Les Louves de Machecoul – Tome I

XLI – La perquisition

En ce moment, on heurta à une trappe quicommuniquait avec le grenier.

– Qu’avez-vous donc ? demanda la voix deBonneville.

Il avait entendu quelques mots de ce quevenait de dire la veuve, et il s’inquiétait.

– Rien, rien, répliqua la jeune paysanne enserrant la main de son hôtesse avec une énergie affectueuse et quitémoignait de l’impression que les paroles de celle-ci avaientproduite sur elle.

Puis, donnant un autre accent à savoix :

– Et vous ?…, demanda-t-elle en montant,pour converser plus aisément, les premiers degrés d’une échelle quiconduisait du plancher à la trappe.

La trappe se souleva et la figure souriante dujeune homme apparut.

– Comment vous trouvez-vous ? acheva lapaysanne.

– Tout prêt à recommencer si votre servicel’exige, répondit-il.

La paysanne lui envoya un remerciement dans unsourire.

– Mais qui donc est venu tout à l’heure ?demanda Bonneville.

– Un paysan nommé Courtin, que je ne crois pasprécisément de nos amis.

– Ah ! ah ! le maire de laLogerie ?

– C’est cela.

– Oui, continua Bonneville, Michel m’en aparlé : c’est un homme dangereux. Vous auriez dû le fairesuivre.

– Par qui ? Nous n’avons personne.

– Mais par le beau-frère de notre hôtesse.

– Vous avez vu la répugnance que notre braveOullier avait contre lui.

– Et cependant, c’est un blanc, s’écria laveuve, c’est un blanc, ce frère qui a laissé égorger sonfrère !

La paysanne et Bonneville firent tous deux unmouvement d’horreur.

– Alors, nous ferons très-bien de ne pas lemêler à nos affaires, dit Bonneville ; il y porteraitmalheur ! Mais n’avez-vous personne, ma chère dame, que l’onpuisse mettre en sentinelle dans les environs ?

– Jean Oullier y a pourvu, répondit laveuve ; et moi, de mon côté, j’ai envoyé mon neveu sur lalande de Saint-Pierre, d’où l’on découvre tous les environs.

– C’est un enfant, hasarda la paysanne.

– Plus sûr que certains hommes, dit laveuve.

– Du reste, reprit Bonneville, nous n’avonsplus bien longtemps à attendre : dans trois heures, il feranuit ; dans trois heures, nous aurons des chevaux et nos amisseront là.

– Trois heures, dit la paysanne, qui, depuisles paroles de la veuve, semblait en proie à une tristepréoccupation. En trois heures, il peut se passer bien des choses,mon pauvre Bonneville !

– Qui vient en courant ? s’écria la femmePicaut en se précipitant de la fenêtre vers la porte qu’elleouvrit. C’est toi, petit ?

– Oui, tante, oui, répondit l’enfant toutessoufflé.

– Qu’y a-t-il donc ?

– Tante ! tante ! s’écria l’enfant,les soldats ! les soldats ! ils arrivent là-bas. Ils ontsurpris et tué l’homme qui faisait le guet.

– Les soldats ? les soldats ? dit,en rentrant dans sa chaumière, Joseph Picaut, qui, de sa porte,avait entendu le cri de son petit garçon.

– Qu’allons-nous faire ? demandaBonneville.

– Les attendre, dit la jeune paysanne.

– Pourquoi ne pas essayer de fuir ?

– Si c’est l’homme de tout à l’heure qui lesamène ou qui les a prévenus, ils doivent avoir cerné la maison.

– Qui parle de fuir ? demanda la veuvePicaut. N’ai-je pas dit que cette maison était sûre ? n’ai-jepas juré que, tant que vous seriez chez moi, il ne vous arriveraitpoint malheur ?

Ici, la scène se compliqua d’un nouveaupersonnage.

Pensant probablement que c’était pour lui queles soldats venaient, Joseph Picaut parut sur le seuil.

La maison de sa sœur, bien connue comme bleue,lui paraissait sans doute un asile.

Mais, en apercevant les deux hôtes de sabelle-sœur, il recula de surprise.

– Ah ! vous avez ici desgentilshommes ? dit-il. Je ne m’étonne plus si voilà lessoldats qui arrivent : vous avez vendu vos hôtes !

– Misérable ! lui répondit Marianne ensaisissant le sabre de son mari accroché à la cheminée, et ens’élançant sur Joseph, qui la coucha en joue.

