La maison du péril Agatha Christie

— Oh ! dit-elle d’un ton peu assuré.

Puis elle se leva en prétextant une migraine et le désir de se reposer. Elle quitta brusquement la pièce en formulant l’espoir que le lendemain il lui serait permis de voir Nick.

Challenger émit un grognement après son départ et précisa sa pensée :

— Impossible de deviner où cette femme veut en venir. Nick a dû éprouver une grande affection pour elle ; toutefois, je doute que la réciproque soit vraie. Mais sait-on jamais avec les femmes ? Vous partez, Monsieur Poirot ? lui demanda Challenger en voyant mon ami brosser son chapeau.

— Oui, je vais en ville…

— Je n’ai rien à faire, puis-je vous accompagner ?

— Certainement, vous me ferez plaisir.

Au moment où nous franchissions le seuil, Poirot retourna dans la pièce.

— J’avais oublié ma canne, dit-il en manière d’excuse.

Poirot se dirigea d’abord chez le fleuriste.

— Je voudrais envoyer des fleurs à Miss Nick, expliqua-t-il.

Poirot est un client difficile à contenter. Après bien des hésitations, il jeta son dévolu sur une corbeille dorée qu’il fit garnir d’œillets oranges et ceindre d’un large ruban bleu.

Sur une carte que lui remit la vendeuse, de sa plus belle écriture, il traça ces mots : « Avec les hommages d’Hercule Poirot. »

— Je lui ai déjà adressé des fleurs ce matin, dit Challenger. Peut-être pourrais-je lui faire porter quelques fruits ?

— Non, c’est inutile, répondit Poirot.

— Pourquoi ?

— Aucune denrée comestible ne doit être envoyée, c’est expressément défendu.

— Qui a dit cela ?

— J’en ai décidé ainsi. D’ailleurs, Miss Nick se range absolument à mon point de vue.

— Par exemple ! s’exclama Challenger d’un air médusé.

Il regarda curieusement Poirot pendant quelques secondes.

— Ah ! je vois… continua-t-il. Vous redoutez toujours… quelque chose ?

CHAPITRE XVI

UN ENTRETIEN AVEC MR WHITFIELD

L’enquête fut des plus sommaires. On procéda à l’identification et je témoignai de l’endroit où je découvris le corps. Le rapport médico-légal déposé, les conclusions furent remises à huitaine.

L’intérêt du crime de Saint-Loo avait rebondi dans les quotidiens. Il venait de succéder, en effet, à la « Disparition du fameux aviateur ». À présent que la mort de Seton ne faisait plus de doute et que la nation tout entière avait rendu hommage à sa mémoire, il fallait au public une nouvelle sensation. Aussi le mystère de Saint-Loo était-il un présent des dieux pour la presse qui, en ce mois d’août, manquait de matières intéressantes.

Après ma déposition, qui fournit un os à ronger aux journalistes, je rejoignis Poirot à son rendez-vous avec le Révérend Père Giles Buckley et son épouse[6].

Le père et la mère de Maggie étaient de braves gens, étrangers au monde et de la plus grande simplicité. Mrs Buckley semblait être une femme de caractère. Blonde, de forte stature, elle trahissait ses origines nordiques ; son mari était petit, avait des cheveux grisonnants, des manières timides et presque défiantes.

Ces pauvres êtres semblaient écrasés par le malheur qui leur ravissait leur enfant bien-aimée.

— Je ne peux pas m’habituer à l’idée de perdre une fille si bonne et si douce, disait Mr Buckley. Inoffensive et toujours dévouée. Qui pouvait en vouloir à la vie de cette malheureuse enfant ?

— J’avais peine à comprendre le télégramme, se lamentait Mrs Buckley, car elle nous avait quittés la veille au matin.

— Cette épreuve nous anéantit complètement, murmura le père.

— Le colonel Weston s’est montré on ne peut plus aimable, dit Mrs Buckley, et il nous a assuré que la police a tout mis en œuvre pour découvrir le meurtrier. Ce ne peut être que l’acte d’un fou ; aucune autre explication ne paraît plausible.

