Les Louves de Machecoul – Tome I

IX – Galon-d’or et Allégro

Comme Michel s’en était douté et surtoutl’avait craint, il avait été vigoureusement grondé par sa mère.

Celle-ci n’avait pas été la dupe du récit demaître Courtin ; la blessure que son fils avait à la têten’était point une égratignure faite par une épine.

Aussi, ignorant quel intérêt son fils pouvaitavoir à cacher la cause de cette blessure, convaincue que, même enl’interrogeant, elle n’arriverait pas à la vérité, elle secontentait de fixer de temps en temps les yeux sur cette plaiemystérieuse, en secouant la tête, en poussant un soupir et enridant son front maternel.

Le jeune homme, pendant tout le dîner, sesentit mal à son aise, baissant les yeux et mangeant à peine ;mais, il faut le dire, l’incessant examen de sa mère n’était pointla seule chose qui le troublât.

Entre ses paupières baissées et le regardmaternel, il voyait continuellement flotter comme deux ombres.

Ces deux ombres, c’était la double image deBertha et de Mary.

Michel pensait à Bertha avec une certaineimpatience, il faut l’avouer. Qu’était-ce donc que cette amazonequi maniait un fusil comme un chasseur de profession, qui bandaitles blessures comme un chirurgien, et qui, lorsqu’elle trouvait dela résistance dans le patient, lui tordait les poignets, avec sesmains blanches et féminines, comme eût pu le faire Jean Oullieravec ses mains viriles et calleuses ?

Mais aussi comme Mary était charmante, avecses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus ! comme savoix était douce et son accent persuasif ! avec quellelégèreté elle avait touché la plaie, lavé le sang, serré lebandage !

En vérité, Michel ne regrettait pas sablessure, lorsqu’il calculait que, sans cette blessure, il n’y eûteu aucune raison pour que les deux jeunes filles lui eussentadressé la parole et se fussent occupées de lui.

Il est vrai qu’il y avait une chose bienautrement grave que sa blessure : c’était la mauvaise humeurqu’elle avait causée à sa mère et les doutes qu’elle pouvait fairenaître dans l’esprit de celle-ci ; mais la colère de madame dela Logerie passerait ; et ce qui ne passerait pas, c’estl’impression qu’avaient laissée dans son cœur, à lui, ces quelquessecondes pendant lesquelles il avait tenu dans sa main la main deMary.

Aussi, comme tout cœur qui commence à aimer,mais qui doute encore de son amour, le plus grand besoinqu’éprouvât le jeune homme était celui de la solitude.

Il en résulta qu’aussitôt après le dîner,profitant du moment où la baronne causait avec un domestique, ils’éloigna sans entendre ce que lui disait sa mère, ou plutôt, sansse rendre compte des paroles qu’elle lui adressait.

Ces paroles avaient cependant leurimportance.

Madame de la Logerie défendait à son fils dediriger ses courses vers Saint-Christophe-du-Ligneron, où, d’aprèsle dire de son domestique, régnait une mauvaise fièvre.

Puis elle recommandait qu’un cordon sanitaires’organisât autour de la Logerie, afin qu’aucun habitant du villageinfesté ne fût reçu au château.

L’ordre devait s’exécuter à l’instant même, àl’endroit d’une jeune fille qui venait demander, pour son père,atteint d’une première attaque de fièvre, du secours à la baronnede la Logerie.

Sans doute, si Michel n’eût pas été sipréoccupé, eût-il fait quelque attention à ces paroles de samère ; car le malade, c’était son père nourricier, le métayerTinguy, et la ménagère qui venait réclamer secours, sa sœur delait, Rosine, pour laquelle il avait conservé une grandeaffection.

Mais, en ce moment, c’était du côté de Soudayque les yeux du jeune homme étaient tournés, et celle à laquelle ilpensait, c’était cette charmante louve ayant nom Mary.

Aussi fut-il bientôt perdu dans la partie laplus profonde et la plus épaisse du parc.

Il avait pris un livre en manière decontenance ; mais, quoiqu’il eût eu l’air de lire jusqu’à cequ’il eût gagné la lisière des grands arbres, quiconque lui eûtdemandé le titre de son livre l’eût bien embarrassé.

Il s’assit sur un banc et se mit àréfléchir.

À quoi réfléchissait Michel ?

La réponse est facile à faire.

