L’Île aux trente cercueils

Chapitre 5La salle des sacrifices souterrains

Vorski n’avait jamais eu peur, et peut-être, en prenant lafuite, n’obéissait-il pas à un sentiment de peur réelle. Mais il nesavait plus ce qu’il faisait. Dans l’effarement de son cerveauc’était un tourbillon d’idées contradictoires et incohérentes oùdominait l’intuition d’une défaite irrémédiable et, en quelquemanière, surnaturelle.

Croyant aux sortilèges et aux prodiges, il avait l’impressionque l’homme du Destin qu’était Vorski se trouvait déchu de samission et remplacé par un nouvel élu du Destin. Il y avait, l’uneen face de l’autre, deux forces miraculeuses, l’une émanant de lui,Vorski, l’autre émanant du vieux Druide, et la seconde absorbait lapremière. La résurrection de Véronique, la personnalité du vieuxDruide, les discours, les plaisanteries, les pirouettes, les actes,l’invulnérabilité de ce personnage funambulesque, tout cela luisemblait magique et fabuleux, et créait, dans ces cavernes destemps barbares, une atmosphère spéciale qui le détraquait etl’étouffait.

Il avait hâte de remonter à la surface de la terre. Il voulaitrespirer et voir. Et ce qu’il voulait voir, avant tout, c’étaitl’arbre dénudé de branches auquel il avait attaché Véronique et surlequel Véronique avait expiré.

– Car elle est bien morte, grinçait-il, en rampant au creux del’étroit passage qui communiquait avec la troisième et la plusgrande des cryptes… Elle est bien morte… Je sais ce que c’est quela mort… La mort, j’ai tenu ça souvent entre mes mains et je ne m’ytrompe pas. Alors, comment ce démon a-t-il pu laressusciter ?

Il s’arrêta brusquement près du billot où il avait ramassé lesceptre.

– À moins que…, dit-il.

Conrad qui le suivait, s’écria :

– Dépêchez-vous donc au lieu de bavarder.

Vorski se laissa entraîner, mais, tout en marchant, ilcontinuait :

– Veux-tu que je te dise mon idée, Conrad ? Eh bien, lafemme qu’on nous a montrée et qui dormait, ce n’était paselle. Vivait-elle seulement, celle-là ? Ah ! cevieux sorcier est capable de tout. Il aura modelé quelque image…une poupée de cire à laquelle il aura donné la ressemblance.

– Vous êtes fou. Marchez donc !

– Je ne suis pas fou. Cette femme ne vivait pas. Celle qui estmorte sur l’arbre est bien morte. Et tu la retrouveras là-haut, jet’en réponds. Des miracles, oui, mais pas un telmiracle !…

N’ayant plus leur lanterne, les trois complices se heurtaientaux murs et aux pierres droites. Leurs pas résonnaient de voûte envoûte. Conrad ne cessait de grogner.

– Je vous avais prévenu… il fallait lui casser la tête.

Otto, lui, se taisait, essoufflé par la course.

Ils arrivèrent ainsi, en tâtonnant, au vestibule qui précédaitla crypte d’entrée, et ils furent assez surpris de constater quecette première salle était obscure, bien que le passage qu’ils yavaient creusé à la partie supérieure, sous les racines du chênemort, eût dû répandre une certaine clarté.

– C’est bizarre, dit Conrad.

– Bah ! répliqua Otto, il s’agit seulement de trouverl’escalier qui s’accroche au mur. Tiens, j’y suis, voilà unemarche… et puis la suivante…

Il escalada ces marches, mais presque aussitôt fut arrêté.

– Pas moyen d’avancer… on dirait qu’il y a eu un éboulement.

– Impossible ! objecta Vorski. D’ailleurs, attends…j’oubliais… j’ai mon briquet.

Il alluma ce briquet, et un même cri de colère leur échappa àtous les trois : tout le haut de l’escalier et la moitié de lasalle étaient ensevelis sous un amas de pierres et de sable, aumilieu duquel avait glissé le tronc du chêne mort. Aucune chance defuite ne leur restait.

Vorski eut un moment de défaillance et s’écroula sur lesmarches.

– Nous sommes fichus… C’est ce damné vieillard qui a combinécela… ce qui prouve qu’il n’est pas seul.

Il se lamenta, déraisonnant, et sans forces pour continuer unelutte trop inégale. Mais Conrad se fâcha :

– Mais, enfin, je ne vous reconnais plus, Vorski.

– Il n’y a rien à faire contre ce bonhomme-là.

– Rien à faire ? Il y a d’abord, ce que je vous ai répétévingt fois, à lui tordre le cou. Ah ! si je ne m’étais pasretenu !…

– Tu n’aurais même pas pu y toucher. Est-ce que nos balles l’ontatteint ?

– Nos balles… nos balles… murmura Conrad… tout ça est rudementlouche. Passez-moi votre briquet… j’ai un autre revolver qui vientdu Prieuré et que j’avais chargé moi-même hier matin. Je vais bienvoir.

Il examina l’arme et ne tarda pas à se rendre compte que lessept cartouches logées dans le barillet avaient été remplacées parsept cartouches sans balles et qui, naturellement, ne pouvaienttirer qu’à blanc.