— Je ne saurais vous exprimer à quel point je compatis à votre douleur, Madame, ni combien j’admire votre courage.

— Se laisser abattre ne nous rendrait pas notre chère enfant, déclara tristement Mrs Buckley.

— Ma femme est admirable, dit le pasteur, sa foi et sa vaillance sont étonnantes… Ce drame est si effarant, Monsieur Poirot.

— Hélas ! Je le sais, Monsieur.

— Vous êtes un grand détective, Monsieur Poirot ! dit Mrs Buckley.

— On le prétend, Madame.

— Votre gloire est justifiée. Votre nom est connu partout, même dans notre petit village. Vous allez découvrir le coupable, n’est-ce pas, Monsieur Poirot ?

— Je n’aurai de repos que je n’y sois parvenu, Madame.

— La vérité vous sera révélée sous peu, prononça le pasteur d’un ton ému. Le mal ne peut rester impuni.

— Je vous approuve, Monsieur, mais il arrive que le châtiment demeure secret.

— Qu’entendez-vous par là, Monsieur Poirot ?

Poirot se contenta de hocher la tête.

— Pauvre petite Nick ! dit Mrs Buckley. Dans la lettre si pathétique qu’elle m’a adressée, c’est tout juste si elle ne s’accuse pas de la mort de Maggie !

— Ce sont des sentiments morbides, expliqua Mr Buckley.

— Possible. Cependant, je sais combien elle souffre à notre sujet et j’arriverai bien à lui parler. Il est inconcevable que les visites soient interdites aux membres de sa propre famille.

— Les médecins et les infirmières sont très stricts, répondit Poirot. Ils suivent les règlements, que rien ne saurait modifier. Ils redoutent les émotions, et le fait seul de vous voir ébranlerait les nerfs de la malade.

— Peut-être, acquiesça Mrs Buckley avec une certaine réserve, mais je n’accorde pas une confiance illimitée aux maisons de santé. À mon avis, il serait de beaucoup préférable d’autoriser Nick à venir immédiatement chez nous.

— Je doute qu’il vous soit donné satisfaction. Y a-t-il longtemps que vous avez vu Miss Buckley ?

— Depuis l’automne dernier. Elle était à Scarborough où Maggie passa une journée avec elle. Elles refirent le chemin ensemble et Nick passa la nuit à la maison. C’est une délicieuse enfant, toutefois, je ne l’approuve pas dans le choix de ses amis, ni dans sa façon de vivre. Mais ce n’est pas sa faute, la pauvre enfant, elle s’est élevée pour ainsi dire seule.

— La « Maison du Péril » est une étrange demeure, dit Poirot pensivement.

— Moi, je ne l’aime pas, répondit Mrs Buckley, et je ne l’ai jamais aimée. Il y a quelque chose d’anormal dans cette demeure et le vieux Nicolas me déplaisait souverainement. J’éprouvais une sorte d’angoisse en sa présence.

— On ne le disait pas très bon, confirma le mari, mais il n’était pas dépourvu d’un certain charme.

— En tout cas, je ne m’en suis jamais rendu compte. Cette maison semble être hantée par un mauvais génie. Oh ! pourquoi y avons-nous laissé aller notre pauvre petite ?

— Il est bien trop tard pour regretter, hélas ! dit Mr Buckley.

— Je ne veux pas vous importuner davantage, coupa Poirot. Je désirais simplement vous témoigner toute ma sympathie.

— Vous êtes très aimable, Monsieur Poirot, et nous vous sommes reconnaissants de tout ce que vous faites.

— Quand partez-vous pour le Yorkshire ?

— Demain. Triste voyage. Au revoir, Monsieur Poirot, et merci encore.

— Quels gens simples et sympathiques ! confiai-je à Poirot après notre départ.

— Cela vous déchire le cœur, n’est-ce pas ! Un drame si inutile… sans le moindre but ! Que je me reproche de n’avoir pas évité ce malheur ! Moi, Hercule Poirot, je me trouvais sur les lieux quand le meurtre a été commis !

