La maison du péril Agatha Christie

— Nous voici donc revenus à Frederica Rice ?

— Notre vieille énigme !

— Frederica Rice est un bien joli nom, murmurai-je.

— Plus harmonieux, certes, que celui de « Freddie », dont l’ont baptisée ses amies.

— Frederica n’offre pas de nombreux diminutifs, Margaret en présente davantage : Maggie, Margot, Magde, Peggie…

— Très juste. Eh bien, Hastings, êtes-vous satisfait maintenant ? Les choses commencent à prendre tournure, hein ?

— Je vous en félicite, mais, avouez-le, vous attendiez-vous à cela ?

— Pas précisément… J’avais tablé sur des faits beaucoup plus vagues. Je m’étais simplement dit qu’étant donné certains résultats, leurs causes déterminantes finiraient par s’imposer à nos sens. Mais qu’allais-je vous dire lorsque retentit la sonnerie du téléphone ?… Ah ? j’y suis, je vous parlais de cette lettre de Miss Maggie que je tenais à relire. Je crois y avoir discerné un point curieux et je désirerais m’en assurer.

Je pris la missive et la tendis à mon ami. Tandis qu’il en relisait le contenu, je me promenai dans la pièce, jetant de temps à autre un coup d’œil par la fenêtre pour observer les yachts qui croisaient dans la baie.

Un cri d’exclamation me fit sursauter. En me retournant, je vis Poirot qui, la tête entre les mains, se balançait d’avant en arrière dans son fauteuil, comme en proie à une indicible douleur.

— Oh ! Aveugle… aveugle que je suis ! grommelait-il.

— Que se passe-t-il ?

— Je prétendais que le problème était compliqué, confus ? Mais non, pas le moins du monde ! Il est d’une extrême simplicité. Et dire que je n’y ai rien vu !

— Je vous en prie, Poirot, quel est ce flot de lumière qui brusquement vous éblouit ?

— Attendez… attendez… ne parlez pas encore… Après cette stupéfiante découverte, j’ai besoin de remettre un peu d’ordre dans mes idées.

Saisissant son questionnaire, il le parcourut en silence, se contentant de remuer rapidement les lèvres. À deux ou trois reprises, il hocha la tête, puis il s’adossa dans son fauteuil et ferma les yeux ; je crus un moment qu’il s’était endormi !

Tout à coup, il rouvrit les paupières et poussa un soupir :

— Mais oui ! s’écria-t-il. Tous les faits qui m’intriguaient s’expliquent maintenant. Ils avaient tous leur raison d’être.

— Comment… vous savez tout ?

— Presque tout ou plutôt tout ce qui importe. Certaines de mes déductions tombaient juste, d’autres s’écartaient nettement de la vérité, mais à présent l’atmosphère s’éclaircit. Aujourd’hui même, je vais envoyer un télégramme en posant deux questions… dont je connais d’avance la réponse. Elle est là ! ajouta-t-il en se frappant le front.

— Et que ferez-vous, une fois en possession de cette réponse ? demandai-je.

Poirot bondit sur ses pieds.

— Vous souvenez-vous, mon cher, que Miss Nick avait l’intention de monter une pièce à la « Maison du Péril » ? Eh bien, c’est nous-mêmes qui l’organiserons ce soir, mais j’en serai le metteur en scène. Miss Nick y créera un rôle. Un revenant jouera dans cette pièce, ami Hastings, un revenant ! La « Maison du Péril » n’a jamais été hantée par un fantôme : elle le sera ce soir… Non, Hastings ! inutile de m’interroger davantage. Ce soir même, nous allons produire notre comédie de laquelle jaillira la vérité. Mettons-nous sans tarder à l’ouvrage.

Sur ces paroles, Poirot quitta la pièce.

CHAPITRE XIX

LE METTEUR EN SCÈNE

Une curieuse réunion avait lieu ce soir-là à la « Maison du Péril ».

De toute la journée, j’avais à peine entrevu Poirot. Avant d’aller dîner, il m’avait laissé un mot me donnant rendez-vous à la « Maison du Péril » à neuf heures. « La tenue de soirée n’est pas de rigueur », avait-il pris la précaution d’ajouter. Tous ces préparatifs me semblaient une chimérique tentative.

À mon arrivée, je fus introduit dans la salle à manger où, après un rapide coup d’œil, je constatai que chaque personne figurant sur la liste, de A à I, était présente (sauf J, cela va de soi, puisque cette initiale attendait une affectation).

Mrs Croft elle-même était venue, calée dans une sorte de fauteuil roulant. Souriante, elle me fit signe d’approcher.