– Voilà toute l’explication, dit-il, et votre vieux Druide n’arien d’un sorcier. Si nos revolvers avaient été réellement chargés,on l’abattait comme un chien.

Mais l’explication redoubla l’effarement de Vorski.

– Et comment les aurait-il déchargés ? À quelle minutea-t-il pu prendre nos armes dans nos poches, puis les remettreaprès les avoir rendues inoffensives ? Je n’ai pas quitté monrevolver un instant.

– Moi non plus, avoua Conrad.

– Et je défie qu’on y touche sans que je m’en aperçoive.Alors ?… Alors, n’est-ce pas la preuve que ce démon-là jouitd’une puissance particulière ? Quoi il faut voir les chosestelles qu’elles sont. C’est un homme qui a des secrets à lui… et ildispose de moyens… de moyens…

Conrad haussa les épaules.

– Vorski, cette affaire vous a démoli… Vous touchiez au but, etvous lâchez tout au premier obstacle, vous n’êtes plus qu’uneloque. Eh bien, moi, je ne baisse pas la tête comme vous.Fichus ? et pourquoi ? S’il nous poursuit, nous sommestrois.

– Il ne viendra pas. Il nous laissera ici, et il nous enfermeracomme dans un terrier sans issue.

– Alors, s’il ne vient pas, je retourne là-bas, moi ! J’aimon couteau, ça suffit.

– Tu as tort, Conrad.

– En quoi ai-je tort ? Je vaux un autre homme, surtout cevieux-là, et il n’a pour l’aider qu’une femme endormie.

– Conrad, ce n’est pas un homme, et elle, ce n’est pas unefemme. Méfie-toi.

– Je me méfie, mais je marche.

– Tu marches… tu marches… mais quel est ton plan ?

– Je n’ai pas de plan. Ou plutôt, je n’en ai qu’un, qui est desupprimer ce bonhomme-là.

– Tout de même, fais attention… Ne l’attaque pas de front, maistâche de le surprendre…

– Parbleu ! dit Conrad, en s’en allant, je ne suis pasassez bête pour m’offrir à ses coups. Soyez tranquille, je letiens, le bougre !

L’audace de Conrad réconforta Vorski.

– Après tout, dit-il quand son complice fut parti, il a raison.Si ce vieux Druide ne nous a pas poursuivis, c’est qu’il a d’autresidées en tête. Il ne s’attend sûrement pas à un retour offensif, etConrad peut fort bien le surprendre. Qu’en dis-tu, Otto ?

Otto partageait cet avis.

– Il n’y a qu’à patienter, répondit-il.

Un quart d’heure s’écoula. Vorski reprenait de plus en plus sonaplomb. Il avait fléchi par réaction, après des espoirs trop grandssuivis d’une déception trop lourde, et aussi parce que l’ivresseprovoquait chez lui de la lassitude et de l’abattement. Mais ledésir du combat le surexcitait de nouveau, et il tenait à en finiravec son adversaire.

– Qui sait même, disait-il, si Conrad ne l’a pas déjà mis horsde combat ? …

Il passait maintenant à une confiance exagérée, qui témoignaitde son déséquilibre, et tout de suite il voulut repartir.

– Allons, Otto, c’est la fin du voyage. Un vieux bonhomme àsupprimer, et ça y est. Tu as ton poignard ? Inutile,d’ailleurs. Mes deux mains suffiront.

– Et s’il a des amis, ce Druide ?

– Nous verrons bien.

Il reprit encore une fois le chemin des cryptes, avançant avecprécaution, et surveillant le débouché des passages quicommuniquaient de l’une à l’autre. Aucun bruit ne parvenait jusqu’àeux. La lueur de la troisième crypte les guidait.

– Conrad a dû réussir, remarqua Vorski, sans quoi il n’auraitpas engagé la lutte et se serait replié vers nous.

Otto approuva.

– Évidemment, c’est bon signe de ne pas le voir. Le vieux Druidea dû passer un mauvais quart d’heure. Conrad est un gaillard.

Ils entrèrent dans la troisième crypte. Les choses étaient àleur place, le sceptre sur le billot, et le pommeau, que Vorskiavait dévissé, un peu plus loin à terre. Mais, comme il jetait lesyeux vers le trou d’ombre où dormait le vieux Druide, lors de leurarrivée, il fut stupéfait de revoir le bonhomme, non pas exactementau même endroit, mais entre le trou d’ombre et l’issue ducouloir.

– Sacrédieu ! qu’est-ce qu’il fait ? balbutia-t-il,déjà troublé par cette présence insolite. Non, mais on dirait qu’ildort !

Le vieux Druide semblait dormir en effet. Seulement pourquoidiable dormait-il dans cette attitude, à plat ventre, les brasallongés en croix, et le nez sur le sol ?

Est-ce qu’un homme qui se méfie, ou qui tout au moins sait qu’undanger peut l’atteindre, s’offre ainsi aux coups de l’ennemi ?Et pourquoi – le regard de Vorski perçait peu à peu les ténèbres del’arrière-crypte –, pourquoi la tunique blanche était-elle maculéede taches qui paraissaient rouges… qui étaient rouges. Aucun douten’était possible. Pourquoi ?…

Otto dit à voix basse :

– Il a une drôle de pose.

