Les Louves de Machecoul – Tome I

XLIII – Où le jeune baron Michel devientl’aide de camp de Bertha

Jean Oullier descendit en toute hâte,peut-être plus pressé de s’éloigner de la jeune fille que de serendre aux ordres du marquis.

Il trouva ce dernier dans la cour, ayant prèsde lui un paysan couvert de sueur et de boue.

Ce paysan apportait la nouvelle que lessoldats avaient envahi la maison de Pascal Picaut. Il les avait vusy entrer, mais il ne savait rien de plus.

Il était placé dans les genêts du chemin de laSablonnière avec mission de courir au château si les soldats sedirigeaient vers la maison où étaient les deux fugitifs. Il avaitrempli sa mission à la lettre.

Le marquis – auquel Oullier avait racontéqu’il avait laissé Petit-Pierre et le comte de Bonneville dans lamaison de Pascal Picaut – le marquis était en proie à une viveagitation.

– Jean Oullier, Jean Oullier, répétait-il duton dont Auguste disait : « Varus !Varus ! » Jean Oullier, pourquoi t’être fié à d’autresque toi-même ? Si un malheur est arrivé, ma pauvre maison auradonc été déshonorée, avant que sa ruine soit accomplie !

Jean Oullier ne répondit pas au marquis ;il baissait la tête et restait sombre et muet.

Ce silence et cette immobilité exaspérèrent lemarquis.

– Allons, mon cheval, Jean Oullier !s’écria-t-il ; et, si celui qu’hier encore, sans savoir qui ilétait, j’appelais mon jeune ami, est prisonnier des bleus,montrons, en mourant pour le délivrer, que nous n’étions pasindignes de sa confiance.

Mais Jean Oullier secoua la tête.

– Comment ! dit le marquis, tu ne veuxpas me donner mon cheval ?

– Et il a raison, dit Bertha, qui venaitd’arriver, et qui avait entendu l’ordre donné par le marquis, et lerefus de Jean Oullier ; gardons-nous de rien compromettre parune précipitation irréfléchie.

Puis, s’adressant au messager :

– As-tu vu, lui demanda-t-elle, les soldatsquitter la maison de Picaut et en emmener desprisonniers ?

– Non ; je les ai vus quasi assommer legars Malherbe, que Jean Oullier avait mis en vedette au coin de lahaute lande. Je les ai guettés jusqu’à ce que je les aie vus entrerdans le verger de Picaut, et je suis accouru pour vous prévenir,comme maître Jean m’en avait donné l’ordre.

– Maintenant, Jean Oullier, reprit Bertha,croyez-vous pouvoir répondre de la femme à laquelle vous les avezconfiés ?

Jean Oullier se retourna vers Bertha, et, laregardant d’un œil de reproche :

– Hier, fit-il, j’aurais dit de MariannePicaut : je réponds d’elle comme de moi-même ; mais…

– Mais ? reprit Bertha.

– Mais, aujourd’hui, reprit le vieux gardeavec un soupir, je doute de tout.

– Allons, allons, tout cela, c’est du temps deperdu. Mon cheval ! Qu’on m’amène mon cheval ! Et, dansdix minutes, je saurai à quoi m’en tenir.

Bertha arrêta le marquis.

– Ah ! fit celui-ci, est-ce comme celaque l’on m’obéit dans la maison ? Que pourrai-je donc attendredes autres, si, chez moi, on commence par ne pas exécuter mesordres !

– Vos ordres sont sacrés, mon père, ditBertha, et pour vos filles surtout ; mais votre dévouementvous emporte. N’oublions pas que ceux qui causent nos inquiétudessont, aux yeux de tous, de simples paysans. Or, le marquis deSouday s’enquérant lui-même à cheval de deux paysans dénoncel’importance qu’il attache à leurs personnes et les signalesur-le-champ à l’attention de nos ennemis.

– Mademoiselle Bertha a raison, dit JeanOullier, et c’est moi qui vais m’y rendre.

– Pas plus vous que mon père.

– Pourquoi cela ?

– Parce que vous courez trop gros risque enallant de ce côté.

– J’y ai bien été ce matin, et j’ai bien couruce gros risque pour voir avec quel plomb avait été tué mon pauvrePataud ; je fetrai bien la même course pour m’informer de M.de Bonneville et de Petit-Pierre.