— Quelle surprise ! me dit-elle d’un air réjoui. J’avoue que cette soirée constitue pour moi un grand événement ; aussi m’efforcerai-je à l’avenir de sortir de temps à autre. Je sais gré à M. Poirot de sa gentille attention. Cependant, tout cela me paraît bien macabre… Mais c’est sur l’insistance de Mr Vyse…

— Mr Vyse ? dis-je, étonné.

Debout près de la cheminée, Charles Vyse parlait en aparté avec Poirot. Je promenai mes yeux dans la pièce. Tout le monde était présent. Ellen, qui m’avait fait entrer (j’étais arrivé une ou deux minutes en retard) se posta de nouveau près de la porte.

Se tenant droit et respirant avec difficulté, son mari était assis un peu plus loin à côté de son fils, qui ne cessait de s’agiter sur sa chaise. Les autres invités étaient rassemblés autour de la table. Vêtue de sa robe noire, Frederica était placée auprès de Lazarus, George Challenger et Croft leur faisant vis-à-vis. Je pris place à côté de Mrs Croft, tandis que Charles Vyse, après avoir fait un dernier signe de tête, s’installa à une extrémité de la table. Poirot se glissa discrètement sur le siège proche de Lazarus.

De toute évidence, « l’auteur » (titre que Poirot s’était pompeusement décerné) ne cherchait pas le rôle de premier qui devait échoir à Charles Vyse. Je me demandai quelles surprises mon ami lui réservait.

Le jeune avocat s’éclaircit la voix et se leva, avec son attitude ordinaire, c’est-à-dire impassible, cérémonieuse et froide.

— Cette réunion est des plus imprévues, dit-il, mais nous nous trouvons en présence d’un état de choses tout à fait exceptionnel : je veux parler, et tout le monde m’a compris, des circonstances qui entourent le décès de ma cousine, Miss Buckley. L’autopsie s’impose : je puis affirmer à présent, sans l’ombre d’un doute, qu’il s’agit d’un empoisonnement prémédité. Mais ceci regarde la police et je me garderai d’empiéter sur son domaine.

« Dans un cas normal, le testament du défunt est lu après les obsèques, mais pour satisfaire au désir de Mr Poirot, je me propose de vous en donner lecture en cet instant même. Voilà pourquoi vous avez été tous convoqués ici. Les circonstances exceptionnelles souffrent une dérogation aux usages.

« Ce testament est entré en ma possession de façon plutôt bizarre : daté de février dernier, je ne l’ai reçu qu’au courrier de ce matin. Cependant, l’écriture n’en est pas moins de la main de ma cousine, et bien que la teneur s’éloigne du style généralement adopté, il est dûment valable. »

Il fit une pause et en profita pour toussoter une deuxième fois. Tous les regards étaient vrillés sur le jeune homme de loi. D’une longue enveloppe, il tira une feuille de papier à lettre généralement employé à la « Maison du Péril », ainsi que tous les assistants purent s’en rendre compte.

— Le texte est très court, précisa Mr Vyse, puis il observa un silence voulu avant de poursuivre :

Le présent acte est le dernier testament de Magdala Buckley. Je désire que les frais de mes obsèques soient prélevés sur mon avoir et désigne mon cousin Charles Vyse comme exécuteur testamentaire. Je lègue tous mes biens, meubles et immeubles à Mrs Mildred Croft, en témoignage de reconnaissance pour les services qu’elle a rendus à mon père, Philip Buckley, et qui ont fait d’elle notre éternelle créancière.

Signé Magdala Buckley.

Témoins : Ellen Wilson, William Wilson.

Je n’en pouvais croire mes oreilles ! Et j’ai lieu de penser que je n’étais pas le seul.

Mrs Croft hocha la tête d’un air calme et entendu.

— C’est exact, dit-elle avec lenteur. Non que j’aie jamais eu l’intention de m’en prévaloir, mais durant le séjour de Philip Buckley en Australie, si je ne m’étais trouvée là… non, je préfère me taire à ce sujet. C’est un secret et je veux continuer à le garder. Cependant, Magdala en eut connaissance, sans doute, par son père. Nous sommes venus habiter ici car je mourais d’envie de voir cette « Maison du Péril » dont Philip nous avait tant parlé. Cette chère petite était au courant de tout et ne savait comment nous prouver sa reconnaissance. Elle insista pour nous avoir auprès d’elle, mais nous refusâmes. En fin de compte, elle nous offrit le pavillon pour lequel elle ne voulut jamais accepter un sou de loyer. Pour éviter les bavardages, nous faisions le simulacre de la payer, mais elle nous rendait notre argent. Eh bien ! que quelqu’un ose me dire maintenant que la gratitude n’existe pas ? Preuves en mains, je confondrai cet imposteur !