Comment reverrait-il Mary et sasœur ?

Le hasard l’avait servi en les lui faisantrencontrer une première fois, mais six mois seulement après sonretour dans le pays.

Le hasard y avait donc mis le temps.

S’il allait plaire au hasard d’être six autresmois sans ménager au jeune baron une seconde rencontre avec sesvoisines, ce serait long pour l’état où était son cœur !

D’un autre côté, ouvrir des communicationsavec le château de Souday n’était pas chose commode.

Il n’existait pas une grande sympathie entrele marquis de Souday, émigré de 1790, et le baron Michel de laLogerie, noble de l’Empire.

D’ailleurs, Jean Oullier, dans le peu de motsqu’il avait dits au jeune homme, ne lui avait pas laissé entrevoirun bien grand désir de faire sa connaissance.

Restaient les jeunes filles, qui lui avaientmarqué cet intérêt, brusque chez Bertha, doux chez Mary ; maiscomment arriver aux jeunes filles, qui, si elles chassaient deux outrois fois par semaine, ne chassaient jamais qu’en la compagnie deleur père et de Jean Oullier ?

Michel se promettait de lire, les uns aprèsles autres, tous les romans qu’il trouverait dans la bibliothèquedu château, espérant découvrir dans l’un d’eux quelque ingénieuxmoyen qu’il commençait à craindre que son esprit, réduit à sespropres inspirations, ne lui fournît pas.

En ce moment, il sentit qu’on lui touchaitdoucement l’épaule ; il se retourna en tressaillant.

C’était maître Courtin.

La figure du digne métayer exprimait unesatisfaction qu’il ne se donnait pas la peine de dissimuler.

– Pardon, excuse, monsieur Michel, dit lemétayer ; mais, en ne vous voyant pas plus bouger qu’unesouche, j’ai cru que c’était votre statue et non pas vous.

– Et tu vois que c’est moi, Courtin.

– J’en suis bien aise, monsieur Michel.J’étais inquiet de savoir comment cela s’était passé entre vous etmadame la baronne.

– Elle a un peu grondé.

– Oh ! je m’en doute bien. Est-ce quevous lui avez parlé du lièvre ?

– Je m’en suis bien gardé !

– Et des louves ?

– Quelles louves ? demanda le jeunehomme, qui n’était pas fâché de ramener la conversation sur cepoint.

– Les louves de Machecoul… Il me semblait vousavoir dit que c’était ainsi que l’on nommait les demoiselles deSouday.

– Encore moins que du lièvre, tu comprendsbien, Courtin ! Je crois que les chiens de Souday et ceux dela Logerie, comme on dit, ne chassent pas ensemble.

– Dans tous les cas, reprit Courtin, avec cetair narquois que, malgré ses efforts, il n’était pas toujoursmaître de dissimuler, si vos chiens ne chassent pas ensemble, vouspourrez chasser, vous, avec leurs chiens.

– Que veux-tu dire ?

– Regardez, fit Courtin en tirant à soi et enfaisant en quelque sorte entrer en scène deux chiens courantscouplés et qu’il tenait en laisse.

– Qu’est-ce que cela ? demanda le jeunebaron.

– Qu’est-ce que cela ? Galon-d’or etAllégro, donc !

– Mais je ne sais pas ce que c’est queGalon-d’or et Allégro.

– Ce sont les chiens de ce bandit de JeanOullier.

– Pourquoi lui as-tu pris seschiens ?

– Je ne les lui ai pas pris ; je les luiai mis tout simplement en fourrière.

– Et de quel droit ?

– De deux droits : d’abord commepropriétaire, et ensuite comme maire.

Courtin était maire au village de la Logerie,qui se composait d’une vingtaine de maisons, et il était très fierde ce titre.

– Veux-tu m’expliquer tes droits,Courtin ?

– Eh bien, d’abord, monsieur Michel, commemaire, je les confisque parce qu’ils chassent en temps prohibé.

– Je ne croyais pas qu’il y eût de tempsprohibé pour chasser le loup, et, comme M. de Souday estlouvetier…

– Très bien ! s’il est louvetier, qu’ilchasse ses loups dans la forêt de Machecoul, et non dans laplaine ; d’ailleurs, vous avez bien vu, ajouta avec sonsourire matois maître Courtin, vous avez bien vu que ce n’était pasun loup qu’ils chassaient, puisque c’était un lièvre, et que même,ce lièvre, c’est une des louves qui l’a tué.