– Et moi, reprit Bertha, je vous dis, Jean,qu’après tout ce qui est arrivé la nuit dernière, vous ne pouvezvous montrer là où il y a des soldats ; il nous faut, pour unesemblable mission, quelqu’un qui ne soit nullemment compromis, quipuisse arriver au cœur de la place sans exciter aucun soupçon, serenseigner sur ce qui s’est passé et même, s’il est possible, surce qui se passera.

– Quel malheur que cet animal de Loriot sesoit entêté à retourner à Machecoul ! dit le marquis deSouday. Je l’ai pourtant assez prié de rester. J’avais unpressentiment de tout cela en voulant l’attacher à ma division.

– Eh bien, mais ne vous reste-t-il pas M.Michel ? dit Jean Oullier avec ironie. Vous pouvez l’envoyer àla maison de Picaut, lui, là et partout où vous voudrez. Y eût-ildix mille hommes autour det cette maison, qu’on l’y laisserapénétrer, et nul n’aura doutance qu’il vienne pour faire votreaffaire.

– Eh ! mais voilà justement ce qu’il nousfaut, dit Bertha acceptant le concours que Jean Oullier apportaitau but secret de sa proposition, quelque mauvaise intention qu’yeût mise celui-ci, sans doute, n’est-ce pas, mon père ?

– Par la sambleu ! je le croisbien ! s’écria le marquis de Souday. Malgré ses apparencestant soit peu féminines, ce jeune homme nous sera décidément fortutile.

Aux premiers mots qui avaient été dits, aureste, Michel s’était approché et attendait respectueusement lesordres du marquis.

Lorsqu’il vit que celui-ci acceptait laproposition de Bertha son visage devint radieux.

Bertha rayonnait elle-même.

– Êtes-vous prêt à faire ce que le salut dePetit-Pierre exige, monsieur Michel ? demanda la jeune filleau baron.

– Je suis prêt à faire tout ce qu’il vousplaira, mademoiselle, afin de prouver à M. le marquis mareconnaissance pour le bienveillant accueil que j’ai reçu delui.

– Bien ! alors, prenez un cheval, – pasle mien, on le reconnaîtrait, – et ne faites qu’un temps de galopjusque-là. Entrez sans armes dans la maison, comme si la curiositéseule vous y amenait, et, s’il y a danger pour nos amis…

Le marquis chercha ; il n’avaitl’initiative ni prompte ni facile.

– S’il y a danger pour nos amis, repritBertha, allumez un feu de bruyère sur la grand’lande ; pendantce temps, Jean Oullier aura rassemblé ses hommes, et alors, réuniset bien armés, nous volerons au secours de ceux qui nous sont sichers.

– Bravo ! fit le marquis de Souday ;j’ai toujours dit, moi, que Bertha était la forte tête de lafamille.

Bertha sourit d’orgueil en regardantMichel.

– Et toi, dit-elle à sa sœur, qui étaitdescendue à son tour, et qui s’était approchée doucement, tandisqu’au contraire Michel s’éloignait pour aller prendre le cheval, ettoi, ne vas-tu donc pas songer à t’habiller, enfin ?

– Non, répondit Mary.

– Comment ! non ?

– Je compte rester ainsi.

– Y penses-tu ?

– Sans doute, dit Mary avec un tristesourire : dans une armée, à côté des soldats qui combattent etqui meurent, il faut les sœurs de charité qui les soignent et quiles consolent ; je serai votre sœur de charité.

Bertha regarda Mary avec étonnement.

Peut-être allait-elle lui adresser quelquequestion à l’endroit du changement de résolution qui s’était faitdans l’esprit de la jeune fille, lorsque Michel, déjà monté sur lecheval qui lui était destiné, reparut, et, s’approchant de Bertha,arrêta la parole sur ses lèvres.

Alors, s’adressant à celle qui lui avait donnédes ordres :

– Vous m’avez bien dit ce que je devais faire,mademoiselle, dans le cas où il serait arrivé quelque malheur dansla maison de Pascal Picaut ; mais vous ne m’avez pas dit ceque je devais faire si Petit-Pierre était sain et sauf.

– En ce cas, dit le marquis, revenir, pournous rassurer.

– Non pas, répondit Bertha, qui tenait àménager le rôle le plus important possible à celui qu’elleaimait : ces allées et venues donneraient des soupçons auxtroupes qui doivent rôder autour de la forêt. Vous resterez chezles Picaut ou aux environs, et, à la tombée de la nuit, vous ireznous attendre au chêne de Jailhay. Le connaissez-vous ?

