Les Pirates de l’Arizona

Chapitre 12Du singulier voyage que fit le général de Villiers et de sonprofond ébahissement

 

Les cinq hommes se mirent à table.

Don José et don Estevan étaient de retour.

Comme toujours la table était admirablementservie.

Don Agostin en faisait les honneurs avec sacourtoisie habituelle.

Le général de Villiers échangea un regardd’intelligence avec le docteur Guérin ; il était stupéfait ducalme du vieillard et de ses fils.

Les trois hommes avaient, comme parenchantement, retrouvé leur imperturbable sang-froid et toute leurprésence d’esprit : ils avaient le regard clair, le souriresur les lèvres, et causaient avec leur entrain accoutumé.

Certes, toute personne arrivant à l’improvisteprendre place à cette table n’aurait jamais soupçonné qu’unépouvantable malheur s’était, quelques heures auparavant, abattusur cette famille et l’avait plongée dans le désespoir.

Cette force d’âme, cette volonté de ferdépassaient tout ce qu’on pouvait imaginer.

Les cinq convives mangeaient de bon appétit,causaient de choses indifférentes sans qu’aucune préoccupationparût sur leurs traits marmoréens ; enfin ils causaient avecune liberté d’esprit admirable, souriant d’un mot plaisant sansparaître en rien se contraindre.

Il était dix heures du soir quand le repas futterminé ; on alluma les cigares et les cigarettes.

– Mon cher général, dit don Agostin, àmon grand regret nous allons nous séparer pendant quelquesheures.

– Bon ! pourquoi donc, señor donAgostin ?

– Parce que d’abord vous êtesconvalescent et que le docteur vous interdit les grandesfatigues ; n’est-ce pas docteur ?

– C’est selon, señor, répondit ensouriant le médecin, il y a fatigues et fatigues comme il y afagots et fagots…

– C’est juste, reprit le vieillard, lapreuve que vous craignez la fatigue pour votre malade c’est quevous avez demandé une litière qui est là.

– Oui, reprit le médecin, mais bien deschoses se sont passées depuis, qui peuvent avoir modifié lasituation du général et la mienne.

– Merci docteur, dit le général, voustraduisez admirablement ma pensée, et…

– Pardon, mon cher général, avant d’allerplus loin permettez-moi un seul mot.

– Parlez, señor.

– Nous nous remettons en route à minuit,il faut que nous soyons arrivés à cinq heures du matin à notrerésidence.

– Très bien ; cinq heures de chevalne sont rien pour un cavalier aguerri.

– C’est vrai, mais pendant ces cinqheures, il importe que nous ayons fait les trente-cinq lieues quinous séparent du point qu’il nous faut attendre.

– Hein ? trente-cinq lieues en cinqheures !

– Oui, mon cher général.

– Permettez-moi de vous dire tout d’abordqu’un tel trajet en si peu de temps est impossible.

– Pas pour nous, général.

– Hum ! où trouverez-vous deschevaux qui…

– Dans une demi-heure au plus ils serontici.

– Oh ! oh ! les meilleurschevaux arabes ne feraient pas une telle course.

– C’est probable, mais ceux dont je vousparle et que vous allez voir la feront sans mouiller un poil deleur robe.

– Ah ! dit le docteur, vous avezcommandé vos coureurs.

– Oui docteur ; vous lesconnaissez ?

– Ce sont des coureurs admirables ;vous ne dites rien de trop, ils feront ce trajet comme en sejouant.

– Trente-cinq lieues ? fit legénéral ébahi.

– Facilement, je vous le répète, et ilspeuvent soutenir cette allure pendant douze heuresconsécutives.

– Pardieu ! je n’en aurai pas ledémenti, s’écria le général en riant, la chose est tropextraordinaire pour que je laisse perdre cette occasion quepeut-être je ne retrouverai jamais de monter de si merveilleuxcoureurs ; d’où viennent donc ces précieuxcoursiers ?

– Ils sont originaires du Nantukett, uncomté des États-Unis fort éloigné du pays où nous sommes, ceschevaux sont fort appréciés ; leur allure est très douce, ilsmarchent l’amble ; aussi les dames les montent depréférence.

– Eh ! cher docteur, vous entendezle señor don Agostin ?

– Oui. Ces chevaux marchent l’amble,n’est-ce pas, général ?dit le médecin en riant.

