, à l’abri des curieux.

– Vraiment, vous m’effrayez ! Courtin,dit la baronne, retenue, en effet, par le sentiment de puérilorgueil qui n’avait point échappé au métayer ; et je n’hésiteplus.

La baronne se retira de la fenêtre, et, uninstant après, Michel entendit grincer la clef et les verrous de laporte d’entrée. Il écouta d’abord avec angoisse ; mais bientôtil reconnut que cette porte qui venait de s’ouvrir avec tant dedifficulté, sa mère et Courtin, dans leur préoccupation, oubliaientde la refermer.

Le jeune homme attendit quelques secondes pourleur laisser le temps de gagner les étages supérieurs ; puis,se glissant le long du mur, il gravit le perron, poussa la porte,qui tourna sans bruit sur ses gonds, et se trouva dans levestibule.

Son projet primitif avait été de rentrer danssa chambre à coucher et d’y attendre les événements en faisantsemblant de dormir. En ce cas, l’heure de sa rentrée ne pouvantêtre précisée, il avait encore la chance de se tirer de ce mauvaispas par un audacieux mensonge.

Mais les choses étaient bien changées depuisqu’il avait pris cette première détermination.

Courtin l’avait suivi, Courtin l’avait vu,Courtin connaissait sans doute la retraite du comte de Bonnevilleet de son compagnon. Michel s’oublia un instant lui-même pour nesonger qu’à la sûreté de son ami, que le métayer, avec les opinionsque lui connaissait Michel, pouvait singulièrementcompromettre.

Au lieu de monter au second étage, le jeunehomme s’arrêta au premier : au lieu de monter à sa chambre, ilse glissa à pas de loup dans le corridor.

Puis, s’arrêtant à la porte de la chambre desa mère, il écouta.

– Ainsi, vous croyez, Courtin, demandait labaronne, vous croyez sérieusement que mon fils s’est laissé prendreaux gluaux d’une de ces malheureuses ?

– Ah ! oui, Madame, quant à cela, j’ensuis sûr ; et il y est si bien pris même, que vous aurezgrand’peine, j’en ai peur, à l’en dépêtrer.

– Des filles sans le sou !

– Dame, elles viennent du plus vieux sang dupays, madame la baronne, dit Courtin, qui voulait sonder leterrain ; et, pour vous autres nobles, ça fait quelque chose,à ce qu’il paraît.

– Pouah ! dit la baronne, desbâtardes !

– Mais jolies, l’une comme un ange, l’autrecomme un démon !

– Que Michel ait voulu s’en amuser quelquesinstants, comme tant d’autres l’ont fait dans le pays, dit-on,c’est possible ; mais avoir songé à épouser l’une d’elles,cela ne se peut pas, et il me connaît trop pour avoir pensé que jeconsentisse jamais à une pareille union.

– Sauf le respect que je lui dois, madame labaronne, mon avis est que M. Michel n’a pas encore réfléchi à toutcela, et ne se rend peut-être pas compte lui-même du sentimentqu’il éprouve pour les donzelles ; mais ce dont je suiscertain, c’est que, d’une autre façon, d’une façon plus grave, là,il est rudement en train de se compromettre.

– Que voulez-vous dire, Courtin ?

– Dame, fit le métayer, savez-vous, madame labaronne, qu’il serait bien dur, pour moi qui vous aime et qui vousrespecte, de faire arrêter mon jeune maître ?

Michel tressaillit dans le corridor ;cependant ce fut la baronne qui reçut la plus violentecommotion.

– Arrêter Michel ! fit-elle en seredressant ; mais il me semble que vous vous oubliez, maîtreCourtin.

– Non, madame la baronne, je ne m’oubliepas.

– Cependant…

– Je suis votre métayer, cela est vrai,continua Courtin en faisant de la main un signe par lequel ilinvitait la fière dame à se calmer ; je suis tenu de vousdonner un compte exact des récoltes dont vous avez moitié et devous payer au jour et à l’heure mes redevances, ce que je fais demon mieux, malgré la dureté des temps ; mais, avant d’êtrevotre métayer, je suis citoyen et, de plus, maire, et, de cecôté-là aussi, j’ai des devoirs que je dois remplir, madame labaronne, si marri qu’en soit mon pauvre cœur.

– Quel galimatias me faites-vous là, maîtreCourtin, et quel rapprochement peut-il y avoir entre mon fils,votre qualité de citoyen et votre titre de maire ?

