La maison du péril Agatha Christie

— Vous dites qu’elle ne le mérite pas ?

— Je le maintiens. Ne vous ai-je pas dit, dès le début, qu’elle avait une brute de mari ? Vous avez pu en juger par vous-même, ce soir. En outre, cet homme est mort. À quoi bon discuter davantage là-dessus ? Que la police continue à rechercher l’assassin de Maggie. D’ailleurs, elle peut courir, elle ne le rattrapera jamais.

— Ainsi, c’est là votre conclusion, Mademoiselle ? Étouffons toute l’affaire ?

— Oui, je vous en prie, je vous en supplie, cher Monsieur Poirot.

Poirot jeta un regard circulaire sur l’auditoire.

— Qu’en pensez-vous, Mesdames et Messieurs ?

Chacun répondit à tour de rôle.

— Je suis d’accord, dis-je, voyant que Poirot m’observait.

— Moi également, renchérit Lazarus.

— Je n’envisage pas de meilleure solution, repartit Challenger.

— Oublions tout ce qui s’est passé ce soir dans cette pièce, suggéra Mr Croft, d’un ton ferme.

— Je vous attendais là, souligna Japp.

— Soyez indulgente, chérie, supplia Mrs Croft, s’adressant à Nick qui, pour toute réponse, la toisa de son mépris.

— Ellen ?

— Moi et Williams ne souffleront mot, Monsieur. Moins il en sera dit, mieux cela vaudra.

— Qu’en dites-vous, Mr Vyse ?

— On ne peut étouffer une telle histoire. Les faits doivent être portés à la connaissance des milieux intéressés.

— Charles ! s’exclama Nick.

— Excusez-moi, Nick, mais je considère la question du point de vue légal.

Dans un éclat de rire, Poirot s’écria :

— Ainsi, vous êtes sept contre un, ce soir, Japp restant neutre !

— Je vous répète que je suis en congé. Ma voix ne compte pas !

— Sept contre un ! Mais la voix de Mr Vyse représente l’ordre et la loi ! Mr Vyse, vous êtes un homme de caractère !

L’interpellé haussa les épaules.

— La question est bien nette. Il n’y a qu’une seule position à prendre.

— Vous êtes un honnête homme. Eh bien, moi aussi, je me range dans la minorité. Je suis, avant tout, pour la vérité.

— Monsieur Poirot ! s’écria Nick.

— Mademoiselle… vous m’avez entraîné dans cette affaire : j’ai répondu à votre appel. Vous ne pouvez plus m’imposer silence.

Levant son index d’un geste menaçant très bien connu de moi, il poursuivit :

— Veuillez tous vous asseoir… je vais vous apprendre… la vérité.

Subjugué par son attitude impérative, tout le monde obéit à l’intimation de Poirot et les regards se rivèrent sur lui.

— Voici ! Je possède une liste… une liste des personnes mêlées directement ou indirectement au meurtre de Maggie Buckley. Je les ai désignées par des lettres de l’alphabet allant jusqu’à « J » inclus. Celle-ci représente une personne inconnue, rattachée au crime par l’une des neuf autres. Jusqu’à ce soir, j’ignorais l’identité de « J », bien que persuadé de son existence. Les événements qui viennent de se dérouler me montrent surabondamment que j’avais vu juste.

« Cependant, m’étant aperçu, hier, que j’avais commis une erreur, ou plus exactement une omission, j’ajoutai à ma liste la lettre « K ».

— Une autre inconnue ? demanda Vyse avec un léger ricanement.

— Pas précisément. « J » personnifiait une inconnue, la lettre « K » a une tout autre signification. En effet, cette initiale correspond à un personnage qui aurait dû figurer dans ma liste originale et que j’avais simplement oublié.

Il se pencha sur Frederica et lui dit :

— Rassurez-vous, Madame. Votre mari n’est pas coupable : c’est « K » qui a tué Miss Maggie.

Elle écarquilla les yeux de surprise.