– Oui, eh bien ?

– Dame, il est évident que cela modifiesingulièrement la situation.

– C’est-à-dire que je puis me risquer,n’est-ce pas, docteur ?

– Ma foi oui, du reste je ne m’éloigneraipas de vous.

– Ainsi vous croyez que le général est enétat de nous accompagner, sans danger pour sa santé, docteur ?demanda don Agostin.

– Il le faut bien, señor, reprit lemédecin de cet air moitié figue, moitié raisin qu’il affectait, sij’essayais de le retenir ici, il est évident qu’il ne m’obéiraitpas. Je préfère lui laisser sa liberté ; de cette façon monamour-propre ne sera pas froissé.

Chacun se mit à rire.

– Parfaitement décidé ! ditjoyeusement le général.

– Alors nous ne nous quitterons pas, ditdon José en riant ; pour ma part j’en suis charmé.

– Et moi donc ! fit le général debonne humeur.

– Maintenant que tout est réglé, dit ledocteur avec intention, je bois, messieurs, au succès de notrevoyage.

On trinqua avec du champagne et les verresfurent vidés d’un trait.

– Je vous remercie, docteur, dit levieillard, j’espère qu’il en sera ainsi. Dieu est avec nous.

En ce moment Sans-Traces parut.

Chacun redevint sérieux aussitôt.

– Soyez le bienvenu, Sans-Traces, dit levieillard en tendant la main au coureur des bois ; quoi denouveau ? don José m’a dit la mission qu’il vous avait donnéequand il vous a rejoint, avez-vous découvert quelquechose ?

– J’ai tout découvert, señor donAgostin ; je les ai chassés comme une troupe de coyotes, sansjamais être mis en défaut, malgré le soin avec lequel ils ontessayé de me donner le change en embrouillant leur piste et surtouten se séparant en quatre troupes qui sont parties, ventre à terre,dans quatre directions différentes.

– Oh ! oh ! ils n’étaient pasfaciles à suivre, dit le général.

– Bon ; c’est un jeu pour unvéritable coureur des bois.

– Hum ! j’aurais été fort empêché,moi ; il est vrai que je n’ai jamais été batteurd’estrade.

– Bah ! ces coquins sont desmaladroits, qui ne savent même pas marcher dans le désert ;ils se sont avisés de mettre des sacs pleins de sable aux pieds deschevaux sur lesquels ils ont monté leurs prisonnières, cette sotteprécaution m’a fait deviner tout.

– Le fait est que ce n’était pas adroit,dit don Estevan, ces sacs laissaient sur le sable une trace d’unelargeur démesurée.

– Ils n’ont pas pensé à cela, dit lecoureur des bois avec mépris, et quand ils traversaient un coursd’eau, c’était une mare qu’ils laissaient derrière eux.

– Ce sont des niais, heureusement pournous, dit don José. En somme, où se sont-ils arrêtés ?

– Dans la sierra de Pajaros, dans unimmense souterrain admirablement situé, et dans lequel je suisentré après eux ; je ne me suis retiré que lorsque j’ai eutout vu et tout étudié ; la position est très forte.

Don Agostin et don José échangèrent entre euxun sourire qui passa inaperçu de tous, sauf du docteur Guérin,qu’il était presque impossible de mettre en défaut.

Presque aussitôt parut le Nuage-Bleu.

– Eh bien ? dit don Agostin, monfils, le sagamore des Comanches, a fait diligence.

– Un désir de mon père est un ordre pourle Nuage-Bleu, les chevaux attendent.

– Je remercie mon fils, reprit levieillard.

Il prit alors l’Indien un peu à l’écart ets’entretint pendant quelques minutes avec lui ; puis, setournant vers les assistants :

– Señores, dit-il, tout est prêt pour ledépart.

Le Nuage-Bleu avait amené vingt chevaux.

Ces chevaux devaient être montés par les cinqmaîtres, les autres étaient destinés à Sidi-Muley et aux serviteursles plus dévoués à la famille de Sandoval.

– À cheval, caballeros, dit le vieillard,les amis que nous laissons ici nous rejoindront dans lajournée.

Les voyageurs se mirent en selle.

Le général examinait avec une vive curiositéces chevaux si vantés : ils étaient de taille moyenne, maisadmirablement conformés pour la course ; ils avaient la têtepetite, les yeux vifs, les naseaux bien ouverts et les jambes d’unefinesse extrême.