— Personne n’aurait pu l’éviter.

— Vous parlez sans réfléchir, Hastings. Un profane n’aurait évidemment rien empêché, mais à quoi sert Hercule Poirot, doté de cellules grises d’une qualité si rare, s’il est incapable de prouver sa supériorité au premier venu ?

— Bien sûr, si vous vous placez sous cet angle-là !

— J’ai perdu tout courage et me sens complètement diminué.

Il me semble que son amoindrissement ressemblait fort à de l’orgueil, mais je m’abstins de formuler mon impression.

— Et maintenant, en route pour Londres !

— Pour Londres ?

— Oui, nous attraperons facilement l’express de deux heures. Ici, rien à redouter pour l’instant. Miss Nick est en sécurité, personne ne peut lui nuire ; il nous est donc loisible de relâcher notre surveillance. Je voudrais me procurer là-bas un ou deux petits renseignements.

Dès notre arrivée à Londres, nous passâmes à l’étude des avoués de feu Michel Seton ; Messrs Whitfield, Pargiter et Whitfield. Bien qu’il fût six heures passées, Mr Whitfield, le chef de la maison, nous reçut immédiatement, rendez-vous ayant été pris au préalable.

Nous vîmes devant nous un homme courtois, à l’allure imposante ; il avait sur son bureau une lettre du commissaire et une autre d’un haut fonctionnaire de Scotland Yard.

— Votre demande me semble irrégulière et peu commune, Monsieur… euh… Poirot, dit l’avoué en essuyant les verres de ses lunettes.

— Je partage votre avis, Monsieur Whitfield, mais un crime est un fait irrégulier et, je me plais à le reconnaître, peu commun !

— D’accord, d’accord, mais je ne vois guère le rapport que peut avoir ce crime avec le testament de mon client.

— Ce rapport existe, cependant.

— Ah ! il existe, selon vous ? En ce cas, et suivant les instructions formelles de sir Henry, il me sera agréable… de faire tout ce qui dépendra de moi pour faciliter votre tâche.

— Vous étiez, en quelque sorte, le conseil juridique de feu le capitaine Seton ?

— …Et de toute la famille Seton, mon cher Monsieur, depuis une centaine d’années.

— Très bien. Feu sir Matthew Seton a-t-il fait un testament ?

— Nous-mêmes l’avons établi.

— Quels en sont les bénéficiaires ?

— Il nous a laissé plusieurs legs – un au musée d’Histoire Naturelle, entre autres. Quant au gros de sa fortune – j’ose ajouter, de son immense fortune – il l’a donné entièrement au capitaine Michel Seton. Il n’avait d’ailleurs aucun autre parent proche.

— Vous dites qu’il s’agissait d’une immense fortune ?

— Sir Matthew était peut-être l’homme le plus riche de toute l’Angleterre, répondit Mr Whitfield avec calme.

— N’avait-il pas des idées plutôt… étranges ?

Mr Whitfield lança vers mon ami un regard sévère :

— Un millionnaire, Monsieur Poirot, a non seulement le droit d’être original, mais c’est presque une obligation pour lui.

Poirot encaissa placidement cette petite leçon et posa une nouvelle question :

— Personne ne s’attendait à sa mort, n’est-ce pas ?

— Personne. Sir Matthew jouissait d’une excellente santé. Cependant, il avait une tumeur dont nul ne soupçonnait l’existence et qui, à certain moment, gagna un organe vital. Une intervention chirurgicale immédiate s’imposa. L’opération réussit parfaitement, mais sir Matthew succomba par la suite.

— Et sa fortune revenait au capitaine Seton ?

— Exactement.

— Je crois savoir que le capitaine Seton avait fait un testament avant son départ d’Angleterre ?

— Oui, si toutefois on peut appeler ça un testament, dit Mr Whitfield avec un certain mépris.

— Est-il légal ?

— Parfaitement légal, la volonté du testateur est clairement exprimée et l’acte dûment signé par des témoins. Mais oui ; il est tout à fait légal.