— Mais qui est « K » ?

Poirot fit signe à Japp. L’inspecteur s’approcha et exprima de la même voix lente et précise qu’il aimait à employer au cours de ses dépositions judicaires :

— Conformément aux ordres reçus, je m’insinuai ce soir parmi vous, M. Poirot m’ayant introduit secrètement dans cette maison. Caché derrière les rideaux du salon, voici ce dont je fus témoin : lorsque tout le monde eut pris sa place ici, une jeune femme entra dans la pièce où je me trouvais et tourna le commutateur. Elle se dirigea ensuite vers la cheminée et ouvrit une petite cachette dissimulée dans le lambris ; elle en tira un revolver et s’éloigna. J’eus l’idée de la suivre. Laissant la porte légèrement entrebâillée, je fus à même de bien observer les faits et gestes de cette étonnante visiteuse. Les invités avaient déposé leurs vêtements dans le vestibule. Je vis la jeune personne essuyer méticuleusement son arme avec son mouchoir et la glisser dans la poche d’un manteau gris, qui appartient, je crois, à Mrs Rice…

Nick laissa échapper un cri.

— C’est faux… entièrement faux !

Levant une main accusatrice vers la jeune fille, Poirot s’écria :

— Voici le personnage « K » ! C’est Mlle Nick qui a tué sa propre cousine, Maggie Buckley.

— Êtes-vous devenu fou ? hurla Nick. Pourquoi aurais-je tué Maggie ?

— Pour hériter de la fortune que lui a laissée Michel Seton ! Elle aussi s’appelait Magdala Buckley. L’aviateur était fiancé avec elle et non avec vous !

— Vous… vous…

Elle tremblait comme une feuille, incapable de proférer un mot.

Poirot se tourna vers Japp.

— Avez-vous avisé le bureau de police ?

— Oui, les policiers attendent dans le vestibule. Ils ont apporté avec eux le mandat d’arrêt.

— Vous êtes tous fous à lier ! s’écria de nouveau Nick, d’une voix pleine de mépris.

Elle se précipita vers Frederica.

— Freddie, donnez-moi, en souvenir, votre montre-bracelet, voulez-vous ?

Lentement Frederica détacha sa montre rehaussée de pierres précieuses et la remit à Nick.

— Merci. Et maintenant subissons, jusqu’au bout, cette comédie profondément grotesque.

— Ah ! oui ! La comédie projetée par vous et montée pour la « Maison du Péril. » Permettez-moi de vous dire, Mademoiselle, que vous n’auriez jamais dû en confier le rôle de vedette à Hercule Poirot. Vous avez commis là une erreur, Mademoiselle… une très grave erreur.

Nick sortit, accompagnée de Japp.

CHAPITRE XXII

LA FIN DE L’HISTOIRE

— Désirez-vous que je m’explique ?

Poirot promena son regard autour de lui, avec un sourire satisfait et son air de feinte modestie.

Nous nous étions retirés dans le salon. Les domestiques s’étaient éloignés discrètement, et les Croft avaient été priés d’accompagner les policiers. Seuls Frederica, Lazarus, Challenger, Vyse et moi-même restions présents.

— Eh bien, j’avoue avoir été roulé de façon absolue. La petite Nick m’a eu comme elle a voulu. Vous aviez raison, Madame, de m’avertir que votre amie était une habile petite menteuse !

— Nick n’a fait que mentir dans sa vie, dit Frederica avec calme ; voilà pourquoi je n’ai jamais attaché la moindre créance à ses extraordinaires récits d’attentats.

— Et moi, pauvre imbécile, je les avalais !

— Ils étaient donc tous faux ? demandai-je encore incrédule, je l’avoue.

— Oui, elle les inventait de toutes pièces, de manière à créer une atmosphère autour d’elle.

— Comment cela ?

— On était ainsi tenté de croire sa vie en danger. Je vais, si vous le voulez bien, remonter un peu plus loin dans le passé, d’après les renseignements que j’ai pu rassembler sur le compte de Miss Buckley. Jeune et jolie, sans scrupules et fanatiquement éprise de sa demeure.