Cette race particulière de coursiers rapides,ainsi qu’on les nomme, ne se rencontre encore à l’état sauvage quedans l’État de Nantuckett et dans l’Orégon ; ainsi que nousl’avons dit plus haut, ils sont fort prisés par les amateurs, àcause de leur légèreté extraordinaire d’abord, et surtout parcequ’ils sont très sobres, très dociles et doués d’une intelligencesingulière ; nous ne surprendrons personne en ajoutant qu’ilscoûtent un prix fou.

Don Estevan et le docteur Guérin s’étaientplacés à droite et à gauche du général pour mieux veiller surlui.

– N’y mettez pas d’amour-propre, mon chergénéral, dit le docteur en riant, tenez-vous bien, la course quenous allons fournir laissera bien loin celle de Lénore de lafameuse ballade de Bürger.

– Ayez soin surtout, ajouta don Estevan,de tenir votre mouchoir sur la bouche.

– Ah çà, dit en riant le général, c’estdonc une course au clocher !

– Ce ne serait rien ! reprit ledocteur, c’est la course du chasseur noir à travers monts etvallées.

– Une course enragée, alors ?

– C’est cela, vous avez dit le mot.

– Hum ! alors il faut bien setenir.

– Je ne vous en dirai pas davantage, vousjugerez par vous-même.

Don Agostin tenait la tête de la petitetroupe ; quand il se fut assuré que l’on n’attendait que sonsignal, il cria d’une voix vibrante en rendant la bride à soncoursier :

– En avant !

Tous les chevaux partirent en même temps.

Jamais départ de Longchamps ou du Derby ne futmieux exécuté.

Un seul manteau, s’il eût été assez grand,jeté sur les vingt cavaliers les eût cachés tous.

Rien ne saurait rendre l’allure véritablementvertigineuse de cette course extraordinaire par monts et par vaux,sans secours de cravaches, ni de fouets, ni d’éperons ; unsimple claquement de la langue suffisait pour rendre toute leurardeur à ces admirables chevaux, et les faire repartir plusrapides, quand ils semblaient se ralentir.

Les cavaliers dévoraient littéralementl’espace.

Les arbres et les collines semblaient s’enfuirde chaque côté de la sente, comme un train éclair de chemin de ferlancé à toute vapeur.

Cet effroyable steeple-chase se prolongeaainsi avec la même vitesse pendant cinq longues heures ; ne semodérant que pendant quelques minutes, pour traverser à gué lesrivières, qui assez souvent barraient le passage auxcavaliers ; ou lorsqu’il fallait gravir des pentes tropraides.

Le général, si bon cavalier qu’il fût, n’avaitpas l’idée d’une telle course ; aveuglé par la poussière quitourbillonnait autour de lui et le prenait à la gorge, il ne voyaitet n’entendait plus ; il lui eût été impossible de se rendrecompte de la direction qu’il suivait et de la distanceparcourue ; il galopait, galopait toujours, s’abandonnant àson cheval, dont l’allure était excessivement douce, suivantmachinalement ses mouvements ; il était passé à l’état decolis et n’avait d’autre souci que de ne pas se laisser gagner parle vertige.

Bien que la nuit fût presque à sa fin,cependant les ténèbres régnaient encore sur la savane, les étoiless’éteignaient peu à peu dans le ciel ; il devait être près decinq heures du matin, le froid était vif et la brise nocturneglaciale.

Depuis plus d’une heure déjà, les cavalierssuivaient à toute bride les méandres dédaliens d’une sente de bêtesfauves, à peine tracée à travers une épaisse forêt de mélèzes et detrembles.

Soudain, comme à un signal donné et sanstransition, la forêt un instant auparavant si sombre que lescavaliers étaient contraints de se fier à l’infaillible instinct deleurs montures, sembla s’illuminer tout entière et resplendit delumières.

– Au pas ! cria don Agostin d’unevoix forte.

Cette parole était la première prononcée parle vieillard depuis le départ du campement.

Les chevaux ralentirent d’eux-mêmes leurallure.

Malgré la longue course qu’ils venaient defournir, les coursiers n’avaient point un poil de leur robemouillée ; ils ne soufflaient pas, leurs naseauxfonctionnaient régulièrement, ils ne semblaient éprouver aucunefatigue.