Un silence plein de surprise planait sur l’auditoire. Poirot regarda Vyse :

— Vous doutiez-vous de cela ?

Vyse secoua négativement la tête :

— Je savais que Philip Buckley avait habité l’Australie, mais j’ignorais absolument qu’il eût été là-bas l’objet d’un scandale, répondit-il en jetant un coup d’œil interrogateur vers Mrs Croft.

— Inutile, vous ne tirerez pas un mot de moi ! Je n’ai jamais parlé de cela à quiconque, ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai. Le secret me suivra dans la tombe.

Vyse ne broncha pas. Il s’était rassis et tapotait la table de son crayon.

— Je présume, Mr Vyse, dit Poirot en se penchant en avant, qu’en votre qualité de parent le plus proche, vous pourriez contester la validité de ce testament ? Je crois comprendre qu’une énorme fortune est en jeu, et qui n’existait d’ailleurs pas lors de la rédaction de cet acte.

Vyse leva vers lui un œil flegmatique.

— Le testament est parfaitement valable et l’idée ne me viendrait pas de faire opposition aux dernières volontés de ma cousine.

— Vous êtes un honnête homme, dit Mrs Croft d’un ton approbateur, et je veillerai à ce que vous n’y perdiez pas !

Charles se renfrogna un peu devant cette remarque plutôt gênante, encore qu’inspirée par une généreuse intention.

— Eh bien, maman ! dit Mr Croft avec une certaine joie qu’il ne pouvait réprimer, en voilà une surprise ! Nick ne m’avait jamais mis au courant de ses desseins.

— La pauvre chère enfant, murmura Mrs Croft en se couvrant les yeux de son mouchoir. Comme je voudrais qu’elle pût nous voir en ce moment ! Qui sait, peut-être nous voit-elle ?

— C’est possible, dit Poirot.

Brusquement une idée géniale lui germa dans l’esprit. Il promena son regard autour de lui.

— Une idée ! Puisque nous voici tous réunis autour d’une table, organisons une séance de spiritisme.

— Une séance ! s’écria Mrs Croft, scandalisée. Mais vous n’y pensez pas…

— Si, si, ce sera très intéressant. Mon ami Hastings ici présent, possède un pouvoir médiumnique très puissant ; l’occasion est unique d’obtenir une communication de l’au-delà, les conditions s’y prêtent admirablement. N’hésitons pas, n’est-ce point votre avis, Hastings ?

Bien que pas très fier des qualités de médium que venait de m’octroyer le généreux Poirot, j’acquiesçai.

— À la bonne heure ! Je le savais bien. Vite, éteignons les lumières !

En un clin d’œil, Poirot s’était mis debout et avait tourné tous les commutateurs. La séance fut imposée aux assistants avant qu’ils eussent le temps de protester. Pour mon compte, j’attribuai cette apathie générale à la stupéfaction que leur avait causée la lecture du testament.

L’obscurité n’était pas complète dans la pièce ; il faisait tellement chaud qu’on avait laissé la fenêtre ouverte. Au bout d’une ou deux minutes, mes yeux commencèrent à distinguer le contour des meubles. En mon for intérieur, je maudissais copieusement Poirot pour ne m’avoir pas initié à l’avance au rôle qu’il m’avait dévolu.

Néanmoins, je fermai les paupières et respirai d’une façon bruyante. Au même moment, Poirot se leva et s’approcha de ma chaise sur la pointe des pieds, puis il retourna à sa place, et prononça à voix basse :

— Oui, il est déjà en transes, les manifestations ne vont pas tarder maintenant.

Le fait de rester assis et d’attendre dans le noir vous remplit d’une insupportable appréhension. Personnellement, j’éprouvais une nervosité extrême. Et cependant, je pressentais ce qui allait survenir. Seul avec Poirot, je connaissais l’événement capital, ignoré de tous. Malgré tout, le cœur faillit me manquer lorsque je vis la porte de la salle à manger s’ouvrir doucement, sans le moindre bruit (cette porte avait dû être préalablement graissée). Un frisson parcourut les spectateurs. Un souffle d’air frais, évoquant la brise, s’engouffra dans la pièce. En l’occurrence, il ne pouvait s’agir que d’un simple courant d’air venant du jardin par la fenêtre ouverte.

Alors, nous vîmes tous le fantôme ! Une forme confuse drapée de blanc, encadrée dans le chambranle de la porte : Nick Buckley.