– Le rapprochement, le voici, madame labaronne : c’est que M. votre fils a des accointances avec lesennemis de l’État.

– Je sais bien, dit la baronne, que M. lemarquis de Souday a des opinions très exagérées ; mais lesamourettes de Michel avec l’une ou l’autre de ses filles nesauraient, il me semble, constituer un délit.

– Ces amourettes mèneront M. Michel plus loinque vous ne le croyez, madame la baronne, c’est moi qui vous ledis. Je sais bien qu’il ne trempe encore que le bout du bec dansl’eau trouble que l’on fait autour de lui ; mais cela suffitpour lui obscurcir la vue.

– Voyons, assez de métaphores commecela ; expliquez-vous, Courtin.

– Eh bien, madame la baronne, voicil’explication tout entière. Ce soir, après avoir assisté à la mortde ce vieux chouan de Tinguy, au risque de rapporter la fièvrepernicieuse au château, après avoir reconduit la plus grande desdeux louves jusque chez elle, M. le baron a servi de guide à deuxpaysans qui n’étaient pas plus des paysans que je ne suis unmonsieur, et il les a conduits au château de Souday.

– Qui vous a dit cela, Courtin ?

– Mes deux yeux, madame la baronne : ilssont bons, et j’y crois.

– Mais, à votre avis, quels étaient ces deuxpaysans ?

– Ces deux paysans ?

– Oui.

– L’un, j’en mettrais ma main au feu, était lecomte de Bonneville, un chouan fini, celui-là ! Il n’y a pas àme dire non, il a été assez longtemps dans le pays, et je l’aireconnu. Quant à l’autre…

– Eh bien, achevez.

– Quant à l’autre, si je ne me trompe, c’estencore mieux que cela.

– Et qui donc ?… Voyons, nommez-le,Courtin.

– Suffit, madame la baronne ; s’il lefaut – et il le faudra probablement – je le nommerai à qui dedroit.

– À qui de droit ! Mais vous allez doncdénoncer mon fils ? s’écria la baronne stupéfaite du ton deson métayer, ordinairement si humble avec elle.

– Assurément, madame la baronne, réponditCourtin avec aplomb.

– Mais vous n’y pensez pas, Courtin !

– J’y pense si bien, madame la baronne, que jeserais déjà en route pour Montaigu ou même pour Nantes, si jen’avais tenu à vous prévenir auparavant, afin que vous avisiez àmettre M. Michel en sûreté.

– Mais, en supposant même que Michel ne soitpas enveloppé dans cette affaire, dit vivement la baronne, vousallez me compromettre vis-à-vis de mes voisins, et, qui sait !peut-être attirer sur la Logerie d’affreuses représailles.

– Eh bien, nous défendrons la Logerie, madamela baronne.

– Courtin…

– J’ai vu la grande guerre, madame labaronne ; j’étais tout petiot, mais je m’en souviens, et, foid’homme, là, je ne me soucie point de la revoir ; je ne mesoucie pas de voir mes vingt arpents servir de champ de batailleaux deux partis, mes moissons mangées par les uns, et brûlées parles autres ; je me soucie encore moins de voir remettre lamain sur les biens nationaux, ce qui ne manquera pas d’arriver siles blancs ont le dessus. Sur mes vingt arpents, j’en ai cinqd’émigrés, bien achetés, bien payés : c’est le quart de monbien. Enfin, enfin, le gouvernement compte sur moi, et je veuxjustifier la confiance du gouvernement.

– Mais, Courtin, fit la baronne prête àdescendre à la prière, ce n’est pas aussi grave que vous lesupposez, j’en suis sûre.

– Eh ! pardieu ! si, madame labaronne, c’est très grave. Je ne suis qu’un paysan ; mais celan’empêche point que je n’en sache aussi long qu’un autre, attenduque j’écoute beaucoup et que j’ai l’oreille fine. Le pays de Retzest en ébullition ; encore un coup de feu, et le bouillonpassera par-dessus la marmite.

– Courtin, vous vous trompez.