Le général de Villiers était au comble del’admiration ; au lieu d’exagérer la valeur de ces étonnantsanimaux, le docteur et ses autres amis étaient restés au-dessous dela vérité ; le cheval arabe n’était plus à ses yeux qu’unepauvre rosse comparée à ces chevaux, sans égaux dans la racechevaline ; il se sentait heureux d’avoir pu les juger àl’œuvre.

La lumière augmentait de minute en minute etprenait les proportions d’un incendie, bien qu’il n’en fûtrien ; quoique la lumière s’étendît de tous les côtés sur unvaste espace, son foyer paraissait être au sommet d’une hautecolline très escarpée, au pied de laquelle coulait une rivièreassez large et très profonde qui semblait lui faire une espèce deceinture.

Sur l’autre rive de ce cours d’eau, onapercevait des travaux en terre, surmontés de hautes et solidespalissades.

Arrivés sur le bord de la rivière, les chevauxy entrèrent d’eux-mêmes et se mirent presque aussitôt à lanage.

Les cavaliers, formant une troupe serrée pourmieux résister au courant fort rapide, franchirent la rivière sansaccident et grimpèrent avec une dextérité extrême la berge formantun talus escarpé.

On commença à gravir la colline par une espècede sentier de chèvres, faisant de continuels méandres, ce quicontraignait les chevaux à marcher doucement, avec précaution etd’immenses difficultés.

Le général de Villiers regardait autour de luiavec un vif intérêt ; il remarqua avec surprise que les flancsde la colline, depuis la base jusqu’au sommet, étaient hérissés defortifications en terre admirablement construites, et avec unescience approfondie de la balistique et de l’art des Vauban etautres grands ingénieux modernes.

Cette colline était un véritableGibraltar ; bien défendue, telle qu’elle était elle aurait étéen état de résister même à des forces considérables et aguerries,ce qui n’était pas à redouter dans ce désert.

Don Agostin et ses deux fils ne disaient rien,mais ils surveillaient le général de Villiers à la dérobée, etsuivaient avec un évident intérêt les divers sentiments éprouvéspar l’officier à la vue de cette formidable forteresse ;sentiments qui venaient tour à tour se refléter sur la physionomiesi expressive du général, car celui-ci, ne se sachant pas observéet n’ayant aucunes raisons pour se tenir sur ses gardes, ne secontraignait en rien.

Arrivés à une certaine hauteur, les cavaliersfirent halte.

Un gouffre d’au moins vingt mètres de large etd’une profondeur insondable s’ouvrait devant eux.

Un pont de bois provisoire, maintenu par desétais, large de deux mètres et sans garde-fous, servait à franchirce gouffre.

De l’autre côté du pont s’étendait uneplate-forme de sept ou huit mètres au plus, avec des ouvrages enterre servant de têtes de pont, où l’on voyait s’ouvrir l’entréed’une caverne, tout juste assez large pour laisser le passage librepour cinq personnes à pied de front, mais qui, à l’intérieur,s’élargissait considérablement.

Cette caverne était suivie d’un souterrainmontant en pente douce et débouchait finalement au centre même del’immense plate-forme, faisant le sommet de la colline.

Tous ces incroyables travaux avaient étéexécutés en terre au prix de fatigues inouïes ; on y avaittravaillé pendant de longues années, les modifiant et lescomplétant peu à peu selon les circonstances.

Pendant la guerre du Mexique avec la France,alors que les Mexicains recevaient des États-Unis de grandesquantités d’armes de toutes sortes, des munitions et de nombreuxconvois avaient été surpris et enlevés par les Comanches : descouleuvrines, des fusils de remparts, des canons de montagne mêmeet des fusils, sabres, baïonnettes, sans compter les balles, lapoudre, etc., etc., transportés dans cette singulière forteresse,avaient servi à son armement.

Les Comanches, tout en restant neutres dans lalutte, ne perdaient pas de vue leur intérêt particulier ; ilsprofitaient des dissentiments des faces pâles entre eux, pourassurer leur indépendance ; déjà, pendant la guerre de lasécession, ils avaient fait de nombreuses prises fort utiles poureux ; la dernière guerre avec la France leur avait permis dese fournir de ce qui leur manquait encore.