— Cependant vous n’en approuvez pas les termes ?

— À quoi servirions-nous, mon cher Monsieur ?

Je me l’étais souvent demandé. Ayant eu une fois l’occasion de faire moi-même un testament des plus simples, je fus épouvanté de la longueur et de la complexité du texte imprimé par mon homme d’affaires !

— La vérité, poursuivit Mr Whitfield, c’est qu’à l’époque où fut rédigé ce testament, le capitaine Seton n’avait pour ainsi dire rien à léguer. Il vivait exclusivement de la pension que lui servait son oncle. J’en déduis qu’il attacha peu d’importance à l’acte qu’il établissait.

« C’est une déduction logique », me dis-je en moi-même.

— Quelle est la teneur de ce testament ? demanda Poirot.

— À sa mort, il abandonne tous ses biens à sa fiancée, Miss Magdala Buckley. Je suis son exécuteur testamentaire.

— Ainsi, c’est Miss Buckley l’héritière ?

— Sans aucun doute.

— Et si Miss Buckley était morte lundi dernier ?

— Le capitaine Seton l’ayant précédée dans la tombe, la fortune revenait à la personne que la jeune fille eût constituée sa légataire dans son propre testament. À défaut de cet acte, le plus proche parent de Miss Nick eût hérité. J’ajouterai, dit-il en plaisantant, que les droits de succession eussent été énormes ! Songez un peu : trois décès successifs !

— Il serait au moins resté quelque chose après déduction de ces frais ? demanda Poirot, à voix basse.

— Souvenez-vous, cher Monsieur, que sir Matthew possédait une des plus grosses fortunes d’Angleterre.

Mon ami se leva.

— Merci, Monsieur Whitfield, des renseignements que vous avez bien voulu me fournir.

— À votre service… Je puis encore vous dire que je compte me mettre sous peu en rapport avec Miss Buckley. De fait… je crois même que la lettre est déjà partie. Je serais heureux de lui être utile.

— Cette jeune personne aura grand besoin de conseils juridiques.

— Elle ne pourra bientôt dénombrer les coureurs de dot qui solliciteront sa main, dit Mr Whitfield en hochant la tête.

— Il faut s’y attendre, admit Poirot. Au revoir, Monsieur.

— Au revoir, Monsieur Poirot. Très flatté si je puis avoir rendu service au célèbre détective Poirot !

Il prononça ces dernières paroles à la façon de quelqu’un qui se plaît à rendre un hommage dûment mérité.

— Voilà donc la confirmation de vos pressentiments, dis-je à Poirot lorsque nous fûmes dehors.

— Il devait en être ainsi, et pas autrement, mon cher ami. Maintenant, allons au Cheshire Cheese[7] où Japp doit nous retrouver pour déjeuner.

L’inspecteur de Scotland Yard nous avait précédés au rendez-vous. Il accueillit Poirot avec empressement.

— Une éternité depuis que je ne vous ai vu, Monsieur Poirot ! Je croyais que vous étiez parti planter vos choux !

— J’ai essayé, Japp, mais même en plantant ses choux on ne peut se tenir à l’écart des affaires criminelles.

Il poussa un soupir. Sans aucun doute évoquait-il le crime étrange de Feraley Park. Combien ai-je regretté, depuis, qu’une absence intempestive m’ait tenu éloigné de Londres à cette époque !

— Et vous, cher capitaine Hastings, comment allez-vous ?

— À merveille, merci.

— Maintenant, y a-t-il d’autres crimes ? continua Japp en manière de plaisanterie.

— Comme vous le dites, il y a d’autres crimes.

— Ne vous découragez pas, mon vieux. Même si cela ne va pas selon votre gré, songez qu’à votre âge vous ne pouvez prétendre remporter vos succès d’antan ! Nous prenons tous de l’âge et il faut laisser les jeunes courir leur chance !

— Oui, mais le vieux singe est encore celui qui sait le mieux faire des grimaces. Il est futé et ne lâche pas facilement sa piste.