— Je vous l’avais dit, renforça Charles Vyse.

— Vous ne vous trompiez point. Miss Nick adorait la « Maison du Péril » ; mais, hélas ! elle ne possédait aucune fortune et sa propriété était grevée d’hypothèques. Il lui fallait absolument de l’argent, mais elle ne parvenait pas à s’en procurer. Au hasard d’un séjour au Touquet, elle rencontra le jeune Seton. Elle sait que, selon toute probabilité, il héritera de son oncle, dont la fortune se monte à des millions de livres sterling. Tout va bien pense-t-elle, son étoile commence à briller. Cependant, le jeune homme n’est pas très emballé ; il considère Nick comme une agréable camarade, sans plus. Ils se donnent rendez-vous à Scarborough, Seton emmène Nick à bord de son appareil. Catastrophe ! Le jeune aviateur fait alors la connaissance de Maggie dont il devient éperdument amoureux.

Miss Nick n’en revient pas, elle qui n’avait jamais voulu admettre le moindre charme chez sa cousine ! Toutefois, le jeune Seton en juge tout autrement ; il ne voit que par elle. Ils se fiancent secrètement, une seule personne est mise au courant : Miss Nick, à qui Maggie est ravie de confier son bonheur. Elle va même jusqu’à lui communiquer certaines lettres de son fiancé. C’est ainsi que Nick entend parler du testament. Sur le moment, elle n’y prête aucune attention, mais le fait n’en demeure pas moins dans sa mémoire.

« Puis surviennent successivement la mort inattendue de sir Matthew Seton ; puis les nouvelles de la disparition de son neveu, et aussitôt un projet odieux s’échafaude dans l’esprit de notre jeune demoiselle. Seton ignorait que les deux cousines portaient le même prénom, Magdala : d’où le peu de précision apporté dans la rédaction de son testament. Nick ne doute pas un seul instant que pour le commun des mortels Seton est son admirateur : elle est donc certaine de ne point créer de surprise en se disant fiancée à l’aviateur. Néanmoins, pour que la réussite couronne cette épouvantable machination, Maggie doit disparaître.

« Le temps presse. Elle invite Maggie à venir passer quelques jours auprès d’elle. Puis commence la série des « attentats » (le tableau dont elle coupe la corde ; les freins de la voiture qu’elle parvient à fausser ; la roche qui dévale de la falaise, accident possible après tout, la prétendue présence de Nick en bas du chemin, à ce moment précis, n’était que pure invention), voici qu’elle lit mon nom dans les journaux (combien de fois vous ai-je dit, Hastings que tout le monde me connaît) et l’audacieuse pensée lui vint de me choisir comme complice ! La jolie mise en scène de la balle qui traverse le chapeau, laquelle tombe à mes pieds ! Pris au piège, je me pose en défenseur. Je crois au péril qui menace ses jours ! En un mot, elle s’est attachée un témoin de valeur. Je fais admirablement son jeu en insistant pour qu’elle fasse venir une amie auprès d’elle.

« Elle saisit l’occasion et prie sa cousine d’avancer d’un jour son voyage. Désormais, le chemin s’aplanit devant elle. Elle s’absente au cours du dîner et, après avoir appris par T.S.F. la confirmation du décès de Seton, elle met aussitôt son plan à exécution. Elle s’empare des lettres de Seton à Maggie qui serviront le mieux à sa triste cause et les range dans sa chambre. Plus tard, Maggie et Nick quittent le feu d’artifice et rentrent à la maison ; elle commande à sa cousine de revêtir son châle pour ne pas prendre froid, puis, courant subrepticement après elle, elle l’abat d’un coup de revolver. Immédiatement, elle dissimule l’arme dans sa cachette (qu’elle croit ignorée de tout le monde), puis elle monte et attend les événements. Des cris se font entendre. On vient de découvrir le cadavre. Le rôle public de Nick va commencer : elle descend en toute hâte et se précipite dans le jardin. Quelle actrice consommée ! Oui, elle a su créer un beau drame. Ellen me disait l’autre jour qu’elle supposait cette demeure hantée par les esprits du mal. J’inclinerais à la croire. N’est-ce pas cette maison qui l’a inspirée à commettre son crime ?