Cette singulière forteresse, construitecomplètement en terre et dominant toute la contrée environnante àune grande distance dans toutes les directions, était aménagée detelle sorte que du dehors elle était absolument invisible ; lacolline apparaissait sombre, désolée, creusée de ravins profonds,les flancs déchirés et tourmentés de la façon la plus bizarre, sansqu’il fût possible de se rendre compte de tous ces bouleversementsd’apparence chaotique.

Il fallait être très rapproché, non pas pourapercevoir ces étranges fortifications, mais seulement poursoupçonner leur existence.

Quant à attaquer cette montagne, ainsi quenous l’avons dit, il n’y avait pas à y songer, même avec des forcesconsidérables impossibles à réunir dans ces contrées.

Les routes manquaient complètement, ce quiaurait rendu impossibles les ravitaillements de l’ennemi qui auraitassiégé cette formidable forteresse ; mais ce qui faisaitsurtout sa sécurité, c’était que la position exacte de cettecolline était ignorée.

Sur le plateau de cette haute collines’élevait, complètement invisible d’en bas, enfermée et garantie detoutes parts, au moyen de levées de terre et de solides palissades,s’élevait, disons-nous, la ville, ou pour mieux dire levillage de refuge des Comanches, leur cité saintepar excellence.

Le plateau sur lequel la ville étaitconstruite avait près de trois lieues d’étendue.

Deux rivières jaillissaient de ce plateau aumilieu d’un chaos de rochers, descendaient dans deux directionsdifférentes en bondissant échevelées de rochers en rochers sur lesflancs abrupts de la colline dans la plaine, et après un parcourspittoresquement accidenté de quelques centaines de kilomètres,allaient se perdre la première dans le rio Grande delnorte et la seconde dans le rio de Natchitoches, versle milieu du llano del Estacado.

La ville comanche était construite comme tousles villages peaux-rouges de leur nation.

C’était une agglomération sans ordre apparentde huttes grossièrement faites, de forme ronde, avec chacune leurhangar y attenant et destiné à renfermer les provisionsd’hiver.

Quelques-unes de ces huttes, celles desgrands braves et des chefs, étaient construites enadoves, espèces de briques grossières, faites de terredélayée avec de la paille hachée menue et séchée au soleil ;toutes les autres cabanes étaient misérables et d’un aspect sale etrepoussant.

Au centre du village se trouvait une vasteplace au centre de laquelle s’élevait le grandcalli-médecine, c’est-à-dire la grande hutte, où avaientlieu les réunions des chefs de la nation.

Cette hutte, construite en bois et couverteavec des plaques d’écorce de bouleau superposées les unes sur lesautres comme des tuiles, affectait la forme ronde ; àl’intérieur elle était munie de gradins étagés tout autour de lamuraille faite d’immenses troncs d’arbres couchés et entrelacés àpeu près de la même façon que nos marchands de bois françaisétablissent leurs immenses chantiers ; toutes ces bûches,d’une longueur égale d’un mètre, étaient solidement reliées entreelles par de fortes chevilles en bois dur ; les intersticesétaient comblés par de la mousse revêtue d’un enduit de terre et depaille hachée, pour empêcher l’air de pénétrer.

Au centre de la hutte, au-dessous d’un grandtrou rond pratiqué dans le toit pour livrer passage à la fumée, lesol était creusé en rond à une profondeur de soixante centimètres àpeu près ; c’était autour de ce trou que s’asseyaient leschefs principaux accroupis sur des crânes de bison, recouverts defourrures, devant le feu du conseil, en présence des chefsinférieurs et des guerriers qui, assis sur les gradins, assistaientaux délibérations des membres du conseil.

Le toit de cette immense hutte était soutenupar des troncs de mahoghani d’une grosseur énorme plantés dans lesol, comme des colonnes frustes.

Devant l’entrée de la hutte-médecine,à quatre, cinq ou six mètres en avant, se trouvait l’Arche dupremier homme : c’est-à-dire une espèce de tube ou detonneau planté en terre et disparaissant presque sous les fleursdont il était enveloppé, et qui grimpaient en s’accrochant à lui detoutes parts ; à droite de cette arche du premier homme étaitplacé, étendu sur deux longs bâtons enfoncés dans le sol et seterminant en fourche, le grand calumet sacré garni deplumes de toutes couleurs et qui jamais ne doit toucher laterre.

