Chapitre 9
J’espère avoir suffisamment développé mes idées dans leschapitres précédents pour donner à penser au lecteur, et pour lemettre à même de faire des découvertes dans cette brillantecarrière ; il ne pourra qu’être satisfait de lui, s’ilparvient un jour à savoir faire voyager son âme toute seule ;les plaisirs que cette faculté lui procurera balanceront du resteles quiproquo qui pourront en résulter. Est-il unejouissance plus flatteuse que celle d’étendre ainsi son existence,d’occuper à la fois la terre et les cieux, et de doubler, pourainsi dire, son être ? – Le désir éternel et jamais satisfaitde l’homme n’est-il pas d’augmenter sa puissance et ses facultés,de vouloir être où il n’est pas, de rappeler le passé et de vivredans l’avenir ? – Il veut commander aux armées, présider auxacadémies ; il veut être adoré des belles, et, s’il possèdetout cela, il regrette alors les champs et la tranquillité, etporte envie à la cabane des bergers : ses projets, ses espéranceséchouent sans cesse contre les malheurs réels attachés à la naturehumaine ; il ne saurait trouver le bonheur. Un quart d’heurede voyage avec moi lui en montrera le chemin.
Eh ! que ne laisse-t-il à l’autre ces misérablessoins, cette ambition qui le tourmente ? – Viens, pauvremalheureux ! fais un effort pour rompre ta prison, et, du hautdu ciel où je vais te conduire, du milieu des orbes célestes et del’empyrée, – regarde la bête, lancée dans le monde, courir touteseule la carrière de la fortune et des honneurs ; vois avecquelle gravité elle marche parmi les hommes : la foule s’écarteavec respect, et, crois-moi, personne ne s’apercevra qu’elle esttoute seule ; c’est le moindre souci de la cohue au milieu delaquelle elle se promène, de savoir si elle a une âme ou non, sielle pense ou non. – Mille femmes sentimentales l’aimeront à lafureur sans s’en apercevoir ; elle peut même s’élever, sans lesecours de ton âme, à la plus haute faveur et à la plus grandefortune. – Enfin, je ne m’étonnerais nullement si, à notre retourde l’empyrée, ton âme, en rentrant chez elle, se trouvait dans labête d’un grand seigneur.