— Voyons, nous parlons d’hommes et non pas de singes !

— La différence est-elle si grande ?

— Tout dépend de la façon dont vous considérez les choses. Mais vous êtes un phénomène, Poirot. N’est-ce pas votre avis, Hastings ? Vous n’avez pas changé, mon cher Poirot, votre crâne se dégarnit peut-être, mais les joues sont plus remplies que jamais.

— Eh ! que dit-il ? demanda Poirot.

— Il vous félicite de vos moustaches, lui dis-je pour le consoler.

— Elles sont encore superbes, n’est-ce pas ? s’écria Poirot en les caressant d’une main complaisante.

L’inspecteur partit d’un gros rire.

— Revenons aux choses sérieuses, dit-il après un instant. Je me suis occupé des empreintes digitales…

— Ah ! oui.

— Rien d’intéressant. L’individu ne nous est jamais passé entre les mains. On ne le connaît pas davantage à Melbourne où j’ai câblé.

— Ah !

— J’en conclus qu’il doit y avoir anguille sous roche. En tout cas, il n’appartient pas à la bande. Quant à l’autre affaire… poursuivit Japp.

— Eh bien ?

— Lazarus et fils jouissent d’une bonne réputation, très corrects dans leurs opérations. Un peu durs, mais ceci est autre chose : il ne faut pas de sentiment en affaires. Autrement, rien à redire sur leur compte, sauf cependant qu’au point de vue financier, ils sont en difficultés.

— Ah ! vraiment ?

— Oui, la crise actuelle dans le commerce des tableaux et meubles anciens les frappe terriblement. Ce sont ces productions modernes dont nous inonde le continent qui ont déclenché le mouvement. L’an dernier, ils ont construit de nouveaux magasins et… ma foi… je les crois bien près du « tournant dangereux » !

— Je vous suis très reconnaissant de ces indications.

— Il n’y a vraiment pas de quoi. Ce genre de renseignements ne rentrent pas tout à fait dans ma spécialité. Cependant, j’avais à cœur de vous aider. De façon ou d’autre, nous arrivons toujours à nous débrouiller !

— Mon cher Japp, que ferais-je sans vous ?

— Vous plaisantez ! Il m’est agréable de rendre service à un vieil ami ! Ne vous ai-je pas mis sur la piste de quelques belles affaires, autrefois ? Vous vous souvenez ?

C’était, pour Japp, l’occasion de manifester sa gratitude à Poirot, qui avait résolu bien des problèmes dépassant l’habileté de l’inspecteur.

— Eh oui, c’était le bon temps !

— J’aimerais tant renouveler nos bonnes causeries d’autrefois ! Vos méthodes peuvent être quelque peu désuètes, mais en revanche, Monsieur Poirot, vous avez un cerveau admirablement organisé.

— Et à propos, ma deuxième question : le docteur Mac Allister ?

— C’est un spécialiste pour maladies de femmes, non pas un gynécologue, mais un de ces médecins pour troubles nerveux, qui vous recommandent de dormir dans une pièce tapissée de pourpre avec un plafond orange, ou vous entretiennent de votre libido, ou quelque chose du même genre, puis vous conseillent de la laisser s’épanouir. C’est une espèce de charlatan, mais il réussit parfaitement avec les femmes qui accourent en foule vers lui. Il lui arrive d’aller fréquemment sur le continent et en particulier à Paris, où, je crois, il se livre à certaines recherches médicales.

— Que vient faire ici ce docteur Mac Allister ? demandai-je, surpris. Je n’ai jamais entendu prononcer son nom. D’où vient-il ?

— Le docteur Mac Allister est l’oncle du commandant Challenger, m’expliqua Poirot. Vous vous souvenez sans doute qu’il fit allusion à l’un de ses oncles qui est docteur ?

— Rien ne vous échappe, Poirot. Croyez-vous qu’il ait opéré sir Matthew ?

— Il n’est pas chirurgien, repartit Japp.