À gauche de l’arche du premier homme était unelongue perche terminée à son extrémité par un vautour empaillé,tenant un serpent dans son bec, et au-dessous desquels flottait unelarge bannière en peau d’antilope, sur laquelle était grossièrementpeint en rouge, mais assez bien dessiné, un bison rampant ; duhaut en bas, cette perche était garnie de plumes.

C’était le Totem, le palladium,l’étendard sacré de la nation.

Le vautour tenant un serpent signifiait queles Comanches avaient du sang inca dans leurs veines, ce doubleemblème était les armes, le blason comme ondirait aujourd’hui, des Incas.

Le bison signifiait que le premier ancêtre desComanches était un bison.

Toutes les nations indiennes ont cettecroyance que leur premier père fut un animal quelconque, de là lenom qu’ils se donnent.

Un peu éloigné du Totem de la nation,s’élevait le poteau de torture, dont le nom dit tout, sans qu’ilsoit nécessaire de l’expliquer davantage.

Et enfin un magnifique mahoghani, dont letronc avait plus de quatre mètres de tour à dix pieds du sol etdont la puissante et superbe ramure couvrait un espaceénorme : cet arbre, dont toutes les branches étaient chargéesd’ex-voto de toutes sortes, flèches, couteaux, peaux,morceaux d’étoffe, calumets mocksens, tabac, etc., etc., étaitsacré ; on le nommait l’arbre du Wacondah, Dieu, etil était en grande vénération.

De l’autre côté de la place, en face du grandcalli-médecine,s’élevait une espèce de grande maisonconstruite en pierre et bien cimentée, ayant deux ailes à angledroit égales en hauteur et en largeur au corps principal ; cesdeux ailes étaient liées ensemble par un mur semi-circulairerenfermant une vaste cour ; cette singulière maison avaitquatre étages peu élevés, ressemblant à l’intérieur à un escaliercolossal de quatre marches, car chaque étage avait une terrasse quiservait de plain-pied à l’étage supérieur ; on communiquaitavec tous les étages au moyen d’échelles que l’on retirait lanuit.

La façade extérieure représentait une longuemuraille percée de distance en distance de petites fenêtres quidonnent l’air et le jour dans les chambres de ce singulier village,plusieurs milliers d’individus auraient pu habiter dans cetteforteresse, car c’en était une, déserte en ce moment, les Comanchesne l’habitant qu’en temps de guerre.

Mais formant un contraste étrange avec lessingulières constructions que nous venons de décrire, s’élevait,isolée complètement au milieu de cette bourgade, une immense maisonconstruite à la mode espagnole, ou pour mieux dire mexicaine, avecportillo et véranda, élevée d’un étage avec terrassegarnie de caisses remplies de plantes rares, et formant ainsi uncharmant jardin suspendu avec allées et bosquets.

Cette maison, blanchie au lait de chaux, avaitdouze fenêtres de façade à chaque étage et six sur les côtés ;les fenêtres étaient garnies de persiennes et de moustiquaires enmousseline de couleurs diverses ; de grandes glaces sans tainservaient de vitres, cette maison était entourée de hautes etsolides murailles et possédait une huerta – jardin –ombreuse et admirablement dessinée.

Cette superbe habitation, ou plutôt ce palais,servait de demeure à la famille de Sandoval.

Elle remontait à une haute antiquité ;elle avait été construite quatre-vingt-dix ans avant l’époque oùremonte notre histoire, ou plutôt réédifiée sur les ruinescolossales et gigantesques d’un ancien temple mexicain, par desouvriers espagnols appelés tout exprès ; elle avait coûté dessommes folles, mais aussi rien n’y manquait de ce qui peut rendrel’existence confortable.

Elle renfermait, disait-on, d’immensessouterrains et des cryptes énormes, restes du temple mexicain etcontenant d’incalculables richesses.

Ces souterrains, prétendait-on, s’étendaientsous toute la colline et allaient par différentes galeriesdéboucher dans plusieurs directions à des distancesconsidérables.

Nous avons parlé de ces villes de refuge dansplusieurs de nos ouvrages, mais cette fois nous avons cru devoirnous étendre sur la description de cette singulière et curieuseville de refuge, presque complètement ignorée encore aujourd’hui etque nous avons habitée assez longtemps, persuadé que le lecteurnous saurait gré de la lui faire, cette fois, connaître dans tousses détails.

 

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