Vorski avait la même pensée, et il précisa :

– Oui, une pose de cadavre.

– Une pose de cadavre, approuva Otto. Le mot est exact.

Après un instant, Vorski recula d’un pas.

– Oh ! fit-il, est-ce croyable ?

– Quoi ? demanda l’autre.

– Entre les deux épaules… regarde…

– Eh bien ?

– Le couteau…

– Quel couteau ? Celui de Conrad ?

– Celui de Conrad, affirma Vorski… Le poignard de Conrad… je lereconnais… planté droit entre les deux épaules.

Et il ajouta frissonnant :

– Les taches rouges viennent de là… c’est du sang… du sang quicoule de cette blessure.

– En ce cas, observa Otto, il est mort ?

– Il est mort… oui, le vieux Druide est mort… Conrad l’aurasurpris, et il l’a tué… Le vieux Druide est mort !

Vorski resta indécis un assez long moment, prêt à se jeter surle corps inerte et à le frapper à son tour. Mais il n’osait pasplus le toucher mort que vivant, et tout ce qu’il eut le courage defaire, ce fut de se précipiter et d’arracher l’arme hors de laplaie.

– Ah ! bandit, s’écria-t-il, tu as ce que tu mérites, etConrad est un rude type. Conrad, sois sûr que je ne t’oublieraipas.

– Où peut-il être, Conrad ?

– Dans la salle de la Pierre-Dieu. Ah ! Otto, j’ai hâte deretrouver la femme que le vieux Druide avait placée là et de luirégler son compte, à elle aussi !

– Vous croyez donc que c’est une femme vivante ? ricanaOtto.

– Et bien vivante encore !… comme l’était le vieux Druide.Ce sorcier n’était qu’un charlatan qui pouvait avoir des trucs àlui, mais aucun pouvoir réel… La preuve, la voici ! …

– Charlatan, soit, objecta le complice. Mais tout de même, parses signaux, il vous a indiqué l’endroit de ces grottes ! Or,dans quel but ? Et que faisait-il ici ? Connaissait-ilvraiment le secret de la Pierre-Dieu, le moyen de la conquérir etson emplacement exact ?

– Autant d’énigmes, tu as raison, dit Vorski, lequel préféraitne pas examiner de trop près les détails de l’aventure, mais autantd’énigmes qui trouveront leur solution d’elles-mêmes, et dont je neme préoccupe pas pour l’instant, puisque ce n’est plus cethorripilant personnage qui me les pose.

Pour la troisième fois, ils franchirent l’étroit couloir decommunication. Vorski pénétra dans la grande salle en vainqueur, latête haute et le regard assuré. Plus d’obstacles, plus d’ennemi.Que ce fût la Pierre-Dieu que l’on voyait suspendue entre lesdalles de la voûte, ou que la Pierre-Dieu fût ailleurs, nul doutequ’il ne la découvrît. Restait cette femme mystérieuse qui avaitl’apparence de Véronique, mais qui ne pouvait pas être Véronique etdont il allait démasquer la véritable personnalité.

Si toutefois elle y est encore, murmura-t-il. Et je soupçonnefort qu’elle n’y est plus. Elle jouait son rôle dans lescombinaisons obscures du vieux Druide, et le vieux Druide mecroyant écarté…

Il avança et monta quelques marches.

La femme était là.

Elle était là, couchée sur la table inférieure du dolmen,entourée de voiles comme auparavant. Le bras ne pendait plus versle sol. Il n’y avait que la main qui émergeât des voiles. Au doigt,la bague de turquoises.

Otto lui dit :

– Elle n’a pas bougé, elle dort toujours.

– Peut-être dort-elle, en effet, prononça Vorski. Je vaisl’observer. Laisse-moi faire.

Il approcha. Il n’avait pas lâché le couteau de Conrad, etpeut-être est-ce cela qui lui donna l’idée de tuer, car son regardse baissa vers l’arme, et il sembla se rendre compte seulementalors qu’il la tenait et qu’il pouvait s’en servir.

Il n’était plus qu’à trois pas de la femme quand il s’aperçutque celui des deux poignets qui se trouvait découvert était toutmeurtri et comme marbré de taches noires, lesquelles provenaientévidemment de l’étreinte des cordes. Or, le vieux Druide lui avaitfait remarquer, une heure auparavant, que les poignets n’offraientaucune trace de meurtrissure !

Ce détail le bouleversa de nouveau, d’abord en lui prouvant quec’était bien la femme, mise en croix par lui, que l’on avaitdétachée et qui était sous ses yeux, et ensuite parce qu’ilrentrait soudain dans le domaine des miracles. Tour à tour le brasde Véronique lui apparaissait sous deux aspects différents, bras defemme vivante et intacte, bras de victime inerte et torturée.

Sa main tremblante serra le poignard, s’y accrochant pour ainsidire comme si c’était l’arme même du salut. Dans son esprit confussurgissait une fois de plus l’idée de frapper, non pas pour tuer,puisque cette femme devait être morte, mais pour frapper l’ennemiinvisible qui s’acharnait après lui, et pour conjurer d’un seulcoup tous les maléfices.