Bonneville sauta à bas de l’échelle ;mais déjà la jeune paysanne s’était jetée entre le frère et lasœur, couvrant la veuve de son corps.

– Abaisse ton arme ! cria-t-elle auVendéen avec un accent qui ne semblait pas sortir de ce corps sifrêle et si délicat, tant il était mâle et énergique ; abaisseton arme ! au nom du roi, je te l’ordonne !

– Mais qui êtes-vous pour me parlerainsi ? demanda Joseph Picaut, toujours prêt à se révoltercontre toute autorité.

– Je suis celle que l’on attendait, je suiscelle qui commande.

À ces mots, dits avec une suprême majesté,Joseph Picaut, tout interdit et comme frappé de stupeur, laissatomber son fusil.

– Maintenant, continua la jeune paysanne, tuvas monter là-haut avec monsieur.

– Et vous ? demanda Bonneville.

– Moi, je reste ici.

– Mais…

– Nous n’avons pas le temps de discuter.Allez ! mais allez donc !

Les deux hommes montèrent et la trappe sereferma derrière eux.

– Que faites-vous donc ? demanda lapaysanne à la veuve Picaut, qu’elle regardait avec surprisedéranger le lit sur lequel était couché son mari, et le tirer aumilieu de la chambre.

– Je vous prépare un asile où personne n’iravous chercher.

– Mais je ne veux pas me cacher, moi. Sous cethabit, ils ne me reconnaîtront pas ; je veux les attendre.

– Et moi, je ne veux pas que vous lesattendiez, dit la femme Picaut avec un accent tellement énergique,qu’il domina son interlocutrice. Vous avez entendu ce qu’a dit cethomme : si vous étiez découverte chez moi, on penserait que jevous ai vendue, et il ne me plaît pas de courir cette chance qu’onvous découvre.

– Vous, mon ennemie.

– Oui, votre ennemie, mais qui se coucheraitsur ce lit pour mourir près de celui qui y est déjà, si elle vousvoyait prisonnière.

Il n’y avait pas à répliquer.

La veuve de Pascal Picaut souleva le matelassur lequel le cadavre était étendu et y cacha d’abord les habits,la chemise et les souliers qui avaient si fort éveillé la curiositéde Courtin ; puis, entre le matelas et la paillasse, elleindiqua une place à la jeune paysanne, qui s’y glissa sansrésistance, tout en se ménageant une ouverture pour pouvoirrespirer du côté de la ruelle.

Puis le lit fut remis à sa place.

La maîtresse Picaut achevait à peined’inspecter du regard tous les coins de la chambre et de s’assurerque rien n’avait été oublié qui pût compromettre ses hôtes, qu’elleentendit le cliquetis des armes et que la silhouette d’un officierse dessina devant les carreaux.

– C’est bien ici ? dit l’officiers’adressant à un de ses camarades qui marchait derrière lui.

– Que voulez-vous ? fit la veuve enouvrant la porte.

– Vous avez des étrangers ici ; nousvoulons les voir, répondit l’officier.

– Ah çà ! vous ne me reconnaissez doncpas ? interrompit Marianne Picaut évitant de répondredirectement à la question qui lui était faite.

– Si, pardieu ! je vous reconnais :vous êtes la femme qui nous a servi de guide cette nuit.

– Eh bien, alors, si, cette nuit, je vous aimenés à la recherche des ennemis du gouvernement, il n’y a pasd’apparence que j’en cache aujourd’hui chez moi.

– Dame ! c’est assez logique, capitaine,ce qu’elle dit, fit le second officier.

– Bah ! est-ce qu’on peut se fier à cesgens-là ? Ils sont tous brigands dès la mamelle, repartit lelieutenant. N’avez-vous pas vu ce petit bonhomme, un mioche de dixans, qui, malgré nos menaces, a descendu la lande en courant ?C’était leur sentinelle ; il les a avertis. Par bonheur, commeils n’ont pas eu le temps de fuir, ils doivent être cachés quelquepart.

– C’est possible, au fait.

– Allons donc, c’est sûr.

Puis, se tournant vers la veuve :

– Voyons, dit l’officier, il ne vous sera faitaucun mal, mais on va fouiller votre maison.

– Faites, répondit-elle avec le plus grandsang-froid.

Et, s’asseyant au coin de la cheminée, elleprit la quenouille et le fuseau qu’elle avait laissés sur la chaiseet se mit à filer.