Le jeune homme fut sur le point de dire àCourtin que ce nom de louves, appliqué aux demoiselles deSouday, lui était désagréable, et qu’il le priait de ne plus s’enservir désormais ; mais il n’osa formuler sa prière d’unefaçon aussi nette.

– C’est Mlle Bertha qui l’a tué,Courtin, dit-il ; mais c’est moi qui l’avais tiré et blesséd’abord ; c’est donc moi qui suis le coupable.

– Bon, bon, bon ! comment entendez-vouscela ? L’auriez-vous tiré si les chiens ne l’avaient paschassé ? Non. C’est donc la faute des chiens si vous l’aveztiré, et si mademoiselle Bertha l’a tué ; c’est donc leschiens que je punis, comme maire, d’avoir, sous prétexte de courrele loup, chassé un lièvre en temps prohibé. Mais ce n’est pas letout ; après les avoir punis comme maire, je les repunis commepropriétaire. Est-ce que je leur ai donné permis de chasse sur mesterres, aux chiens de M. le marquis ?

– Sur tes terres, Courtin ? dit en riantMichel. Il me semble que tu te trompes, et que c’était sur lesmiennes, ou plutôt sur celles de ma mère, qu’ils chassaient.

– C’est tout un, monsieur le baron, puisque,vos terres, je les afferme. Or, vous savez, nous ne sommes plus en1789, où les seigneurs avaient le droit de passer avec leurs meutesà travers les moissons du paysan et de tout coucher à terre sansrien payer ; non, non, non ! aujourd’hui, nous sommes en1832, monsieur Michel : chacun est maître chez soi, et legibier est à celui qui le nourrit. Donc, le lièvre chassé par leschiens de M. le marquis est à moi, puisqu’il mange le blé que j’aisemé sur les terres de madame Michel, et c’est moi qui dois mangerle lièvre blessé par vous et tué par la louve.

Michel fit un mouvement que Courtin surprit ducoin de l’œil ; cependant, il n’osa point manifester sonmécontentement.

– Il y a une chose qui m’étonne, dit le jeunehomme ; c’est que ces chiens, qui tirent si fort sur leurcorde et qui paraissent te suivre avec tant de répugnance, sesoient laissé rejoindre par toi.

– Oh ! dit Courtin, je n’ai pas eu depeine à cela. Quand je suis revenu de vous lever l’échalier, à vouset à madame la baronne, j’ai trouvé ces messieurs à table.

– À table ?

– Oui, à table dans la haie, où j’avais cachéle lièvre ; ils l’avaient trouvé, et ils dînaient. Il paraîtqu’ils ne sont pas chèrement nourris au château de Souday et qu’ilschassent pour leur compte. Tenez, voyez l’état où ils l’ont mis,mon lièvre.

Et, en disant ces mots, Courtin tira de lavaste poche de sa veste le train de derrière de l’animal faisant lapièce principale du délit.

La tête et le train de devant avaientcomplètement disparu.

– Et quand on pense, ajouta Courtin, qu’ilsont fait ce beau coup-là le temps d’aller vous reconduire.Ah ! il faudra que vous nous en fassiez tuer quelques-uns, mesdrôles, pour me faire oublier celui-là !

– Courtin, laisse-moi te dire une chose, fitle jeune baron.

– Oh ! dites, ne vous gênez pas, monsieurMichel.

– C’est que, comme maire, tu dois doublementrespecter la légalité.

– La légalité, je la porte dans mon cœur.Liberté ! ordre public ! Est-ce que vous n’avez pas vuque ces trois mots-là sont écrits sur la façade de la mairie,monsieur Michel ?

– Eh bien, raison de plus pour que je te diseque ce que tu fais là n’est pas légal et porte atteinte à laliberté et à l’ordre public.

– Comment ! dit Courtin, les chiens deslouves ne troublent pas l’ordre public en chassant sur mesterres en temps prohibé, et je ne suis pas libre de les mettre enfourrière ?

– Ils ne troublent pas l’ordre public,Courtin : ils blessent des intérêts privés ; et tu as ledroit, non pas de les mettre en fourrière, mais de leur faire unprocès-verbal.