Elle avançait à pas lents et en silence… d’un mouvement flottant, éthéré, qui lui prêtait un aspect surnaturel. Quelle admirable actrice le monde aurait pu connaître ! Nick avait souhaité jouer un rôle à la « Maison du Péril », elle était en train de le remplir à la perfection et j’étais convaincu qu’elle savourait cet instant de toute son âme. Elle continuait d’avancer quand tout à coup le silence fut interrompu.

L’occupante du fauteuil roulant près duquel je me trouvais poussa un cri étouffé, une sorte de gargouillement fut proféré, par Mr Croft, Challenger lâcha un juron, Charles Vyse recula sa chaise, tandis que Lazarus se penchait en avant. Seule Frederica ne fit aucun bruit ni aucun mouvement.

À ce moment, un cri strident nous déchira le tympan et Ellen bondit de son siège.

— C’est elle, hurla la domestique. Elle est revenue, elle marche ! Les gens empoisonnés se remettent toujours à marcher ! C’est elle, oui, c’est elle !

Un déclic, puis la lumière reparut.

Debout auprès de l’assistance, Poirot arborait le sourire satisfait d’un chef de piste. Drapée de son voile blanc, Nick se tenait immobile au milieu de la salle. La première, Frederica prit la parole. Incrédule, elle étendit la main pour toucher son amie.

— Nick ! Est-ce bien vous ? dit-elle dans un soupir.

Éclatant de rire, Nick s’avança.

— Oui, c’est bien moi. Je vous remercie, Mrs Croft, de tous les services que vous avez rendus à mon père, mais je crains fort que vous ne bénéficiez pas immédiatement de mon testament.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! haleta l’interpellée en se retournant de tous côtés sur son fauteuil. Emmène-moi, Bert, emmène-moi. Ma chérie, tout cela n’était qu’une plaisanterie !

— Drôle de plaisanterie, repartit Nick.

La porte s’ouvrit de nouveau et un homme entra d’un pas si calme que je ne l’avais pas entendu. À ma stupéfaction, je reconnus Japp. Il échangea un signe avec Poirot et, le visage radieux, il se dirigea vers l’infirme qui, dans son fauteuil, ne savait plus où se fourrer.

— Tiens ! Tiens ! s’écria-t-il. Comme on se retrouve ! Mais c’est mon ancienne connaissance, Milly Merton, ma parole ! Alors, on continue ces bons vieux tours !

Il se retourna vers l’auditoire, sans prêter attention aux bruyantes protestations de Mrs Croft.

— Mesdames et messieurs, je vous présente notre plus habile faussaire. Nous savions qu’il était arrivé un accident à la voiture dans laquelle elle s’était enfuie avec ses complices, mais une blessure à la colonne vertébrale ne décourage pas Milly Merton. Vous avez devant vous, Mesdames et Messieurs, une véritable artiste !

— Ce testament était-il faux ? demanda Vyse sur un ton de surprise.

— Bien sûr, repartit Nick avec mépris. Vous ne pensez tout de même pas que j’aurais rédigé un testament aussi grotesque ? Je vous avais légué la « Maison du Péril », Charles, et tout le reste à Frederica.

Tout en parlant, Nick se dirigeait vers son amie, lorsque l’événement se produisit. Un éclair jaillit de la fenêtre, une balle siffla… puis une autre… enfin un gémissement et un bruit de chute, au-dehors… Le bras de Frederica se couvrit d’un léger filet de sang…

CHAPITRE XXI

« J. »

Le coup fut si soudain que personne ne comprit ce qui s’était passé. Poussant une forte exclamation, Poirot se précipita à la fenêtre, suivi de Challenger. Ils revinrent peu après en portant le corps inerte d’un homme qu’ils déposèrent dans un grand fauteuil de cuir. En voyant le visage de la victime, je laissai échapper un cri.

— Le visage… le visage que j’ai entrevu à la fenêtre.

C’était, en effet, le personnage que j’avais vu nous épier la veille au soir. Je le reconnus sans hésitation. Je compris que je m’étais trompé en lui attribuant un aspect surnaturel. Cependant, ma première impression s’avérait amplement justifiée par la sinistre apparence de ce déchet humain. Son visage blême, suant le vice, ressemblait à un masque ; on eût dit que l’âme de cet homme s’était depuis longtemps enfuie. Le long de sa joue coulait un ruisseau de sang.

Frederica s’avança, et s’appuya au dossier d’une chaise. Poirot alla au-devant d’elle.

— Êtes-vous blessée, Madame ?

Elle secoua négativement la tête :

— Non, la balle n’a fait qu’effleurer mon épaule.