Le lieutenant fit un signe de la main à cinqou six soldats qui entrèrent ; puis, après avoir promené unregard tout autour de la chambre, il alla droit au lit.

La veuve devint plus pâle que le lin quichargeait sa quenouille ; ses yeux flamboyèrent ; lefuseau s’échappa de ses doigts.

L’officier regarda sous le lit, puis dans laruelle, puis étendit la main comme pour soulever le drap quirecouvrait le cadavre.

La veuve de Pascal n’en put supporterdavantage.

Elle se leva, bondit vers l’angle de lachambre où était déposé le fusil de son mari, l’arma résolûment,et, menaçant l’officier :

– Si vous portez la main sur ce cadavre,dit-elle, aussi vrai que je suis une honnête femme, je vous tuecomme un chien.

Le second lieutenant tira son camarade par lebras.

La femme Picaut, sans quitter son arme, serapprocha du lit, et, pour la seconde fois, elle enleva le linceulqui couvrait le corps.

– Et, maintenant, voyez !… dit-elle. Cethomme, qui était mon mari, est mort hier, à votre service.

– Ah ! notre premier guide, celui du guéde Pont-Farcy ! fit le lieutenant.

– Pauvre femme ! dit son compagnon,laissons-la tranquille ; c’est une pitié que de la tourmenterencore dans l’état où elle est.

– Cependant, reprit le premier, la déclarationde l’homme que nous avons rencontré était précise etcatégorique…

– Nous avons eu tort de ne pas le forcer denous suivre.

– Avez-vous d’autres pièces quecelle-ci ?

– J’ai le grenier au-dessus d’ici et l’étableà côté.

– Fouillez le grenier et l’étable ; mais,auparavant, ouvrez les bahuts et visitez le four.

Les soldats se répandirent dans la maison pourexécuter l’ordre du chef.

Du terrible asile où elle était blottie, lajeune paysanne ne perdait pas un détail de la conversation, elleentendait le pas des soldats qui gravissaient l’échelle, et ellefrémit plus vivement encore à ce bruit qu’elle ne l’avait faitquand les soldats s’étaient approchés du lit mortuaire qui larecélait ; car elle pensait avec terreur que la cachette duVendéen et de Bonneville était bien loin d’être aussi sûre que lasienne.

Aussi, lorsqu’elle entendit redescendre ceuxqui avaient été chargés d’explorer le grenier, sans qu’aucun cri,aucun choc, aucune lutte eût indiqué la découverte des deux hommes,son cœur fut soulagé d’un poids énorme.

Le premier lieutenant attendait dans lachambre d’en bas, adossé à la huche.

Le second avait dirigé les recherches de huitou dix soldats dans l’étable.

– Eh bien, demanda le premier lieutenant,n’avez-vous rien trouvé ?

– Non, répondit un caporal.

– Avez-vous au moins remué la paille, le foinet tout le tremblement ?

– Nous avons sondé partout avec nosbaïonnettes ; s’il y avait eu un homme quelque part, il estimpossible qu’il n’en eût pas senti la pointe.

– Soit ; visitons l’autre maison ;il faut bien qu’ils soient quelque part.

Les hommes sortirent de la chambre ;l’officier les suivit.

Tandis que les soldats continuaient leurexploration, le lieutenant se tenait appuyé contre la murailleextérieure, et regardait, d’un air soupçonneux, un petit appentisqu’il se proposait de faire visiter à son tour.

En ce moment, un morceau de plâtre à peinegros comme la moitié du petit doigt tomba aux pieds dulieutenant.

L’officier releva vivement la tête, et il luisemblait avoir vu une main disparaître entre deux des chevrons dutoit.

– À moi ! s’écria-t-il d’une voix detonnerre.

Tous les soldats accoururent.

– Vous êtes de jolis cadets ! et vousavez bien fait votre métier ! leur dit-il.

– Que se passe-t-il donc, lieutenant ?demandèrent les soldats.

– Il se passe que ces hommes sont là-haut,dans le grenier que vous prétendez avoir visité. Qu’on ne laissepas un fétu de paille sans le retourner. Allons, alerte !

Les soldats rentrèrent chez la veuve.

Ils allèrent droit à la trappe et cherchèrentà la soulever ; mais, cette fois, elle résista : elleavait été assujettie en dedans.