– Je le crois bien ! dit Michel, c’estsur le chemin de Souday.

Michel connaissait tous les chênes du cheminde Souday.

– Bien ! reprit la jeune fille ;nous serons cachés près de là. Vous ferez le signal : troisfois le cri du chat-huant, une fois le cri de la chouette, et nousvous rejoindrons. Allez donc, cher monsieur Michel !

Michel salua le marquis de Souday et les deuxjeunes filles ; puis, s’inclinant sur le cou de sa monture, ilpartit au galop.

C’était au reste, un excellent cavalier, etBertha fit remarquer qu’en tournant court à la porte cochère, ilavait fait faire à son cheval un très-habile changement depied.

– C’est incroyable combien il est facile defaire d’un rustre un homme comme il faut ! dit le marquis enrentrant au château. Il est vrai qu’il faut que les femmes s’enmêlent. Ce jeune homme est vraiment fort bien.

– Oui, répondit Jean Oullier, des hommes commeil faut ! on en fait tant qu’on en veut ; ce sont leshommes de cœur qui ne se font pas si facilement.

– Jean Oullier, répliqua Bertha, vous avezdéjà oublié ma recommandation ; prenez garde !

– Vous vous trompez, mademoiselle, réponditJean Oullier : c’est parce que je n’oublie rien, au contraire,que vous me voyez tant souffrir jusqu’à présent. J’avais pris pourun remords l’aversion que je porte à ce jeune homme ; mais, àpartir d’aujourd’hui, je commence à craindre que ce ne soit unpressentiment.

– Un remords, vous, Jean Oullier ?

– Ah ! vous avez entendu ?

– Oui.

– Eh bien, je ne m’en dédis pas.

– Qu’avez-vous donc à vous reprocher enverslui ?

– Rien envers lui, dit Jean Oullier d’une voixsombre ; mais envers son père…

– Envers son père ? dit Berthafrissonnant malgré elle.

– Oui, dit Jean Oullier, un jour, pour lui,j’ai changé de nom ; je ne me suis plus appelé JeanOullier.

– Et comment vous êtes-vous appelé ?

– Je me suis appelé le Châtiment.

– Pour son père ? répéta Bertha.

Puis, se rappelant tout ce qui s’était racontédans le pays à propos de la mort du baron Michel :

– Pour son père, trouvé mort, à une partie dechasse ! Ah ! qu’avez-vous dit, malheureux !

– Que le fils pourrait bien venger le père ennous rendant deuil pour deuil.

– Et pourquoi cela ?

– Parce que vous l’aimez follement.

– Après ?

– Et que je puis vous certifier une chose,moi…

– Laquelle ?

– C’est que, foi de Jean Oullier, il ne vousaime pas.

Bertha haussa les épaules avec dédain ;mais elle n’en avait pas moins reçu le trait en plein cœur.

Elle éprouva presque un sentiment de hainepour le vieux Vendéen.

– Occupez-vous donc de rassembler vos hommes,mon pauvre Jean Oullier, lui dit-elle.

– Je vous obéis, mademoiselle, répondit lechouan.

Et il s’avança vers la porte.

Bertha rentra sans jeter un regard surlui.

Mais, avant de quitter le château, JeanOullier appela le paysan qui tantôt était venu apporter lanouvelle.

– Avant les soldats, lui demanda-t-il,avais-tu vu entrer quelqu’un dans la maison des Picaut ?

– Chez Joseph ou chez Pascal ?

– Chez Pascal.

– Oui, maître Jean Oullier.

– Et ce quelqu’un, qui était-ce ?

– Le maire de la Logerie.

– Et tu dis qu’il est entré chez laPascal ?

– J’en suis sûr.

– Tu l’as vu ?

– Comme je vous vois.

– Et de quel côté s’est-il éloigné ?

– Par le sentier de Machecoul.

– Par où sont venus les soldats, un instantaprès, n’est-ce pas ?

– Justement ! Il ne s’est pas écoulé unquart d’heure entre le départ de l’un et la venue des autres.

– Bien ! fit Jean Oullier.

Puis, étendant son poing fermé dans ladirection de la Logerie :

– Courtin ! Courtin ! dit-il, tutentes Dieu. Mon chien hier tué par toi, cette trahisonaujourd’hui !… C’est trop pour ma patience !

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