Les Veillées du hameau près de Dikanka – Tome II

XI

 

– Calme-toi, ma chère sœur, disait levieux capitaine Gorobietz, les rêves disent rarement la vérité.

– Couche-toi, sœurette, disait la jeunebru du capitaine, je ferai venir une vieille femme, une devineresseà qui nulle puissance mauvaise n’est à même de résister, et ellemettra en fuite tes inquiétudes [9].

– Ne crains rien, disait le filsGorobietz, la main à la poignée de son sabre, personne ne te ferade mal.

L’air sombre, Catherine les considérait d’unœil terne et ne trouvait pas la force de leur répondre :

– C’est moi-même qui suis la cause de mapropre perte. Je lui ai ouvert la porte de la prison.

Elle finit par dire :

– Il ne me laisse pas un instant derepos. Voilà dix jours que je demeure sous votre toit à Kiev et lacoupe de mon chagrin n’a pas diminué d’une seule goutte. Je medisais, je pourrais au moins dans une calme retraite élever monfils en vue de la vengeance… mais il m’est apparu en rêve,terrible, oh ! plus terrible que jamais. Dieu vous préserve dele voir, vous aussi ! J’en ai jusqu’à présent des battementsde cœur. Et il m’a crié : « Je mettrai ton enfant enpièces, Catherine, si tu ne consens pas à m’épouser. »

Redoublant de sanglots, elle s’élança vers leberceau et le bébé effrayé tendit vers elle en pleurant sesmenottes.

Le fils du capitaine bouillait de fureur etses yeux flambaient en entendant de tels propos.

Gorobietz lui-même ne se sentait plus decolère.

– Eh bien ! qu’il essaie donc, cetignoble antéchrist, de venir jusqu’ici, il se rendra compte si lesbras d’un vieux Cosaque gardent parfois de la force. Dieu m’esttémoin, dit-il, en dirigeant vers le ciel ses regards d’hommeavisé, si je ne me suis pas précipité pour donner un coup de main àmon frère Danilo. Mais telle fut la volonté divine, je l’ai trouvéétendu sur cette couche froide qui a déjà reçu tant et tant deCosaques. Mais en revanche, ne fut-il point célébré avec pompe leservice suprême en son nom ? Avons-nous laissé un seulPolonais vivant ? Calme-toi donc, ma petite, personne n’oserate toucher, à moins que mon fils et moi nous ne soyons plus de cemonde.

Ayant ainsi parlé, le capitaine s’approcha duberceau et l’enfant, apercevant la pipe rouge à garniture d’argentà la ceinture du vieillard, au bout d’une courroie près du sachetau briquet étincelant, tendit vers lui ses petits bras en riant auxanges.

– Il marchera sur les traces du papa, ditle vieux capitaine en décrochant la pipe pour la lui donner, dès leberceau il lui ressemble et pense déjà à fumer…

Catherine soupira légèrement et se mit àbercer son fils. Ils décidèrent de ne point se quitter de toute lanuit, et peu de temps après, tous s’endormirent, et Catherineaussi.

Un calme absolu régnait dans la cour de mêmeque dans la maison. Seuls ne dormaient point les Cosaques quimontaient la garde. Soudain, Catherine s’éveilla en poussant un criet arracha ainsi les autres de leur sommeil.

– Il est tué, on me l’a égorgé,hurla-t-elle en se précipitant vers le berceau.

Tous l’entourèrent et demeurèrent pétrifiésd’épouvante en voyant qu’il n’y avait plus là qu’un petit cadavre.Pas un ne proféra un son, ne sachant que penser de ce forfaitinouï.

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