— Et les bonbons empoisonnés ? remarqua Frederica.

— Autre stratagème très habile. Comprenez-moi bien ! Un nouvel attentat contre la vie de Nick, après le décès de sa cousine, confirmait définitivement le fait que, la première fois, l’assassin de Maggie s’était trompé de personne.

« Au moment propice, Nick pria Mrs Rice, par téléphone, de lui apporter une boîte de chocolats…

— Mais alors, c’était sa voix ?

— Naturellement ! Souvent l’explication la plus simple demeure la vraie.

« Nick se contente de contrefaire légèrement sa voix de façon à créer le doute dans votre esprit lorsque vous serez interrogée. Une fois la boîte en sa possession elle remplit de cocaïne trois bonbons (elle avait pris soin de se procurer de la drogue et de la dissimuler adroitement), en mange un, et tombe malade, sans toutefois risquer de s’empoisonner. Elle connaît la dose que son organisme peut supporter et le genre de symptômes qu’il convient de manifester. Que faisait ma carte dans tout cela ? Parbleu ! Je l’avais jointe en lui faisant porter des fleurs. Rien de bien compliqué, il suffisait d’y penser…

Après un silence, Frederica demanda :

— Pourquoi cachait-elle le revolver dans mon manteau ?

— Je m’attendais à cette question, Madame. N’avez-vous jamais compris que non seulement Miss Nick n’avait plus la moindre affection pour vous, mais que peut-être elle vous haïssait ?

— C’est difficile à dire, avoua Frederica. Nous menions une vie si hypocrite ! À un certain moment, cependant, je crois qu’elle m’aimait beaucoup.

— Monsieur Lazarus, je vous prie de me répondre en toute franchise : y a-t-il eu quelque chose entre elle et vous ?

— Non, répondit Lazarus en hochant la tête. Pendant un temps, je me suis senti fort attiré par Nick, puis sans trop savoir pourquoi, je m’éloignai d’elle.

— Ah ! ah ! dit Poirot, voilà une des causes de son malheur. Elle inspirait tout d’abord une vive sympathie, puis brusquement on éprouvait le besoin de l’éviter. Aussi, au lieu de vous attacher à Nick, petit à petit vous vous intéressâtes à son amie ; de là Nick se prit à haïr Mrs Rice, en la voyant aimée et par un ami riche et puissant. L’hiver dernier, lorsqu’elle fit un testament, elle éprouvait encore une grande affection pour Madame, mais cela ne dura pas.

« Elle se souvint de ce testament, mais elle ignorait que Croft l’ayant supprimé, il n’était jamais parvenu à destination. Le monde croirait ainsi que Mrs Rice avait une raison de supprimer Nick, ce qui explique pourquoi celle-ci s’est adressée à son amie pour lui demander de lui envoyer une boîte de chocolats. Ce soir aurait lieu la lecture du testament, instituant Mrs Rice légataire universelle, et on découvrirait, dans la poche de son manteau, le revolver qui avait servi à tuer Maggie Buckley.

— Comme elle devait me détester pour avoir échafaudé pareil guet-apens ! murmura Frederica.

— Oui, Madame, car vous possédez une vertu qu’elle n’a pas : celle de conquérir l’amour et de le conserver.

— Je dois avoir la tête dure, car je n’ai pas encore saisi cette affaire du testament dont on nous a donné connaissance ce soir.