Elle écarta Poirot d’un geste et se baissa vers l’inconnu qui, au même moment, rouvrit les yeux.

— Je vous ai touchée, cette fois, hein ? dit-il en étouffant un grognement, puis subitement sa voix changea et prit l’intonation de celle d’un enfant :

— Oh ! Freddie, je ne voulais pas vous faire de mal ! je ne voulais pas vous faire de mal ! vous vous êtes toujours montrée si bonne envers moi.

— Ne vous tourmentez pas, lui répondit-elle en s’agenouillant auprès de lui.

— Je ne voulais pas vous faire mal…

La tête s’affaissa en avant et la phrase demeura inachevée.

Frederica interrogea Poirot du regard.

— Oui, Madame, il est mort, lui dit-il d’une voix douce.

Elle se leva lentement et regarda le corps inerte. D’une main pleine de pitié, elle caressa le front de l’homme. Poussant un long soupir, elle se tourna vers le reste de l’assistance.

— C’était mon mari, prononça-t-elle avec calme.

— « J », murmurai-je.

Poirot, qui avait saisi ma remarque, m’adressa un signe d’acquiescement.

— Oui, reprit-il à voix basse, j’ai toujours eu l’intuition que ce « J » existait. Ne vous l’ai-je pas dit dès le début ?

— C’était mon mari, reprit Frederica d’une voix lasse, et elle s’affaissa dans le fauteuil que Lazarus avait approché à son intention. Autant que je vous explique tout… maintenant, dit-elle.

« Cet homme s’était avili à force de prendre des stupéfiants. Il avait même réussi à m’en faire absorber. Il m’a fallu lutter sans trêve, du jour où je l’ai quitté, pour me déshabituer de ces drogues. Enfin… je suis aujourd’hui presque guérie. Mais après des efforts inouïs et dont personne ne saurait se douter. J’eus toutes les peines du monde à lui échapper ; il me poursuivait sans cesse pour me soutirer de l’argent par des menaces et du chantage, jusqu’au jour où lui vint l’obsession de me tuer. Le malheureux était irresponsable. C’est sans doute lui a qui a tué Maggie Buckley, l’ayant prise pour moi. J’aurais peut-être dû parler plus tôt, mais je n’étais pas sûre et les étranges accidents de Nick m’incitèrent à croire qu’après tout il ne s’agissait peut-être pas de lui. Mais un jour… je reconnus son écriture sur un morceau de papier déchiré, sur la table de M. Poirot. C’était le fragment d’une lettre que mon mari m’avait adressée. Dès cet instant, je fus convaincue que M. Poirot suivait la piste, et que la découverte du coupable n’était plus qu’une affaire de temps… Cependant, je ne m’explique pas l’histoire des bonbons. Mon mari n’avait aucune raison d’empoisonner Nick et je ne vois pas comment il aurait pu se trouver mêlé à quelque complot dirigé contre elle. J’ai beau me creuser la cervelle, je ne parviens point à résoudre cette énigme.

Pendant un moment elle enfouit sa figure dans ses mains, puis elle conclut d’une voix pathétique :

— Voilà… c’est tout…

CHAPITRE XXI

LE PERSONNAGE … « K »

Lazarus la rejoignit aussitôt.

— Ma chérie, ma chérie ! dit-il.

Poirot se dirigea vers l’argentier, versa un verre de porto et l’apporta à Frederica. Après l’avoir bu, elle lui rendit le verre en souriant et lui dit :

— Cela va mieux… merci… Et maintenant, qu’allons-nous faire ?

Elle lança un regard interrogateur à Japp qui hocha la tête.

— Je prends mes vacances, Mrs Rice. Mon intervention n’avait pour but que d’obliger un vieil ami… mais mon rôle se borne là. La police de Saint-Loo se charge de l’affaire.

— Et M. Poirot dirige la police de Saint-Loo, j’imagine ?

— Oh ! Quelle idée, Madame ! Je ne suis qu’un simple conseiller en la circonstance.

— Ne pourrait-on étouffer ce scandale, M. Poirot ? demanda Nick.

— Y tenez-vous réellement, Mademoiselle ?

— Oui. Après tout, je suis la personne la plus particulièrement visée, et on ne m’attaquera plus maintenant.

— C’est exact, on n’attentera plus à vos jours…

— Vous pensez à Maggie, n’est-ce pas, M. Poirot, mais hélas, rien ne la ranimera. Si vous divulguez cette affaire, il s’ensuivra quantité d’ennuis et une fâcheuse publicité pour Frederica… qui ne le mérite pas.

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