Il leva le bras. Il choisit la place. Sa figure prit sonexpression la plus sauvage et s’illumina de la joie du crime. Etbrusquement il s’abattit et frappa, comme un fou, au hasard, dixfois, vingt fois, avec un déchaînement frénétique de tous sesinstincts.

– Tiens, meurs, bégayait-il… meurs encore… et que ce soit fini…Tu es le mauvais génie qui s’oppose à moi… et je t’anéantis… Meursdonc pour que je sois libre ! … Meurs pour que je sois le seulmaître ! …

Il s’arrêta, afin de reprendre son souffle. Il était exténué. Ettandis que ses yeux hagards contemplaient, sans le voir, l’affreuxspectacle du corps lacéré, il eut l’impression étrange qu’une ombres’interposait entre lui et la lumière du soleil qui descendait del’ouverture supérieure.

– Sais-tu ce que tu me rappelles ? fit une voix.

Il fut interdit. Cette voix n’était point celle d’Otto. Et ellecontinua, pendant qu’il restait la tête baissée et tenantstupidement son poignard planté dans le corps de la morte.

– Sais-tu ce que tu me rappelles, Vorski ? Tu me rappellesles taureaux de mon pays – apprends que je suis espagnol et grandamateur de courses. Eh bien ? ces taureaux, quand ils ontembroché quelque pauvre vieux carcan hors d’usage, ils reviennentde temps à autre vers le cadavre, le retournent, l’embrochentencore, le tuent et le retuent sans cesse. Tu es comme eux, Vorski.Tu vois rouge. Pour te défendre contre l’ennemi vivant, tut’acharnes après l’ennemi qui ne vit plus, et c’est la mortelle-même que tu t’efforces de tuer. Quelle brute tufais !

Vorski leva la tête.

Un homme était debout devant lui, appuyé contre un des piliersdu dolmen. Cet homme, de taille moyenne, assez mince, biendécouplé, avait l’air encore jeune malgré ses cheveux grisonnantsautour des tempes. Il portait une vareuse gros-bleu à boutons d’oret une casquette de marin à visière noire.

– Pas la peine de chercher, dit-il. Tu ne me connais pas. DonLuis Perenna, grand d’Espagne[2] , seigneurde beaucoup de pays et prince de Sarek. Oui, ne t’étonne pas ;prince de Sarek, c’est un titre que je viens de m’offrir et auquelj’ai quelque droit.

Vorski le regardait sans comprendre. L’homme poursuivit :

– Tu ne sembles pas très familier avec le nobiliaire espagnol.Pourtant, rappelle-toi… je suis le monsieur qui devait venir ausecours de la famille d’Hergemont et des habitants de Sarek… celuique ton fils François attendait avec une foi si naïve… Hein ?tu y es ? Tiens, ton compagnon, le fidèle Otto, paraît serappeler, lui… Mais peut-être mon autre nom te dirait quelquechose… Il est avantageusement connu… Lupin ?… ArsèneLupin ?

Vorski l’observait avec une terreur croissante et un doute quise précisait à chaque parole et à chaque mouvement de ce nouveladversaire. S’il ne reconnaissait ni l’homme ni la voix de cethomme, il se sentait dominé par une volonté dont il avait déjàéprouvé la puissance, et fouetté par la même sorte d’ironieimplacable. Mais était-ce possible ?

– Tout est possible, même ce à quoi tu penses, reprit Don LuisPerenna. Mais, je le répète, quelle brute tu fais !Comment ! tu poses au grand bandit, à l’aventurierd’envergure, et tu n’es même pas fichu de t’y retrouver dans tescrimes ! Tant qu’il s’est agi de tuer au petit bonheur, tu asété droit ton chemin. Mais, au premier caillou, tu perds la boule.Vorski tue, mais qui a-t-il tué ? il n’en sait rien. Véroniqued’Hergemont est-elle morte ou vivante ? Est-elle liée sur lechêne où tu l’as crucifiée ? Ou bien étendue ici sur la tabledu sacrifice ? L’as-tu tuée là-haut ou dans cette salle ?Mystère. Tu n’as même pas eu l’idée, avant de frapper, de regarderqui tu frappais. L’essentiel pour toi, c’est de frapper à tour debras, de te griser à la vue et à l’odeur du sang, et, avec de lachair vivante, de faire une abominable bouillie. Mais regarde donc,idiot. Quand on tue, on n’a pas peur de tuer, et on ne cache pas levisage de sa victime. Regarde, idiot.

Lui-même se pencha sur le cadavre, et défit le voile quientourait la tête.

Vorski avait fermé les yeux. Agenouillé, le buste écrasé contreles jambes de la morte, il restait immobile et les paupièresobstinément closes.