– Ah ! c’est bien long, tout cela, et,s’il faut laisser chasser les chiens et se contenter de leur fairedes procès-verbaux, alors ce ne sont plus les hommes qui sontlibres, ce sont les chiens.

– Courtin, dit le jeune homme avec cettepetite pointe de morgue dont est toujours plus ou moins atteintl’homme qui a feuilleté un code, tu commets l’erreur que commettentbeaucoup de gens : tu confonds la liberté avecl’indépendance : l’indépendance est la liberté des hommes quine sont pas libres, mon ami.

– Mais qu’est-ce donc que la liberté, monsieurMichel ?

– La liberté, mon cher Courtin, c’estl’abandon que chacun fait, au profit de tous, de son indépendancepersonnelle. C’est dans le fonds général d’indépendance qu’unpeuple entier ou chaque citoyen puise la liberté ; nous sommeslibres et non indépendants, Courtin.

– Oh ! moi, dit Courtin, je ne connaispas tout cela. Je suis maire et propriétaire ; je tiens lesdeux meilleurs chiens de la meute du marquis, Galon-d’or etAllégro, je ne les lâche pas. Qu’il vienne les chercher, et je luidemanderai, moi, ce qu’il va faire aux réunions de Torfou et deMontaigu.

– Que veux-tu dire ?

– Oh ! je m’entends.

– Oui, mais, moi, je ne t’entends pas.

– Il n’y a pas besoin que vous m’entendiez,vous ; vous n’êtes pas maire.

– Oui ; mais je suis habitant du pays, etj’ai intérêt à savoir ce qui s’y passe.

– Oh ! ce qui s’y passe, ça n’est pasdifficile à voir ; il s’y passe que les messieurs se remettentà conspirer.

– Les messieurs ?

– Eh ! oui, les nobles ! ces… Je metais, quoique vous ne soyez pas de cette noblesse-là, vous.

Michel rougit jusqu’au blanc des yeux.

– Tu dis que les nobles conspirent,Courtin ?

– Et pourquoi donc qu’ils feraient comme celades assemblées, la nuit ? Qu’ils se réunissent, le jour, pourboire et manger, ces fainéants, très-bien, c’est permis, etl’autorité n’a rien à y voir ; mais, quand on se réunit lanuit, ce n’est pas dans de bonnes intentions. En tout cas, qu’ilsse tiennent bien ! J’ai l’œil sur eux, moi. Je suis maire, et,si je n’ai pas le droit de tenir les chiens en fourrière, j’aicelui d’envoyer les hommes en prison ; je connais le Code àcet endroit-là.

– Et tu dis que M. de Souday fréquente cesassemblées ?

– Ah bien, ce serait bon qu’il ne lesfréquentât point, un vieux chouan, un ancien aide de camp deCharette ! Qu’il vienne réclamer ses chiens, oui, qu’il yvienne, et je l’envoie à Nantes, lui et ses louves ! ellesexpliqueront ce qu’elles font à courir les bois, comme la choseleur arrive, la nuit.

– Mais, dit Michel avec une vivacité àlaquelle il n’y avait point à se tromper, tu m’as dit toi-même,Courtin, que, si elles couraient les bois la nuit, c’était pourporter secours aux pauvres malades.

Courtin recula d’un pas, et, montrant avec sonsourire habituel son jeune maître du doigt :

– Ah ! je vous y prends, vous !dit-il.

– Moi ! fit le jeune hommerougissant ; et à quoi me prends-tu ?

– Elles vous tiennent au cœur.

– À moi ?

– Oui, oui, oui… Ah ! je ne vous donnepas tort, au contraire ; quoique ce soient desdemoiselles, ce n’est pas moi qui dirai qu’elles ne sontpas jolies. Allons, ne rougissez pas comme vous faites ; vousne sortez pas du séminaire ; vous n’êtes ni prêtre, ni diacre,ni vicaire : vous êtes un beau garçon de vingt ans. Allez del’avant, monsieur Michel ; elles seraient bien dégoûtées sielles ne vous trouvaient pas de leur goût, quand vous les trouvezdu vôtre.

– Mais, mon cher Courtin, dit Michel, ensupposant que tu dises vrai, ce qui n’est pas, est-ce que je lesconnais ? est-ce que je connais le marquis ? est-ce qu’ilsuffit d’avoir rencontré deux jeunes filles à cheval pour seprésenter chez elles ?