– À la bonne heure ! voilà que la chosese dessine ! cria l’officier en mettant lui-même le pied surle premier échelon. Allons, continua-t-il en élevant la voix,sortez de votre tanière, ou nous irons vous y chercher.

On entendit alors un colloque assez vif dansle grenier.

Il était évident que les assiégés n’étaientpoint d’accord sur la marche à suivre.

En effet, voici ce qui s’était passé.

Bonneville et son compagnon, au lieu de secacher dans l’endroit où le foin était le plus épais, et qui devaittout d’abord attirer l’attention des soldats, s’étaient glisséssous une couche qui n’avait pas plus de deux pieds de hauteur etqui se trouvait tout près de la trappe.

Ce qu’ils avaient espéré était arrivé :les soldats leur marchèrent presque sur le dos, sondèrent les tasde foin les plus élevés, remuèrent les bottes de paille à l’endroitoù elles avaient été amoncelées en plus grand nombre ; maisils négligèrent de regarder tout ce qui, comparativement au restedu grenier, ne leur paraissait pas avoir plus d’épaisseur qu’untapis.

Nous avons vu qu’ils s’étaient retirés sansavoir trouvé ceux qu’ils cherchaient.

De leur cachette, l’oreille collée auplancher, qui était mince, Bonneville et le Vendéen entendaientdistinctement tout ce qui se disait à l’étage inférieur.

En entendant que l’officier donnait l’ordre devisiter sa maison, Joseph Picaut conçut une vive inquiétude ;il avait chez lui un dépôt de poudre dont la possession lui étaitfort désagréable en ce moment.

Malgré les représentations de son compagnon,il quitta son asile pour aller observer les soldats, qu’il commençade regarder à travers les interstices que les poutres laissaiententre le toit et la muraille.

C’est ainsi qu’il avait fait tomber un atomede maçonnerie sur l’officier ; c’est ainsi qu’il avait éveillél’attention de celui-ci ; c’est ainsi que le lieutenant avaitvu disparaître la main sur laquelle Joseph Picaut s’appuyait pourregarder dans la cour.

Lorsqu’il entendit retentir la voix del’officier, lorsqu’il comprit que lui et son compagnon étaientdécouverts, Bonneville sauta sur la trappe et l’assujettit, tout enreprochant amèrement au Vendéen l’imprudence qui les perdait.

C’étaient ces reproches dont on avait entendule murmure de la chambre de la veuve.

Mais, enfin, puisqu’ils étaient reconnus, lesreproches étaient inutiles ; il fallait prendre un parti.

– Vous avez dû les apercevoir, au moins ?demanda Bonneville à Joseph Picaut.

– Oui.

– Combien sont-ils ?

– Une trentaine, à ce qu’il m’a semblé.

– Alors, toute résistance serait unefolie ; d’ailleurs, ils n’ont pas découvert Madame, et notrearrestation, en les entraînant loin d’ici, complétera l’œuvre desalut que votre brave belle-sœur a si bien commencée.

– De sorte que votre avis, à vous… ?demanda Picaut.

– Est de nous rendre.

– Nous rendre ? s’écria le Vendéen.Jamais !

– Comment ! jamais ?

– Oui, je comprends que vous y pensiez,vous : vous êtes noble, vous êtes riche ; on vous mettradans une bonne prison où vous aurez toutes vos aises ; mais,moi, on me renverra au bagne, où j’ai déjà passé quatorzeans ! Non, non, j’aime mieux un lit de terre que le lit duforçat, la fosse que le cabanon.

– Si une lutte ne compromettait que nous,répliqua Bonneville, je vous jure que je partagerais votre sort, etque, comme vous, ils ne m’auraient pas vivant ; mais c’est lamère de notre roi que nous avons à sauver, et ce n’est le moment deconsulter ni nos goûts ni nos intérêts.

– Tuons-en le plus possible, aucontraire ! ce sera autant d’ennemis de moins pour Henri V.Jamais je ne me rendrai, je vous le répète, continua le Vendéen enposant son pied sur la trappe, que Bonneville avait fait mine derouvrir.

– Oh ! dit le comte en fronçant lesourcil, vous allez m’obéir et sans répliquer, n’est-cepas ?

Picaut éclata de rire.

Mais, au milieu de sa menaçante gaieté, uncoup de poing de Bonneville l’envoya rouler au bout du grenier.

Il tomba et laissa échapper son fusil.