– Mais non, madame la baronne, mais non. Jesais ce que je sais, mon Dieu ! les nobles se sont déjà réunistrois fois, quoi ! une fois chez le marquis de Souday, unefois chez celui qu’ils appellent Louis Renaud, et une fois chez lecomte de Saint-Amand. Toutes ces réunions-là sentent la poudre,madame la baronne ; et, à propos de poudre, il y en a deuxquintaux et pas mal de sacs de balles chez le curé de Montbert.Enfin – et ceci est le plus grave, – enfin, puisqu’il faut vous ledire, on attend dans le pays la duchesse de Berry, et m’est avis,d’après ce que je viens de voir, qu’il pourrait bien se faire qu’onne l’attendît pas longtemps.

– Pourquoi cela ?

– Parce que je crois qu’elle y est.

– Où cela, grand Dieu ?

– Eh bien ! au château de Souday,donc.

– Au château de Souday ?

– Oui, où M. Michel l’aurait conduite cesoir.

– Michel ? Ah ! le malheureuxenfant. Mais vous vous tairez, n’est-ce pas, Courtin ? Je leveux, je vous l’ordonne. D’ailleurs, le gouvernement a pris sesmesures, et, si la duchesse tentait de revenir en Vendée, elleserait arrêtée avant que d’y arriver.

– Avec tout cela, si elle y est pourtant,madame la baronne.

– Raison de plus pour que vous voustaisiez.

– Oui-da ! et la gloire et les profitsd’une prise comme celle-là m’échapperont, sans compter que, d’ici àce que la capture soit faite par un autre, si je ne la fais pasmoi-même, le pays sera à feu et à sang… Non, madame la baronne,non, cela ne se peut pas.

– Mais que faire, grand Dieu ! quefaire ?

– Écoutez, madame la baronne, dit Courtin, cequ’il faut faire, le voici.

– Parlez, Courtin, parlez.

– Comme, tout en étant un bon citoyen, je veuxrester votre serviteur fidèle et zélé ; comme j’espère qu’enreconnaissance de ce que j’aurai fait pour vous, on me laissera mamétairie à des conditions que je pourrai accepter, je neprononcerai pas le nom de M. Michel. Vous tâcherez seulement qu’ilne se fourre plus à l’avenir dans un semblable guêpier : il yest, c’est vrai ; mais, pour cette fois-ci, il est encoretemps de l’en tirer.

– Soyez tranquille, Courtin.

– Mais, voyez-vous, madame la baronne, fit lemétayer.

– Eh bien, quoi ?

– Dame, c’est que je n’ose donner un conseil àmadame la baronne : ça n’est pas de ma compétence.

– Dites, Courtin, dites.

– Eh bien, pour mettre M. Michel tout à faithors de ce guêpier-là, il faudrait, selon moi, par un moyenquelconque, prières ou menaces, le décider à quitter la Logerie età partir pour Paris.

– Oui, Courtin, oui, vous avez raison.

– Seulement, je crois qu’il ne le voudrapas.

– Quand j’aurai décidé, Courtin, il faudrabien qu’il veuille.

– Il aura vingt et un ans dans onzemois : il est bien près d’être majeur.

– Et moi, je vous dis qu’il partira, Courtin.Mais qu’avez-vous ?

En effet, Courtin tendait l’oreille du côté dela porte.

– Il me semble que l’on a marché dans lecorridor, dit Courtin.

– Voyez.

Courtin prit la lumière et se précipita versle corridor.

– Il n’y a personne, dit-il en rentrant ;et, cependant, il me semblait bien avoir entendu des pas.

– Mais où pensez-vous qu’il soit, à cetteheure, le malheureux enfant ?

– Dame, fit Courtin, peut-être chez moi àm’attendre. Le jeune baron a confiance en moi, et ce ne serait pasla première fois qu’il serait venu me conter ses petitschagrins.

– Vous avez raison, Courtin, c’estpossible ; retournez chez vous, et surtout n’oubliez pas votrepromesse.

– Ni vous la vôtre, madame la baronne. S’ilrentre, séquestrez-le ; ne le laissez point communiquer avecles louves ; car, s’il les revoit…

– Eh bien ?

– Eh bien, je ne serais point étonnéd’apprendre qu’un de ces jours il fait le coup de fusil dans lesgenêts.

– Oh ! il me fera mourir dechagrin ! Quelle malencontreuse idée mon mari a-t-il eue derevenir dans ce maudit pays !

– Malencontreuse idée, oui, madame la baronne,pour lui surtout !

La baronne pencha tristement la tête sous lesouvenir que venait d’évoquer Courtin, lequel se retira après avoirexploré les environs et s’être assuré que personne ne pouvait levoir sortir du château de la Logerie.

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