– Ça y est, hein ? ricana don Luis. Si tu n’oses pasregarder, c’est que tu as deviné, ou que tu vas deviner, n’est-cepas, misérable ? N’est-ce pas, ton cerveau d’imbécile est entrain de faire le compte ? Il y avait dans l’île de Sarek deuxfemmes, et il n’y en avait que deux, Véronique et l’autre… L’autrequi s’appelait Elfride ? n’est-ce pas, je ne me trompepas ?… Elfride et Véronique… tes deux épouses… l’une la mèrede Raynold, l’autre la mère de François… et alors si ce n’est pasla mère de François que tu as attachée sur la croix, et que tuviens de frapper, c’est la mère de Raynold… Si ce n’est pasVéronique la femme qui est là et dont les poignets sont meurtrispar le supplice, c’est Elfride. Pas d’erreur possible… Elfride, tonépouse et ta complice… Elfride, ton âme damnée… Et tu le saistellement bien que tu aimes mieux me croire sur parole plutôt quede risquer un coup d’œil sur le visage livide de cette morte-là, deta complice obéissante et torturée par toi. Capon, va !

Vorski, en effet, avait caché sa tête dans son bras replié. Ilne pleurait pas ! Vorski ne pouvait pleurer. Cependant, sesépaules étaient agitées de secousses, et il y avait dans sonattitude l’expression du désespoir le plus farouche.

Cela dura assez longtemps. Puis le frissonnement des épaulescessa. Néanmoins, Vorski ne bougeait pas.

– Vrai, tu me fais pitié, mon pauvre vieux, reprit don Luis. Tuy tenais donc tant que cela à ton Elfride ? Une habitude,hein ? Un fétiche ? Que veux-tu, on n’est pas bête à cepoint-là, non plus ! On sait ce qu’on fait ! On serenseigne ! On réfléchit, que diable ! Or, toi, tu nagesdans le crime comme un nouveau-né qui se jetterait à l’eau. Riend’étonnant à ce que tu t’enfonces et à ce que tu coules. Ainsi levieux Druide est-il mort ou vivant ? Conrad lui a-t-il plantéson poignard dans le dos, ou bien est-ce moi qui joue le rôle de cediabolique individu ? Bref, y a-t-il un vieux Druide et ungrand d’Espagne, ou bien ces deux personnages ne font-ilsqu’un ? Tout cela, pour toi, mon pauvre enfant, c’est labouteille à l’encre. Il faudrait pourtant s’expliquer. Veux-tu queje t’aide ?

Si Vorski avait agi sans réfléchir, il fut facile de voir, quandil releva la tête, qu’il avait pris le temps de la réflexion etqu’il savait fort bien à quelle résolution désespérée lescirconstances l’acculaient. Il était certes prêt à s’expliquer,comme l’y conviait don Luis, mais le poignard en main et avec lavolonté implacable de s’en servir. Doucement, les yeux fixés surles yeux de don Luis, et sans cacher ses intentions, il avaitdégagé l’arme et il se redressait.

– Prends garde, fit don Luis, ton couteau est truqué comme tonrevolver. C’est du papier d’argent.

Plaisanteries inutiles. Rien ne pouvait précipiter ou ralentirl’élan raisonné qui poussait Vorski vers le combat suprême. Il fitle tour de la table sacrée et se planta devant don Luis.

– C’est bien toi, dit-il, qui, depuis quelques jours, te mets entravers de tous mes plans ?

– Depuis vingt-quatre heures, pas davantage. Il y a vingt-quatreheures que je suis arrivé à Sarek.

– Et tu es résolu à aller jusqu’au bout ?

– Plus loin, si possible.

– Pourquoi ? Dans quel intérêt ?

– En amateur, et parce que tu me dégoûtes.

– Donc pas d’accord possible ?

– Non.

– Tu refuserais d’entrer dans mon jeu ?

– Tu parles !

– Tu serais de moitié.

– J’aime mieux tout.

– C’est-à-dire que la Pierre-Dieu ?…

– La Pierre-Dieu m’appartient.

Toute autre parole était vaine. Un adversaire de ce calibre-làdoit être supprimé, sinon il vous supprime. Il fallait choisirentre les deux dénouements : il n’en existait pas un troisième.

Don Luis restait impassible, toujours adossé au pilier. Vorskile dominait de la tête, et en même temps Vorski avait cetteimpression profonde que, sous tous les rapports, comme force, commemusculature, comme poids, il lui était également supérieur. Dansces conditions comment eût-il hésité ? Et d’ailleurs ilsemblait inadmissible que don Luis pût seulement essayer de sedéfendre ou d’esquiver le coup avant que le poignard se fût abattu.Fatalement sa mise en garde, s’il ne bougeait pas à l’instant, seproduirait trop tard. Or, il ne bougeait pas. Vorski frappa donc entoute certitude, comme on frappe une proie condamnée d’avance.

Pourtant – et cela se passa si vite et d’une manière siinexplicable qu’il n’aurait pu dire à la suite de quellespéripéties il succomba –, pourtant, trois ou quatre secondes après,il était couché à terre, désarmé, vaincu, les deux jambes commerompues par un coup de bâton, et le bras droit inerte et douloureuxjusqu’à le faire crier.

Don Luis ne prit même pas la peine de le ligoter. Un pied sur legrand corps impuissant, il prononça, à demi courbé :

– Pour le moment, pas de discours. Je t’en réserve un de mafaçon que tu jugeras un peu longuet, mais qui te prouvera que jeconnais l’aventure depuis A jusqu’à Z, c’est-à-dire beaucoup mieuxque toi. Un seul point obscur, et tu vas l’éclaircir. Où est tonfils François d’Hergemont ?