— C’est pourtant la simplicité même. Les Croft se débattent dans une situation pécuniaire assez critique. Une occasion s’offre à eux de s’enrichir. Miss Nick va subir une opération et leur avoue ne pas avoir songé à son testament : aussi se hâtent-ils de lui en faire faire un qu’ils se chargeront de mettre à la poste. S’il arrive malheur à la jeune fille, ils se prévaudront d’un acte habilement contrefait, par lequel tout l’argent reviendra à Mrs Croft sous prétexte de services rendus à Philip Buckley, père, lors de son séjour en Australie (dont ils ont eu vent au hasard d’une conversation).

« Mais, hélas ! les choses tournent différemment, l’opération réussit à merveille, et le faux testament perd toute valeur, momentanément. Cependant, la série des attentats sur la personne de Nick commence, et voici nos amis Croft redevenus pleins d’espoir. Leur joie atteint son comble lorsque je leur annonce la mort de la jeune fille ; l’occasion est trop belle pour qu’ils la laissent échapper… Aussitôt ils adressent l’acte falsifié à Mr Vyse. Tout d’abord, les Croft croient Miss Buckley bien plus riche qu’elle n’est en réalité, car ils ignorent tout des hypothèques.

— Il est un point sur lequel j’aimerais à être fixé, demanda Lazarus. Comment avez-vous pu percer tous ces complots et quand avez-vous commencé à percevoir des doutes ?

— Ah ! si vous saviez combien j’ai honte de moi-même ! Hélas ! il m’a fallu longtemps pour y voir clair ; bien des faits m’intriguaient par leur anomalie, par exemple, les contradictions entre les dires de Miss Nick et ce que j’apprenais par des tiers. Par malheur, j’accordais une inébranlable confiance à la jeune fille.

« Un jour, Miss Nick commit une grosse bévue et ce fut pour moi une révélation. Lorsque je la priai de faire venir une amie pour vivre auprès d’elle, elle me promit d’acquiescer à mon désir… mais elle avait déjà écrit à ce sujet à Miss Maggie et elle crut habile sans doute de me cacher ce fait pour ne pas éveiller mes soupçons. Voilà son erreur !

« Or, dès son arrivée à Saint-Loo, sa cousine envoya une lettre à ses parents et une phrase bien innocente m’intrigua : Je ne comprends pas pourquoi elle m’a ainsi télégraphié de venir, j’aurais aussi bien pu n’arriver que mardi. Que signifie ce passage de la lettre ? Seulement ceci : que, de toute façon, Maggie devait arriver le mardi. En ce cas, Miss Nick avait pour le moins altéré la vérité.

« Dès ce moment, la méfiance naquit dans mon esprit, j’épluchai ses déclarations et me posai maintes fois cette question : « Et si ce qu’elle me dit n’était pas vrai ? » Devant ses continuelles contradictions, je finis par supposer que Miss Nick me mentait sur toute la ligne.

« Dès lors, je me donnai comme consigne de chercher simplement à rétablir, si possible, les faits réels. Maggie avait été assassinée, mais qui avait intérêt à sa disparition ? Tout à fait par hasard, ma pensée se remémora quelques remarques apparemment insignifiantes que Hastings avait faites peu de temps auparavant sur les nombreux diminutifs et abréviations de Marguerite, Maggie, Margot, etc. Or, l’idée me vint de connaître le véritable prénom de Maggie.

« Puis tout à coup, j’eus une inspiration. Si elle s’appelait Magdala ! Ne m’avait-elle pas dit que ce patronyme était très répandu parmi les Buckley ? Pourquoi n’y aurait-il pas deux Magdala Buckley ?

« J’essayai de me rappeler celles des lettres de Seton que j’avais lues et me souvins qu’il parlait de Scarborough… Mais Maggie n’était-elle pas allée dans cette ville avec Nick ?… sa mère me l’avait dit.

« J’eus là l’explication d’un détail qui m’avait intrigué : pourquoi y avait-il si peu de lettres de Seton ? En général, lorsqu’une jeune fille garde des billets doux, elle les garde tous. Pourquoi un choix de quelques-unes seulement ? Leur contenu était-il d’un caractère particulier ?