Mais, en tombant, il s’était trouvé vis-à-visd’une lucarne fermée par un volet plein.

Alors, une idée subite avait illuminé sonesprit : c’était de laisser le jeune homme se rendre et deprofiter de cette diversion pour fuir.

En effet, il parut se rendre à l’ordre deBonneville ; mais, tandis que celui-ci dégageait la trappe,d’un coup de doigt, il fit sauter le crochet qui fermait lalucarne, ramassa son fusil, et, au moment où le comte, ayant ouvertla trappe, descendait les premiers échelons en criant :« Ne tirez pas ! nous nous rendons ! » leVendéen se pencha, fit feu par l’ouverture sur le groupe desoldats, se retourna, s’élança d’un bond prodigieux de la lucarnedans le jardin, d’où, après avoir essuyé le feu de deux ou troissoldats placés en sentinelle, il s’enfuit vers la forêt.

Au coup parti du grenier, un soldat étaittombé grièvement blessé ; mais, en même temps, dix fusilss’étaient abaissés sur Bonneville, et, avant que la maîtresse dulogis, qui se précipitait pour lui faire un rempart de son corps,fût arrivée au niveau de la trappe, le malheureux jeune homme,frappé de sept à huit balles, roulait des échelons, et venaits’abattre aux pieds de la veuve en s’écriant :

– Vive Henri V !

À ce cri suprême de Bonneville, un autre cride douleur et de désespoir répondit.

Le tumulte qui suivit l’explosion empêcha lessoldats de remarquer que ce cri venait précisément du lit où PascalPicaut reposait, et qu’il semblait sortir de la poitrine de cecadavre, seul majestueusement calme et impassible au milieu decette terrible scène.

Les soldats s’étaient élancés dans le grenier,afin de s’emparer du meurtrier, ignorant qu’il s’était échappé parla fenêtre.

Le lieutenant, au travers de la fumée, aperçutla veuve qui s’était agenouillée et qui pressait contre sa poitrinela tête de Bonneville, qu’elle avait soulevée.

– Est-il mort ? demanda-t-il.

– Oui, répondit Marianne d’une voix étrangléepar l’émotion.

– Mais, vous-même, vous êtesblessée !

Et, en effet, de larges gouttes de sangtombaient, vives et pressées, du front de la veuve Pascal sur lapoitrine de Bonneville.

– Moi ? demanda-t-elle.

– Oui ; votre sang coule.

– Qu’importe mon sang, répondit la veuve,quand il n’en reste plus une goutte dans le corps de celui pourlequel je n’ai pas su mourir comme j’avais juré de lefaire !

En ce moment, un soldat parut à la trappe.

– Lieutenant, dit-il, l’autre s’est enfui parle grenier ; on a tiré dessus et on l’a manqué.

– C’est l’autre qu’il nous faut ! cria lelieutenant, prenant naturellement celui qui s’était sauvé pourPetit-Pierre ; à moins qu’il ne retrouve un autre guide, nousaurons aisément celui-là. Allons sus ! à sapoursuite !

Puis, réfléchissant.

– Mais, auparavant, bonne femme,continua-t-il, dérangez-vous. Vous autres, fouillez le mort.

L’ordre fut exécuté ; mais on ne trouvarien dans les poches de Bonneville, par la raison qu’il avait leshabits de Pascal Picaut, que la veuve lui avait donnés pour laissersécher les siens.

– Et, maintenant, reprit la femme Picautlorsque l’ordre du lieutenant fût accompli, est-il bien àmoi ?

Et elle étendit la main vers le corps du jeunehomme.

– Oui ; faites-en ce que vousvoudrez ; mais en même temps rendez grâce à Dieu qu’il vousait permis de nous être utile hier au soir ; car, sans cela,je vous aurais envoyée à Nantes, où l’on vous aurait appris cequ’il en coûte pour donner asile aux rebelles.

En achevant ces mots, le lieutenant rassemblasa troupe et s’éloigna dans la direction que ses soldats avaient vuprendre au fuyard.

Aussitôt qu’ils se furent éloignés, la veuvecourut au lit, et, soulevant le matelas, elle en tira la princesseévanouie.

Dix minutes après, le corps de Bonnevilleavait été déposé à côté de celui de Pascal Picaut, et les deuxfemmes, la prétendue régente et l’humble paysanne, agenouilléestoutes deux au pied du lit, priaient ensemble pour ces deuxpremières victimes de l’insurrection de 1832.

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