Comme il ne recevait pas de réponse, il répéta :

– Où est François d’Hergemont ?

Sans doute Vorski estima-t-il que le hasard mettait entre sesmains un atout imprévu, et que la partie n’était pas perdue, car ilgarda un silence obstiné.

– Tu refuses de répondre ? demanda don Luis. Une fois… deuxfois… trois fois… tu refuses ? Parfait !

Il siffla légèrement.

Quatre hommes surgirent d’un coin de la salle, quatre hommes auvisage basané et qui avaient le type des Arabes du Maroc. Comme donLuis, ils portaient des vareuses et des casquettes de matelots, àvisière vernie.

Un cinquième personnage arriva presque aussitôt, un officierfrançais mutilé, dont la jambe droite se terminait par unpilon.

– Ah ! c’est vous, Patrice ? fit don Luis.

Il présenta, selon l’étiquette :

– Le capitaine Patrice Belval[3] , monmeilleur ami. M. Vorski, Boche.

Puis il reprit :

– Rien de neuf, mon capitaine ? Vous n’avez pas retrouvéFrançois ?

– Non.

– D’ici une heure nous l’aurons retrouvé, et nous partirons.Tous nos hommes sont au bateau ?

– Oui.

– Et tout va bien par là ?

– Très bien.

Il ordonna aux quatre Marocains :

– Emballez-moi le Boche, et montez-le jusqu’au dolmen d’en haut.Inutile de l’attacher, il est incapable d’un geste. Ah ! uneminute.

Il se pencha à l’oreille de Vorski.

– Avant de partir, regarde bien la Pierre-Dieu, entre les dallesdu plafond. Le vieux Druide ne t’a pas menti. C’est bien la pierremiraculeuse que l’on cherche depuis des siècles… et que j’aidécouverte, moi, de loin… par correspondance. Fais-lui tes adieux,Vorski ! Tu ne la reverras jamais, si tant est que tu doivesjamais revoir quelque chose en ce bas monde.

Il fit un signe.

Vivement les quatre Marocains se saisirent de Vorski etl’emportèrent dans le fond de la salle, du côté opposé au couloirde communication.

Don Luis se tourna vers Otto, lequel avait assisté immobile àtoute la scène :

– Je vois que tu es un garçon raisonnable, Otto, et que tucomprends la situation. Tu ne te mêleras de rien ?

– De rien.

– Alors, on te laissera tranquille. Tu peux nous suivre sanscrainte.

Il passa son bras sous le bras du capitaine, et ils s’enallèrent en causant.

On sortait de la salle de la Pierre-Dieu par une série de troisautres cryptes dont chacune se trouvait à un niveau plus élevé quecelle qui la précédait, et dont la dernière aboutissait également àun vestibule. À l’extrémité de ce vestibule, une échelle étaitplantée contre une paroi, dans laquelle on avait pratiqué récemmentune ouverture en défonçant une frêle maçonnerie de sable et dechaux.

Par là ils débouchèrent en plein air, au milieu d’un sentierabrupt, coupé de marches, qui tournait en montant dans le roc, etqui les conduisit à l’endroit de la falaise où François avait menéVéronique la veille au matin. C’était la montée de la Poterne. D’enhaut, on apercevait, suspendue à deux bras de fer, la barque surlaquelle Véronique et son fils auraient dû s’enfuir. Non loin, dansune petite baie, s’allongeait la silhouette effilée d’unsous-marin.

Tournant le dos à la mer, don Luis et Patrice Belvalpoursuivirent leur chemin vers l’hémicycle de chênes ets’arrêtèrent près du Dolmen-aux-Fées. Les Marocains les yattendaient. Ils avaient assis Vorski au pied de l’arbre même où sadernière victime était morte. À cet arbre, il ne restait plus commetémoignage de l’abominable supplice que l’inscription V. d’H.

– Pas trop fatigué, Vorski ? demanda don Luis. Les jambesvont mieux ?

Vorski haussa les épaules d’un air méprisant.

– Oui, je sais, reprit don Luis, tu as confiance dans ta cartesuprême. Pourtant, tu devrais savoir que, moi aussi, j’ai quelquesatouts, et que je joue avec une certaine maîtrise. L’arbre qui estderrière toi te le prouve surabondamment. Veux-tu un autreexemple ? Tandis que tu t’embrouilles dans tes crimes et quetu ne connais plus le nombre de tes morts, moi je les ressuscite.Regarde celui-ci qui vient du Prieuré. Tu le vois ? Il portecomme moi la vareuse à boutons d’or… C’est une de tes victimes,hein ? Tu l’avais enfermé dans une des cellules de torturepour le jeter à la mer, et c’est ton chérubin de Raynold qui l’y aprécipité sous les yeux de Véronique. Tu te rappelles ?Stéphane Maroux ?… Il est mort, n’est-ce pas ? Eh bien,pas du tout… D’un coup de ma baguette magique, je le ranime. Et levoici. Et je lui donne la main. Et je lui parle…

De fait il s’était avancé vers le nouveau venu, lui serrait lamain, et lui disait :

– Vous voyez, Stéphane, je vous avais averti qu’à midi tapanttout serait fini, et qu’on se retrouverait au Dolmen. Il est miditapant.