« Il me souvint alors qu’aucune de celles qui m’étaient passées sous les yeux ne portait de prénom. Toutes commençaient, de façon distincte, par une appellation tendre et affectueuse, mais le nom de Nick n’était cité nulle part.

« J’aurais dû remarquer tout de suite un autre fait qui me crevait les yeux : le 27 février dernier, Miss Nick fut opérée de l’appendicite. Or, dans une lettre de Seton datée du 2 mars, le jeune aviateur n’y fait pas la moindre allusion. Cela seul aurait dû suffire à me démontrer que les lettres étaient adressées à une tout autre personne. J’établis donc une série de questions et, en regard de chacune d’elles, j’inscrivis une phrase en tenant compte de ma nouvelle découverte. Sauf de rares exceptions, les réponses s’avéraient simples et convaincantes. Un détail, entre autres, me rendait depuis longtemps perplexe : pourquoi Miss Nick s’était-elle procuré une robe noire ? Tout bonnement pour être vêtue comme sa cousine, le châle écarlate devant constituer la note complémentaire. Je ne voyais pas de solution plus vraisemblable. Aucune jeune fille n’aurait normalement porté le deuil de son fiancé avant de connaître de façon certaine la mort de celui-ci.

« Voilà pourquoi je décidai ma mise en scène de mon petit drame et le succès dépassa mes prévisions : Nick avait nié formellement l’existence du panneau secret, cependant Ellen avait été affirmative et rien ne pouvait me faire la soupçonner de mentir sur ce point. Pourquoi cette protestation de la part de Nick ? Aurait-elle dissimulé dans la cachette le revolver avec la secrète intention de s’en servir et de rejeter la suspicion sur quelqu’un d’autre ?

« Je lui laissai croire que les apparences étaient nettement défavorables à Mrs Rice. Cette attitude convenait parfaitement au plan de Miss Nick. Comme je le prévoyais, elle n’eut rien de plus pressé que d’inventer un témoignage écrasant qui la mettait à l’abri au cas où le panneau mobile et son contenu seraient découverts par Ellen !

« Nous sommes tous ici tranquillement installés, Miss Nick attend dehors le moment de jouer son rôle. Sûre d’elle-même, elle tire l’arme de sa cachette et la glisse dans le manteau de Mrs Rice… Ce fut l’échec…

— Je suis heureuse de lui avoir donné ma montre !

— Certes, Madame, vous aviez raison.

Elle leva les yeux sur lui.

— Vous êtes également au courant ?

— Et Ellen ? interrompis-je. Savait-elle, ou bien soupçonnait-elle quelque chose ?

— Non. Je l’ai interrogée. Elle avait, paraît-il, décidé de rester à la maison le soir du feu d’artifice, « flairant un événement dans l’air », selon sa propre expression. Il semble que Nick ait un peu trop insisté pour la faire sortir. Ellen avait remarqué l’antipathie de Miss Nick pour Mrs Rice. Elle me dit « avoir un pressentiment », mais craignait plutôt un malheur pour Mrs Rice. La brave femme connaissait le caractère de sa maîtresse et la qualifiait de « bizarre ».

— Oui, murmura Frederica, mettons… bizarre.

Poirot lui prit la main et la porta doucement à ses lèvres.

Charles Vyse, mal à l’aise, exposa son point de vue :

— Tout cela s’annonce comme une bien pénible affaire. Il me faudra sans doute établir sa défense, n’est-ce pas ?

— Inutile, repartit Poirot, si toutefois mes présomptions sont fondées.

Puis se tournant brusquement vers Challenger :

— Est-ce bien dans ces montres-bracelets que vous mettiez la cocaïne ?

— Je… je… bégaya le marin, pris au dépourvu.

— N’essayez pas de me tromper avec vos manières de faux bonhomme. Hastings s’y est laissé prendre : quant à moi, je vous ai jugé il y a longtemps. Si je ne me trompe, vous et votre oncle de Harley Street tirez un joli profit de votre trafic.

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