– Ah ! oui, je comprends, fit Courtind’un air railleur ; ça n’a pas le sou, mais ça a de grandesmanières. Il faudrait une occasion, un motif, un prétexte.Cherchez, monsieur Michel, cherchez ! vous êtes un savant,vous parlez le latin et le grec, vous avez étudié le Code, vousdevez trouver cela.

Michel secoua la tête.

– Bon ! dit Courtin, vous avez cherché etvous n’avez pas trouvé.

– Je ne dis pas cela, fit vivement le jeunebaron.

– Ah ! oui ; mais je le dis, moi… Onn’est pas encore si vieux à quarante ans, qu’on ne se souvienne dutemps où l’on en avait vingt…

Michel se tut et resta la tête baissée ;il sentait l’œil du paysan qui pesait sur lui.

– Ainsi, vous n’avez pas trouvé lemoyen ?… Eh bien, je l’ai trouvé, moi.

– Toi ?… s’écria vivement le jeune hommeen relevant la tête.

Puis, comprenant qu’il venait de laisseréchapper sa plus secrète pensée :

– Mais où diable as-tu vu que je voulais allerau château ? dit-il en haussant les épaules.

– Et le moyen, continua Courtin comme si sonmaître n’avait pas essayé de nier ; le moyen, le voici…

Michel affectait la distraction del’indifférence, mais écoutait de toutes ses oreilles.

– Vous dites au père Courtin :« Père Courtin, vous vous trompez sur vos droits ; nicomme maire, ni comme propriétaire, vous n’avez droit de mettre leschiens du marquis de Souday en fourrière ; vous avez droit àune indemnité ; mais cette indemnité, nous la réglerons de gréà gré. » Ce à quoi le père Courtin répond :« Oh ! avec vous, monsieur Michel, je ne comptepas ; nous connaissons votre générosité. » Sur quoi, vousajoutez : « Courtin, tu vas donc me remettre leschiens ; le reste me regarde. » Je vous dis :« Voilà les chiens, monsieur Michel. Quant à l’indemnité,dame, avec un ou deux jaunets, on en verra le jeu ; on ne veutpas la mort du pécheur. » Alors, vous comprenez, vous écrivezun petit billet au marquis. Vous avez rallié ses chiens, et vousles lui renvoyez, de peur qu’il n’en soit inquiet, par Rousseau oupar la Belette ; alors, il ne peut pas se dispenser de vousremercier et de vous inviter à l’aller voir… À moins que, pour plusde sûreté encore, vous ne les lui reconduisiez vous-même.

– C’est bien, c’est bien, Courtin, dit lejeune baron. Laisse-moi les chiens ; je les renverrai aumarquis, non point pour qu’il m’invite à aller au château, car iln’y a pas un mot de vrai dans tout ce que tu supposes, mais parceque, entre voisins on se doit de bons procédés.

– Alors, prenons que je n’ai rien dit… Mais,c’est égal, cela fait deux jolis brins de filles que lesdemoiselles de Souday ! Et, quant à l’indemnité…

– Tiens, dit le jeune baron en souriant, c’esttrop juste, voilà pour le tort que les chiens t’ont fait en passantsur mes terres et en mangeant la moitié du lièvre que Bertha avaittué.

Et il donna au métayer ce qu’il avait dans sabourse, c’est-à-dire trois ou quatre louis.

Et c’était bien heureux qu’il n’eût pasdavantage ; car le jeune homme était si enchanté d’avoir enfinle moyen de s’introduire au château de Souday, qu’il eût donné aumétayer dix fois la somme, si cette somme décuple se fût trouvéedans sa poche.

Courtin jeta un coup d’œil appréciateur surles quelques louis qu’il venait de recevoir à titred’indemnité, et, mettant la laisse aux mains du jeunebaron, il s’éloigna.

Mais, au bout de quelques pas, se retournantet revenant à son maître :

– N’importe, monsieur Michel, dit-il, ne vousliez pas trop avec tous ces gens-là. Vous savez ce que je vous airaconté des messieurs à Torfou et à Montaigu ; c’est moi quivous le dis, monsieur Michel, avant quinze jours, il y aura dugrabuge.

Et, cette fois, il s’éloigna pour tout de bon,chantonnant la Parisienne, pour les paroles et l’air delaquelle il avait une véritable prédilection.

Le jeune homme resta seul avec les deuxchiens.

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