Stéphane semblait en excellente santé. Aucune trace de blessure.Vorski le regardait avec épouvante, et balbutia :

– Le professeur… Stéphane Maroux…

– Lui-même, dit don Luis. Que veux-tu ? Là encore tu as agicomme un crétin. L’adorable Raynold et toi, vous jetez un homme àla mer et vous n’avez même pas l’idée de vous pencher et de vousrendre compte de ce qu’il devient. Moi je le recueille… Et net’épate pas, mon bon… Ce n’est que le début et j’ai encore quelquestours dans mon sac. Pense donc, je suis l’élève du vieuxDruide !… Et alors Stéphane, où en sommes-nous ? Vosrecherches ?

– Inutiles.

– François ?

– Impossible de le retrouver.

– Et Tout-Va-Bien, vous l’avez lancé sur la piste de son maîtrecomme c’était convenu ?

– Oui, mais il m’a simplement conduit par la Poterne jusqu’à labarque de François.

Il n’y a pas de cachette de ce côté ?

– Aucune.

Don Luis garda le silence et se mit à marcher de long en largedevant le dolmen. Il avait l’air d’hésiter au dernier moment, avantde s’engager dans la série d’actes qu’il avait résolus.

Enfin, s’adressant à Vorski, il lui dit :

– Je n’ai pas de temps à perdre. D’ici deux heures, il faut quej’aie quitté l’île. Combien me vends-tu la liberté immédiate deFrançois ?

Vorski répliqua :

– François s’est battu en duel avec Raynold, et il a eu ledessous.

– Tu mens, c’est François qui l’a emporté.

– Qu’en sais-tu ? Tu les as vus combattre ?

– Non ! sans quoi je serais intervenu. Mais je sais qui futle vainqueur.

– Personne que moi ne le sait. Ils étaient masqués.

– Alors si François est mort, tu es perdu.

Vorski réfléchit.

L’argument était péremptoire. Il prononça, interrogeant à sontour :

– Bref, qu’est-ce que tu m’offres ?

– La liberté.

– Et avec ça ?

– Rien.

– Si, la Pierre-Dieu.

– Jamais !

L’exclamation de don Luis fut violente, accompagnée d’un gestecoupant, et il l’expliqua :

– Jamais ! La liberté, au pis-aller, oui, et parce que telque je te connais et dénué de toute ressource, tu iras te fairependre ailleurs. Mais, la Pierre-Dieu, ce serait le salut, larichesse, la puissance, le pouvoir de faire le mal…

– C’est justement pour cela que j’y tiens, dit Vorski, et, en meconfirmant ce qu’elle vaut, tu me rends plus exigeant en ce quiconcerne François.

– Je trouverai François. C’est une question de patience, et,s’il le faut, je resterai deux ou trois jours de plus.

– Tu ne le retrouveras pas, et, si tu le retrouves, il sera troptard.

– Pourquoi ?

– François n’a pas mangé depuis hier.

Cela fut dit froidement, méchamment. Il y eut un silence et donLuis reprit :

– En ce cas, parle, si tu ne veux pas qu’il meure.

– Que m’importe ? Tout plutôt que de manquer à ma tâche etde m’arrêter dans le chemin que je suis. J’atteins au but : tantpis pour ceux qui s’interposent entre ce but et moi.

– Tu mens. Tu ne laisseras pas mourir cet enfant, qui est letien.

– J’ai bien laissé mourir l’autre.

Patrice et Stéphane eurent un geste d’horreur, tandis que donLuis riait franchement.

– À la bonne heure ! Pas d’hypocrisie avec toi. Desarguments nets et probants. Nom d’un chien ! est-ce beau unBoche qui étale son âme ! Quel magnifique mélange de vanité etde cruauté, de cynisme et de mysticisme ! Un Boche a toujoursune mission à remplir, alors même qu’il se contente de cambriolerou d’assassiner. Or, toi, tu es plus qu’un Boche, tu es unSuperboche !

Et il ajouta en riant :

– Aussi c’est comme un Superboche que je veux te traiter. Unedernière fois, consens-tu à me dire où est François ?

– Non.

– C’est bien.

Très calmement, il se retourna vers les quatre Marocains.

– Allez-y, les enfants.

Ce fut l’affaire d’un instant. Avec une précision de gestesvraiment extraordinaire, et comme si l’acte eût été décomposé en uncertain nombre de mouvements, appris et répétés d’avance à la façond’un exercice militaire, ils ramassèrent Vorski, l’attachèrent à lacorde qui pendait de l’arbre, le hissèrent sans s’occuper de sescris, de ses menaces et de ses hurlements, et le lièrent solidementcomme il avait lié sa victime.

– Gueule, mon bonhomme, prononça paisiblement don Luis, gueuletant que tu voudras ! Tu ne peux réveiller que les sœursArchignat et que ceux des trente cercueils ! Gueule, si çat’amuse. Mais pour Dieu, que tu es laid ! Quellegrimace !