— J’aime à connaître une affaire dans ses moindres détails, dit Poirot. Je prétends être un bon limier. Or, le propre du limier, c’est de suivre une piste et, s’il n’en a pas, de la découvrir. Voilà comment procède Hercule Poirot et très souvent avec plein succès !

— Notre profession n’est guère enviable, et la vôtre encore moins que la mienne. N’étant pas reconnu officiellement, il vous faut davantage recourir au travail dissimulé.

— Jamais, cependant, je ne me suis déguisé, Japp.

— Et pour cause : lorsqu’on vous a vu une fois, on ne saurait vous oublier.

Poirot observa Japp d’un air sceptique.

— Je voulais seulement plaisanter, ajouta l’inspecteur en riant. Ne faites pas attention. Un porto ?

La soirée se passa dans une atmosphère des plus amicales. Bientôt nous fûmes plongés dans nos lointains souvenirs et nous revîmes défiler devant nos yeux les multiples affaires qui nous avaient tant passionnés autrefois. Cette promenade dans le passé me laissa plein de mélancolie. Quel joyeux temps ! Et comme à présent, je me sentais vieilli et saturé d’expérience !

Pauvre Poirot ! Le crime actuel le laissait perplexe, je le voyais à sa mine. Ses facultés n’étaient plus ce qu’elles avaient été. Je pressentais qu’il échouerait dans cette affaire et la mort tragique de Maggie Buckley ne serait jamais éclaircie.

— Courage, mon ami, me dit Poirot en me donnant une tape dans le dos. Tout n’est pas perdu. Je vous en prie, ne faites pas cette figure d’enterrement.

— Oh ! je déborde d’espoir !

— Eh bien, moi aussi, et Japp également !

— Nous sommes donc tous en forme, ajouta Japp en riant.

Nous nous quittâmes sur cette heureuse constatation.

Nous regagnâmes Saint-Loo le lendemain matin. Dès notre arrivée à l’hôtel, Poirot téléphona à la clinique et demanda à être mis en communication avec Nick.

Je vis tout à coup mon ami pâlir et l’appareil faillit lui échapper de la main.

— Comment ? Que dites-vous ? Répétez, je vous en prie.

Il attendit une minute ou deux.

— Entendu, j’arrive dans un instant.

Il se tourna, tout défait, de mon côté.

— Pourquoi sommes-nous partis, Hastings ? Oh ! Pourquoi ? Miss Nick est gravement malade, empoisonnée à la cocaïne. Les bandits sont arrivés à leurs fins ! Mon Dieu ! Pourquoi me suis-je éloigné ?

CHAPITRE XVII

UNE BOITE DE CHOCOLATS

Durant tout le trajet de la clinique, Poirot ne cessa un seul instant d’invectiver contre lui-même.

— J’aurais dû m’en douter, grommelait-il. Et, cependant, comment pouvais-je prendre plus de précautions ? Cet empoisonnement est impossible… impossible ! Personne ne devait approcher Miss Nick. Qui a enfreint mes ordres ?

Nous fûmes introduits dans un petit salon d’attente, où le docteur Graham ne tarda pas à nous rejoindre. Il était pâle et fatigué.

— Elle s’en tirera, dit-il. Le tout était de savoir quelle quantité elle avait absorbé de cette maudite drogue.

— Qu’était-ce ?

— De la cocaïne.

— Survivra-t-elle ?

— Oui, oui, tranquillisez-vous, elle survivra.

— De quelle façon ce stupéfiant est-il parvenu jusqu’à elle ? Qui a été autorisé à la voir ?

Poirot était toute nervosité.

— Aucun visiteur n’est monté dans sa chambre.

— C’est incompréhensible.

— Et cependant vrai.

— Alors…

— On lui a envoyé une boîte de bonbons de chocolat.

— Sacré tonnerre ! Je lui avais interdit de manger quoi que ce fût venant du dehors !

— J’ignore comment cette boîte entra en sa possession. En tout cas, il est bien difficile d’empêcher une jeune fille de toucher à des friandises. Fort heureusement, elle n’a avalé qu’un seul bonbon.

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