Il recula de quelques pas, pour mieux juger du spectacle.

– À merveille ! tu fais très bon effet et tout est bien aupoint… Jusqu’à l’inscription V. d’H. : Vorski deHohenzollern ! car je suppose que, comme fils de roi, tu esallié à cette noble maison. Et maintenant, Vorski, tu n’as plusqu’à prêter une oreille attentive ; je vais te servir le petitdiscours promis.

Vorski se convulsait sur l’arbre et tâchait de briser ses liens.Mais, comme tout effort ne servait qu’à augmenter sa souffrance, ilse tint tranquille, et, pour exhaler sa rage, il se mit à jurer età blasphémer atrocement, tout en apostrophant don Luis :

– Voleur ! assassin ! c’est toi l’assassin !c’est toi qui condamnes François ! François a été blessé parson frère, sa blessure est mauvaise et peut s’envenimer…

Stéphane et Patrice intervinrent auprès de don Luis… Stéphaneavait peur.

– Est-ce qu’on sait ? dit-il. Avec un pareil monstre, toutest possible. Et si l’enfant est malade ?…

– Des balivernes ! du chantage ! affirma don Luis.L’enfant se porte bien.

– Êtes-vous sûr ?

– Assez bien, en tout cas, pour pouvoir attendre une heure. Dansune heure, le Superboche aura parlé. Il ne résistera pas pluslongtemps. La pendaison délie la langue.

– Et s’il ne résiste pas du tout ?

– Comment cela ?

– Oui, s’il y passe à son tour ? un effort trop violent,une rupture d’anévrisme, un caillot de sang ?

– Eh bien ?

– Eh bien, sa mort nous priverait du seul espoir que nous ayonsd’être renseignés sur la retraite de François.

Mais don Luis fut inflexible.

– Il ne mourra pas ! s’écria-t-il, un type comme Vorski nemeurt pas d’un coup de sang ! Non, non, il parlera. D’ici uneheure il parlera. Juste le temps de placer mon discours !

Malgré lui, Patrice Belval se mit à rire.

– Vous avez donc un discours à placer ?

– Et quel discours ! s’exclama don Luis. Toute l’aventurede la Pierre-Dieu ! Un traité d’histoire, une vue d’ensemblequi va des temps préhistoriques aux trente crimes duSuperboche ! Bigre, on n’a pas tous les jours l’occasion defaire une pareille conférence, et je ne la raterais pas pour unempire ! En chaire, don Luis, et vas-y de tonboniment !

Il se planta devant Vorski.

– Veinard ! tu es aux premières loges, toi, tu n’en perdraspas une goutte. Hein ! ça fait plaisir, un peu de lumière dansces ténèbres ? Depuis le temps qu’on patauge, on éprouve lebesoin d’une direction vigoureuse. Moi, je t’assure que je commenceà ne plus m’y reconnaître… Pense donc ! Une énigme qui duredepuis des siècles et des siècles, et que tu n’as faitqu’embrouiller !

– Bandit ! Voleur ! grinça Vorski.

– Des insultes ! et pourquoi ? Si tu n’es pas à tonaise, parle-nous de François.

– Jamais ! il mourra.

– Mais non. Tu parleras. Je te permets de m’interrompre. Pourm’arrêter, tu n’auras qu’à siffler un petit air : « J’ai du bontabac » ou bien « Maman, les p’tits bateaux qui vont sur l’eau ».Aussitôt, j’enverrai aux recherches et, si tu n’as pas menti, on telaissera tranquille ici. Otto te détachera, et vous pourrez fileravec la barque de François. C’est convenu ?

Il se tourna vers Stéphane Maroux et vers Patrice Belval.

– Asseyez-vous, mes amis, car ce sera un peu long, mais pourêtre éloquent, j’ai besoin d’auditeurs… des auditeurs qui serontdes juges aussi.

– Nous ne sommes que deux, dit Patrice.

– Vous êtes trois.

– Avec qui ?

– Voici le troisième.

C’était Tout-Va-Bien. Il arrivait au petit trot, sans plus sehâter qu’à l’ordinaire. Il fit fête à Stéphane, remua la queuedevant don Luis, d’un air qui disait : « Toi, je te connais, noussommes copains… » et prit place sur son derrière, comme quelqu’unqui ne veut déranger personne.

– Parfait, Tout-Va-Bien, s’écria don Luis, tu éprouves, toiaussi, le désir de te renseigner sur l’aventure. Cette curiositét’honore, et tu seras content de moi.

Don Luis paraissait enchanté. Il avait un auditoire, untribunal. Vorski se tordait sur son arbre. L’heure était vraimentdélicieuse.

Il esquissa un semblant d’entrechat qui aurait pu rappeler àVorski les pirouettes du vieux Druide, et, se redressant, il salualégèrement, fit le geste du conférencier qui porte un verre d’eau àses lèvres, puis appuya ses deux mains sur une table imaginaire, etenfin commença, d’une voix posée :

« Mesdames, Messieurs,

« Le vingt-cinq juillet sept cent trente-deux avantJésus-Christ…

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